[12 Septembre 1597] Une soirée au château [Terminé]

Le baron est maintenant tout entier concentré sur Marguerite. La colère monte en lui quand elle avoue avoir également menti à ce sujet. En voilà une qui avait plutôt intérêt à se racheter en répondant bien aux questions suivantes.
Soudain, l'esclave intervient et se permet de commenter l'affaire. Dyonis est déjà assez agacé comme cela par la procédure qui s'annonce, il n'a pas à subir les coups de sang du béquilleux. Aussi fait-il signe à un de ses gardes avant de pointer Alexandre :

"Conduisez celui là dans sa chambre et enfermez l'y."

Une fois que le garçon aura débarrassé le plancher, Dyonis plante ses yeux sur la servante.

"Je crois que vous allez devoir vous expliquer sur un certain nombre de choses si vous voulez sauver au mieux votre emploi, au pire votre tête. Mais nous n'allons pas faire cela au milieu d'un couloir." A ses soldats. "Gardes ! Menez Madame en mon bureau. Et faites quérir un secrétaire."

Il se met en route sans un regard en arrière, ne suivant qu'à l'ouïe les pas de la femme derrière lui jusqu'à son cabinet.

Dans le bureau, un commis installe une chaise. De son crochet, Dyonis indique à Marguerite de s'y installer et s'assied lui-même en face à sa table. Cette fois-ci, il fixe la servante. Un long silence se fait avant que le greffier n'entre, prenne lui aussi place et se prépare à noter l'entretien par le menu. Le seigneur engage :

"Prenons les choses dans l'ordre. Votre frère. Votre prétendu frère." D'un signe, il demande à un de ses hommes de présenter à la servante le dessin qu'Alexandre a fait de l'étrange client. "Il a été reconnu comme client suspect dans une boutique et tout a indiqué qu'il était là pour tenter d'enlever l'esclave en chariote qui s'y trouvait. Première question donc : pourquoi faisait-il cela ? Et la seconde : je veux son nom complet, son âge, le lieu où il travaille, son lieu de naissance, le nom de vos parents puisque vous seriez sa sœur."

D'un regard entendu, il laisse comprendre que ce sont autant d'informations vérifiables auprès des maréchaussées. Qu'elle a donc plutôt intérêt à donner la véritable nature de sa relation avec cet homme, car le baron croit peu à ce lien filial. Ils se ressemblent assez peu en plus.

En s'installant sur la chaise, Marguerite était livide. Son esprit imaginait le pire. Elle fixa avec inquiétude la silhouette de Dyonis puis vit tendre une feuille de parchemin sur lequel elle reconnut avec stupeur les traits de Bastien. Quel prodige ! Cela ressemblait vraiment à l'intendant du Lupanar. Elle fixa un long moment le dessin et il était visible que la jeune femme reconnaissait l'individu suspect. Marguerite écouta ensuite les questions du seigneur et répondit en baissant la tête

"Je ne connais pas cet homme."

Elle devait mentir. Ne pas donner un indice qui guiderait le baron au Lupanar.

"Je n'ai aucune famille à charge. Je suis prostituée. Une fille de rien. Je vis à la rue et me vends ici et là, à ceux qui me désirent. Cet homme... Il m'a abordé un jour et a menacé de me dénoncer à la prévôté. Je risquais l'asservissement. Il m'a recruté comme ça, m'a confié une mission, il m'a promis beaucoup d'argent, de quoi sortir de ma misère... Alors, y avait pas beaucoup à hésiter. Ma mission était simple : m'infiltrer chez vous et ramener l'esclave en béquilles, Alexandre, que vous aviez acheté l'autre jour après sa condamnation."

Marguerite marqua une pause, le temps de réfléchir à construire une suite correcte à son histoire

"J'ai appris, bien sûr, qu'il y a eu erreur, que l'esclave Alexandre avait été acheté par le cardinal Cassain. Quand mon prétendu frère est venu me rendre visite hier matin, je l'ai informé de cela. Je ne sais pas la suite de ses manœuvres. Il m'a ordonné de rester là à surveiller vos faits et gestes. Tout à l'heure, en apercevant l'esclave parler avec vous, j'ai vu là une initiative à prendre. Après tout, c'est là ma mission d'origine. J'ai voulu l'enlever en vous proposant de le ramener à son maître mais vous avez refusé. Alors j'ai fait semblant de partir, j'ai écouté la conversation et j'ai pensé à prendre l'esclave pendant que vous l'hébergiez et le ramener à celui qui l'a demandé. Voilà."

Marguerite garda le regard baissé et espéra avoir vendu une bonne histoire.

C'est avec la consternation dans le regard que Dyonis entend sa servante prétendre d'abord ne pas connaître l'individu, alors que son regard s'est clairement appesanti sur le dessin dans un premier temps.
La mine sévère, il écoute les détails qu'elle fournit ensuite. Le seigneur comprend alors que c'est dans le sens "fréquenter quelqu'un de façon rapprochée" que Marguerite employait "connaître", car d'après ses dires, il l'a abordée - aussi a-t-elle donc pu s'arrêter sur le dessin par étonnement devant la ressemblance du portrait. Pour le moment, Dyonis ne dégage aucune émotion sur ses traits, ne dit rien.

