[15 Septembre 1597] Retrouvailles mère-fils [Terminé]

Cassandre percevait que Dame Irène n'était pas entièrement dupe, que celle-ci garderait l'histoire à l'esprit et pourrait l'interroger à nouveau. Il fallait jouer finement et sans doute même se retirer. elle eut un sourire charmeur pour la mère de famille.

"Oui, je comprends. Je vais aller jouer à l'étage."

Alors qu'elle commençait à monter les premières marches, elle se tourna un instant vers Alexandre et clama joyeusement :

"Je vais embrasser Ludovic, mon petit frère, et jouer avec Grace, ma petite sœur !"

Sur cette provocation, elle détala en courant dans l'escalier et disparut.

Irène hocha la tête et accorda un léger sourire à Grâce. Elle soupira un peu en la voyant monter en appuyant statut. Eh bien, elle n'allait pas s'ennuyer avec tout ce monde sous son toit...

Elle se tourna ensuite vers Alexandre qui demandait des nouvelles à sa mère. Elle se garda d'intervenir, préférant se centrer sur la préparation du petit-déjeuner. Elle écouta d'une oreille son histoire. Elle fronça les sourcils à la mention de Clair. Elle se souvenait de cette jolie jeune fille vue au baptême.

- Que lui est-il arrivé Alex ?

Irène put comprendre l'aigreur de Rosina. Antoine avait parfois connu des aventures. Cependant, quand il avait su qu'elle et surtout quand il avait constaté sa tristesse, il lui avait juré de ne pas recommencer et s'y était tenu. Ça avait été une de ses dernières preuves d'amour avant sa mort. Elle écouta ensuite les explications d'Alexandre sur sa lignée. Elle sourit qu'il ait enfin renoncé à ces explications nébuleuses de malédiction.


Bélyl s'était certes réveillée un peu tard mais s'était préparée rapidement en plus avec l'aide experte de Tristan. Avec tout ça, ils avaient été prêts en un rien de temps ! Ils descendaient maintenant dans la rue. Bélyl trouvait étrange qu'Alexandre ne les ai pas attendu. Mais en même temps, il s'était montré très réticent hier. Elle n'y pensa plus, trop heureuse de revoir sa tante et avec Tristan. Elle jeta un oeil à ce dernier avec un sourire.

- Dis-moi, as-tu hâte de revoir ma tante ?

Après ces révélations sur une nouvelle enfant illégitime du père Thierry, Rosina s'était assombri et avait choisi de dissimuler sa mauvaise humeur derrière un ouvrage de couture. Alexandre se tourna vers Dame Irène et répondit avec tristesse à sa question.

"C'était il y a deux jours devant le Lupanar. Le carrosse d'un noble a heurté ma pauvre sœur et l'a violemment blessé. Par chance, le seigneur de Frenn m'accompagnait et a fait ordonné les premiers soins avant de la faire porter chez son mâitre le comte de Wollenbach."

Son cœur se serra au souvenir de sa sœur. Pourvu qu'elle aille bien.

Après les émotions de la veille - les explications tendues avec Alexandre, son passage dans les appartements du Cardinal où de nouveau il avait essuyé les rudesses de son maître - Tristan s'était écroulé de sommeil, épuisé, une fois ses corvées achevées dans les cuisines de l'hôtel où résidait Matthieu. Il fut réveillé aux aurores pour préparer le départ de l’ecclésiastique vers Rome, puis exécuter quelques tâches, avant de venir servir leur petit déjeuner aux uns et aux autres. Bélyl se réveilla un peu tard. Aussitôt, Tristan fut appelé pour l'aider à s'habiller et se faire belle. Ce travail-là lui plut beaucoup, même si en l'occurrence il s'agissait davantage de se préparer rapidement que de réaliser une toilette de toute beauté. A mesure que ses doigts fins boutonnaient la robe de la jeune fille puis l'aidaient à passer ses bijoux, cette dernière continuait de conter des romans que le jeune esclave prenait grand plaisir à écouter.
L'heure du départ arriva et après une route en carrosse, on se trouva bien vite devant la boutique d'Irène. Le garçon sourit à Bélyl et répondit avec naturel - ce naturel qui n'avait jamais aucun mal à s'exprimer en présence de Bélyl :

-- Oh b'en oui ! On s'connaît d'puis peu de temps, mais c'est comme si elle m'considérait un peu comme son fils. Et j'suis sûr qu'avec tout se passera bien maintenant.

En l'absence de mon maître, se retint-il de dire. Dès que Bélyl ouvrira la porte, Tristan la laissera saluer en premier Irène et les autres éventuels occupants de la place. En s'avançant à son tour, ses yeux marqueront un temps d'arrêt sur Alexandre et une autre femme. Il n'avait jamais vu la mère de son comparse et ne pourra établir immédiatement le lien. Aussi restera-t-il sur la réserve et une politesse très neutre pour adresser un petit :

-- B'jour Madame. (Un temps, croisant rapidement le regard de l'autre esclave) B'jour Alexandre.

Contrit et silencieux, Tristan attendra là que les choses se fassent, avec au cœur l'immense gêne sur laquelle s'était terminée la veille son entretien avec le jeune homme. Avec un peu de chance, il ne le verrait pas plus que cela à l'avenir. Il paraissait que ce serait auprès de Joseph que vivrait Tristan. Tant mieux, peut-être...

Irène écouta la réponse d'Alexandre et s'en attrista. Les nobles pouvaient être cruels, elle était navrée que la soeur d'Alexandre en ait fait les frais. Elle remarqua sa tristesse et lui sourit.

- Ne t'en fais pas. Si elle est aussi solide que toi, tout ira bien.


Bélyl sourit à la réponse de Tristan.

- Cela ne m'étonne pas de ma tante ! Elle est si généreuse et si altruiste. Déjà chez nous, tout le monde l'aimait alors je ne doute pas qu'il en soit de même ici.

Elle acquiesça ensuite.

- Bien sûr que tout ira bien maintenant, puisque tu es avec nous !

Bélyl toqua avec un air joyeux. Irène releva les yeux et pencha la tête avant de reconnaître la silhouette. Avec un grand sourire, elle alla ouvrir. La figure de sa nièce apparut et elle ne put résister à l'envie de la prendre dans ses bras.

- Sainte Vierge, comme tu as grandi ! Tu es resplendissante !

- Vous aussi ma tante, d'autant qu'on m'a dit que j'aurais bientôt un nouveau cousin.

Irène sourit.

- En effet.

Elle remarqua alors Tristan et sourit.

- Tristan ! Quelle joie de te revoir ! Comment vas-tu ?

Elle constata qu'il ne connaissait sans doute pas Rosina et se tourna pour la présenter quand il la salua.

- Bélyl, Tristan, voici Rosina, la mère d'Alexandre que vous connaissez déjà, il me semble. Rosina, je vous présente ma nièce, Bélyl, la fille du général Joseph Cassin et son nouveau chaperon, Tristan, un ami qui a séjourné ici et qui réside maintenant chez mon frère en tant que chaperon.

Bélyl acquiesça et hocha la tête. Elle cacha sa tristesse de voir qu'Alexandra était vraiment parti en avance pour une obscure raison. Peut-être pour retrouver sa mère et en ce cas, elle pouvait comprendre. Elle leur présenta en tous les cas une mine avenante.

- C'est un plaisir de vous rencontrer, madame.

Irène posa une main sur l'épaule de Bélyl.

- Il faut aussi que tu vois les enfants. (appelant) Cassandre, Grâce ! Descendez avec Ludovic s'il vous plaît mes chéries.

En montant à l'étage, Cassandre avait retrouvé avec joie Grace qui s'amusait avec ses poupées dans un coin de la pièce. Elle s'avança un instant vers le petit Ludovic et le découvrit dans son berceau en train de dormir. Déçue, elle s'attacha cependant à replacer la couverture jusqu'au cou du bébé. Il ne fallait pas le laisser prendre froid ! Elle s'éloigna ensuite pour rejoindre sa nouvelle petite sœur et jouer avec elle à la poupée.

"Il y a longtemps, tu sais, que j'ai pas joué à la poupée."

Tout en déshabillant la poupée, Cassandre se remémora de ces moments d'enfance insouciante enfouis qui remontaient à la surface. Elle y jouait uniquement l'hiver ou les jours de pluie, quand il n'y avait rien à faire dehors, avec des poupées héritées de ses sœurs aînées qui les tenaient elles-mêmes de sa mère ou d'une tante. Quand on était la petite dernière d'une grande famille, on n'avait jamais rien de neuf.

"Elle s'appelle comment ?"

La fillette berçait la poupée tendrement, comme si ça avait été le petit Ludovic.

"les miennes, elles se nommaient Isabelle, Marie et Antoinette. Isabelle, elle avait des cheveux bruns et je faisais toujours des tresses avec. Regarde ! Comme ça !"

