[RP alternatif] De l'autre côté du miroir

Plus fort encore que le carnavalesque - ou le traditionnel Charivari qui ambitionnait de renverser tous les codes sociaux pour une journée une fois par an - ce topic vous propose, le temps d'un RP, une complète inversion des rôles. Le principe ? En entrant céans, votre personnage aura une vie alternative et adoptera la classe sociale inverse de celle qu'il occupe dans le reste du jeu. Esclaves ? Vous êtes maintenant nobles. Et réciproquement. Et pour nos camarades prêtres / nonnes ou roturiers : si vous êtes riches et plutôt haut placés, vous voici à présent pauvres - vagabonds, plèbe, serviteurs, au choix. Et inversement !

Inutile de trop scénariser les raisons de cette inversion Ou bien partons du principe que votre personnage occupe cette nouvelle classe depuis toujours, ou bien vous vous réveillez un matin dans ce nouvel état sans nulle explication ni rien comprendre !  

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Sire Arthur se réveillait dans son lit à baldaquins auréolé d'immenses toiles de velours, et dont le corps était enrobé de chaleur par les somptueuses fourrures. Des créatures que ses chasseurs étaient allés traquer pour sa personne.

Il fut droit en même temps que le soleil s'alignait aux terres de Monbrina, pendant qu'une servante avait attendue l'autorisation d'entrer. Un habile geste avait dévoilé les faramineuses fenêtres derrière leurs rideaux épais, plongeant la généreuse pièce au plafond surélevé dans une cité dorée, choyée par les rayons de l'astre matinal.

Une belle journée s'annonçait, alors qu'on lui désignait le planning qui l'attendait. Des rencontres, des révisions avec ses professeurs qualifiés, des cours de chant, ainsi que des enseignements afin de savoir convenablement se présenter aux dames à inviter danser. C'était son programme depuis plus de vingt-ans maintenant... Nul doute qu'il tâcherait de reprendre les rennes à la place de son bien-aimé père, un jour ou l'autre.

Lors de son habituelle promenade dans le jardin fleuri aux buissons taillés, on osa l'interrompre dans son parcours bucolique.

- Maître. Nous manquons de main d'oeuvre pour l'entretien du château. En effet, vous n'avez sans point oublié le départ de notre chère Mildred... Elle s'occupait de votre domaine comme personne, mais son absence aujourd'hui laisse un vide. Je pense qu'il serait de bon ton de trouver du nouveau personnel afin d'assurer les tâches de votre demeure. Qu'en dites-vous ?

Sire Arthur prit un air condescendant, gonflant le torse pour se grandir.

- Tu me déranges en pleine déambulation matinale ? Eh bien ! Que l'on trouve de nouveaux esclaves pour la remplacer. As-tu connaissance du marché qui se déroule au cœur de Monbrina ? L'on m'a dit que l'on pouvait y trouver les corps les plus solides et les esprits les plus souples.
- En effet. Je suggère de nous y rendre sans plus tarder. Souhaitez-vous venir pour y désigner vous-mêmes vos futurs servants, Sire ?
- Prépare mon cortège. Je rendrai les choses succinctes.

C'était ainsi que le Sire Arthur se dirigeait vers la capitale pour y choisir ses nouvelles mains d'oeuvres. Prière qu'elles soient d'aussi bonne qualité qu'à l’accoutumée.

Spoiler:

Une curieuse sensation de froid rampe sur la nuque de Dyonis. Il cille, commence à grommeler d'une voix tout juste audible en se réveillant. La reprise de conscience s'installe peu à peu dans son corps. C'est alors une légère tension dans le dos qui le prend. Il n'y a en rien le réconfort de son bon matelas, ni de l’édredon en plumes d'oie. Au contraire, la froideur d'un dallage vrille le derme de l'homme quand enfin il est certain de ne plus être endormi. Dyonis secoue la tête. Il croit à une de ces mauvaises sensations parfois laissées par un rêve qui s'achève brutalement. Il ouvre les yeux. Le bleu glacial de ses iris est traversé d'une lame de sidération : où sont ses meubles ? Ses riches boiseries ? Le tombé des lourds rideaux brodés qui entoure sa couche ? Couche qui d'ailleurs n'est pas là non plus. Il se découvre bel et bien à même un sol de pierre. Devant lui, c'est l'austérité d'une paroi lépreuse qui lui répond.
A toute allure, comme lorsqu'il doit se lever en urgence pour régler une affaire grave au sommet du Royaume, Dyonis s'étire vite. Juste assez pour ne pas rompre son corps déjà d'âge mûr en se levant ensuite d'un bond. Alors, ses prunelles écarquillées analysent les lieux avec effroi. L'homme pâlit. Cela ressemble à une geôle, étroite, polaire, à peine éclairée par un peu de lumière qui filtre à travers les barreaux.

"Seigneur Dieu mais qu'est-ce..."

Il n'achève même pas. En voulant essuyer un peu de sueur à son front, Dyonis a une autre terrible surprise : il a bien sa main métallique au bout de son bras droit... mais son moignon gauche est à nu. Quelqu'un a pris soin d'en retirer son crochet. C'est très mauvais signe ! Le seigneur prend une longue inspiration pour lutter contre la panique montante. Rester concentré. Se rappeler. Mais rien ne lui revient. Pas une seule scène d'enlèvement, rien qui l'aurait présagé. On l'a donc fait pendant son sommeil ? On l'a drogué ? Comment... Pourquoi...
Il se met à marcher ici et là pour tromper l'angoisse. Il se découvre très simplement vêtu : un pantalon de toile comme on en met dans le peuple et une tunique rêche pour le moins modeste. Quel cauchemar est-ce là ? Le moignon de Dyonis passe dans ses cheveux courts en désordre. Il secoue la tête et sent son cœur accélérer.

Une rançon, se dit-il enfin. Ce doit être cela ! L'on a capturé un grand seigneur pour demander une grosse somme en échange de sa libération ! Les pirates à l'origine de cela le paieraient très cher, une fois débusqués. Dyonis se le jure et à cette pensée, il retrouve déjà un visage froid et sévère, fort de cet espoir.
Alors, il remarque en regardant de nouveau vers le sol qu'il n'est pas seul. A ses pieds, en boule et encore endormi, il y a un autre homme. Le seigneur de Frenn ne voit pas son visage. Tant pis, il sera patient. Il n'y a de toute façon rien d'autre à faire pour l'instant. Il a bien pensé une seconde durant qu'il pourrit appeler au secours, taper aux cloisons, essayer de se faire remarquer, mais le baron repousse vite l'idée : ce serait l'attitude vulgaire de quelqu'un qui perd ses nefs, et sûrement que les ravisseurs les ont mis là où personne ne les entendrait. Alors, il reporte ses yeux sur le mystérieux compagnon d'infortune. Quand l'individu se réveillera, Dyonis pourra sans doute en savoir plus.