L'histoire de Marguerite se poursuit. Une prostituée. Allons bon. Il a fait rentrer une catin chez lui, une qui lui avait évidemment menti sur son identité pour sa mission, mais à présent si cela se savait... Deuxième fois, tout de même, s'il se fait duper par une femme en son fief. Il avait pu utiliser la première, mais celle-ci... A part une mauvaise réputation et des ragots, qu'en tirerait-il ? Ce constat ne met pas le baron dans les meilleures dispositions pour accueillir la suite avec bienveillance.

La fin des propos de la servante allait dans le sens de sa prétendue mission : enlever Alexandre pour le compte de l'individu qu'elle a fait passer pour son frère. Tout devait se trouver là : pour quel motif tant de gens s'acharnent-ils depuis trois jours à capturer ces deux fichus esclaves infirmes ? Si c'était pour l'atteindre lui, indirectement... Lui qui est à l'origine de leur condamnation. Il doit en apprendre davantage.
Et Dyionis a surtout un doute sur le fait que Marguerite n'aurait absolument pas connu cet individu avant qu'il lui propose la mission.

"Et en quel honneur ce prétendu inconnu vous aurait-il choisi vous, pour cette mission ? Vous spécifiquement, pas particulièrement brillante comme vous avez su le démontrer... Vous enfin parmi toutes les cuisses légères que compte cette capitale, et vous au lieu d'espions et malfaiteurs à gages bien mieux formés à ce genre de manigances. M'est avis que vous connaissez cet homme bien mieux que ce que vous prétendez."

Sous la forme affirmative et très sèche de cette dernière phrase se cache la question à laquelle le baron attend maintenant une réponse.
Le greffier a scrupuleusement noté tout ce qu'a dit Marguerite.

Spoiler:

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La mine sévère du baron terrifiait Marguerite qui garda la tête baissée. Elle tremblait de tous ses membres. Sa situation était la pire qui soit. Pourquoi avait-elle accepté ? Le souvenir du chantage revint à sa mémoire. Sa fille. Sa précieuse petite fille. Blanche puis Bastien, tous deux menaçaient sa vie. Si elle ne se soumettait pas, si elle n'obéissait pas... Des larmes lui vinrent. Sa petite fille... Elle secoua la tête, toujours tremblante, en se rappelant de sa si charmante enfant. C'était l'unique chose dont elle se sentait fière de son existence. Elle devait la protéger, lui permettre d'avoir une vie qui serait meilleure que la sienne. Elle se refusa dans ces sentiments, essayant de s'y raccrocher.

La voix glaciale du baron résonna à nouveau. Elle en sursauta et releva la tête. Son corps tremblait toujours et ses yeux étaient rouges, traces de ses larmes. Dyonis avait des doutes sur son histoire. Il réclamait des précisions. Un hoquet la saisit et des larmes revinrent. Sa fille... Son enfant... C'était elle à qui Marguerite devait protection. mais pour cela, elle devait en premier protéger Blanche et Bastien. Mais comment ? tout lui échappait. Tout glissait. Sa vie elle-même semblait s'être réduite à néant. Elle n'était plus qu'une marionnette que briserait bientôt le noble. Ses sanglots s'intensifièrent.

"Je ne sais pas... Je ne sais pas... "

C'était la seule réponse qui lui paraissait correcte. Son esprit confus ne parvenait plus à garder de la cohérence et à inventer d'autres mensonges. La prostituée était brisée.

Aux tremblements et aux yeux rougis de sa servante, Dyonis n'a ps beaucoup de mal à comprendre la terreur qui l'anime. Terreur d'être arrêtée, peut-être même questionnée. Mais le baron n'a aucune envie de cela. Si elle répondait sagement à ses demandes, tout irait bien. La dernière fois qu'il avait infligé la question en son fief, même s'il en avait le droit... le destin ensuite a semblé indiquer au seigneur qu'il ne serait pas près de se dépatouiller de ces infirmes incommodants.
Dyonis en ignore presque la réponse piteuse de Marguerite. Qu'elle ne "savait rien", c'était typique et à attendre. Pourtant, elle cache son jeu. Le noble sent cela : cette malheureuse n'est sans doute pas l'instigatrice de l’enlèvement qu'elle espérait mener. Non, elle n'est que le bras obéissant de quelqu'un d'autre. Et c'est cet autre quelqu'un qu'il fallait avoir au plus vite.
De là découle vite un autre constat : la servante doit obéir probablement sous chantage. Car si elle n'avait accepté le marché que pour se faire un peu d'argent, actuellement elle en demanderait pardon, dénoncerait même peut-être le commanditaire et espérerait ainsi garder son emploi. Voire aussi, et surtout, la confiance de son seigneur (même si cela allait être difficile).

Il s'agit donc de savoir qui soumet Marguerite à sa volonté. Et avec quelle menace à la clé. Pour cela, abandonnant un temps sa dureté, Dyonis adopte un peu plus de bienveillance (qui dans certaines circonstances peut avoir ses petits effets). Son inquiétant crochet recule légèrement de l'espace du bureau. Il pose un regard plus calme, et surtout moins rude, sur la femme effondrée en face de lui.

"Oh si, vous le savez. Et je sais également de quelles menaces savent user souvent beaucoup de gredins, pour se faire obéir de leurs misérables exécutants. Car j'espère que vous n'êtes que cela : une exécutante. Mais à présent vous êtes là, et vos commanditaires imaginent sans doute que vous menez paisiblement votre travail sans heurt. Ce qui nous donnerait un temps d'avance sur eux."