Prenant une brosse, Cassandre s'amusa avec la poupée à faire des tresses, de plus en plus excitée de renouer avec les sensations de son enfance insouciante.

"Elle est belle, non ? Marie, elle, je l'aimais pas beaucoup. Elle était... En fait, c'est une tante qui l'avait ramené d'un pèlerinage. Elle avait une robe bleue et un visage tout pâle. Elle me faisait peur. J'avais jamais envie de jouer avec elle. Je m'arrangeais même pour l'oublier dans un coin. Parfois même, j'essayais de la cacher dehors. Mais mon papa il la retrouvait toujours et la ramenait dans ma chambre. Alors, j'ai fini par l'enfermer dans un coffre. c'était pas gentil, je sais. Mais elle me faisait trop peur !"

Tout en bavardant, Cassandre continuait à tresser les cheveux de la poupée.

"Et puis, Antoinette... Antoinette, la pauvre. Elle en a vu des misères. Mais c'était pas ma faute ! Moi, je l'ai eu comme ça. Elle avait les cheveux courts. ils avaient été brûlés, sa peau était écaillée, ses couleurs avaient passés... Mais moi je l'aimais beaucoup. je faisais tout pour prendre soin d'elle et lui faire oublier que les autres petites filles avant moi l'avaient maltraité. C'est moche quand même de maltraiter une poupée ! Elles ne demandent rien et sont pas méchantes !"

Alors que Cassandre coiffait encore al poupée et s'amusait à défaire les tresses pour le simple plaisir de les refaire, la voix de Dame Irène retentit et leur demandait de descendre. La mine de la fillette s'assombrit. Elles étaient pourtant bien à jouer ! Qu'est ce qu'on leeur voulait ?

"Mais... C'est pas l'heure du repas !"

Son odorat perçut alors un mélange d'odeurs humains qui se regroupaient. Intriguée, Cassandre se concentra et reconnut en premier celle rassurante de Dame Irène, celle désagréable d'Alexandre et celle plus neutre de la mère d'Alexandre. Il y en avait une qui lui disait quelque chose mais dont elle ne parvenait pas à mettre un nom dessus. En revanche, la dernière lui était totalement inconnue.

"Il y a deux personnes en bas."

Cassandre se leva finalement pour obéir à l'ordre et s'avança pour prendre Ludovic dans son berceau. Il dormait encore et son petit poing s'était refermé sur la couverture alors que le bébé se repliait sur lui-même. Elle le délaissa, perplexe, et s'approcha de l'escalier.

"Euh... Dame Irène ? Ludovic, il dort encore ! On le réveille ou pas ?"

Alexandre songeait avec tristesse à sa sœur dont il n'avait pas la moindre nouvelle et espérait que celle-ci se rétablisse au mieux. Pourvu que rien de trop grave ne lui soit arrivé ! Plaise à Dieu de la guérir ! Sur ces pensées, il entendit frapper et accueillit avec un malaise que le garçon s'efforça de dissimuler l'arrivée de Bélyl et de Tristan. Pourquoi maintenant ? Ils pouvaient rendre visite à un autre moment ? Le petit esclave aurait désiré ne plus recroiser son ancien amant. Les choses entre eux étaient devenues beaucoup trop gênantes.

Afin de s’efforcer à la politesse, Alexandre adressa un sourire de façade aux nouveaux venus.

"Bonjour mademoiselle Bélyl ! Bonjour Tristan !"

De son côté, Rosina releva les yeux de son ouvrage de couture et contempla Irène accueillir sa nièce, accompagnée de son esclave. Elle dévisagea quelque peu intriguée ce dernier assis dans un fauteuil roulant et ne put dissimuler un sourire de fierté. En voilà un bien plus faible que son fils ! Pendant que cet individu chétif végétait dans ce siège, inapte au moindre effort, son cher Alexandre s'était redressé, en dépit de toutes les difficultés et avançait debout. Comme un homme véritable. Elle reporta son regard empli de fierté vers son garçon qui semblait se tasser sur sa chaise. Qu'avait-il donc ?

Son regard retourna vers le dénommé installé dans son fauteuil. C’était véritablement un garçon cela ? Il semblait... féminin. Elle se rappelait aussi qu'il avait été condamné avec son fils à l'asservissement. Alors... Son cœur de mère s'aveuglait et ne parvenait à effacer la pensée affreuse qui imprégnait son esprit.

"Alors, c'est toi le responsable des ennuis de mon fils ?"

Alexandre contempla avec effarement sa mère puis son ancien amant puis essaya de dire silencieusement à ce dernier que c'était pas sa faute, de s'excuser... La situation devenait encore plus horrible qu'il n'aurait pu croire qu'elle soit. Il rassembla son courage et dit :

"Maman.... C'est pas du tout la faute de Tristan. C'est la mienne. Totalement la mienne. Je n'ai fait que des bêtises et entrainé Tristan qui se trouvait avec moi par hasard. Il aurait mieux été inspiré de ne jamais croiser ma route."

En prononçant ces mots, que le garçon pensait véritablement, Alexandre croisa à nouveau le regard de Tristan et essaya de nouveau de s'excuser. Autant pour sa propre conduite que celle de sa mère. Rosina l'entendit à peine et secoua les épaules.

"Ton père m'a raconté le procès. Il a parlé avoir rencontré le père de ce garçon, un certain M. Darcy, l'aurait abandonné. il a vécu seul, dans les rues, livré à toutes sortes de débauches.. Il ne pouvait que mal finir."

Rosina fixait Tristan d'un regard lourd et culpabilisant. En temps ordinaire, elle aurait compati à la détresse du petit infirme. Pas là. A ses yeux, Tristan portait le lourd crime d'avoir été condamné à l'asservissement avec son fils et rien ne saurait l'en laver. Alexandre soupira.

"Maman..."

Décidément, toute sa famille ne cessait de lui causer des ennuis. Son père et ses travers avec les femmes, sa tante qui avait essayé de l'enlever dans cette idée folle de faire de lui un noble et maintenant sa mère qui se mettait à accuser Tristan. il ne manquait que le cardinal Cassain pour finaliser le tableau. De toute manière, ça n'aurait pas pu être bien pire.

A cet instant, Irène appelait les filles à descendre. Alexandre reporta son attention un instant vers Tristan et se souvint qu'elle avait participé contre sa volonté à l'enlèvement au milieu de l'église, contrainte par son statut d’esclave appartenant au sinistre Lupanar. Il fallait la préparer avant que la fillette ne descende ou son émotion serait trop forte et causerait une nouvelle scène gênante.

"Je vais voir ce que font les filles."

Alors qu'Alexandre arrivait à la moitié de l’escalier, s'arrêtant tous les deux ou trois marches pour récupérer un peu de son énergie et garder de l'équilibre, Cassandre annonça depuis l'étage que Ludovic dormait et demandait quoi faire. Alexandre jeta un bref regard à Irène puis continua son ascension.

Tout ira bien maintenant. Tristan fit résonner en boucle la promesse de Bélyl dans sa tête et, dans un regard au Ciel comme une humble prière, voulut s'en persuader. En poussant la porte, il fut chaleureusement accueilli par Irène. Aussitôt le regard du petit esclave dansota, tout heureux de se voir reçu tel un membre de la famille. Quelle ironie ! Attendre d'être réduit en esclavage pour être intégré dans une maisonnée aussi aimante !

-- Oh oui tout va bien, merci ! Monsieur Joseph et Bélyl ont été tellement gentils avec moi ! Et c'est des travaux que j'aime beaucoup, que j'vais pouvoir faire pour eux !

Être présenté comme le chaperon lui fit tout autant chaud au cœur : on ne le voyait pas comme un esclave. Le petit infirme en trouva l'énergie d'offrir un sourire à Rosina Bellanger, quand bien même elle était la mère de celui qui l'avait tant blessé... Ce dernier d'ailleurs le saluait avec une politesse suffisante, mais clairement chargée de gêne. Ce ne fut cependant rien à côté de l'accueil que lui réserva la mère d'Alexandre. Une douche froide. Tristan en perdit toute sa bonne humeur. Immobile, tétanisé, il l'écouta l'humilier et prétendre même être le responsable des malheurs d'Alexandre. Ses pupilles en flambèrent de colère, ses joues s'empourprèrent. Mains crispées, il ne dit rien, mais ne baissa pas non plus les yeux. Il n'avait rien à se reprocher, il garderait la tête haute !
Heureusement, Alexandre eut le bon goût de le défendre - quoique assez mollement - et l'honnêteté de se reconnaître à l'origine de leurs ennuis. S'il n'était pas entré à Frenn, aucun de leurs malheurs n'auraient suivi ! La mère Bellanger en remit une couche. En effet non, Tristan n'avait pas eu la chance d'être conservé par sa famille. Dents serrées, il soutenait toujours le regard de la femme. Rien cependant ne sortit de sa bouche pour elle. Il annonça seulement, tourné vers son ancien amant et après son intervention :

-- Merci, Alexandre. Merci d'avoir l'honnêteté de l'reconnaître.