Spoiler:

Encore profondément endormi, Thierry ne sentait pas le dallage froid sous son corps. La couverture le protégeait de cette agression. Ce fut l'agitation perçue autour de lui qui le tira du sommeil. Il ressentit alors des courbatures dans tous ses muscles puis constata ne pas se trouver dans son lit. Se serait-il écroulé une fois de plus dans un lieu sordide, ivre mort ? Le prêtre ne comptait plus ces réveils dans des conditions spartiates. Il se releva et s'étira longuement. Une silhouette austère se tenait proche. Elle tournait le dos. il pourrait sûrement partir sans que celle-ci ne le remarque.

Les mouvements raides, Thierry se retourna et chercha le chemin pour s'échapper rapidement et retourner à son église. Des murs. Des murs humides et sombre l'entouraient. La panique le submergea. Il devint livide. la prison ! Il était de retour en prison ! Il se précipita aux barreaux et cria.

"Il y a quelqu'un ! Pitié ! Pitié !"

Personne ne répondit.

Personne ne vint.

L'angoisse montait. Thierry se laissa choir à genoux devant les barreaux. Il gémit.

"Non... Non... Pas ça... Laissez-moi sortir... S'il vous plaait"

Spoiler:

Enfin, l'autre prisonnier remue. Lui aussi semble perdu et plonge même rapidement dans la panique, sous les yeux de Dyonis. Il est partagé entre la compassion et l'agacement devant les hurlements puis les gémissements du camarade de cellule : autant se tenir, en attendant de trouver une bonne issue ou du moins une explication.
Soudain, quand l'homme bouge et se met à crier, le seigneur a un violent mouvement de recul : il reconnaît cette voix, et ce visage qu'il a enfin entre aperçu même si l'autre n'a de son côté pas reconnu Dyonis. Le père Thierry ! Lui ici ? Aussi ! Mais comment est-ce possible ! Sous l'effet de la surprise, et après avoir récupéré sa nécessaire dignité, le baron de Frenn lâche un très laconique :

"Vous."

Il n'y a pas de mépris dans cette parole, mais pas non plus de bienveillance. Juste un constat énoncé avec un timbre de voix monocorde, indéchiffrable. Dyonis serre les dents et fronce les sourcils. Il se souvient bien de tous les différends qu'il a eus avec ce personnage embêtant. Et indigne de son sacerdoce. Mais il met vite cela de côté et se pose surtout, rapidement, une autre question : que trouvent des ravisseurs à s'emparer également d'un curé de seconde zone, en plus d'un seigneur ? Voudraient-ils un paiement aussi pour le prêtre ? Sauraient-ils que ce dernier a prétendu être de noblesse déchue ?
Ces interrogations en tête, Dyonis reste droit et concentré, visage fermé. Il entend alors les plaintes du père d'Anjou et le voit s'effondrer, en proie à une profonde angoisse. Un peu de compassion saisit alors Dyonis. Pour l'instant, il sont dans la même misère. Ils doivent se soutenir sans penser à autre chose. D'une voix donc un peu moins sévère, il se manifeste enfin :

"Mon père. Nous sortirons tôt ou tard. Faites preuve de cette noblesse que, d'après vos dires, il vous reste au moins dans l'âme." (un temps, plus doux quoique toujours des plus laconiques) "Courage."

Thierry pourra découvrir Dyonis debout près de lui, en piteux état, avec son moignon gauche à nu... et cependant aussi concentré et ferme que lorsqu'il avait les atours et la responsabilité d'un grand seigneur dans son château.

Spoiler:

Thierry se noyait sous l'angoisse qui consumait sa poitrine lorsqu'une voix fit écho en arrière-plan. Il se figea. Une lueur d'espoir renaissait. Il n'était pas seul ! Quel miracle ! Il se releva et observa son compagnon d'infortune, la mine ravie, et déchanta. Le prêtre recula d'effroi, de plus en plus livide. Il balbutia :

"Ce... Ce n'est pas possible. Vous ici.. Avec moi..."

Il lâcha un soupir résigné puis retrouva son goût pour le cynisme :

"Seriez-nous morts cette nuit, messire, et voici là notre damnation pour nos péchés ? Nous fréquenter l'un l'autre pour l'éternité, voici un supplice qui tend à confirmer que le Tout-Puissant n'aime pas être désobéi."

Ses sens lui revenaient. Thierry contemplait son interlocuteur et il lui sauta immédiatement aux yeux sa tenue misérable mais surtout l’absence de sa prothèse. Son moignon apparaissait clairement. Le prêtre baissa al tête et exposa, sans aucune méchanceté :

"Vous avez bénéficié d'une magnifique chance après votre accident. Si vous étiez né au sein de ma famille, personne n'aurait eu la bonté de vous garder. Selon ce que ma pauvre sœur m'a récemment appris, notre frère ainé a tué notre jeune frère, un enfant de de dix ans, à cause d'une infirmité similaire à celle d'Alexandre d'un coup d'épée dans le ventre. Ma lignée n'est-elle pas merveilleuse ?"

Son intonation était cynique. il ferma les yeux et se rappela de ce jeune frère qu'il avait à peine connu puis songea à son fils. Alexandre. Où était Alexandre ? Que lui était-il arrivé à lui ? Il murmura, inquiet :

"Alexandre... J'espère qu'il va bien. Claire, je ne me fais pas de soucis. Elle, elle sait être raisonnable."

Son regard continua en même temps à observer la sinistre pièce réduite. Où se trouvaient-ils ? Que s'était-il passé ? Il passa la main à son crâne. Aucune bosse. il ne ressentait pas non plus le signe d'une quelconque agression.

"Comment avons-nous été enlevés ? Avez-vous vu quelque chose ?"

Spoiler:

Dans le fond de la geôle, ni Dyonis ni Thierry n'avaient encore remarqué la silhouette dissimulée sous une couverture en raison de l'obscurité. Ulysse se trouvait en dessous. Le sol froid le tira de son sommeil confortable. Où avait disparu son lit luxueux et ses draps de soie ? Il eut la vague impression de revenir dans le misérable cloaque du marchand qui l'avait vendu à feu le duc de Rottenberg. Après, ce dernier accordait à ses esclaves des dortoirs aménagés. Il bougea timidement et prêta attention à l'environnement. Des voix. Deux voix d’homme. Il reconnut celle de Dyonis, cet agaçant Premier Conseiller, puis celle du prêtre de Sainte Eustache, celui là qui avait renié ses vœux.

La curiosité le fit passer la tête hors de la couverture. Ils se trouvaient dans une geôle. Tous les trois. Avait-il été finalement arrêté pour haute trahison par le Roi ? ls venaient l'interroger ? Ulysse était livide. Alors, ce serait sa fin. Il allait bientôt mourir.

Désespéré, Ulysse baissa la tête et contempla sa tenue : celle d'un misérable. Plus de perruque. Plus de maquillage. Son crâne rasé apparaissait nettement, comme son visage hâlé, similaire à celui des paysans. Il était retourné à son identité première. La vérité avait éclaté. Ses mains se plaquèrent devant sa bouche. Il allait mourir.

Seigneur...

Seule la religion pouvait désormais le sauver. Que ce soit dans ce monde ou le suivant. Il joignit rapidement les mains et pria avec dévotion.

Soutenu par son fier destrier noir, Sire Arthur voyait la foule humaine approchante s'écarter d'elle-même par sa seule présence. Accompagné de ses serviteurs, ils progressaient tranquillement dans les venelles de Monbrina jusqu'à atteindre la destination souhaitée.

