[RP Flashback] Fin Février 1597 - Pour la survie d'une enfant [Terminé]

Spoiler:

En ces mois hivernaux terribles, le soleil faiblard ne passait pas au travers dans l'épaisseur de ces arbres noueux. L'absence de leurs feuilles les rendait plus effrayant encore. Louise tremblait. Que faisait-elle là, si éloignée de la sécurité réconfortante de la capitale ? Des loups devaient l'attendre, tapis dans l'ombre. Quand lui sauteraient-ils à la gorge pour se repaître de sa maigre chair. Et s'il n'y avait que les fauves... On racontait d’inquiétudes histoires sur les brigands qui dévaliseraient quiconque pénétrait en ces lieux ou des esclaves fugitifs qui tueraient sans pitié les citoyens monbriniens qui se présentaient à eux. Toutes les rumeurs folles s'agitaient en elle. En temps ordinaire, Louise n'y prêtait pas attention et considérait ces racontars comme des fables largement exagérées par la peur des voyageurs et la méchanceté des gens. Mais, aujourd'hui, dans cette forêt, elle ne se sentait pas si rassurée.

Seule la présence chaude de la fillette chétive sur son dos, aux limites de la conscience, l'empêchait de fuir. Si elle n'agissait pas, Cassandre mourait. Sans que quiconque se soit soucié véritablement de son sort d'esclave. Dès les premiers signes de la maladie, elle l'avait placée à l'écart, loin de tout passage, sans soin, couchée à même le sol. Seule sa chère Isabelle s'était approchée pour lui apporter une couverture et tenter de lui faire boire un peu de bouillon. Cassandre buvait cependant très difficilement et son front continuait de chauffer. Isabelle avait renoncé et se contentait de la veiller en attendant que la fillette ne rende l'âme.

Louise ne voulait pas renoncer. Une enfant aussi jeune ne pouvait s'éteindre si tôt, si lamentablement. Ce n'était pas juste ! Elle s'était alors souvenue de rumeurs sur un sorcier guérisseur vivant quelque part dans cette forêt. On le disait efficace et compétent. Le plan étai hasardeux. Mais que faire d'autre ? Ce serait toujours mieux que de rester agenouillée devant le corps de la petite, à prier inutilement !

"Courage, Cassandre, tout ira bien."

Sa main serra le précieux colis sur son dos. Louise continua à progresser dans la forêt obscure, les bottes dans la neige profonde. Elle luterait de toutes ses forces pour trouver ce sorcier et un remède.


Cassandre ressentait difficilement les choses autour d'elle. Ses yeux voyaient flous. Tout était brouillé. Elle percevait du mouvement. Son corps était serré contre celui d'un adulte. On la portait. Pour aller où ? Elle avait chaud. Très chaud. Pourquoi cette couverture la recouvrait-elle ? Elle aurait voulu l'enlever mais ses bras étaient trop faibles. Elle avait mal. Partout. Ses muscles étaient engourdis et la tiraient. Elle était faible. Si faible. Elle se sentait mourir. Elle le comprenait peu à peu. Ses paupières se fermaient lentement alors que sa tête restait posée contre ce dos réconfortant. Elle mourrait, oui. Elle allait monter au Ciel et connaitre enfin sa maman.

En cette fin d'après-midi, Hyriel terminait ses recoltes hivernales, assis sur un petit bout de roc dont il avait ôté la neige. Son sac était déjà plein de diverses herbes qu'il avait pu trouver et il terminait de récolter des pousses de bardane, prêt à les nouer en bottes, sans oublier de pester contre ces herbes qui lui collaient aux gants.

Il fronça les sourcils et leva les yeux. De sa récolte, interrompant son geste. Oui, il avait bien entendu des pas dans la neige et un souffle haletant... Il repéra une silouhette étrange entre les arbres. Il plissa les yeux pour essayer de préciser ce qu'il voyait et se rendit compte que c'était une femme qui portait une enfant. Sa fille sans doute. Comme elle s'approchait, il vit que l'enfant semblait bien mal en point.