Ces mots lui serraient la gorge. Il venait de les prononcer avec une certaine distance, mais ils étaient sincères. Quant au mépris qu'il ressentait chez Madame Bellanger, c'était celui d'une mère prête comme une lionne à défendre son petit. Tristan comprenait aussi que, devant les infortunes d'Alexandre, elle éprouvait le besoin bien trop humain de chercher ailleurs les coupables, et de trouver pire pour tenter de glorifier son propre fils en opposition. Tristan déglutit sa peine. Pour Irène néanmoins, il fit l'effort de rester calme et digne. Ne pas pleurer. Ne pas mettre de l'huile sur le feu.
Alexandre prit le parti de se défiler et s'éclipsa aussitôt pour aller chercher les autres enfants. Quand Cassandre et Grâce arriveront, le jeune infirme fera là aussi l'effort de masquer sa peine derrière son plus beau sourire de bon accueil.

Grâce avait décidé de ranger un peu avant de descendre. Elle avait commencé à aligner les poupées puis avaient voulu changer la robe de l'une d'elle. Cassandre était alors arrivée, pour le plus grand bonheur de sa petite soeur. Elle lui fit un grand sourire.

- Bonjour !

Elle la regarda avec de grands yeux.

- Ah bon, tu y as joué quand la dernière fois ?

Grâce regarda la poupée de Cassandre et sourit.

- Elle, c'est Hannah. Papa me l'a rapporté après un graaand voyage et il m'a dit que là-bas, Hannah ça veut dire fleur, alors je l'ai appelé comme ça.

- Elle montra ensuite celle avec qui elle jouait, puis la dernière encore sur la parquet.

- Elle c'est Victoria, c'est oncle Joseph qui me l'a offerte pour mon anniversaire et l'autre, c'est Regina, c'est parrain Juan qui me l'a donné.

Elle sourit en se rappelant ces jours où elle avait déballé ses cadeaux, un grand sourire aux lèvres, sous le regard attendri de ses parents. Elle se souvenait que pour cette raison, sa mère avait refusé de les vendre, même si elles pouvaient valoir très cher. Elle avait préféré donner ses propres bijoux. Elle soupira avant d'écouter Cassandre.

- Oh, ce sont de jolis noms !

Grâce regarda avec admiration sa grande soeur faire des tresses et s'employa aussitôt à faire de même. Elle écouta ensuite les poupées et pencha la tête à la fin.

- Et maintenant, elles sont où ces poupées ?

Grâce aussi tourna la tête, un peu surprise quand elle entendit sa mère. Elle regarda Cassandre.

- Peut-être qu'elle veut qu'on fasse une course.

La réponse de Cassandre la fit cligner des yeux.

- Mais... Mais... Comment est-ce que tu peux savoir ?

Elle réfléchit à qui pouvait être les deux personnes et quand elle trouva, son visage s'illumina et elle bondit sur ses pieds.

- Oh je sais, c'est sûrement ma cousine Bélyl ! Viens, viens, il faut qu'on te présente !

Elle lui prit la main pour aller vers l'escalier, délaissant son frère qui de toute façon dormait comme un loir.


Irène sourit de revoir Tristan en si bonne forme et si enthousiaste. Bien sûr, ce devait être totalement autre chose maintenant qu'il était avec Joseph et non plus avec Matthieu. Bélyl renchérit :

- Si tu savais comme il est doué pour faire des coiffures et des bijoux ! Je crois que je n'aurais plus jamais besoin de camériste et c'est un vrai bonheur !

- J'ai eu un aperçu de ses talents oui, et je devine sans mal que vous devez bien vous entendre.

Bélyl répondit au salut d'Alexandre par un hochement de tête. Elle pensait que la mère allait faire de même mais trouva une figure qu'elle pensait bienveillante, pourtant avec un sourire qui la troublait. Était-ce... de la suffisance ? Mais pourquoi ? Était-ce à cause des jambes de Tristan qu'elle dévisageait de la sorte ? Elle écarquilla également les yeux aux accusations de Rosina. Irène fronça également les sourcils. Qu'est-ce que c'était que cette histoire ? Les deux garçons étaient parfaitement innocents. Bon, Alexandre avait été maladroit mais ce n'était pas une nouveauté et la malchance avait quelque peu joué contre eux. Bélyl posa aussitôt une main sur l'épaule de Tristan et se mit un peu devant lui.

- Madame, permettez-moi de vous détromper. Tristan n'a jamais rien fait de mal et à même été accusé à tort. Votre fils lui-même a avoué devant mon oncle avoir menti pour... Je ne sais même plus pour quelle raison exacte, mais en tout les cas, ce que vous avez entendu est certainement faux, des rumeurs basés sur des racontards mensongers. Tristan est un garçon adorable et généreux qui ne ferait jamais le moindre mal à personne.

Fort heureusement, Alexandre ne resta pas les bras ballants et démenti aussi. Bélyl hocha fermement la tête. Elle secoua la tête quand elle évoqua le père de Tristan.

- S'il y a quelqu'un à blâmer, c'est cet homme qui a abandonné lâchement son enfant. Et Tristan a au contraire su se débrouiller et développer de merveilleux talents.

Elle se plaça presque complétement devant Tristan pour le préserver du regard déplacé de cette femme. Irène ne dit rien, préférant ne pas prendre parti dans cette bataille verbale. Après tout, sa nièce était désormais celle qui protégeait Tristan et elle pouvait parfaitement le faire seule. Elle préféra se rapprocher de l'escalier où Alexandre commençait à monter. Elle secoua la tête en élevant un peu la voix pour répondre à Cassandre.

- Laisse-le encore dormir, il devrait bientôt se réveiller, j'irai le chercher.

- Oh, ce n'est pas forcément nécessaire, ma tante, je ne faisais que passer dire bonjour.

Les filles descendirent d'ailleurs à ce moment-là, Grâce en tête, tout sourire, qui, ignorant la tension de la pièce, se jeta dans les bras de sa cousine.

- Bonjour, Bélyl ! Je suis contente de te voir

- Bonjour, Grâce. Moi aussi, beaucoup.

Grâce vit Tristan et ne se priva pas d'aller aussi lui faire un câlin, surtout qu'elle avait l'impression de le sentir un peu triste. Bélyl remarqua alors Cassandre et sourit.

- Me présenteras-tu ton amie ?

Grâce hocha vigoureusement la tête.

- Oui, c'est Cassandre, ma nouvelle grande soeur !

Bélyl ouvrit les yeux avec émerveillement et sourit.

- Eh bien je suis enchantée de te rencontrer, nouvelle cousine !

Rosina garda ses yeux accusateurs fixés vers Tristan et refusait de voir autre chose en lui que le responsables des malheurs de son fils. Quoique Alexandre lui-même où cette jeune fille qui se mettait devant le petit infirme puissent prétendre. Elle ne supportait pas de l'entendre faire son éloges sur de simples confitures ou de bêtes coiffures. Son enfant, son précieux enfant, avait perdu sa dignité par sa faute. Elle répondit ainsi à Bélyl de manière sèche et agressive.

"Ce garçon vous manipule, c'est une évidence, comme il a manipulé mon fils. Si vous ne m'écoutez pas, vous vous en mordrai tôt ou tard les doigts. Sachez que je ne répète aucune rumeur. je tiens ces informations de mon époux qui a assisté au procès de ce misérable."

"Tu veux dire l'homme qui te fracasse les côtes depuis vingt ans ? Quelle singulière sources de renseignements !"

Arrivé à la milieu des escaliers, Alexandre s'était arrêté pour reprendre son souffle et n'en pouvait plus des âneries que se permettaient sa mère et qui portaient préjudice à son ancien amant. Il avait fini par se retourner pour contempler le tableau moche qui se peignait dans la petite boutique . Ses traits avaient durci. Il ne restait rien en cet instant de l'adorable petit esclave et son visage ressemblait plus que jamais à l'austère prêtre de Saint-Eustache dans ses pires moments d'autorité. Alexandre avait craché cette réplique avec un cynique qui rappela là aussi les pointes acides du père Thierry.

Rosina observa un instant son fils, presque choquée par cette ressemblance qu'elle surprenait pour la première fois puis se décida à défendre son point de vue. Même si cela impliquait de mentir. Elle ne pouvait reconnaitre al vérité. Elle ne pouvait reconnaitre que Alexandre aurait.. Non ! Son enfant était un bon garçon ! Elle l'avait bien élevé !

"Ton père, quand je l'ai vu hier dans sa cellule, il m'a confirmé que Tristan était responsable de tes malheurs."