Il esquisse même un sourire, en plus de s'être payé le luxe de dire "nous" comme pour ramener Margurite dans son camp.

"J'ai besoin de savoir qui vous a employé. Et surtout, sous quelle pression, quel chantage ? Je suis à présent une des mains de la haute autorité en ce pays. Je peux vous soulager de vos maîtres-chanteurs... comme je peux tout autant achever de vous faire sombrer avec eux, car croyez-moi ils sombreront tôt ou tard, même s'il faut vous forcer à coopérer pour cela."

Pour accompagner ces mots, sa voix vient de moduler habilement une musique tantôt rassurante, tantôt autoritaire. La décision revient maintenant à Marguerite.

Le membre 'Blanche des Roses' a effectué l'action suivante : Lancer de dés

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'Dé à 6 faces' :

Tassée sur sa chaise, Marguerite tremblait toujours. Ses sanglots restaient étouffés puis redoublaient quand on esprit se mettait à imaginer la potence qui l'attendait au bout de ce douloureux chemin et se rapprochait inexorablement. Elle tressaillit quand le baron fit montre d'une troublante clémence. Même son crochet recula. Son visage paraissait même aimable si on pouvait le dire ainsi. Elle était perdue. Il comprenait parfaitement son rôle et lui proposait une porte de sortie honorable. Le marché pourrait être parfait mais il existait une condition trop complexe à lever.

Les yeux remplis de larmes, Marguerite releva difficilement la tête et murmura :

"Je ne sais pas..."

Brusquement, l'émotion eut raison de son esprit. Elle éclata en larmes incontrôlables. ses yeux restèrent cependant fixés à Dyonis et s'adressa à lui comme pour une supplique.

"Ma fille ! Amenez-moi ma fille ! Promettez-moi sa sécurité ! Si je la vois saine et sauve, à l'abri, je dirai tout !"

Dyonis a vu juste. Il ne faut pas longtemps à la servante pour craquer devant lui, fondre en pleurs, et évoquer le vrai motif de toutes ses angoisses et mauvaises actions. Une fille. Une malheureuse petite, que ses commanditaires menaceraient. Le baron voit déjà d'ici le tableau : Marguerite ayant vendu ses charmes à quelque client peu scrupuleux, ou bien s'étant fait berner par le premier individu sans honneur venu... et la femme réduite à confier le fruit de son erreur dans quelque auberge pour aller chercher besogne.

Un court instant, un doute traverse l'esprit du noble et lui fait retrouver une expression dure. Et si les malfaiteurs avaient même préparé un plan B en cas de dérapage ? Si cette enfant était fausse... ou du moins un comédienne, gamine attrapée ici ou là et à qui on aurait très bien appris son rôle si on devait remonter jusqu'à elle. Certaines bandes malfrates seraient tout à fait capables de pousser le scénario jusque là ! Mais si Dyonis allait faire chercher cette enfant, une petite enquête auprès du voisinage révélerait bien vite la vérité. Voire la fillette elle-même, car même avec des efforts, l'on ne fait pas tenir bien longtemps à un enfant un mensonge crédible. En faisant mine de converser avec la petite, il y aurait rapidement moyen d'être fixés.

Laissant pour l'heure cette méfiance de côté, le baron pose soudain un nouveau regard (un peu plus tranquille, presque compréhensif) sur la servante. Ce que l'on pouvait faire pour protéger la chair de sa chair ! Il replongea alors, dans ses souvenirs, un certain nombres d'années en arrière. Feu-sa-femme aurait décroché la lune pour leurs enfants. Derrière les conventions nobles qui préconisaient une certaine distance, elle les aimait immensément et le faisait sentir par de multiples signes plus discrets.
Dyonis décide enfin de répondre, en gardant toutefois une voix très distante pour la forme (il s'agit tout de même d'interroger une coupable, il ne s'agit pas de se montrer attendri) :

"Votre fille, dites-vous."

L'envoyer chercher ? Après tout, pourquoi pas. Si cela pouvait servir à mettre hors d'état de nuire une bande aux projets peu recommandables. Mais où caserait-il ensuite cette gamine si sa mère n'avait pas les moyens de s'en occuper (et accessoirement, si elle allait en prison pour falsification d'identité, tromperie d'un supérieur, complicité à des délits en bande organisée) ? Dans quelque hospice, ou Hôtel-Dieu ? Il en connaissait qui étaient des établissements de confiance. Il songea une seconde à l'Hôpital Général qui, outre de très nombreux mendiants, déments et estropiés, prenait en charge des enfants sans ressource. Mais le seigneur avait un peu moins confiance.

Il secoua la tête : cela se réglerait ultérieurement.

"Jurez sur votre honneur et sur les Évangiles que cette enfant n'est pas un mensonge comme tout le reste, et que vous coopérerez à me renseigner si je la ramène. Où se trouve-t-elle ? Chez quels gens ?"

Marguerite tremblait et observait le baron avec appréhension. La terreur lui nouait le ventre. Sa fille. Sa précieuse petite fille. Ne l'avait-elle pas déjà mis en danger ? Et si Bastien faisait surveiller l'auberge ? Et si cet espion existait et voyant un homme du seigneur de Frenn débarquer mettait les sinistres menaces à exécution ? Impossible. Malgré le peu de lucidité qui restait à son esprit, elle se rappelait que l'intendant du lupanar était avant tout un homme de prudence. Il n'enverrait pas un homme impulsif. Si son enfant devait être éliminé, ce sera sous un de ses ordres. Elle tenta de se raccrocher à cette pensée. Bastien ne pouvait rien savoir.

