[30 juin 1597 - Flashback] - Libations à Saint Blasphème [RP Sensible][Terminé]

Coldris ricanait de le voir échouer à son lancer. Mais ce n’était rien en comparaison de son gage pour lequel il chantonnait une marche nuptiale. Nom d’un chien… C’est qu’il était si sérieux qu’il allait finir par en oublier de respirer à ce rythme. De temps à autre, il étouffait un hoquet de rire entre deux notes. Enfin… jusqu’à ce que Thierry ne finisse par trébucher sur un saint vengeur arrivé à la moitié du trajet. Là… Ce fut bien trop rire de ne pas exploser dans un bref éclat de rire soutenu par un coup de talon sur le sol. Le bougre, il ne ressemblait plus rien ainsi baptisé.

— Vous devriez peut-être arrêter de boire pour ce soir, cela fait deux fois que vos pieds vous font défaut !

Malheureusement, il échoua à son tour son lancer, bêtement.  Qu’avait donc cette balle ce soir ?! Et cet imbécile qui en rajoutait ! Tout cela pour lui reproposer le même gage… Coldris roula des yeux avant de

— Votre manque de créativité est affligeant, grinça-t-il tout en retirant l’aube.

Il déboutonna ensuite son pourpoint, son veston, retira chemise, chausse et soulier, jusqu’à se trouver nu comme un vers devant Thierry, puis seulement il repassa la robe immaculée : il était hors de question de tâcher son précieux costume et imaginer le curé devoir se justifier auprès de son fils pour l’aube tâchée de vin était nettement plus amusant… Il fallait être honnête : traverser la nef à cloche-pied sans renverser le calice tenait plus du miracle que de la prouesse à ce niveau-là… Le vicomte se rendit donc à l’entrée, place la coupe sur sa tête, tout en s’assurant qu’elle était bien mise : ce n’était pas parce qu’il y avait peu de chance qu’il ne fallait pas tenter le tout pour le tout.

Premier saut : réussite. Ses commissures se retroussèrent brièvement avant de retrouver son sérieux, deuxième saut : réussite également. Tout compte fait… Au troisième il sentit une goutte perler entre ses cheveux puis rouler sur son front. Trop d’agitation. Il calma son saut suivant : parfait.

Malheureusement, cinq bonds plus tard, l’équilibre précaire fut rompu et le calice vacilla. Il leva les mains pour le réceptionner, mais la coupe liturgique s’était déjà renversée sur son crâne. Vieille bique damnée ! Il avait bien fait de se changer ! Tandis que Thierry pestait sur son coup raté – et que lui s’en félicitait– Coldris plongea ses cheveux poivre et sel dans le bénitier pour les rincer, tintant l’eau d’un léger filet pourpre. Il s’essuya ensuite avec l’aube, frictionnant son corps avant de revêtir son costume –prenant soin de ne pas exposer son dos – , moins son pourpoint par souci de confort. Bien qu’allait-il lui demander ? Avec un pan de la robe, il chassa le vin subsistant de ses oreilles.

— Racontez-moi une bonne blague en faisant le poirier.

Quant à lui, sa balle entra dans l’une des coupes sans le moindre suspens et il ne se priva pas de le faire savoir d’une large exclamation avant de se servir un bon verre bien mérité cette fois-ci.

Ce n’était pas la répartie du curé qui allait lui faire mettre un point final à ses moqueries somme toute bien méritées. Oh que non ! Un large sourire soulignait son regard madré tandis qu’il répliquait à son tour.

— Mais cela mon cher Thierry c’est ce que l’on appelle une illusion optique : votre regard se balance en cadence avec votre démarche hésitante maladroite, voilà tout.

Et qu’importe  s’il venait d’écoper d’un gage similaire qu’il se retrouvait à effectuer en aube de curé.

— Je pourrais, mais je préfère souiller vos habits de messe. Avec un peu de chance, vous n’en aurez aucun de propre demain. Et faire la messe en tenue d’Adam, ça c’est divin !

Sur ce, il céda au rire et fit vaciller la coupe sur sa tête. Zut ! La vérité, c’est qu’il n’était pas question de se mettre nu devant Thierry. Leur intimité n’allait pas jusque là. Il avait certaines choses qu’il préférait conserver prudement pour lui – et cela n’avait rien à voir avec ses attributs virils –

— Je le préfère dans mon gosier que sur mon crâne…

Il s’empressa d’ailleurs de se rincer avant d’empester définitivement le vin jusqu’à la racine de ses cheveux. Et comme Thierry venait d’échouer pour son plus grand plaisir, il le laissa faire le poirier tout en racontant une blague minable digne de ses quarante-sept mois d’âge. Il roula des yeux, soufflant par les narines pour la forme en guise de validation à son gage. En revanche, ce fut nettement plus divertissant de le voir chancelant tandis que le sang quittait sa tête pour ses orteils. Dommage qu’il eût le temps d’atteindre ses mains pour le voir réussir à sa suite un lancer.

— J’en dis que vous ne savez rien faire d’autre que de m’imiter sans jamais pouvoir m’égaler.