"Une autre source merveilleuse de renseignements ! Mon bon père qui ne fait que mentir de l'aube au crépuscule et qui passe ses soirées à la taverne ! Aurais-tu l'intention, mère, de nous citer tous les alcooliques notoires de Braktenn ? Je crains que nous n'y passions un temps considérable."

Alexandre ne laissa pas sa mère reprendre la parole et choisit de confesser sa bêtise énorme. Tristan méritait d'être lavé de tout soupçon et d'être rétabli dans sa dignité.

"Pour ta gouverne, mère, je te rappellerai également que tu m'as vu arriver ce matin, affamé, et je t'ai expliqué avoir dû jeûner en punition à mon mensonge. Afin de me faire mieux voir de notre maître, j'ai inventé que Tristan aurait eu une vie atrocement immorale, ce qui était parfaitement faux et ignoble. Tristan a toujours eu une existence saine et vertueuse. Cela a été une faiblesse que je regrette amèrement. Alors, à présent, mère, ça suffit ! Laisse-le tranquille !"

Face à l'autorité écrasante qui émanait de son enfant, Rosina ne sut résister. Elle ployait. Passé un temps, il arrivait fatalement où le fils devenait homme et que la mère doive s'effacer. C'étaient les règles de la vie. Elle retourna s'asseoir devant son ouvrage de couture, mortifiée, mais refusa toute excuse qui aurait ou être convenable de donner. Hors de question ! Elle garda d’ailleurs un regard haineux pour Tristan en passant près de lui pour retourner à sa chaise.

Soulagé de la conclusion de cette scène particulièrement tendue, Alexandre respira et ses traits durcis s'apaisèrent, le laissant retrouver son visage ordinairement doux.

"Mademoiselle Béryl, Irène, Tristan, je vous demande au nom de ma mère. Elle ne pense pas tout ça, bien sûr. Elle est juste... chamboulée. Veuillez l'excuser."

Sur ce, il reprit son ascension puis disparut à l'étage.


En arrivant en haut, Alexandre sourit de voir les filles qui s'apprêtaient à descendre. Il les salua puis arrêta Cassandre avant de se tourner vers Grace.

"J'ai quelque chose à lui dire. Pars en premier."

Il attendit que la fillette se soit éloignée puis s'abaissa un peu à la hauteur de Cassandre.

"Cassandre... En bas, il y a Tristan. Tu sais, l'esclave que ton ancien maître a fait enlever pour tu sais quoi. Je sais que ça va être un moment gênant. Mais Tristan est très gentil et il sait que tu n'avais pas le choix."

Alexandre sourit en passant une de ses béquilles dans l’autre main. De celle libre, il caressa avec douceur le cheveux de l'enfant.

"Allez, viens. On va le voir. Tout va bien se passer, Cassandre. fais-moi confiance."

Cassandre s'amusait beaucoup à coiffer la poupée entre ses mains et à refaire sans cesse de nouvelles tresses tout en discutant avec sa nouvelle petite sœur. Son regard se voila cependant quand Grace demanda depuis combien de temps elle n'avait pas joué avec ses poupées à elle. Depuis combien de temps ? Cela remontait à quand que le méchant qui l'avait chassé de sa maison ? Elle n'avait pas encore tout à fait huit ans et c'était quelques jours après la Toussaint. Son père l'avait emmène à la messe. C'était leur dernier moment de complicité. Elle se rappelait que sur le chemin du retour il l'avait embrassé plusieurs fois et s'était beaucoup excusé. Elle n'avait pas compris pourquoi et avait eu peur de poser questions. Son père, lui, semblait perdu, dévasté; Il savait leur fin proche. Elle releva la tête et répondit à Grace d'un sourire triste.

"Attends.. Je suis née le 13 décembre 1584, c'était après la Toussaint, j'allais avoir huit ans.. alors, ça fait... C'était dans l'année 1592. Oui, c'est ça. il y a cinq ans bientôt."

Afin de ne pas se perdre davantage dans ces souvenirs tristes, Cassandre écouta race lui dire le nom de ses poupées et leurs origines. Elle sourit.

"Ce sont de très beaux noms aussi !"

Elle perdit son beau sourire à la question suivante formulée avec tant d'innocence.

"Je... Je ne sais pas. Elles ont dû être vendues. Ou données. Ou jetées. Ma maison a été prise par un méchant homme qui a mis mon papa en prison et m'a mise à la rue. Il ne doit pas beaucoup aimer les poupées non plus."

Désireuse de chasser ces mauvaises pensées, Cassandre reporta son attention vers la poupée et continua à la coiffer. Elle remarqua ensuite la chevelure de Grace et eut un sourire tendre.

"Dis, Grace, tu veux pas que je te fasse des tresses à toi ? Tu serais trop belle, je suis sûre !"

Malheureusement ce fut à ce moment que Dame Irène les appela. Grace supposa que ce devait être pour une course. C'était quand même pénible ! Il n'y avait cependant pas le choix que d'obéir. Mais quelle corvée ! Elle s'amusa cependant du regard interloquée de as petite sœur quand Cassandre sut dire le nombre de personnes.

"Je ne sais pas bien. Mais je peux sentir les odeurs des gens et les reconnaitre. C'est comme un pouvoir ! Toi, par exemple, tu as une douce odeur de framboise très agréable !"

Grace eut soudain une identité sur l’identité d'un de ces visiteurs et lui saisit la main pour l'entrainer vers l'escalier. Cassandre se laissa faire puis eut la désagréable surprise d'apercevoir la silhouette agaçante d'Alexandre surgir devant elles. Son corps entier se raidit. Il n'y avait rien à faire, elle le détestait. pas juste à cause de son étourderie de l'autre jour à al taverne. Mais aussi à cause de sa personnalité, de son attitude... Sa gentillesse, en particulier, la mettait mal à l'aise. Elle se rappelait qu'il avait écouté ses révélations sans se mettre en colère et demandé de l'attendre dans une église en sécurité. Elle ne comprenait pas pourquoi et ça la dérangeait énormément.

Alexandre demanda à Grace de les laisser. Cassandre était mal à l'aise de se retrouver à nouveau seule face au béquilleux. que lui voulait-il ? elle n'aimait pas du tout ce sourire tendre. Elle ne le comprenait pas. Elle aurait tant voulu que Grace reste. Il confia alors que l'esclave que ses anciens maîtres avaient enlevé se trouvait en bas et lui demndait de rassembler son courage pour se préparer à cette rencontre. Cassandre fut encore plus mal à l'aise en apprenant cet élément. Tristan... Cette pauvre marionnette enlevée par des pervers sadiques pour des plans absurdes. Elle redoutait de croiser son regard et d'entendre d’éventuels reproches. Sans elle... Si elle ne l'avait pas approché, il n'aurait pas baissé sa garde et alors, il... Elle avait bien envie de rester à l'étage.

Alexandre fit l'effort de poser une de ses béquilles pour pouvoir caresser ses cheveux. Le geste lui rendit du courage. Elle ne voulait pas pitié. Et encore moins de sa pitié à lui ! Elle répliqua d'un ton sec et cassant :

"J'ai pas peur ! Et j'ai pas besoin de toi !"

Énervée, elle poussa Alexandre et s'empressa de dévaler l'escalier. Elle allait lui montrer ! Non, elle n'avait pas peur !


En bas, Cassandre retrouva Grace qui saluait sa cousine, une belle jeune fille très élégante. Comme elle était jolie. Grace al présenta et la fillette rougit un peu.

"Bonjour."

Elle tourna la tête vers Tristan tout proche et sentit son courage s'étioler. elle devait le faire. Ou sinon... Sinon Alexandre allait croire... Elle n'avait pas peur ! Non, Non, elle n'avait pas peur ! Avec appréhension, Cassandre et s'avança, les mains dans le dos, et murmura, honteuse :

"Je suis désolée pour la dernière fois. Pour tout ce qui s'est passé. Je ne voulais pas. Mais... Mais ils..."

Alors, au souvenir de cet ordre affreux qui lui avait été donné, aux exactions terribles que Tristan avait subi au sein du Lupanar, les émotions craquèrent et Cassandre éclata en sanglots.

Peu habitué à des compliments comme ceux-ci - à plus forte raison pour une activité si peu associée à son sexe - Tristan orna d'un petit rire gêné les enthousiasmes de Bélyl, tandis qu'Irène pour sa part confirmait aussitôt sa confiance dans les talents du garçon. Cela allait faire du bien de les ravoir, elle et la petite Grâce ! Quelle grande famille - et très féminine ! Cela devait donner d'impressionnants moments, lorsque les grandes occasions les réunissait toutes - sans compter Joseph et les autres Messieurs encore loin de ces terres.
Aux paroles dures de Madame Bellanger, Tristan s'était aussitôt tassé. Les larmes lui gonflaient les yeux, cependant il s'était juré de ne pas pleurer - pour honorer Irène et Bélyl. Cette dernière se positionna aussitôt devant lui, comme pour le protéger et lui donner un répit, le temps qu'il s'apaisât à l'abri des regards haineux. Son long discours de défense lui alla droit au cœur, malgré les griffures qu'y laissait le triste souvenir de son géniteur. Bélyl tenait vraiment à lui ! Le défendait avec une vigueur à peine croyable ! Le jeune esclave avait lui-même encore si souvent du mal à se persuader de ce qu'elle disait : qu'il n'était pas un vaurien, qu'il avait du talent... Tristan ne savait vraiment plus ou se mettre et, immobile, restait sans réagir faute de trouver la bonne attitude à observer. Il glissa seulement à Bélyl un très discret, très ému :

-- M... Merci...