Un guêpier fourni en castes sociales aussi variées qu'inférieures. Sire Arthur les ignorait proprement sans daigner baisser le regard plus bas que l'horizon ; son valet se chargerait des affaires administratives ennuyantes, lui n'aurait plus qu'à choisir la tête la moins amochée quand viendra le défilé de ces esclaves sur l'estrade. Des déglingués pour certains, des à peu près potables pour d'autres.

Il s'imaginait déjà porter son choix pour un esclave valide, capable de porter de lourdes charges et encaisser à outrance. Mentalement, comme physiquement. Hors de question de laisser un infirme fouler les terres de son fief. Que dirait Père, sinon ?

Quoiqu'il fut, il ne restait plus qu'à attendre de voir commencer les enchères. Et ce cher Arthur baillait déjà à l'ennui de ne voir apparaître que des figures communes, dépourvues d'intérêt. Car il aimait déceler ce petit quelque chose dans le regard de ces asservis aux bracelets de métal.

Alexandre menait sa petite troupe d'une allure et digne. Sur son passage, les badauds le saluaient respectueusement et s'inclinaient. Le jeune noble prenait alors le temps de s'arrêter et adressait un sourire à chaque personne ou parfois accorder un mot à une femme. Il offrait aussi des bonbons aux enfants qui se mirent rapidement à suivre les chevaux de l'équipée. Les soldats étaient gênés par cette générosité excessive de leur maitre et redoutaient que l'un de ces manants ne tente un un coup d'éclat. Ils se tenaient prêts à intervenir et à sécuriser l'imprudent noble.

Ils parvinrent finalement jusqu'au marché aux esclaves où le regard d'Alexandre se porta sur les hommes et femmes exposés sur les estrades. Il se souvint malgré lui de sa présence sur ses planches. Cela semblait appartenir à une autre vie. Avait-il rêvé ? Peut-être. Quel bonheur ! Cette existence de noble était si excellente. Commenta avait-il pu s'imaginer roturier ou pire esclave ? Qu'il pouvait être stupide parfois !

Au loin, Alexandre remarqua un autre noble personnage, entouré lui aussi de ses gens. Il décida de se rendre à sa rencontre et salua poliment.

"Bonjour, messire ! Je ne crois pas que nous étions présentés, si ? Alexandre d'Anjou, comte du même nom ! Pour vous servir !"

C'est effectivement un cynique ou délicieux coup du Destin que de les enfermer, Thierry d'Anjou et lui, dans cette sinistre prison. Dyonis ne retient pas un sourire en coin à la plaisanterie du prêtre. Rictus destiné à cacher son malaise, sa peur grandissante à ce qui approche d'une part, et d'autre part de ne rien comprendre à tout ceci. Il ironise à son tour :

"S'il n'est pas encore trop tard, je vais prier pour que nous ne méritions pas un tel châtiment."

Il retrouve toute sa gravité en écoutant la sordide histoire des individus handicapés qu'a compté la famille d'Anjou, et le sort qui les a attendus. Quelle indignité. Dyonis sait à quel point les infirmes qui naissent dans le peuple n'ont quasiment aucune chance de survie, chez des gens pour qui chaque bouche à nourrir est capitale, et chaque effort indispensable. Mais que des gens ayant l'argent et le position ne montrent pas l'exemple et éventrent des estropiés... ils ne valaient pas mieux que de ridicules superstitieux. Bien fait, pour le titre de cette abjecte famille ! Telle est la pensée (peu chrétienne...) qui traverse alors l'esprit du seigneur. Son visage n'en montrera rien. Il compatit :

"Je suis sincèrement désolé pour votre frère." (un temps, au rappel de Thierry sur son propre sort) "Oui. J'ai pleinement conscience de la chance qui a été la mienne. Elle ne m'a toujours que d'autant plus encouragé à l'effort et à la réussite."

En silence, par respect, il écoute les inquiétudes du prêtre pour Claire et Alexandre. La question qu'il lui pose ensuite lui serre le cœur en revanche.

"Non. J'ignore tout de ce qui a pu arriver. C'est invraisemblable."

Soudain, quelque chose remue dans un coin encore plus sombre de la prison. Dyonis entend une voix suppliante mais, quand même aux aguets, il s'avance vers l'individu prostré sous une couverture. Encore un autre... Que saurait-il, celui-là ? La méfiance et l'inquiétude rendent l'homme plus dur qu'il ne le voudrait lorsqu'il demande à cet autre captif :

"Qui êtes-vous ?" Sa tête en effet ne lui dit rien.

La porte grince alors. Un sinistre tintement de clé résonne dans la serrure puis le battant dévoile un groupe de solides gardes. Les soldats pénètrent dans le cachot, bien armés, prêts à parer tout mouvement de révolte. Ils scrutent leurs captifs. Dyonis préfère ne pas les fixer dans les yeux mais n'en a pas moins un regard ferme, distant, qu'il pose sur un point choisi au hasard dans la cellule. Debout, toujours immobile face au troisième détenu, l'homme suit à l'oreille (et aux mouvements des ombres) ce qui arrive : les soldats inspectent leur attitude et leur tenue à tous les trois. Il sent que l'attention s'arrête sur lui.

"Tsss ! Tu vas m'expliquer pourquoi qu'ils l'ont chopé avec les autres ç'ui là ? Invendable ! Ça s'ra pas fichu de faire le moindre truc !"

"J'sais pas. Y les ont p'têt pris en lot et y ont pas fait gaffe dans la pagaille de l'action."

"Ouais... Tant pis alors. Il a qu'à pourrir là."

Aucun doute. On parle bien de lui. Dyonis est livide. Ses pupilles tombent une seconde sur ses maudits moignons. En effet il ne sera capable de rien. Même pas de prendre sa propre nourriture ! Il lui faut son crochet pour la piquer, et pour le glisser dans la anse d'un gobelet afin de boire ! Il n'est qu'une... "prise par erreur"... aux yeux de ces soldats. Il n'y a donc pas de rançon pour lui ? Le souffle de l'homme se comprime. Il déglutit. Dyonis se concentre toutefois pour adopter une mine neutre, un masque de calme pour cacher la tempête. Il se retourne vers les soldats et leur montre l'autre prothèse qu'on lui a laissée : une main métallique, assez finement ouvragée.

"Messieurs. Il y a sans doute une monumentale méprise. Je suis le baron Howksley de Frenn. J'ai de la famille qui paiera vitement et chèrement pour ma libération." (un temps) "Et pour celle de ces deux sieurs, des compagnons de route." (désignant la prothèse au bout de son bras droit) "Croyez-vous que ce soit le dernier des manants qui puisse se faire équiper d'un pareil objet ?"