Lorsque Dyonis évoqua la promesse sur les évangiles, Marguerite sortit spontanément le chapelet pendu à son cou et le posa sur ses jambes. Son regard resta fixé vers le baron, sans ciller, l'air grave, tandis que sa main se posa sur l'objet rituel.

"Je jure sur le Christ, la Sainte Vierge, sa mère, et les évangiles que ma fille n'est point une invention. Elle vient d'avoir trois ans. Elle est née de l'un de me clients, lorsque je comptais mal mes sangs."

Marguerite se rappela avec un faible sourire cette période angoissante puis ce bonheur indescriptible de tenir cette petite vie jaillie de ses entrailles entres ses bras. Une larme coula.

"Après le sevrage, quand elle a eu seize mois, j'ai dû la confier à un merveilleux couple d'aubergistes. Je ne pouvais travailler avec elle. Et puis, ce n'est pas une vie saine pour elle. Elle mérite mieux. Elle est élevée à l'auberge des Deux Renards, à quinze lieues de la capitale. Elle se nomme Viviane, comme cette fée, vous savez ? Cette histoire me plaisant tant quand j'étais enfant. Ils ont eu aussi deux filles. Une petite de trois ans, comme ma fille, et une autre de cinq ans. J'envoie chaque mois de l'argent pour sa pension, des vêtements aussi et des cadeaux, pour ma fille et les deux autres enfants bien sur. Ce ne serait pas juste, vous comprenez ? Ils m'envoient chaque semaine une lettre. J'en ai sur moi !"

En évoquant ces modalités sur son enfant, Marguerite se détendait peu à peu et retrouvait un peu de sa sérénité. l'angoisse n'avait toutefois pas entièrement disparu. A la mention des lettres, elle plongea la main dans son corsage et sortit plusieurs feuillets manuscrites pour les tendre à Dyonis.

"Ce sont des gens si gentils. Si aimables. il ne faut pas leur attirer d'ennuis."

Au mot ennui, ses peurs lui revinrent. Bastien. Les menaces. le possible espion.

"mais à l'auberge, ou aux alentours, quelqu'un surveille peut-être. Il a dit que si je parlais, si je n’obéissais, ma petite fille serait morte. Elle... Non ! N'allez pas ma cherchez ! Si on vous voit, elle..."

La terreur revenait et se lisait sur son visage. Elle était livide. Elle retrouvait sa résolution : protéger son enfant. Sa petite. Elle se referma.

"Non. Finalement je ne dirai rien. je ne veux pas que vous alliez chercher. Je veux qu'elle reste là-bas, qu'on ne voit âs que vous y êtes allés. Faites-moi pendre, faites-moi torturer, tant pis ! Que sa vie soit au moins sauve !"

Elle jure avec une solennité qui semble crédible. Quoique toujours méfiant, le noble paraît dans de meilleures dispositions depuis quelques instants.
Dyonis en oublie un temps la procédure, lorsque Marguerite s'apaise et se met, même, à lui en raconter sur sa fille bien plus que ce qu'il n'avait demandé. Après que le greffier a noté le nom et l'adresse de l'auberge en question, le seigneur écoute les nombreux détails émouvants sur la situation de l'enfant, la fée Viviane, l'amour de Marguerite pour elle et les gens qui s'en occupent. Tout cela semble plutôt crédible. La lettre qu'elle lui tend ne paraît pas "faite exprès" mais il la gardera malgré tout.
Soudain, une brusque terreur envahit la servante : on espionnerait l'auberge... Ces bandits n'auraient véritablement que cela à foutre de toute leur journée ? Dyonis est sceptique, mais ne préfère pas vendre la peau de l'ours trop tôt en dépit de cela. Elle a peut-être raison, mais dans ce genre de cas, les autorités ont toujours plus d'un tour dans leur sac.
Le noble se retient de pousser un profond soupir, plein d'agacement, quand Marguerite a un soudain revirement et préfère ne pas parler, à cause de ces éventuels espions. Comment interpréter la chose ? Ou bien la comédie est particulièrement bien ficelée, ou bien cette femme craint purement et de tout son amour, sincèrement, pour la vie de son enfant : au point de préférer avoir les ennuis pour elle mais que ses maîtres-chanteurs ne mettent pas l'enfant en danger.
Il commence à perdre patience, mais s'il est possible d'éviter au maximum la violence dans une procédure, autant le faire. Aussi Dyonis choisit-il de demeurer calme, rassurant, et tente un dernier coup (pas vraiment un coup d'ailleurs, car il est sincère dans ce qu'il va affirmer) :

"Madame. Je crois que vous n'avez pas bien compris. S'il faut en venir à des actions plus rudes, il y a fort à parier que de toutes façons, vos commanditaires seront inquiétés tôt ou tard. Et alors, ils risquent en effet de s'en prendre à votre enfant. Mais si vous me renseignez au plus vite, nous pouvons extraire Viviane de là où elle est avant qu'ils n'agissent contre elle. Ne croyez-vous pas que les autorités aient souvent à gérer des actions autrement plus ardues ? Il va de soi que ce ne seront pas des gardes en armures que l'on enverra, mais des agents en civil. Ils n'attireront pas l'attention. Ils seront quelques voyageurs de passages, des commerçants en chemin pour des livraisons. Avec un véhicule de transport. Le genre de véhicule dont, voyez-vous, l'on a certains exemplaires truqués d'un double-fond pour certaines missions. Ainsi, votre fille sortira en toute discrétion. Cela n'est-il donc pas mieux pour tout le monde, enfin !"