Pour la peine, il prit la balle et visa sur le côté en plein milieu du calice histoire d’en faire tomber deux à la fois.

— Oh… Quelle maladresse, commenta-t-il faussement déçu. Jusqu’où irez-vous donc pour m’imiter ?

Satisfait de son petit tour – et tant pis pour le gage, rien n’équivaudrait jamais le plaisir d’avoir tendu ce piège d’où il sortirait vainqueur qu’importe l’issue – il prit appui sur l’autel, arrachant au passage un fruit défendu qu’il s’empressa de croquer effrontément.

Si l’alcool bonifiait Thierry, il était parti de définitivement bien bas étant donné là où il se trouvait actuellement. Enfin, qu’importe, il pourrait bien s’y baigner intégralement que cela ne changerait pas.

Quant à savoir s’il le tentait, une âme charitable là-haut se serait empressée de rappeler combien il ne laissait jamais la moindre place au hasard dans sa vie. Alors, oui évidemment qu’il escomptait le voir relever ce défi, et c’était bien ce qu’affirmait ce sourire madré.

– Très certainement, peut-être même pourrais-je me libérer pour y assister. Après tout, il faut bien un juge impartial pour noter votre prestation et vous savez combien je puis être exigent.

Il fut temps pour lui de jouer et de perdre de son plein gré afin de s’amuser quelque peu de cet imitateur de bas étage qu’était le curé. Réussirait ou réussirait pas ? Il était tout yeux, se sachant pertinemment victorieux. D’ailleurs, il venait d’échapper à un nouveau gage puisque Thierry avait semble-t-il oublié ce point.

– Voilà toute la différence entre vous et moi, mon cher : vous essayez de gagner quand moi je décide de gagner. Vous vous contentez de la médiocrité et c’est pour cette raison que vous moisissez dans cette paroisse misérable de Braktenn au lieu de vous élever. A votre place je serais pape et à la mienne vous seriez mendiant !

Il croisa les bras, observa avec une attention qui devait peser bien lourd sur les épaules du prêtre débauché le tir qui fut effectué. A quel dommage ! Un nouvel échec ! Il pouvait pester autant qu’il voulait, Coldris lâcha un profond éclat de rire caverneux et glacial qui se répercuta sous les ogives.

– Vraiment ? N’était-ce pas vous qui affirmiez le contraire précédemment ? demanda-t-il innocemment en se réservant une lampée pour savourer sa victoire.

Pas question de lui épargner un défi. Il opta cette fois-ci pour quelque chose de simple à réaliser, mais qui avait le don de l’amuser…
– Quel texte devez-vous lire demain ? il attendit sa réponse puis compléta allez donc m’égayer la bible de l’entrée avec un dessin d’Adam et Eve nettement plus jouissif que ces tristes icônes…

La messe des vêpres, demain. Pourquoi pas après tout. Coldris opina, curieux d’assister à cette mise en scène dantesque. Pour une fois que c’était lui qui assistait au spectacle, il n’allait pas s’en priver. Pour l’instant le jeu se poursuivit avec un Thierry égal à sa médiocrité. Il ne voyait pas bien ce que sa vie pouvait avoir de confortable et jamais ô grand jamais il ne viendrait l’échanger contre la sienne. Où trouverait-il l’excitation et le frisson qui faisait vibrer sa corde de vie ?

Coldris afficha une mine profondément dépitée. Quand il songeait au nombre de fois où il avait reproché à Virgil son manque d’ambition ! L’ironie était que lorsqu’on le connaissait aussi bien que lui, il s’avérait fin calculateur sous ses airs nonchalants et c’était sans doute l’une de ces personnalités qui auraient pu s’avérer redoutable dans d’autres circonstances. Bon nombre de fois, il s’était félicité de le savoir engoncé dans son encombrante morale, car réellement c’était un homme qu’il n’aurait pas souhaité affronter. Ou peut-être bien que si et que c’était la profonde raison de cette curieuse et sincère amitié qui les avait liés toutes ses années.

— Confortable dites-vous ? Laissez-moi rire, n’est-ce pas vous qui vous plaigniez sans arrêt de la qualité de votre sommier digne d’un campement militaire ?

Lorsque Thierry échoua son lancer, il le mit au défi de dessiner sur la bible. Il savait pertinemment que cela lui plairait et il avait hâte de voir le résultat. Il s’approcha donc dans son dos pour regarder par-dessus son épaule verre à la main.

— Nom d’un chien… Vous avez vraiment quarante-sept mois d’âge. Mon petit-fils dessine mieux que vous…

Ceci dit, cela suffirait à laisser entendre des cris offusqués aussi le défi fut-il validé alors que Coldris reprenait la balle pour tenter sa chance, remettant une couche sur la possible filouterie de cette balle.

— Votre fils est une hydre, Thierry.

Puis il lança la balle qui passa au-dessus de la coupe qu’il visait. Heureusement qu’il était plus adroit armé d’un arc.
— Fichtre ! Vous avez sans doute raison, cette balle refuse de nous laisser boire ce vin !