Dyonis ne voit cependant pas venir ce qui suit : un coup de poing carabiné qui lui fait éclater la lèvre et le projette contre le mur. Il reste là sonné plusieurs secondes. Immobile. Les yeux écarquillés. On ne le croit pas ! L'homme se sent flotter, un abyme qui s'ouvre sous lui. C'est un cauchemar. D'un revers de bras, il essuie le filet de sang qui coule de sa bouche blessée. Il fusille des yeux les gens d'armes mais ils ont le dos tourné, occupés à donner un peu de pain et une gourde d'eau aux deux autres prisonniers. Mais rien pour lui. C'est donc bien cela : on va le laisser crever ici. Au moins, cela signifie pour lui pas d'exposition, pas d'estrade. Une mort très prochaine. Ironiquement, n'est-ce pas mieux ?
Son corps reste droit, plaqué contre le mur mais vidé. C'est comme si un événement surréaliste les avait amenés ici tous les trois, lui, Thierry et l'autre prisonnier. Et comme si le baron de Frenn n'était connu de personne. Qu'on le rayait de la carte sans qu'il puisse être cru... La colère n'a même pas la force de s'installer chez Dyonis. Pour l'instant c'est le désespoir.

Quelqu'un s'était approché de lui.

L'un de ses pairs nobles, à n'en point douter la garde rapprochée qui avançait derrière, ainsi que la façon riche dont était vêtu ce cavalier qui le saluait.

Sur un ton plus maîtrisé que son vis-à-vis, le blond répondait :

- Comte Arthur de Wolfsburg. En effet, je ne me souviens point avoir déjà perçu votre visage... Seriez-vous venu dans l'idée de quérir une nouvelle main d'oeuvre ? Il me ferait plaisir de partager ce moment en bonne compagnie.

Son cheval battait des oreilles, alerte aux informations qui circulaient, sans pour autant les comprendre. Ce seul mouvement attira l'attention de Sire Arthur qui pivota son regard vers la scène encore vide.

Thierry avait peu à peu retrouvé son calme. Malgré l'incertitude de leur situation, être en présence avec une autre personne, même un ennemi, se révélait un luxe appréciable. La solitude était un poison. Il frissonna en songeant à nouveau à ces années de réclusion au monastère, aux sanctions d'enfermement que l'on soumettait pour désobéissance... Il ne souhaitait plus revivre cela. Il voulait rester en contact avec la société, même avec des gens indignes de son niveau. Ce qui n'était pas le cas ici. Malgré leur passif, le baron savait être un homme intelligent et doté d'idées intéressantes. Il aurait pu tomber sur bien pire.

Lorsque Dyonis mentionna prier pour leur salut, le prêtre remarqua un autre homme dans le fond qui venait de se réveiller. Combien étaient-ils donc ? Un autre noble ? Ou un curé là aussi ? Le malheureux semblait perdu et se réfugia dans la prière. Thierry supposa que le mieux serait de le laisser se calmer par ce recueillement. Il viendrait ensuite à eux.

Sur cette idée son attention se reporta vers Dyonis qui compatissait sincèrement au sort de son jeune frère. Il devait se mettre à sa place et reconnaissait avoir eu de la chance. Thierry hocha de la tête.

"Oui, une forte chance. Une famille qui vous soutient et vous encourage. Quelle chance inestimable ! Moi, j'étais parfaitement valide, je souhaitais me distinguer sur le champ de bataille, rendre à note nom de sa valeur... Mais pour l'argent, mon dévoué père m'a vendu à un monastère à quinze ans. Cela n'excuse sans doute mes... égarements. Mais devoir choisir à cette époque entre une vie de misère et une vie de prêtre.. Mon cœur n'était pas assez résolu pour trouver une autre solution."

Une existence gâchée par la cupidité et l’égoïsme. Voilà ce qu'était sa vie songea Thierry. Il ferma les yeux un instant pour calmer l'agitation naissante puis entendit la réponse de Dyonis sur leur situation. Rien. Il ne savait rien. Comment était-ce possible ? Il essaya de réfléchir mais rien ne venait. Le baron repéra soudain le troisième larron de cette sinistre farce et chercha à l'interroger. Le malheureux restait dans sa surprise et sa prière. Le choc était trop grand.

"Laissez-le messire. Il a besoin de temps."

Brusquement, la porte de la cellule s'ouvrit. Tout le corps de Thierry se sentit, prêt à intervenir si la situation se révélait favorable. Des soldats envahirent leur espace. Menaçants. Intrusifs. Ils fixèrent en priorité Dyonis, les yeux dégoûtés par ses moignons. Cette inspection.. Ces jugements... Des prises de guerre ! Ils étaient des prises de guerre ! Alors, Monbrina aurait été envahi, comme le royaume l'avait si souvent réalisé, et ils partaient en déportation pour être esclaves dans le pays vainqueur. Thierry ne savait pas ce que cette information l faisait éprouver. Son cœur semblait s'être arrêté. Son esprit se mettait à flotter et s'écartait du temps. La voix de Dyonis qui tentait de faire valoir ses droits le ramena à la réalité. Il ne comprenait pas encore l'horreur de la situation. Le malheureux. Il baissa la tête pour ne pas apercevoir le violent coup que l'homme reçut en plein face

Peu après le départ des soldats, Dyonis s'effondra contre un mur. La mine défaite. En cet instant de perdition, Thierry oublia instantanément leurs différent. A quoi bon ressasser le passé ? Ils n'étaient plus rien, ni l'un ni l'autre. Uniquement des esclaves qui seraient bientôt vendu puis utilisés par mitres peut-être cruels. Il s'avança et posa la main sur l'épaule du baron.

"Ne désespérez pas, messire. Ne renoncez pas. ET même si cette situation est effroyable, nous saurons nous en acquitter. N'avez-vous pas dit le premier de relever la tête et d'agir avec ce qui nous reste de noblesse ?"

Seule la solidarité les sauverait. Il n'était plus temps des querelles et des calculs. Thierry prit sa ration et sa gorge et la tendit à Dyonis.

"Partageons ce maigre repas et laissez-moi vous nourrir, messire."

Il laissa passer un temps puis se décida à confier son analyse :

"Il semble que Monbrina soit tombée dans les griffes d'un pays puissant. Nous connaissons ce sort effroyable que nous faisions subir à nos esclaves : la déportation. Soyons forts. Songez à Alex qui ne baisse jamais les bras, cette petite Claire toujours si pure en dépit de l'obscurité... Soyons forts et inspirons-nous de leurs exemples. Tout n'est pas perdu. Messire, vous êtes instruit ! Vous pourrez prétendre à être précepteur !"

Ulysse priait avec ferveur, terrorisé, et suppliait Dieu de l'épargner à nouveau, de montrer un signe pour atteindre une meilleure voie. Son existence ne pouvait s'achever de manière si radicale. Après tant d'efforts ! Il sursauta en entendant la porte s'ouvrir. Des soldats entraient. Il contempla la scène avec inquiétude, puis avec hébétude. Dyonis et le père Thierry ne recevaient aucun traitement de faveur. Par quel miracle ? Il suivit avec pus d'effarement l'étrange dialogue et tressaillit quand le baron reçut une droite en plein visage alors que ce dernier rappelait ses titres. Ulysse comprit. Cela ressemblait à la dernière fois, quand il était encore jeune et naïf. Des trafiquants d'esclaves. Des prises de guerre. Tut n'était pas perdu alors. Il reconstruirait ailleurs ce qui venait d'être perdu.