Son instinct de guérisseur le décida à se faire remarquer.

"Tout va bien, Madame ?"

Il voyait bien que non mais c'était là une phrase banale pour ne pas la brusquer, la meilleure chose à dire dans ces cas là.

Louise continuait de progresser, le dos ployé sous le poids de la fillette. Malgré sa maigreur, celle-ci représentait quand même un fardeau peu agréable pour l'échine. Ses regards inquiets guettaient toutes les directions. Où se trouvait-elle au juste ? Elle était perdue. Avait-elle bien fait de se lancer dans cette quête si vite ? Elle aurait peut-être dû chercher un peu plus d'informations. Mais qui aurait accepté de parler d'un sorcier guérisseur en pleine journée ? il y avait toujours le risque qu'un prêtre surgisse dans le dos et se courrouce de ces pratiques païennes. Louise respectait la pratique religieuse et était assez croyante, mais ne partageait pas les dérives du dogme. Pourquoi se priver de remèdes qui fonctionnaient mieux que banales prières ?

Perdue dans ses pensées, cherchant à trouver un chemin, Louise ne perçut pas tout de suite l'approche du nouveau venu. La voix la fit sursauter. Par réflexe, elle recula puis contempla l'homme. Il ne paraissait pas bien dangereux, surtout appuyé sur ces béquilles. Serait-ce un malheureux qui vivotait de cueillettes ? Elle passa la main à son aumônière et lui tendit trois pièces.

"Tenez pour vous. Un repas chaud en cette période hivernale vous fera plus de bien."

Une toux violente de Cassandre dans son dos la fit sursauter. Elle fixa l'homme. Savait-il peut-être où trouver le sorcier ?

"Excusez-moi, je cherche le sorcier qui vivrait dans cette forêt. En ville, on raconte qu'il peut guérir les maladies. En avez-vous entendu parler ? Pourriez-vous m'orienter ? Je vous prie, si je ne le trouve pas au plus vite cette petite... Cette petite va mourir."

Hyriel vit son mouvement de recul mais ne s'en formalisa pas. Elle n'était pas la première et elle ne serait pas la dernière. Il fronça les sourcils en la voyant fouiller dans sa bourse et lui tendre des pièces. Il n'avait encore rien fait pourtant, d'où venait cette pratique de payer avant même de demander le service ? Il sourit en comprenant. Naturellement. Être en béquille, une vieille besace sur les épaules et les gants ornés de bouts de bardane récalcitrant ne jouaient pas en faveur de l'image honorable de la profession.

Il sursauta également en entendant la toux de la fillette. Il avait visé juste. Il se retourna vers la femme et ses yeux où se mêlaient inquiétude et tristesse. Elle n'avait rien de ces nobles corrompus qui ne pensaient qu'à aller massacrer les royaumes voisins, elle tenait plutôt des pauvres gens qui vivaient sous leur coupe. L'élan de sympathie qu'il ressentit aussitôt pour elle lui fit secouer la tête avec un sourire doux.

"Allons, gardez vos pièces et suivez-moi. Je suis celui que vous cherchez même si je n'en ai pas l'aspect. Nous allons vous mettre au chaud et je vais m'occuper de votre fille."

Accompagnant sa remarque d'un signe de tête l'invitant à le suivre, il reprit le chemin de sa modeste demeure.

Quand il arriva, il vit de la fumée sortir de la cheminée. Parfait, les autres étaient là également. Il s'appuya de l'épaule près de la porte et frappa celle-ci avec le bout de sa béquille. Aussitôt, l'un de ses compagnons, le plus jeune, âgé d'à peine vingt ans et au visage tout juste adulte, vint leur ouvrir. Il comprit d'un seul regard la situation et ouvrit grand la porte pour laisser passer la femme et la fillette. Hyriel invita également de la tête à entrer.