Rosina cependant en remettait une couche et soudain, la véhémence avec laquelle Alexandre la reprit sidéra le petit infirme. Bouche entrouverte, il l'écouta rappeler l'abjection de son père adoptif... et même celle du père Thierry qui avait encore le culot de prétendre que Tristan était le responsable de tous ces malheurs ! Ah ça ! Le garçon espérait bien ne jamais recroiser la route de celui-là. Au moins, Alexandre avait-il la dignité de reconnaître ouvertement son mensonge auprès de leur maître. Et à la grande surprise de Tristan, sa mère se tut aussitôt. Sans doute par respect de l'autorité masculine... C'était à se demander ce qui, dans toutes ces complexes hiérarchies, avait vraiment un sens ! Rosina était une femme... mais Alexandre était un esclave ! Alors lequel des deux "dominés" devait avoir raison sur l'autre ? Un pli ironique passa une seconde aux lèvres de Tristan à cette question. Aussitôt néanmoins, son visage pâle et ses traits retrouvèrent leur neutralité neigeuse. Mieux valait ne pas remettre de l'huile sur le feu.

Au moins, le retour d'Alexandre en compagnie de Grâce permettait de changer de sujet et d'amener un vent de fraîcheur dans cette pièce appesantie ! Tristan avait souri à l'arrivée de la petite fille, mais presque immédiatement, l'approche d'une autre silhouette bien connue le crispa. C'était... Cassandre ? La petite servante qu'il avait connue au Lupanar ?

-- B... Bonjour Cassandre, parvint-il malgré tout à articuler, tandis que l'épouvantable souvenir de ce séjour dans la maison close lui serrait la gorge.

Les coups de fouet de Bastien, les frappes qu'il lui avait envoyées par sa botte dans les côtes, les chaînes qu'il lui avait fait porter dans la cave... Et cette nuit démente avec Blanche. Tristan déglutit. Au moins, la petite Cassandre avait été avec lui d'une tendresse infinie - et déjà à ce moment là, elle avait demandé pardon de l'avoir trompé, d'avoir participé à son enlèvement. A nouveau, l'enfant s'approchait de lui et présentait des excuses. L'invalide eut pour elle un regard plein de douceur et finit par calmer les petits mouvements crispés de ses doigts en conjurant ses affreuses remembrances.

-- Cassandre, je... je sais qu'on t'y a obligée. Et puis, quand j'étais dans la cave ce soir-là... je croyais que j'allais mourir. Tu m'as sauvé, tu m'as apporté de quoi me rafraîchir, tu as veillé sur moi comme une sœur. Alors, j'crois qu'on peut oublier toutes ces horreurs, d'accord ?

Il lui sourit. Ses grands yeux ambrés retrouvèrent de leur lumière. Devant la jolie nouvelle robe que portait la petite esclave, Tristan s'enthousiasma :

-- Et puis je vois qu'les choses ont changé pour toi ! Alors comme ça, tu vis là, désormais ? J'suis tellement content pour toi ! On va... être un peu cousins désormais, glissa-t-il, espiègle, en songeant qu'à présent Cassandre serait comme une enfant pour Irène - et lui-même appartenait dorénavant à son frère Joseph.

Grâce regarda sa grande soeur compter avec admiration et poussa un petit "Ohhh" quand elle eut fini.

- Ah oui, ça fait vraiment trèèès longtemps alors !

Elle fut attristée par le destin malheureux des poupées et posa une main sur celle de Cassandre.

- C'est dommage mais tu en auras peut-être une nouvelle ! Peut-être à Noël ! Et on les ferra jouer toutes ensemble !

Grâce acquiesça pour les tresses en songeant qu'elle pourrait alors être aussi belle que ses cousines mais ce serait pour une prochaine fois car on les appelait. Elle cligna des yeux et reprit un air admiratif quand Cassandre lui expliqua sa capacité olfactive exceptionnelle.

- Wahou, mais c'est trop bien ! Tu es trop forte alors !

Elle s'engagea joyeusement dans l'escalier, tout heureuse de savoir qu'elle sentait la framboise. Elle dut lâcher Cassandre mais haussa les épaules et l'attendit au bas des marches en attendant qu'ils aient fini.



Bélyl fronça une nouvelle fois les sourcils face à la réponse de la dame Bellanger mais ne répondit rien, d'abord parce qu'elle était visiblement trop butée pour entendre raison et ensuite parce qu'Alexandre eut le bon goût de s'en occuper. Elle cligna des yeux d'ailleurs quand le ton monta, de même qu'Irène. Elle n'avait jamais vu Alexandre aussi énervé et n'osait intervenir non plus. Après tout, qu'ils règlent leurs affaires, la tante et la nièce s'entendirent d'un regard pour se dire qu'elles n'écouteraient pas ces accusation parfaitement infondées.

Irène secoua la tête avec surprise en le voyant tout avouer quant à son mensonge. Bélyl savait déjà tout cela mais trouvait toujours l'histoire parfaitement invraimsemblable. Quoique... Donc la vraie raison,c 'était qu'il voulait protéger Tristan et non éviter que son oncle soit ridiculisé ? Elle ne savait vraiment plus quoi penser mais elle était sûre d'une chose. Tristan était quelqu'un de gentil et honnête, c'était son ami et il le resterait.

Quand il en vint à présenter ses excuses, Irène secoua la tête.

- Ce n'est rien, je peux comprendre. Tout va bien.

De toute façon, elle retournait à son travail de couture. Irène soupira. Quand est-ce que la bonne entente régnerait dans cette maison ? Peut-être jamais, elle devrait en ce cas s'y faire... Tant pis, elle serait résiliente et espérait au moin un jour régler les problèmes entre les enfants. Bélyl quant à elle se tourna vers Tristan.

- Tu n'as pas à me remercier, c'est normal. Tu es mon ami après tout !

Elle revint à Cassandre quand Grâce la lui présenta et sourit.

- Bonjour à toi aussi ! Je vais rester un moment alors j'espère apprendre à mieux te connaître !

Elle sembla alors reconnaître Tristan et ils s'échangèrent des paroles qui l'intriguèrent. Irène lui fit signe qu'elle lui expliqerait toutes l'histoire un peu plus tard, quand Grâce ne serait plus là notamment. Cette dernière sourit d'ailleurs à la réfléxion de Tristan.

- Oh oui, on est même une très très grande famille maintenant, comme avec maman et ses frères !

Irène sourit. Effectivement, la famille s'agrandissait. Elle caressa doucement son ventre en souriant, songeant que ce serait encore davantage dans les prochains mois.

Tristan ne sut que répondre aux marques d'amitié de Bélyl et lui rendit un sourire des plus tendres qui valait toutes les paroles de remerciement. Il accueillit d'une mine avenante l'arrivée de Grâce auprès de lui et son enthousiasme quant à cette famille nombreuse et paisible.

– Ah ça oui ! C'est qu'y faudrait presque repousser les murs ! Au moins, on s'tient chaud et on s'veille les uns les aut'. (Ses yeux alors tombèrent sur le ventre de plus en plus arrondi d'Irène : le nouvel arrivant s'annonçait.) Comment vous allez, Irène ?

Le garçon se dit qu'il allait falloir être aux petits soins et tous mettre la main à la pâte au cours des prochains mois. Tristan savait qu'il appartenait au Général Joseph désormais, mais il ne faisait aucun doute qu'il viendrait régulièrement rendre visite à sa sœur. Lui, ou Bélyl. Auquel cas le jeune esclave les accompagnerait et pourrait à ces occasions rendre service à Irène et ses enfants.
Cassandre le tira alors de ses pensées en présentant ses excuses. Tristan s'était empressé de dissiper autant que possible, chez la fillette, la culpabilité qui lui dardait encore le cœur. Elle avait obéi. Et eu peur. Cela était parfaitement humaine. Et puis, une fois dans cette cave... sans son secours moral il serait sans doute mort. L'enfant ne répondit rien. Et Tristan pouvait comprendre son trouble immense. Il n'insista pas et la laissa simplement retourner auprès de Grâce.