Lorsque les soldats se retirèrent, Ulysse se releva, pétri d'importance, et contempla Dyonis qui s'effondrait. Le prêtre tenait un discours ridicule sur l'entraide. Quel imbécile ! Ulysse laissa éclater un rire sinistre qui résonna dans la cellule.

Ah ah ah ! Vous avez de quoi être inquiets, oui ! Les infirmes comme vous ne servent à rien, à part à nourrir les chiens !

Dans un geste théâtral, Ulysse releva sa manche et dévoila la marque terrible. Un sourire cruel teintait son visage.

Vous comprenez à présent l'horreur que vous avez fait connaitre à tant de captifs qui ont été déporté à votre imbécile de Royaume ? J'étais parmi eux, encore un enfant, puis le feu duc de Rottenberg m'a accueilli en son domaine. De fil en aiguille, j'ai dirigé le jeune Ulysse puis la nuit du miracle est venu ! Je reconstruirai cela ailleurs. mais vous... Vous, Dyonis, vous êtes déjà un homme mort ! Quant à vous, Thierry, je ne sais quoi dire. J’imagine que vous vous ferez à l'esclavage. Vous semblez vaillant.

Ulysse toisait ces deux hommes jusque là puissants et s'imprégnait avec délectation de leur chute.

Dyonis reprend petit à petit pied avec la réalité. Le coup envoyé par le soldat lui brûle atrocement la mâchoire et sa lèvre en tremblote encore. Il se concentre, pour se remettre bravement debout et se tenir droit le long du mur où il s'est plaqué. Pour ne pas choir. Ses yeux fixent tour à tour le père Thierry, puis leur compagnon.
Il songe aux confidences du prêtre avant l'entrée des soldats : les champs de bataille... Dyonis aussi était tout destiné à y aller s'il n'avait pas subi cet horrible accident à l'âge de sept ans. Quelques poutres en chute avaient eu raison de son avenir soldatesque. Il avait fallu trouver immédiatement de nouvelles orientations, s'illustrer dans la stratégie (faute d'être physiquement dans le combat...), dans la diplomatie et la maîtrise des lois. Autant de souvenirs qui prennent l'homme à la gorge et lui impulse un regard mélancolique.
Alors, le père d'Anjou se rapproche de lui et, comme il l'avait fait tout à l'heure, essaie à son tour de lui donner courage. Dyonis ne répond pas avec des mots mais d'une mine ferme et résolue qui suffit à s'exprimer. S'il doit pourrir dans cette cellule, alors il attendra sa mort sans geindre. Il écoute Thierry partager son hypothèse : Monbrina vaincu par un autre royaume. Comment est-ce possible ? L'homme est loin d'être convaincu et fronce les sourcils.

"L'Empire monbrinien est gigantesque. Qui donc, quel autre royaume aurait pu avoir raison de lui ainsi ? Et en si peu de temps, sans que l'on en entende jamais parler ? Je... Je ne sais pas, je pencherai plutôt pour l'un de ces trafics illégaux de prisonniers au sein même du pays. L'oeuvre de routiers, de bandits comme il y en a tant." (un temps, pousse un soupir amer quand Thierry parle de la manière dont il pourrait s'en tirer) "Précepteur... Je crois surtout qu'ils ont prévu de ne rien faire de moi, à part que j'appartienne aux dommages collatéraux."

D'ailleurs le message des gardes a été clair : pas de nourriture pour ce captif éclopé. Alors quand Thierry avance pour proposer la sienne, Dyonis a d'abord le cœur et les yeux remplis d'émotions. Le religieux est donc prêt à faire cela pour lui malgré leurs différents... Une part de honte vient tout de même s'y mêler : quelle ignominie que d'être ainsi dans l'absolue dépendance, de dépendre d'autrui pour quelque chose d'aussi basique que manger. Cette seule pensée ramène Dyonis au sort qui l'attend à plus ou moins long terme. De sa main en fer, il écarte très doucement les denrées que lui présente Thierry et souffle, ému :

"Je vous remercie infiniment, mon père. Mais à quoi bon. Aujourd'hui vous êtes là, vous partagez. Mais demain, et après demain, et ensuite... Leur intention me concernant est claire. Vous, vous allez avoir plus besoin que moi de cette nourriture."

Il serre les dents. Son visage paraît dur quelques instants. Il se prépare à affronter cette condamnation à petit feu. C'est alors que le troisième prisonnier sort enfin du silence. Pour leur servir un numéro suintant de vengeance. Figé, Dyonis comprend que celui-là était déjà esclave par le passé. Qu'il a même détruit ses maîtres (ce qu'il ose appeler "miracle") et se réjouit de voir un seigneur monbrinien subir à son tour le sort des captifs de guerre. Dyonis ne répond rien, si ce n'est un regard polaire contre l'individu. Moins que sa condition d'esclave, c'est l'abjection de cet homme qui outre Dyonis et le fait instinctivement le tutoyer :

"Ainsi que tu l'as aimablement précisé, je ne vais pas connaître bien longtemps ce sort. Quant à toi, maraud, à en croire la fierté que tu tires de tes crimes, tu semble retourné là dont tu n'aurais jamais dû t'extraire."

A la suite d'un passage à vide plus que légitime dans leur situation et après le passage de ces gardes vulgaires, Dyonis commençait à se remettre et à reprendre en dignité. Lui-même ne ressentait qu'un apaisement de façade. L'esclavage ? Réellement ? Il ,e s'imaginait pas être trainé sur une estrade, scruté par la foule et subir jusqu'à la mort les ordres d'un maitre stupide. Il avait réussi à s'élever peu à peu et à trouver une situation où il n'avait plus à rendre de comptes. En tous les cas, moins que quand il vivait dans sa famille ou au monastère. Il soupira. L'avenir paraissait si sombre. Alexandre.. Claire... Sans doute ne les reverrerait-il jamais dans cette existence. Pourvu que ses enfants se portent bien au moins. Voilà tout ce que son cœur de père désirait.

Dyonis réagit enfin à ses hypothèses et les bouda. Son esprit fier de seigneur refusait à admettre que son pays puisse tomber si facilement. Il aurait pu l'en railler. A quoi bon Ils n'étaient plus ennemis. Uniquement deux êtres réunis dans une situation désespérée. Il soupira.

"L'Empire Romain fut lui aussi étendu dans son temps mais cela ne l'a pas empêché de tomber brusquement. L'Empire Égyptien, les Grecs... Du Capitole à la roche tarpéienne, il n'y a qu'un pas, remémorez-vous de votre histoire latine. Je suis incertain que des trafiquants illégaux aient eu l'audace de vous enlever ? Vous êtes Premier Conseiller et vivez escortés de soldats. C'est une armée qu'il aurait fallu pour vous atteindre Une armée... Pourtant ni vous ni moi n'avons de souvenir. Comment est-ce possible ? Ce point-là est ce qui me trouble le plus."

Ses arguments sur son avenir possible ne le touchaient pas. Avec panache, le baron préférait se laisser mourir. Sa résolution en était même belle et touchante. Dans sa détermination, il lui rappela avec étonnement son fils Alexandre et sa maudite tête de mule. Un rire incontrôlable s'échappa malgré lui :

"Tss... Je commence à comprendre l'engouement d'Alex pour votre personne. Vous partagez les mêmes réactions et le même entêtement. Je suis certain que dans cette situation, il proposerait lui aussi qu'on le laisse mourir pour économiser les vivres des autres personnes. Le petit idiot."