La terreur en Marguerite a du mal à se dissiper. Son corps faisait trembler la chaise sur laquelle était assise. Son regard essaya de s'accrocher à celui de Dyonis, de soutenir ses mots, son discours... Il disait pouvoir réussir à ramener sa fille discrètement sans que personne ne le soupçonne. Avait-il raison ? Elle se rappela soudain de ses supposition puis des aveux de Blanches. Il avait volé son fils Alexandre. C'était la raison pour laquelle celle-ci avait connu un tel revirement de caractère et souhaitait récupérer le petit esclave. Marguerite comprenait parfaitement ce sentiment et nourrissait toujours une vive aigreur pour ce maudit baron ayant ravi à une mère son enfant. Il avait beau en être le père, il n'avait pas à agir ainsi ! En tous les cas, cette histoire prouvait effectivement serait aisément capable de soustraire sa fille et de la ramener. Peut-être... La tentation était si grande.

Nerveuse, Marguerite tritura une mèche de cheveux et fixa Dyonis, cherchant à lire dans cette âme insondable. Elle s'exprima pour une fois avec un fort mépris :

"Il est vrai que vous savez y faire en matière de rapt d'enfant. C'est d'ailleurs pour cette raison que nous en sommes là. Si vous aviez trouvé un arrangement avec votre ancienne maîtresse, la situation aurait certainement pu être meilleure. Naturellement, en tant que noble tout puissant, vous avez préféré la solution de facilité et enlever votre propre fils Alexandre."

Spoiler:

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L'ambiance change brutalement. Marguerite adopte soudain un ton cynique et méprisant (mais pour qui se prend-elle !) pour lancer des suggestions pour le moins... Dyonis en reste vissé sur place, le regard fixe, les gestes et l'expression suspendues de sidération : il lui faut quelques secondes pour réaliser pleinement ce qu'il vient d'entendre (et ne pas bouillir complètement de l'intérieur). Cette femme est folle, ou d'une bêtise incommensurable. Il lui offrait une option idéale pour mettre sa fille hors de danger, et voilà qu'elle s'amuse à faire la maline !
Enfin, il sort de son temps de déconnexion et parviendra à reprendre la parole avec un stoïcisme exemplaire doublé d'une froideur sans appel.

"Qu'osez-vous insinuer ?"

Ce n'est qu'une question rhétorique et outrée, qui n'attend pas de réponse. Il a très bien compris ce que suggérait cette idiote. Mais où a-t-elle pu pécher une ânerie pareille ? Dyonis n'a pas l'intention de se laisser insulter. Mais pas non plus déstabiliser. Alors en bon législateur il reprend les choses dans l'ordre, toujours glacial :

"Premièrement, ce n'aurait pas été un rapt que je vous proposais. Les agents auraient pris les aubergistes à part, les auraient payés, et auraient rassuré Viviane. La procédure aurait été légale. Vos sous-entendus, vous pouvez vous les garder. Ensuite..."

Par quel bout prendre la seconde partie, infamante... mais aussi ridicule ? Risible même. Mais Dyonis n'a vraiment pas envie de rire.

"Quant à Alexandre, vous êtes apparemment très mal informée. Il a bien assez d'un père adultérin, qui l'a d'ailleurs récemment reconnu publiquement. Le père Thierry d'Anjou. Pensez-vous qu'il aurait détruit sa réputation d'ecclésiastique juste pour le jeu ? Quant à la mère...."

Il s'interrompt. Après tout il n'a pas à se justifier plus longuement. Ce qu'il vient de dire est déjà suffisant pour faire réaliser sa bêtise à Marguerite. A bout de patience, le seigneur revient donc au fil principal :

"Sur ce, je vous demande encore deux seconde de réflexion. Si ce n'est pas trop exiger de vous. Oui. ou. non. acceptez-vous. ma proposition pour votre enfant ?"

Sa froide colère lui fait détacher ainsi les mots.

"Précision essentielle d'ailleurs : c'est seulement pour cette enfant que j'ai suggéré ce marché. Pour elle seulement, car elle est innocente. Certainement pas pour vous, et votre dernière intervention me le confirme encore. Il va d'ailleurs sans dire que vous ne travaillerez plus céans. Réglons seulement cette dernière affaire concernant Viviane et le reste relèvera de la prévôté."

De l'intervention de l'inculpée, il garde seulement une pièce pas inutile : il y aurait vraiment des gens pour penser qu'il est le père caché de l'esclave Alexandre ? Et ce serait pour cela qu'on l'enlèverait ? Ou bien cela n'émane-t-il que de l'esprit de cette malheureuse...

A la suite de sa provocation qui lui était venue par ressentiment, par solidarité entre mères de la douleur de son amie Blanche, Marguerite toisa le baron avec cette même aigreur. Sa voix glaciale la fit tressaillir et perdre son rictus. Elle trembla à nouveau. Ce n'avait pas été une bonne idée de laisser éclater cette rancune. Mais elle n'avait pas su se contenir. Le poids du secret devenait trop lourd. Tassée sur la chaise, elle écouta le noble lui détailla une procédure qui serait légale et honnête mais elle n'en était pas certaine. Et s'il la manipulait ? Tous ces puissants étaient si fourbes.