La journée là-dessus s'écoula. Tristan évitait aussi bien Alexandre que sa mère et il préféra s'occuper à des tâches diverses et variées. Aider Irène et Cassandre à la cuisine, plier et ranger des amis, assurer la belle présentation des produits mis en rayon dans la boutique, et autres travaux à sa mesure. Le garçon travailla avec sérénité, se sachant sous les bons auspices d'Irène et Bélyl.

Grâce rit de la remarque de Tristan pendant qu'Irène s'en amusait aussi, ravie que cela détende un peu l'atmosphère. Elle croisa les bras avec un sourire.

- C'est peut-être le plafond que nous pourrons pousser, je crois bien avoir découvert la trappe d'un grenier à l'étage. Il suffira de l'aménager un peu.

- Et oui, de toute façon, on aura chaud, comme des chatons !

Irène et Bélyl rirent doucement. Grâce et les animaux, surtout les chats, c'était quelque chose... Bélyl songea que c'était alors le bon moment et sortit de sa poche les cadeaux pour ses cousins. Elle donna un petit écrin à Grâce qui s'en émerveilla.

- C'est pour moi ? C'est vrai ?

Bélyl lui sourit.

- Bien sûr, ça faisait tellement longtemps que je ne vous avais pas vu, j'avais bien envie de vous faire des cadeaux !

Grâce lui tendit un grand sourire avant de lui sauter au cou.

- Merci !

Bélyl lui rendit son étreinte puis la laissa examiner la boîte avant de tendre le petit livre de lecture à Irène.

- C'est pour Ludovic. Quand il sera plus grand, s'entend, mais j'ai pensé que cela pourrait être bien pour lui !

- Merci beaucoup Bélyl, c'est une délicate attention.

Elle sourit à sa nièce avant de se tourner vers Tristan. Elle lui sourit, touchée qu'il s'inquiète pour elle.

- Tout va bien, je te remercie. Je suis parfois un peu fatiguée mais je pense que c'est normal, avec tout ce que nous avons vécu... Et puis, l'accouchement ne tardera pas à arriver, je suis persuadé que cela passera à une vitesse folle.

Elle sentait bien qu'elle disait aussi cela pour se rassurer. C'était différent de ses autres grossesses mais elle restait persuadé que c'était dû à la perte d'Antoine et à leurs nombreuses tribulations. Il n'y avait cependant aucun raison à ce que ça se passe mal. Elle fut tirée de ses pensées par le petit cri d'admiration de Grâce. Sa fille venait d'ouvrir le cadeau de Bélyl, découvrant un splendide bracelet en argent, orné d'une pierre bleue. Irène secoua la tête en posant ses mains sur les épaules de Grâce.

- Il ne fallait pas en faire autant voyons Bélyl...

- Oh non, non, non, rien n'est trop beau pour la famille de ma chère tante !

Irène secoua la tête. Bélyl avait le cœur d'or de son père, Tristan avait dû s'en apercevoir. La jeune fille ne se laissait pas de penser aux autres et de chercher à faire plaisir. Il n'était pas étonnant qu'elle soit si appréciée. Bélyl se réjouit elle aussi de l'effet de son cadeau avant que ses yeux ne tombe sur Cassandre. Elle se sentit soudain triste de ne rien avoir pour elle, d'autant qu'il serait inconvenant de ne pas lui souhaiter la bienvenue. Elle chercha quoi faire en se frottant machinalement le coup quand elle tomba sur la chaîne de son collier, une fine chaine d'argent qui retenait trois petits améthystes. Elle sourit aussitôt en la détachant pour s'approcher de Cassandre.

- Tiens, c'est pour toi. Ce sera mon cadeau de bienvenue pour ton entrée dans la famille !

Restée derrière Grace, Cassandre suivait la conversation entre Dame Irène et as nièce à distance et avec une légère appréhension. Elle s'appliquait, comme à son habitude, à retenir les informations en apparence banales. On ne savait jamais : cela pourrait servir à un moment ou l'autre. Béryl distribua ensuite des cadeaux pour ses deux cousins. Cassandre ne s'attendait pas à en recevoir. Un esclave n'avait le droit à rien, sauf à de la nourriture et éventuellement un couchage décent. Elle fut d'autant plus surprise quand al jeune fille retira son collier pour lui offrir.

Interdite, Cassandre contempla le bijou dans la main de Béryl et recula. Par instinct. Elle murmura d'une petite voix.

"Je ne peux pas le prendre. Je suis... esclave."

Elle leva les yeux timidement vers Dame Irène.

"A moins... Je peux le prendre ?"


Pendant le reste de la visite, Cassandre s'attacha au pas de Grace et aida à servir les invités en boissons. Elle prit l'initiative de préparer seule la soupe en veillant alors à ce que la fillette ne s'approche pas trop près. Elle restait le plus loin possible d'Alexandre et de Tristan. D'ailleurs quand le petit infirme approchait avec son fauteuil, elle s'écartait et prétendait chercher un instrument dans un placard pour ne pas risquer une nouvelle scène pénible.

Rosina resta sur sa chaise, la tête penchée sur son ouvrage de couture. Au contraire, désireux d'aider à apaiser l'ambiance, Alexandre s'approcha de Béryl et observa les cadeaux que al jeune fille offrait à ses cousins. Il se montrait même plus enthousiasme que la petite Grace.

"Oh ! Quel livre d'images superbe ! Bravo, Béryl, vous avez merveilleusement bien choisi ! Je peux me permettre de l'examiner ? Oh, regardez l'illusion de ce poisson pur la lettre P ! Elle est à la fois simple mais malgré tout bien réalisé ! Et ces couleurs.. Les couleurs sont chaudes ! Parfaites pour éveiller les sens d'un jeune enfant. Oh, Grâce, quel magnifique bracelet ! Monte-le un peu à ton poignet ! C'est parfait ! Comme il te va bien !"

Le jeune homme s'exprimait avec beaucoup plus d'emphase qu'à l'accoutumée, ce qui n'était pas peu dire. Il vit ensuite Béryl poser les yeux sur Cassandre et comprendre ne rien avoir pour elle. Son cœur se serra. La pauvre petite ! Que pourrait-on faire . A sa surprise, ravie, la jeune fille détacha son propre bijou pour l'offrir à sa nouvelle cousine. Alexandre sourit, touché par une si belle générosité, puis s’attrista de voir Cassandre, si jeune, si soumise, être incertaine de pouvoir l'accepter. Pauvre enfant ! il s'approcha et caressa gentiment ses cheveux.

"Mais oui, c'est un cadeau qu'on te fait et les cadeaux ne se refusent pas. Jamais."


Pendant le reste de la visite, peu habile du fait de ses béquilles à servir des boissons, Alexandre préféra rester sur sa chaise et participer à la conversation. Il essayait d'intervenir de manière calme, sans se faire remarquer, puis quand un long blanc s'installait se décidait à improviser un petit conte pour distraire les invités et éloigner l'ennui.

L'après-midi était déjà bien avancée quand Thierry se présenta, le visage las, épuisé, à la boutique de la Roza Azul. Le prêtre ressemblait bien plus à un cadavre qui aurait déambulé dans les rues, insensibles aux commérages, qu'à un homme. Après cette terrible rencontre dans une cellule glaciale avec sa malheureuse petite sœur, il avait eu besoin de s'accorder un long temps de repos. ses idées n'étaient plus claires. Beckie... Sa pauvre petite Beckie condamnée à la réclusion perpétuelle. Comment les choses avaient-elles pu si mal tourner en si peu de temps ? il était effondré. Saurait-il se remettre d'une pareille nouvelle ? Bien sûr. Beckie n'était pas morte, après tout ! Elle aurait au contraire besoin de tout son soutien et de ses visites régulières. Il ne l'abandonnerait plus. Elle ne serait plus seule.

Lorsque Thierry poussa la porte, il découvrit, surpris un monde entier dans la pièce devenue ridiculement petite vu tout ce monde. Il y avait assez peu de bruit mais suffisamment pour l'agresser. Une migraine pénible lui labourait les tempes et le lobe frontal depuis sa sortie de la prévôté. Il chercha en premier Irène et lui adressa un sourire. Rosina se tenait dans un coin et semblait coudre. Leur fils dessinait sur la table. Il y avait une autre fillette, un pu plus âgée, avec Grâce. Son regard se posa ensuite avec gêne vers Tristan en compagnie d'une jeune fille qu'il n'avait là aussi jamais vu. Il lui semblait cependant reconnaitre un trait ou deux d'Irène. Une nièce ? Une cousine ?

"Bonsoir."

Il prononça la salutation d'une voix épuisée, sans souci de politesse, puis, malgré les convenances, s'en alla vers Tristan en premier.