Cette pensée ramenait ses penses inquiètes et cela se lisait sur son visage Que faisait en ce moment son fils ? Allait-il bien ? Il repoussa ces idées et fixa l'assiette que Dyonis venait de repousser. Devait-il manger cette pitance et ne plus rien faire ? Demain... Demain, il serait vendu. Soumis à un maitre cruel. Cela le révulsa. Il repoussa à son tour l’écuelle et s'assit contre le mur, près du baron.

"Si vous refusez de manger, je ne mangerai pas non plus. Songez à l'avenir... Quel avenir ? Je n'ai aucune envie de finir ma vie esclave. L'idée de mourir maintenant, oui, je trouve cela.. plus aspirant. Plus digne."

Son habituel sourire cynique apparut alors et il ajouta, moqueur :

"Si Claire s'était avancée vers nous à la fin du fameux procès pour nous annoncer que nous mourrions côte à côte, nous lui aurions ri si fort au nez !"

Alors qu'il baissa la tête pour se concentrer sur une prière, le prêtre releva la tête, surpris, quand lev troisième prisonnier se manifesta de manière bien bruyante. Il se moquait d'eux, en particulier de Dyonis, puis se vanta d'être un esclave qui aurait tué ses maitres pour s'emparer de l'identité d'un noble. Quel machiavélisme ! Mais Thierry le comprenait. un peu. N'importe quel esclave serait prêt à tout pour fuir sa condition. Néanmoins, tuer une maisonnée entière et donc d'autres esclaves.. Cela été glaçant. Il évoquait le feu duc de Rottenberg. Alors cet incendie... son visage pâlit d'effroi.

"Vous... Tu... Tu as déclenché l'incendie qui a ravagé tout le château d'été des de Rottenberg ? Les enfants, les domestiques, les esclaves... Mais quel monstre es-tu pour oser un pareil acte ?"

Ulysse contemplait avec plaisir la chute du grand Premier Conseiller, nouvellement promu, et rapidement déchu. Que le destin était drôle ! Il le fixa d'un air sournois, se repaissant de cette déchéance. L'homme qui continuait à arborer son air hautain. Même à terre, il gardait cette agaçante réserve.

Le maraud que je suis, mon cher Dyonis, va te survivre. Et fort longtemps ! J'ai l'expérience d'une première mue. La seconde sera sans doute plus rapide.

Son attention se reporta vers le prêtre quia avait brisé ses vœux, pétrifié par ses actes de grandeur. Son rictus s'élargit :

Mon cher Thierry, cela est l'expression de la volonté de Dieu. Il m'aime. Il m'est fidèle. Il me protège. D'ailleurs...

Ulysse s'avança d'un pas rapide et saisit prestement l'écuelle du prêtre pour en avaler rapidement le contenu.

Puisque vous n'en voulez pas, tous deux, ce serait mal de gâcher...

Il en rit à gorge déployée, fier d'avoir ces deux magnifques victimes à torturer. Douce vengeance !

Eldred ouvrit les yeux. Un velours rouge était tendu au dessus de lui. Il cligna plusieurs fois des paupières. Et ce lit… Bien loin de sa paillasse habituelle… Il tourna la tête et reconnut instantanément la chambre dans laquelle il se trouvait: celle du Seigneur de Frenn. Le zakrotien se leva d’un bond, repoussant l’édredon de plumes. Que faisait-il dans le lit du baron?!

- Maitre? demanda inquiet celui qui était visiblement un esclave.

Maitre?!  Par tous les Dieux mais que se passait-il ici? Il attrapa les vêtements sobres mais trop élégants qui l’attendait sous le regard stupéfait du jeune homme.

Où se trouve le baron de Frenn? Et qu’est-ce que je fais ici?!

L’homme le regarda comme s’il venait de voir passer un fantôme.

-Allons parle!
- Mais… Mais… Vous êtes le baron Messire. répondit-il d’une voix d’outre-tombe Sou...Souhaitez-vous que je fasse prévenir un médecin?

Alors là, clairement il venait de prendre le marteau de Thor sur la tête. Il ne pouvait pas en être autre chose. Il glissa la main sous sa tunique, à l’endroit où se trouvait la marque des esclaves: disparue.

Tout cela semblait bien trop beau pour être vrai. Après un moment d’hésitation, Eldred décida que c’était l’occasion rêver de profiter du pouvoir offert par sa nouvelle position. Il se rendit donc dans l’ancien bureau de Dyonis et trouva le rapport qu’il devait rendre. Cependant un problème majeur l’empêchait de mener à bien sa tâche: il était incapable d’en déchiffrer le contenu, ni même de le modifier. Il poussa un long soupir… A quoi bon avoir changé de place s’il ne pouvait pas modifier le cours de l’histoire…

Il observa la flamme d’une chandelle dansait lorsqu’une idée le frappa.

- Hé! Où se  trouve Dyonis Howksley?
- En prison, Messire.

Hmmm, décidément le puit du destin avait décidé de se montrer bien farceur…

- Et Prosper de Monthoux? A la porcherie? demanda-t-il à tout hasard mais le domestique secoua la tête ne sachant que répondre.

- Très bien. Fait préparer une voiture et conduis moi à la Prison
- Bien Messire acquiesça le serviteur d’une courbette


Eldred venait d’arriver à la Prison. Les Gardes s’étaient placés au garde à vous, le gratifiant d’un “votre Excellence”. L’un d’entre eux l’escorta jusqu’à la cellule dudit prisonnier. Il y découvrit un Dyonis dépourvu de ses mains mais toujours aussi fier.

- Il semblerait que le destin soit joueur lança-t-il à l’homme derrière les barreaux.

Spoiler:

Dyonis quitte peu à peu son désespoir, intéressé par les arguments de Thierry d'Anjou. Il est bien vrai que tous les Empires de l'Histoire ont connu leur chute. Une leçon que Sa Majesté devrait méditer pour faire mieux que ses prédécesseurs. Cependant Thierry fait le même constat étrange que lui, ce qui le rassure : Monbrina n'a pas pu tomber du jour au lendemain entre les mains d'un ennemi, sans que personne n'en entende parler ! C'est absurde ! Au delà de toute logique.
Tout à ses réflexions, le ventre serré, Dyonis ne fait même plus attention à la condamnation à mourir de faim qui semble lui être réservée. Du moins, jusqu'à ce que ses camarades de cellule le lui rappellent. Le prêtre d'abord, en faisant mention de la propension qu'aurait Alexandre à laisser de la nourriture aux autres. Le sans-mains esquisse un fragile sourire au rappel de l'admiration du petit Alexandre pour sa personne. S'il savait ! Là-dessus, Thierry décide de mourir plutôt que de tomber dans l'esclavage. Dyonis hausse un sourcil. En cet instant, il se demande ce qu'il y a de plus digne : choisir la mort à la Romaine... ou choisir de vivre pour affronter dignement le destin en espérant qu'il s'améliore ? La chrétienté désapprouve le suicide (ironique qu'un prêtre le choisisse !) pour préférer la patience et l'espoir en l'avenir. Les deux visions se défendent... Dyonis se perd dans ses pensées. Mais pour lui le dilemme n'a pas lieu : les gardes lui on fait comprendre qu'on ne l'avait capturé que par erreur et qu'il allait dépérir céans.