Qu’à cela ne tienne, il se servit tout de même…

Il n’était pas d’accord… Les efforts valaient bien n’importe quel lit et ils étaient d’autant plus gratifiants quand il s’agissait de gagner celui de quelqu’un d’autre. Il n’y avait rien de meilleur que de réchauffer celui d’une autre…

— Un bon lit n’a pas de prix.

Et l’œuvre de Thierry n’en avait pas non plus tant elle était d’une médiocrité absolue. C’était tout juste si l’on reconnaissait quoi que ce soit excepté cette verge en érection aux proportions démesurées dont il avait doté Adam. Il détailla son compagnon de débauche à la recherche d’un complexe de taille. Ceci expliquerait cela.  Quant à sa justification il soupira.


— Vous devriez cesser de baiser dans ce cas. À moins que vous ne comptiez ressembler à une momie, car croyez-moi, il ne reste guère de choses à transmettre chez vous si ce n’est votre idiotie et vos tares..

Et la suite de la conversation avait plutôt tendance à lui donner raison il fallait dire. Ravie que son fils soit une hydre immortelle. Immortelle n’est-ce pas ?

— Rappelez-moi les douze travaux d’Héraclès ?

Juste comme ça. Pour le plaisir d’étaler sa culture n’est-ce pas ? Aucun rapport avec le fait que l’un d’entre eux soit justement de tuer l’hydre immortelle. Coldris pencha la tête de côté face au gamin qui sautillait. Bah, il fallait bien qu’il gagne quelque part à défaut d’avoir la jugeote nécessaire pour appeler sa culture antique.

D’ailleurs il se rendit décorer les vitraux sans se faire prier. Il ne put même pas s’empêcher de se tromper d’attributs sur certains. Oups. C’est que la nature était parfois facétieuse n’en déplaise à leur grand souverain.

Ainsi Thierry avait-il choisi de finir desséché comme une momie, les couilles vidées et fripées comme de vieux pruneaux au soleil. Quant à passer l’existence dans la peau d’un moine, n’était-il donc pas prêtre ? Visiblement ce n’était pas ce qui l’arrêtait alors il doutait qu'être moine y aurait changé quoi que ce soit. Quand on voulait, on pouvait n’est-ce pas ? Son défi le fit sourire. Une semaine ? Seulement ? Il avait tenu bien plus longtemps pour avoir le plaisir infini de voir Virgil chanter sur la table du Lupanar. Certes un Ave Maria, mais puisqu’il n’avait rien précisé, cela demeurait dans les règles.

— C’est moi qui fixe les règles, rappela-t-il. Vous ne croyez pas que je vais me contenter d’une passe parce que vous n’avez pas les moyens de vos ambitions n’est-ce pas ?

Non vraiment, cela n’avait rien d’un avantage quand lui pouvait s’offrir des soirées privées et faire couler à flots les plus riches bouteilles que l’on trouvait.

Et les voilà qui en étaient venus à parler de son fils sur lequel il jurait comme sur la tête d’une hydre. Coldris fronça les sourcils face à sa mauvaise foi, sans manquer de relever l’étrange parallèle avec l’infirmité d’Alexandre. Il se pinça les lèvres silencieusement puis retourna à son jeu. Puisqu’il devait s’acquitter de sa dette en décorant les vitraux de l’église, il s’attela à la tâche avec allégresse. Il admirait son œuvre – particulièrement fier du phallus ailé qui trainait dans l’auréole de Saint-Pierre – lorsque le tintamarre des coupes qui s’effondraient attira son attention. Ah oui. Toute sans exception, rien que cela.

— Eh bien mon cher Père Thierry, il semblerait que vous veniez de perdre lamentablement cette partie.

Il se tourna vers l’immense croix, à l’arrière de l’autel où se trouvait le Christ. Tout ceci lui donna une idée absolument délicieuse quoique Valmar ne manquerait pas de lui adresser un de ses regards réprobateurs pour son inconscience. La vie n’existait que pour la mort qui en découlait, non ? Il pivota vers son compagnon de débauche, affublé d’un large sourire.

— Je viens de trouver le gage parfait pour votre défaite ! Que diriez-vous de jouer les Christ sur la croix ? Je me ferai une joie de vous y aider.

Et comme Thierry s’enthousiasmait naïvement de son idée, ils déplacèrent ensemble un banc afin de l’aider à se mettre en place puis l’attachèrent à l’aide des draps réduits en lambeaux d’un coup de poignard. Il dégota également la vieille couronne de houx de la dernière nativité et la déposa sur sa tête.

— Ne bougez plus, Thierry, vous êtes absolument parfait ainsi !

Il recula sans pouvoir contenir un ricanement de mauvais garçon avant de déclarer :

— Je vous souhaite une bonne communion avec le Christ.

Il récupéra son chapeau et le salua d’un signe nonchalant avant de se diriger par la porte où patientait Euthalia que Valmar avait eu le bon ton de laisser dans l’église. Il déverrouilla la porte puis la guida hors de l’édifice par la bride avant de repartir en direction de Fromart. Oui, Valmar lui ferait certainement les gros yeux lorsqu’on l’annoncerait aux grilles du domaine. Ce ne serait ni la première, ni la dernière fois après tout !