Brusquement, Dyonis fit claquer ses arguments sur la filiation du petit esclave Alexandre. Elle le fixa, hagarde. Le doute s'alluma en elle. Elle se rappela de ce fameux procès où le père d'Anjou affirmait être le père du garçon. Cela se tenait qu'un prêtre ne détériorerait pas sa réputation sans une excellente raison. A moins d'une alliance entre le baron et le curé ? Blanche disait... Elle affirmait que le procès était une manipulation pour récupérer discrètement Alexandre et le garder au sein de son château. C'était ainsi que toute l’histoire lui avait présenté. Mais si le père d'Anjou n'était pas complice... Son visage devenait livide. Elle était perdue. Elle ne savait plus qui croire.

"Le père d'Anjou... Le père d'Anjou il n'est pas votre complice ?"

En prononçant ces mots, Marguerite se remémora effectivement du procès et de ses raisons d’y assister. Banche voulait qu'elle fasse un faux témoignage en faveur du père d'Anjou. Pour protéger ses intérêts.

"Non.. c'est pas votre complice... Elle était dans son camp. Alors... Alors elle m'a menti ?"

Toutes ses certitudes volaient en éclat. Sa rancune et son ressentiment pour Dyonis s’évanouit en même temps que sa loyauté et son amitié pour Blanche. Seule sa petite fille resta en son cœur. Son seul lien qui la rattachait au monde. Lasse, elle hocha faiblement la tête.

"Oui. Allez la chercher s'il vous plait. je veux la voir. Je veux voir ma fille."

Elle était épuisée. Physiquement et moralement. Elle se laissa tomber contre le dossier de la chaise et observa la silhouette de Dyonis qui semblait flotter devant. Elle murmura faiblement :

"Tant pis pr moi. Je me moque de mon sort. Tant que Viviane va bien, qu'elle grandit libre et heureuse, qu'elle aura plus tard un bon métier... tout me va."

A peine la saute d'humeur de la servante venue qu'elle repart aussi sec. La voilà tremblotante de nouveau comme une enfant en faute. Minable. Après un temps, la colère du seigneur retombe elle aussi. Il écoute Marguerite commencer à tirer elle-même les bonnes déductions (enfin !) et ne prend la peine d'y répondre que d'un hochement de tête.
Elle l'implore soudain d'aller chercher sa fille. Et Dyonis va tenir parole. D'autant que Marguerite semble maintenant bien partie pour rallier son camp. Il se lève, approche d'elle et l'observe avec sérieux.

"Le temps pour moi de mettre en place l'opération, et demain soir, Viviane sera là. Comme il n'est pas nécessaire qu'une fillette de cet âge entre dans une prévôté, vous resterez au château le temps de l'accueillir et de la revoir. Pour la suite, Viviane ira à l'institut pour jeunes filles des Ursulines. C'est un endroit de confiance, un de ceux pour lesquels je fais des dons. Vous pourrez aller l'y voir une fois votre peine purgée."

Tous les détails étant donnés, Dyonis s'approche plus encore de Marguerite et à son tour, pose sa main métallique contre le chapelet encore sur ses jambes.

"Je jure solennellement de tenir cette parole, sur les Évangiles et la sainte Mère de Dieu." (un temps, fixant la servante) "Puisque nous sommes d'accord que vos maîtres-chanteurs n'ont fait que vous exploiter, sous la terreur pour votre enfant, j'ose espérer que maintenant vous comprendrez ceci : le temps presse. Deux garçons sont en grand danger. Accepterez-vous de me donner dès maintenant tous les renseignements quant à vos exploiteurs ? Il le faut : ils peuvent faire beaucoup de mal si nous traînons et vous ne souhaiteriez pas cela."

Il se tait, observe la réaction de Marguerite et attend sa première réponse. S'il faut achever de la rassurer, il ajoute :

"Les deux opérations policières auront lieu exactement en même temps : l'arrestation de vos maîtres-chanteurs, et la reprise en main de votre fille. Ainsi, vos exploiteurs n'auront pas le temps de faire quelque représailles que ce soit contre elle."

L'esprit réfugié dans les limites de la conscience, perdue dans tous ses chamboulement, Marguerite entendit à nouveau la voix de Dyonis qui lui promettait encore d'aller chercher sa fille, de lui permettre de la revoir et de la confier à une institution sérieuse qui lui dispenserait une bonne éducation. Sa vision se troublait mais restait concentrée vers la silhouette. Trompée par les paroles de Blanche, elle avait cru voir un démon. Elle se trompait. C'était en réalité un Saint qui veillait sincèrement sur les faibles et les innocents et réparait les torts. Ses yeux se remplirent de larmes.

"Pardon.. Je suis désolée. Pardon de vous avoir mal considéré. Je suis désolée d'avoir participé à tout ça. Pardon..."

Son émotion devinrent encore plus forte lorsque le seigneur se pencha pour prêter à son tour serment sur le chapelet posé sur ses cuisses. Ses larmes s'accrurent. Comment avait-elle pu se laisser ainsi abuser ? Aucun être vil ne pourrait commettre un geste si sacrée. Elle écouta la suite ses paroles et opina faiblement la tête. Marguerite était désormais résignée à tout pour laver son âme de ces souillures. Par ailleurs, elle remettait sa vie et celle de sa fille entre les mains d'un Saint. Rien de mal ne saurait arriver à présent.