S'il y en a un qui jubile en revanche même dans sa situation, c'est Ulysse. Il revendique encore une fois l'assassinat de toute une famille, prend la nourriture que Thierry a laissée et humilie ses camarades de cellule. Dyonis le foudroie du regard sans rien répondre. Puisse le Ciel le juger en temps et en heure.
Soudain, quelqu'un se présente à la grille de la prison. Dyonis n'a d'abord aucune envie de bouger, il reste sans aucun intérêt. Mais l'ombre projetée dans la cellule est une silhouette plutôt familière. Et sa voix, qui s'élève ensuite, est clairement connue. Eldred ?! Ici ? Comment donc... Et sa pique ne manque pas de vérité. Dyonis serre les dents et dissimule ses douleurs en se relevant. En se retournant pour faire face aux barreaux (et au Zakrotien qui l'observe de derrière), il le découvre escorté et élégamment vêtu. Comme... un seigneur ? Le cœur du déchu cogne si fort qu'il lui donne l'impression de lui éclater la poitrine. Les yeux du prisonnier s'arrondissent. Il est choqué. Et de nouveau, il se fait mal au crâne à essayer de comprendre. Tout à ses réflexions, il reste immobile, ce qui continue de donner à sa carrure une certaine dignité malgré les événements, malgré les hardes qu'il porte, sa blessure saignante à la lèvre et le retrait de son crochet.

"Il semble en effet." confirme-t-il de sa voix toujours naturellement sévère et distante, mais en l'occurrence fataliste, presque songeuse. Si Monbrina avait été vaincu ou que tout ceci avait un sens au regard du Ciel, à son tour il devait subir le jeu des lois martiales.

Spoiler:

Alexandre commençait à s'impatienter devant l'estrade sur laquelle n'apparaissait aucun esclave. Il était heureux et fier de tenir sur cette belle jument qui le portait et compensait son infirmité. il s'y sentait parfaitement, loin de ses maudites béquilles. Quelle vie de rêve ! Il espéra ne jamais se réveiller, jouir éternellement de ces privilèges inestimables.

Brusquement, de l'agitation au niveau d'une cellule attira son attention. Intrigué, Alexandre fit avancer jusque là sa jument puis réclama gentiment, sans aucune vraie forme d'autorité, à un garde de le faire descendre. Il marcha jusqu'à la fenêtre et s'accroupit. Une surprise de taille l'attendait. Le seigneur de Frenn se trouvait là. Avec son père ! Il se signa aussitôt. Que se passait-il donc ?

De l'autre côté de la grille, face aux prisonniers, un noble se tenait là, face au seigneur de Frenn. Il semblait joueur et excité. Malgré l'acquisition de son statut, Alexandre n'échappait pas aux troubles de son cœur. Il cria :

"Messire !"

Dyonis semblait méditer sur ses explications plausibles au sujet de leur situation. Thierry gardait le silence. Son sort l'angoissait. A cela se rajoutaient les propos agaçants de cet homme vulgaire. Un esclave ayant usurpé une place de noble retombé dans l'esclave, le Ciel avait décidément beaucoup d'humour ! Il se réfugia fans la prière. Ils n'avaient plus aucune source de salut.

Soudain un événement singulier se produisit : un noble était introduit devant leur cellule. Thierry grimaça. On les considérait comme du gibier à admirer avant la mise à mort. Il cracha au sol de dégoût. L'homme ouvrit la bouche. Il dévisagea Dyonis et clama avec une condescendance amusée :

"Il semblerait que le destin soit joueur."

Thierry grimaça à nouveau. il haussa les épaules puis riposta, méprisant :

"Le destin est une belle pute, oui !"

Dyonis se soumettait docilement au sort. Résigné. Attendait les coups et les moqueries de l'autre. Quels étaient leurs liens ? Thierry s'en moquait bien. Lui, il ne laisserait pas le sort décider pour lui. Une idée germa dans son esprit. Il se leva, résolu à agresser au travers des barreaux le noble. La loi était claire : tout esclave portant la main sur une personne libre était condamné à mort. Tant mieux ! Il ne voulait pas vivre dans la peau d'un esclave. Il choisirait sa mort. De sa main et de sa volonté.

Alors que Thierry marchait d'un pas lent et calculé vers le noble, une voix stridente résonna depuis l'extérieur. Ce timbre... Thierry se figea. Alexandre ! Il se retourna et découvrit son fils dans des habits des noble. Ses yeux s’écarquillèrent. il perdit l'équilibre, saisi d'étonnement, et s'écrasa au sol. Son regard continua à observer Alexandre au travers des barreaux, défait.

Il murmura, blême, la voix chevrotante :

"Nous sommes perdus... mourir ne sert à rien... Nous sommes damnés,. nous sommes en Enfer pour expier nos péchés pour le reste de l'éternité."

Spoiler:

Ulysse s'imprégnait du désespoir dans lequel se morfondait Dyonis et le curé. lui se tenait debout. Droit. Fier. Si dans les premiers temps, revenir à cette case misérable l'avait horrifié, il s'en faisait à présent une force. Dieu avait sans doute jugé bon de l’amener vers une nouvelle place, là où il obtiendrait un pouvoir plus grand encore que celui que conférait le duché de Rottenberg. Il attendait devant la grille, presque impatient d'atteindre l’estrade et de connaitre ce nouveau maître. Ce dernier ne survivrait guère et rejoindrait bientôt le Ciel !

Un personnage noble vint soudain à apparaitre. Il contempla la cellule et fixait Dyonis. Tous deux se reconnaissaient. Le noble toisait avec condescendance celui tombé dans l'esclavage qui s'y soumettait. Comment était-ce possible ?

Vous... Vous vous connaissez ?

Il canalisa mal sa surprise.

Presque aussitôt, une autre voix, juvénile, s'entendit de derrière. Ulysse se retourna et ses yeux s'écarquillèrent de reconnaitre l'esclave Alexandre vêtu d'un costume noble. Le père Thierry se sentit lui aussi mal et défaillit. Ulysse éprouvait lui-même un profond malaise et se signa tandis que le prêtre se lamentait au sol.

Seigneur.... seigneur, non ! Tu.... Tu as renversé les rôles ! Tu as donné aux esclaves la... et aux maîtres...

Il s'effondra au sol et pria, désespéré.

Seigneur... Seigneur, je suis esclave aussi. J'ai souffert. pourquoi ne m’as Tu pas donné ta grâce à moi aussi ? Je T'ai toujours écouté !

Spoiler:

Eldred observa les trois hommes: il y avait bien sûr Dyonis qui semblait résigné mais également deux inconnus. L'un étrangement fier et débordant d'une arrogance mal placé et l'autre quasiment abattu.