"Comment vas-tu, mon garçon ? J'ai entendu dire que tu avais été enlevé. Du fait de ma propre sœur. Je t'en présente des excuses au nom de notre famille. Beckie... Tout ceci est ma faute. Si je n'avais pas été lâche toutes ces années, j'aurai fait tout pour la retrouver ces événements n'auraient pas eu lieu. Je suis sincèrement désolé. Décidément, il faut toujours que tu subisses les conséquences de mon égoïsme."

Élargir la maison par le plafond ! Cela ressemblait presque à ce passage des Évangiles, où Jésus se trouvait dans une maison si bondée qu'un groupe de visiteurs ouvrit le toit de la demeure pour y faire descendre leur ami infirme, afin qu'il rencontre le Seigneur. L'analogie amusa Tristan.

-- Eh bien vous m'prenez au mot Irène !

La remarque de Grâce l'attendrit et le petit esclave lui adressa une sympathique accolade. La maison des chatons ! Il y avait un peu de cela, dans cette boutique de la Roz Azùl. L'enfant serait toute folle si un jour elle venait à croiser et recueillir un de ces nombreux chats errants dont ces rues regorgeaient. Combien de fois, sous les ponts, Tristan en avait-il eus entre les bras le temps d'une nuit ! La tendresse de leurs ronronnements lui tenait alors chaud au cœur, autant que le contact de ces adorables boules de poils au milieu des froids mordants de ces soirées à la belle étoile. Il observa, avec l’enthousiasme d'un enfant devant la joie des uns et des autres, la distribution des cadeaux à laquelle s'adonnait Bélyl. Le petit bracelet à la perle bleue pour Grâce d'abord. Tristan applaudit et, se penchant vers la petite, lui assura dans un large sourire :

-- Il te va à merveille.

Ce fut ensuite le collier offert à Irène qui attira son attention artistique. Tristan aimait contempler les couleurs, les courbes des perles, les agencements de chaque nouveau bijoux à croiser son regard. Autant d'opportunités de nourrir sa propre inspiration ! Après tout, lui aussi pourrait à l'avenir composer des parures pour toute cette belle famille. Pour Bélyl notamment, qui semblait déjà si enthousiaste pour ses talents. Enfin, le livre d'images intéressa le garçon et il s'approcha pour essayer d'y poser les yeux. Mais Alexandre venait de le saisir, non sans assortir son feuilletage des nombreux commentaires plein d'entrain dont il avait le secret. Tristan préféra donc se désintéresser de l'ouvrage pour s'éloigner de son ancien amant. Tant pis. Il prendrait le livre pour le regarder à son tour un peu plus tard.
Quelle tristesse cependant que d'entendre Cassandre prête à refuser le cadeau de Bélyl... Parce qu'elle était esclave. Le petit infirme en eut le cœur serré et, comme il se trouvait encore près d'elle, lui glissa après l'intervention d'Alexandre :

-- Y a pas d'esclaves sous ce toit. Et tu mérites des cadeaux comme n'importe qui.


Chacun avait vaqué à ses activités jusqu'à la fin de cette journée. Non sans une certaine tristesse, le jeune infirme sentait bien que Cassandre le fuyait encore. Pourvu qu'avec le temps, ils puissent s'apprécier tous deux et nouer une belle amitié. Pourvu que la culpabilité de cet enlèvement, de ces maltraitants auxquelles elle n'avait pas eu d'autre choix que d'obéir, finisse par la quitter. Tristan admira l'habileté de la fillette à cuisiner, à servir, avec une logique et une efficacité qui en disaient long sur la maturité qu'elle avait dû développer. Le petit esclave s'arrangea pour se charger d'autres tâches dans la maison, loin de Cassandre. Autant ne pas la brusquer. Les choses se feraient d'elle-même. Tristan s'employait donc à ranger certaines étagères du rez de chaussée, à faire la poussière, à éplucher des légumes.
Le soir était bien installé quand la porte de la demeure s'ouvrit sur une silhouette familière. Le père Thierry. L'invalide ne saura pas vraiment dire s'il était heureux ou contrarié de le voir, après tout ce qui était arrivé. Après un bref pincement de lèvre, Tristan prit le parti de la neutralité et appela à travers la maison :

-- Irène ! Le père d'Anjou est là !

Cette dernière arriva, le curé la salua d'un pâle sourire. Tristan avait immédiatement noté l'air blafard du visiteur. Il ressemblait à un cadavre ! Les derniers jours avaient du être si éprouvants pour lui aussi. Un tel état fit de la peine au garçon, malgré toutes les crasses qu'il devait au roublard en soutane. Or contre toute attente, celui-ci s'approchait maintenant de lui. Tristan se crispa, mais ce furent des mots d'une grande politesse... et surtout des excuses qui sortirent de sa bouche. L'esclave demeura interdit quelques secondes. Il... ne s'y attendait pas, mais ces mots lui mirent du baume au cœur. Les pires hommes pouvaient donc évoluer. Il l'écouta parler de Beckie, de la folie qui s'était emparée de la famille, de la déchéance dans laquelle était tombée cette sœur et que Tristan avait eu les malheureuses occasions de constater.

-- Je... Mon Père... C'est...

Les paroles de l'invalide s'effilochaient. Il ne savait en vérité pas bien quoi dire. Ah ça ! Il était vrai que le prêtre leur avait attiré des ennuis, à Alexandre et lui. A son propre fils d'abord en le négligeant. Et en ne prenant pas assez au sérieux sa sœur Beckie, en ne sachant pas voir la folie qui s'était installée en elle pour la laisser peu à peu glisser vers de telles horreurs... Clairement, Thierry n'avait pas été le meilleur des frères pour elle. Et ensuite, à Tristan. Il se rappelait encore de leur première rencontre, en compagnie de la Sœur Hilde et de Lénius, et des injures du curé envers les deux invalides. Ils n'était pas partis du bon pied, c'était le moins que l'on puisse dire ! Et puis ces derniers jours... Thierry n'avait pas hésité à faire régulièrement l'éloge d'Alexandre et à descendre injustement Tristan, pour le seul désir de protéger exclusivement son fils au détriment de son jeune compagnon... Pouvait-il lui pardonner tout cela ? Tristan ne le savait pas encore. La confiance, elle aussi, risquait de prendre du temps à revenir. Malgré tout, il ne voulut pas donner de signe d'hostilité et se fendit néanmoins d'un petit :

-- M... Merci. Ça m'touche que vous l'disiez. Et puis... Z'inquiétez pas, maint'nant on est là, tous les deux, Alexandre et moi, dans une famille merveilleuse et aimante. Alors... j'espère que tout va pouvoir r'partir autrement.

Certaines choses cependant ne seraient pas réparées. Beckie avait été arrêtée. Tristan connaissait maintenant sa véritable identité, son lien avec Thierry, les folies qu'elle avait commises pour ce projet non moins fou de rééduquer Alexandre. Il savait où cela venait de la mener et imagina l'immense douleur que pouvait ressentir son frère. Pris d'un élan de compassion, malgré tout ce que le curé avait fait subir au petit esclave, il lui adressa un regard adouci. Quant à Beckie... Les pupilles dorées de Tristan brillèrent soudain d'un bien mauvais pressentiment. Il voyait... des ombres, sentit son souffle manquer, entendit le balancier du pendule d'une horloge, comme une faux, comme un pendu... Le petit esclave secoua la tête. Pour Blanche, ce serait funeste. Il préféra cependant garder tout cela pour lui, ne rien confier à Thierry de ce qui venait de lui traverser l'intuition.

Irène rit elle aussi avec Tristan et acquiesça à sa remarque. Grâce se tourna aussi vers lui et apprécia son compliment, tout comme celui d'Alexandre. Irène pour a part laissa le livre à Alexandre qui se mit à babiller comme un enfant. Elle pencha la tête. Tenterait-il de détendre l'atmosphère. En tous cas, il parlait beaucoup... Toute cette agitation commençait en conséquence à la fatiguer.

Bélyl pour sa part se contenta d'un hochement de tête avant de revenir à Cassandre. Elle s'étonna de sa réaction. Pourquoi était-elle si réticente ?

- Bien sûr que si, il est pour toi !

Irène hocha doucement la tête quand Cassandre la regarda et laissa Bélyl faire. La jeune fille passa derrière Cassandre et lui mit elle-même le collier.

- Et voilà ! Tu es parfaite, regarde.

Elle prit un miroir sur une vitrine et lui montra. Elle approuva d'ailleurs la remarque de Tristan qui tombait à point nommé et sourit, espérant que sa nouvelle cousine apprécie son cadeau.


Grâce était contente qu'ils aient tant de monde à la maison et avait secondé Cassandre autant que possible, même si elle ne comprenait pas que Cassandre esquive presque tout le monde. Elle la regardait préparer le souper et leva ses grands yeux vers elle.

- Dis... T'es sûre que ça va ?