"Je comprends, monseigneur. Mon nom véritable est Marguerite des Lilas. Du moins, c'est celui que j'ai adopté en devenant prostituée. Je m'appelais autrefois Marguerite Dumont, une fille de paysans modestes qui s'est bernée d'illusions sur la vie dans une grande ville et ses possibilités d'ascension. J'ai été recrutée à l'établissement le Lupanar il y a peu où je me suis vite liée liée avec la patronne. Elle se nomme Blanche des Roses. Au départ, elle était d'une gentillesse merveilleuse, toujours à veiller sur nous, nous rassurer, à être compatissante.. Puis, récemment, peu après ce procès, Blanche est devenue... C'est comme si sa personnalité s'était inversée. En premier lieu, elle s'est mise à maltraiter notre pauvre petite servante, cette malheureuse Cassandre... Elle lui parlait mal, lui crachait au visage, tirait ses cheveux... Puis dans la soirée du 10, Blanche est venue me trouver dans ma chambre alors que je relisais les lettres de l'aubergiste qui garde ma petite Viviane."

Marguerite trembla au souvenir de cette soirée terrible.

"Elle m'a imposé de venir à votre château, incognito pour y retrouver un esclave béquilleux qui porterait le nom de Galaaad. L'intendant du Lupanar, Bastien Sicognac, l'homme de ce portrait étonnant dont vous m'avez montré, a exercé sur moi le chantage en exposant tout ce qu'il savait de ma fille et de son environnement. Il m'a inventé la fable que je vous ait conté lors de mon recrutement. C'est d'ailleurs durant notre entretien, en posant discrètement une question, que j'ai compris que les deux esclaves infirmes n'étaient pas là. Vous avez confirmé cette information en interrogeant votre intendant qui a rapporté les avoir vendu à un cardinal après leur achat. Ainsi quand mon prétendu frère s'est présenté au château, c'était bien entendu Bastien, après le rappel glacial de ses menaces, à qui j'ai rapporté ces éléments. Il est parti e me disant de rester au château au cas où..."


Que s'était-il passé entretemps ? Marguerite l'ignorait. Elle ne pouvait faire que des suppositions.

"J'ignore la suite de l'histoire. Bastien est fourbe et manipulateur. Il aura eu vite fait de retrouver ces esclaves, d'enlever l'autre garçon pour que celui-ci serve d'appât à l'autre. Galaad. Galaad ? Vous... Vous le nommez Alexandre ce garçon. Pourquoi ces deux noms ? Je l'avais déjà relevé mais sans comprendre. En tous les cas, quand j'ai vu le béquilleux se présenter au château, j'y ai vu ma chance de rempir ma mission. Je pensais même à capturer l'aveugle. Bastien aurait été encore plus satisfait. Une autre proie de plus."

A cette tournure de la conversation, une aigreur s'installa en elle et la poussa à s'ouvrir sur les malversations de l'établissement.

"Le Lupanar est un commerce sordide de charmes. Il y a des filles comme moi qui ont choisi cette profession. C'est ainsi. Mais Bastien... il achète aussi des esclaves. Il y a aussi la petite Cassandre. Ils la maltraitent. Tout est consigné dans le registre des comptes. Comptes que d'ailleurs ils truquent sans arrêt !"

Libérée de ces lourds poids qui pesaient sur sa conscience, Marguerite ressentit un soulagement vif. Comme si son âme s'était purifiée pendant cette confession.

Dyonis sent que l'âme de Marguerite est en proie à de nombreux troubles, auxquels il ne répond pas cependant. Pas plus qu'il ne réagit à ses excuses. Il se rassied et fait signe au greffier de tout noter des aveux dans lesquels elle se lance à présent.

Le baron fronce d'abord les sourcils au nom de Blanche des Roses. C'est donc cette catin qu'il a vue au procès, et ensuite que son intendant lui a rapporté avoir aperçue sur le marché aux esclaves pour acheter les deux garçons... Et plus récemment, que Dyonis a vue à la bibliothèque et fait ramener malade au Lupanar. C'est elle ! Une femme en effet complètement folle, c'est bien l'impression qu'il en a eue et ça confirme ce que rapporte Marguerite. Le noble est peiné de savoir qu'il fut un temps, elle a pu être d'une grande bonté. Pourquoi donc a-t-elle tant pété les plombs récemment ?

Il sent ensuite le dégoût lui monter au récit des exactions de cette femme et de son second. Son visage stoïque n'en montre rien mais la colère pulse dans ses yeux d'un bleu très froid. Des esclaves achetés pour la prostitution, c'est malheureusement quelconque. Mais des enlèvements, la brutalisation d'une fillette... ça, ça constitue des délits que Dyonis fera immédiatement remonter.
Il retient aussi ce que révèle Marguerite sur les preuves à chercher : des carnets de comptes et des fioles de drogue. Il faudra de toute façon procéder à une fouille intégrale du Lupanar avec perquisitions.