Par tous les dieux! Ils pourraient montrer un minimum de dignité

L'ancien esclave fixe celui qui a pris à sa place. A sa merci, il pourrait sans doute lui réserver le sort qu'il souhaiterait mais avait-il réellement envie de se venger de cet homme pour qui il avait toujours eu un certain respect malgré la situation ? Il n'avait jamais accepté son statut d'esclave mais se retrouver déguisé de ses atours ne le sied guère plus. Il aurait simplement voulu être lui. Retourner à Zakros libre et dans une Zakros libre. Pouvoir prier librement ses dieux sans risquer de finir en décoration de potence.

L'exclamation de l'homme prostré un peu plus loin lui arracha un violent rire. Une belle pute! Ça oui! Belle comme un feu follet !

Eldred se rapprocha des barreaux jusqu'à s'en saisir.

- Voyez le côté positif vous êtes peut-être prisonnier mais libre pour l'instant. Personne n'a accroché de pancarte à votre cou en vous exposant comme du bétail
Il posa alors son regard sur l'arrogant qui venait de poser une question. Et décida de lui répondre.

- Je suis Eldred Kjaersen et j'ai travaillé pour le baron. Ancien baron.

Une voix lança un Messire!, l'interrompant alors qu'il faisait signe aux gardes de venir. Il se retourna et découvrit stupéfait le béquilleux du marché aux esclaves. Que venait-il faire ici?!
Il stoppa les gardes d'un geste de la main et attendit d'en savoir plus.

Le père Thierry semble beaucoup moins résolu à cette fatalité et, après s'être exclamé en des termes fleuris, il file droit sur Eldred avec les intentions que Dyonis croit deviner. Que faire ? Le retenir ? S'il a choisi d'agresser un supérieur pour mourir... cette mort viendrait d'une façon si douloureuse et humiliante qu'un instant, le seigneur déchu a de la pitié pour cet ancien ennemi et voudrait lui éviter cela. Il avance déjà d'un pas dans la direction du curé avec l'idée de l'empêcher... mais c'est tout autre chose qui le retient.
Une drôle de petite voix que Dyonis et Thierry ont l'air de reconnaître pile en même temps : c'est Alexandre ! Effaré par cette nouvelle surprise, le sans-mains décroche son attention d'Eldred de l'autre côté des barreaux et cherche le jeune infirme du regard. Il le découvre rapidement et (nouvelle stupeur) lui aussi est richement vêtu, entouré des gardes et en possession d'un destrier qu'il a laissé un peu plus loin. Dyonis en revanche ne réalise pas du tout que ce "Messire" lui est destiné. Il ne répond donc pas et ses yeux reviennent se fixer sur son ancien esclave.

Les choses commencent à se dessiner d'une façon pour le moins étonnante mais logique en un sens dans sa tête : et si... c'était bien cela ? Les esclaves seraient devenus du jour au lendemain les maîtres ? Quant aux puissants (les nobles et les gens d'église), eux sont là, prisonniers et en passe de devenir des esclaves. Dyonis croise les bras dans son dos et réfléchit. Comment un tel renversement a pu avoir lieu sans que personne au moins dans cette cellule ait l'air d'avoir rien vu ? Un... un miracle ? Dieu serait-il derrière cela ? Il est bien dit dans les Évangiles qu'un jour les premiers seraient les derniers. Oh Ciel... Le Seigneur punissait-il ainsi l'Empire monbrinien pour avoir grandement péché ?
La gorge nouée, le déchu essaie de remonter le puzzle. De comprendre. Le Roi et les doctes se sont toujours appuyés sur certains passages de la Bible pour légitimer leurs pratiques. Et pourtant dans cette même Bible il apparaît clairement que les plus petits seraient les premiers dans une autre vie. Et même qu'il fallait les respecter dans la vie terrestre. Mais d'un autre côté, le Dieu des Évangiles infligerait-il un telle punition, de cette façon ? Celui de l'Ancien Testament a le châtiment facile mais le Nouveau Testament dit tout autre chose. La confusion est énorme. Écrasante. Dyonis ferme les yeux et essaie de méditer tout cela.

C'est sans compter sur les vociférations d'Ulysse, qui a l'air parvenu à la même hypothèse que lui. Dyonis en lâcherait bien un petit rire, à voir le meurtrier pris à son propre piège. Il siffle entre ses dents :

"Tu as tué une maisonnée entière pour prendre la place de nobles. Tu es parvenu à tes fins. Prends leur sort maintenant."

Là-dessus Eldred se présente et rappelle la condition qui a été la sienne auprès de Dyonis, non sans souligner l'ironie de la nouvelle situation. Et si le Zakrotien voulait se venger ? La situation est idéale... Il pourrait réclamer la possession de son ancien "maître" et agir comme bon lui semblerait. Dyonis ne parvient pas vraiment à ce state à déceler les intentions de celui qui a été son esclave. Eldred notifie au passage l'affreuse réalité qui les attend : l'exposition, la vente. A cette précision, Dyonis fourre tant bien que mal son moignon sous sa tunique et va palper son épaule. Il n'y a rien, encore. On ne les a pas marqués. Cela ne saurait tarder... Le sans-mains n'a pas le temps de se demander si la mort pour inutilité lui épargnera au moins cela... que des gardes se présentent à la porte du cachot.
Après un respectueux salut aux deux nobles présents, les hommes d'armes ouvrent la lourde porte de la cellule et s'y répandent. Ils ont l'air bien partis pour emmener Ulysse et Thierry à leur vente, se saisissent d'eux, tandis qu'un troisième tire sa lame dans un sordide grincement et fond vers Dyonis avec tout le mépris possible pour l'inutile dans le regard et des intentions très claires. L'ancien seigneur retient un tremblement. Il serre les dents, lève les yeux au Ciel, se recommande à Dieu.

Au travers des barreaux, Alexandre contemplait avec tristesse le spectacle terrible à l'intérieur de la cellule. Tout ce désespoir. Cela lui bisait le cœur. Peu importaient les mauvaises actions, personne ne méritait cela. a part cet homme là, tombé à genoux, qui implorait le Ciel, et à qui le seigneur de Frenn reprochait d'avoir tué une maisonnée entière pour ravir un titre. Si cela était vrai, lui méritait un traitement inhumain. Et même la mort ! Pour les autres, non. Non ! Toute cette misère... Tous ces sentiments qui brûlaient sa poitrine, aucun des autres ne les méritait.

L'autre noble se vantait d'avoir été esclave du baron et semblait se réjouir de sa déchéance. Alexandre releva la tête et dit :

"Si vous avez été esclave vous aussi, comme moi, vous devriez alors ressentir de la compassion."

Des gardes arrivaient derrière. On venait chercher son père et celui qui était un assassin. Ils ne s'occupaient pas du troisième. Son cœur se serra en remarquant les regards adressés au seigneur de Frenn. Ils prévoyaient de le faire mourir, le croyant inapte à se rendre utile sans ses mains. Alexandre en fut outré, serrant ses mains autour de ses béquilles. Tout le monde pouvait être utile ! Du moins si on lui en laissant le moyen.

D'une voix autoritaire qui ne lui ressemblait pas, il s’imposa :

"J'achète cet homme. Votre prix sera le mien."