Bélyl était resté pour sa part avec sa tante, demandant des nouvelles et en donnant. Elle adorait sa conversation, chérissant ces instants auxquels elle n'avait pas goûté depuis trop longtemps. Elle s'ennuyait parfois tant chez elle, maintenant que Jeanne n'était plus là. Quel bonheur d'être à la capitale, de goûter son animation, la liberté ! Les filles tournèrent alors la tête lorsqu'elle apprirent que le père Thierry arrivait. Irène voulu se lever mais Bélyl la retint avec un sourire.

- Reposez-vous, ma tante, j'y vais.

Irène leva quand même la tête, surtout en apprenant qui c'était. Elle eut un coup au cœur en voyant son ami si mal en point. Elle lui sourit tout de même.

- Bonsoir.

Bélyl sourit et inclina la tête vers le nouvel arrivant, notant aussi son air dégradé. Qu'avait-il bien pu lui arriver pour qu'il soit dans un état pareil? Elle ne montra rien cependant pour rester polie.

- Bonsoir mon père. Je suis ravie de vous rencontrer, je suis Bélyl Cassin, fille de Joseph Cassin et nièce d'Irène.

Il se tourna alors vers Tristan et commença à lui présenter des excuses. En entendant tout cela, les yeux de Bélyl s'agrandirent. Tristan avait été enlevé ? Grand Dieu... Elle se tourna vers sa tante qui soupira, la tête basse à l'évocation de ces pénibles souvenirs. Elle se souvenait l'inquiétude, les nuits blanches... Tout cela pour un complot qui n'avait ni queue ni tête... Elle se massa d'ailleurs un peu les temps en repensant à tout cela. C'était pourtant quelques jours auparavant mais cela lui semblait à des années lumières de leur situation actuelle. Elle fit comprendre à sa nièce qu'elle lui expliquerait plus tard. Bélyl sourit lorsque Tristan affirma que sa famille était aimante désormais. Elle ne dit rien mais posa ses mains sur ses épaules pour l'assurer qu'elle était là, en effet. Irène pour sa part chercha à capter le regard du père Thierry pour lui assurer que s'il avait besoin de parler, elle était là.

Le temps passa tranquillement et Alexandre le lassa tranquillement s'écouler tout en dessinant et en aidant parfois la conversation à redémarrer grâce à l'une de ses anecdotes énergiques. Rosina demeura en retrait et continua son ouvrage de couture. Lorsque Thierry parut au seuil, elle ne releva pas la tête, éprouvant cependant une satisfaction intérieure de le savoir libre. Leur fils avait besoin de lui. Pour le reste, elle s'en moquait bien présent. Les quelques sentiments qui substituaient de leur ancienne passion n'existaient que grâce à Alexandre. Elle se redressa, arborant une mine contrariée, en entendant le prêtre s'adresser de manière aussi compatissante à ce diable de Tristan. Même lui se laissait prendre ? Décidément, ce démon roulant savait s'y prendre pour ensorceler gens ! Elle garda cependant le silence. Elle était la seule à voir clair dans le jeu du petit infirme.

Au contraire, dès l'apparition du père Thierry, Alexandre releva la tête, heureux de le savoir enfin libre. Il se leva et reprit ses béquilles pour le rejoindre. A son étonnement, Il le vit s'adresser à Tristan et présenter des excuses. Plusieurs remarques ironiques lui vinrent aussitôt mais il les retint. Cela gâcherait le beau moment. Le jeune homme attendit la fin de l'échange puis vint finalement se jeter conte son père.

"Papa !"

Il l'étreignit avec un élan sincère affectif puis releva la tête.

"Je suis désolé pour ce qui s'est passé. Pardon."

Il soupira.

"Si j'avais pas fait mes bêtises, si j'étais pas devenu esclave, ma..; tante n'aurait pas. je suis désolé."

De temps en temps, Cassandre regardait le collier que l'on avait passé au cou mais se sentait encore mal à l'aise. Elle n'était pas habituée à porter des bijoux. ni à recevoir autant de gentillesse. out ce monde, cette famille.. Elle ne sentait pas à sa place. Alors elle se rattachait à ce qu'elle connaissait : servir.  Son attitude sembla paraitre étrange à Grâce qui vint lui demander si ça allait. Elle répondit d'un petit air embêté.

"Non, c'est rien. c'est juste.. j'ai pas encore l'habitude, c'est tout."

Alors qu'ils s'apprêtaient à passer à table, un prêtre arriva. Cassandre tiqua puis reconnut celui de Saint-Eustache. C'était un ami de Dame Irène ? Il avait un air terrible? Fatigué.Las. En même temps, trois jours en prison, c'étaient pas des vacances ! Ils l'avaient torturé à la prévôté ? On pouvait torturer un prêtre ? Peut-être.. Si on le soupçonnait de pratiques hérétiques, sans doute même. Il s'avança vers Tristan et présenta des excuses. Il s'était mal comporté avec lui , Qu'est-ce qu'il  avait fait au juste ? Cassandre commençait à avoir un peu trop de questions en tête et pas assez de réponses. C'était frustrant. Ils évoquait sa sœur, Beckie... C'était qui ça ? Elle entendit Alexandre pleurnicher - Quel gamin ! - et dire sa tante. Sa tante... Ils parlaient alors de Blanche ? Blanche.. Beckie, c'était le vrai nom de Blanche ? Blanche... Elle avait du mal à comprendre ce qui lui était arrivé. Comment on pouvait être gentille puis perdre toute raison d'un coup. C'était pas logique.

Il lui faisait mal au cœur ce curé.

Cassandre s'avança, penaude et murmura :

"J'ai connu Blanche. J'étais servante au Lupanar. elle était très gentille et me faisait prendre un bain avec elle quand j'étais trop sale. Elle savait pas que vous étiez encore en vie vous savez. Elle vous croyez mort pendant son enfance. C'est ce qu'on lui a dit. Elle disait qu'elle devait s’évertuer à être une bonne âme pour gagner sa place au Ciel et vous rejoindre quand Dieu la rappellerait."

C'étaient que des mensonges. Mais le curé pouvait pas savoir. Si ? Tant pis. Au moins, elle aurait essayé. Il lui faisat vraiment trop mal au cœur ce curé.

A la suite de son mea culpa, Tristan se montra sincèrement ému et Thierry garda la tête baissée, humble. Que pourrait-il ajouter Il avait énormément fauté envers ce pauvre petit infirme. il fallait espérer que leurs relations puissent devenir meilleures. Du restes, elles pourraient au moins difficilement être pires. Là-dessus, Alexandre vint se jeter dans ses bras dans ses bras et il l'étreignit avec une joie sincère, heureux de le savoir là, en bonne santé.

"Je vais bien, mon garçon.

Il soupira en l'entendant s'excuser pour tout ce qui s'était passé.

"Tu n'as rien à reprocher. Ce n'est pas faute. Et même si ça l'est, eh bien, je te pardonne pour tout ce que tu auras pu faire."

Le prêtre se pencha pour l'embrasser dans les cheveux lorsque son attention fut retenue par une fillette qu'il ne connaissait pas. Une nièce d'Irène ? Ses sourcils se froncèrent quand elle évoqua avoir travaillé au Lupanar. Une enfant aussi jeune un lieu de prostitution ? Quelle ignominie ! Il lâcha Alexandre et s'accroupit à sa hauteur pour entendre la suite de son message au sujet de sa sœur. Elle était gentille, douce, généreuse, elle le croyait mort... Ses capacités d'observations étaient pour aujourd'hui éteintes. il ne sut pas déceler le mensonge de la fillette et la crut sincère. Thierry lui sourit et l'embrassa.

"Merci."

Il se releva et entendit Béryl s'adresser à lui.

"Ah ? Vous êtes la fille ainée du Général Cassin ? Enchanté vous rencontrer. Je suis le père Thierry d'Anjou de l'église Saint-Eustache. Votre père m'a beaucoup aidé il y a deux jours. C'est un homme que j'estime beaucoup. Vous avez de la chance d'avoir un aussi bon père, mademoiselle."

Sur ce, il s'inclina puis se tourna enfin vers Irène.

"Bonsoir Irène. Je suis navré pour tous les ennuis que j'ai pu causer. Je pourrais m'excuser mais nous savons toux deux que vous n'aimeriez pas cela, n'est-ce pas ?"

Il lui adressa un petit sourire cocasse à cette légère pique.

"J'ai reçu une sanction légère. je dois partir à Iscwhizz à la fin du mois pour aider à al construction du caserne. J'ai l'intention d'amener avec moi Rosina pour trouver là-bas un couvent qui la mettra à l'écart de son époux. Nous prendrons Alex aussi bien sûr. Que penseriez-vous si je les prenais dès ce soir ? Vous avez de la famille et diminuer les personnes présence vous allègera. Il faut songer à vous ménager."

Sur cette dernière phrase, il se pencha vers Grâce.

"Qu'en dis-tu ? Ta maman ne se repose pas beaucoup, tu ne crois pas ?"