Quand la servante a fini de passer à table, le seigneur lui laisse un petit temps de récupération (et à lui-même de digestion et réflexion). Il répond :

"Tout est pris en note et sera promptement vérifié. Vous concernant, l'honnêteté m'oblige à vous dire qu'il va vous falloir répondre de certains de ces délits, notamment celui de complicité à un enlèvement. Mais comme vous avez si bien coopéré, le Tribunal sera sûrement clément. Cela ne dépendra plus de moi : je n'ai fait que l'enquête et la justice en mon fief, le reste va relever du Tribunal quand, demain, vous serez remise à la prévôté."  (un temps) "Pour vos patrons cependant... Ils risquent très gros."

A cette information, il se perd un court instant dans des réflexions sur le long terme. Si les patrons de cet établissement disparaissent, alors que vont devenir les autres personnes qui y travaillent et les esclaves ? Dyonis se décide donc à demander :

"Si cette Madame des Roses et le sieur Sicognac sont... mis hors d'état de nuire dirons-nous... voyez-vous quelqu'un susceptible de diriger correctement cette maison de passes ?" (il a une légère grimace) "En effet, le but n'est pas de mettre sur le carreau une quinzaine de catins et des esclaves, voyez-vous. Faute d'éradiquer le vice, on le préfère enfermé dans ce type de maisons. Aussi ne voulons-nous pas nous retrouver avec une vingtaine de personnes errantes et qui finiraient condamnées pour parasitisme. Je ne tiens pas à créer de la pauvreté supplémentaire en punissant seulement certains coupables. Alors. Dites-moi : quelqu'un de sérieux peut-il diriger cette maison ? Ou faudra-t-il que les juges envisagent... autre chose... pour les occupants ?"

Autre chose, ce serait probablement un aller-simple à l'Hôpital Général, qui récupère et exploite aussi des pauvres, des sans ressources, des anciennes catins et autres malpropres en plus de nombreux infirmes. Et aussitôt le Lupanar dissolu que d'autres catins prendraient la place vacance, Dyonis n'est pas dupe.

Dyonis fait signe au secrétaire de venir tendre ses aveux et une plume à Marguerite.

"Signez."

A la suite de sa confession, Marguerite demeure quelques instants flottante, comme si son esprit n'était plus véritablement là. La fatigue l'avait reprise. Elle était lasse. Si lasse. Elle réagit à peine quand Dyonis reprit la parole et évoqua le châtiment qui lui serait prochainement infligé. Ses yeux s'écarquillèrent lorsque le baron évoqua le sort des autres catins et esclaves qui travaillaient au Lupanar. Son regard fixa sa silhouette, interloquée par une telle présence d'esprit. Il s'intéressait réellement à leur destin ? Quelle singulière grandeur d'âme ! Spontanément, elle se signa et le loua auprès du Seigneur. Elle étudia en même temps la question.


"Si vous recherchez une personne honnête au sein du Lupanar, ce ne peut être que Isabelle. Je ne connais pas son nom de famille ni c'est celui de sa naissance. Elle est la femme la plus honnête qui soit bien que somme tout assez idéaliste. Elle considère que nous sommes tous bons de nature, comme si elle ne voyait pas chaque nuit les noirceurs des gens."

Lorsque le secrétaire s'approche, Marguerite se redressa pour prendre la plume et signa ses aveux.

Le greffier se retire et remet les aveux de Marguerite, une fois signés, dans une mallette à disposition du seigneur. Ce dernier écoute les dernières précisions de la servante (apparemment vraiment honnête et bien décidée à faire au mieux pour ses congénères).

"Je prends note de tout cela."

Le portrait de cette Isabelle est touchant. Peut-être trop naïve cette dame, mais au moins si ce que dit Marguerite est vrai, elle traitera bien les catins et surtout les esclaves de l'établissement.
Sur ce, Dyonis répond encore à une dernière question de la servante et qu'il a laissé de côté jusqu'alors :

"Alexandre s'appelle bien Alexandre. Je vous l'assure, je connais sa famille d'origine et son état dans le registre des sujets de cette ville. J'ignore pourquoi votre patronne l'affuble de ce surnom mais qu'importe."

Son crochet fait un signe en direction de deux serviteurs qui approchent. Il leur ordonne :

"Installez Madame dans une chambrette pour la journée. Veillez à lui porter de quoi se tenir propre, bien installée, et bien nourrie pour les vingt-quatre prochaines heures."

Sans un mot de plus, Dyonis se retire. Cette nuit, il ne dormira même pas. L'interrogatoire déjà vient de les amener jusqu'à tard. Mais à présent il faut immédiatement remettre tout le dossier aux brigadiers du secteur, faire venir d'urgence des hommes en civil et un camion à double-fond, préparer les documents pour la perquisition au Lupanar d'un côté et la prise en charge de Viviane de l'autre. En un mot : il y a du travail. Le lit sera pour bien plus tard.

Marguerite se sentait de plus en plus lasse. Un regain d'énergie lui revint cependant quand le baron évoqua les informations sur le dénommé Alexandre et son ignorance des raisons de Blanche sur ce mensonge sur son véritable nom. Elle soupira en secouant la tête.

"Alors... Alors elle a vraiment perdu la raison. Elle est folle. Elle... Elle être pendue ?"

Sa tête se baissa quand Marguerite réussit à imaginer la vision de celle qui avait une si bonne amie la corde au cou se balançant dans le vide sous les huées d'une foule hostile. Des lames perlèrent.

Peu après, Marguerite se laissa conduire docilement par les serviteurs et s'écroulera d'épuisement sur le lit mis sa disposition.