"Après vous, Madame."

Louise eut un élan de joie en entendant l'homme révéler être celui qu'elle cherchait. Elle faillit même bondir. Elle ne s'était pas trompée en choisissant d'écouter les rumeurs. Sa main serra le dos brûlant de Cassandre. Cette petite serait sauvée. Oh oui ! Elle voulait y croire !

"Veuillez pardonner ma méprise. Je vous suis, oui, il n"y a pas de temps à perdre."

Elle n'eut pas de mal à emboîter le pas de ce sorcier infirme, elle qui marchait rapidement. Ils arrivèrent à une petite hutte où un tout jeune homme leur ouvrit. Elle le salua poliment puis entra, sans peur, à l'intérieur. Sans attendre une quelconque permission, Louise plaça Cassandre au plus près de la cheminée, retirant la couverture. Son front était si chaud. Elle transpirait et sa respirait sifflait de manière bien inquiétante. Dans un demi-sommeil, aux limites de la conscience, Cassandre gémissait.

Louise tourna la tête, cherchant le sorcier.

"Vous pouvez vraiment la sauver ? Au fait, je me nomme Louise. Je travaille... dans un bordel. Comme prostituée. Et Cassandre... Cassandre n'est pas ma fille. C'est une esclave qui nous sert de servante. Tout le monde a déjà renoncé à elle, dès les premiers signes de maladie. Mais moi, moi, je ne veux pas la voir mourir. Je ne veux pas. Cette petite... Cette pauvre petite... je vous en supplie, sauvez-la !"

Elle était tombée à genoux et suppliait le sorcier, prête à exaucer la moindre requête si cela permettait de sauver la vie de cette enfant.

Hyriel entra juste après elle et referma la porte. Ses deux autres compagnons avaient déjà commencé à tremper un chiffon dans de l'eau pour lui humidifier le front. Hyriel écouta la supplication de la femme. Une prostituée et une esclave, décidément c'était pire que ce à quoi il pensait. La peste soit de leurs exploiteurs. Il fit signe au benjamin de la bande de s'occuper de relever Louise et de l'asseoir à leur table. Son grand frère servit, lui, un bol de soupe à la dame pendant qu'Hyriel se dirigeait vers les étagères pour prendre quelques herbes. Les symptômes que la petite affectait semblaient ceux d'un mal d'hiver mais à un stade avancé... Il entreprit d'interroger la femme ce faisant.

"Je vais m'en occuper, ne vous inquiétez pas. De votre côté, renseignez-moi, je vous prie. Depuis combien de temps est-elle malade et quels soins a-t-elle reçu avant que vous ne veniez me trouver ?"

Il tira alors un tabouret avec sa béquille et s'assit dessus, en face de Cassandre, pendant que le troisième compagnon terminait d'accrocher un petit sceau d'eau au dessus du feu et qu'Hyriel commençait à réduire ses herbes en poudre dans un mortier, attendant la réponse.

A la surprise de Louise, le sorcier ne semblait rien demander au contraire de ce que les rumeurs affirmaient. Certaines disaient même qu'il faisait payer le prix d'une vie par une autre vie lors d'un sacrifice rituel un soir de pleine lune. C'était sas nul doute exagéré. Les esprits crédules avaient cette fâcheuse tendance à combler le vide par des fadaises. Elle se laissa relever puis asseoir à une table. Malgré elle, elle goûta la soupe. Elle était délicieuse et incroyablement réconfortante après cette logue marche en forêt dans le froid mordant de l'hiver.

Au même moment, le sorcier semblait occuper à préparer des herbes près de Cassandre. Elle remuait si faiblement et sa poitrine bougeait fort chaque fois que la pauvre enfant devait tousser.

Lorsqu'on lui demanda quels soins Cassandre avait reçus, Louise poussa un long soupir :

"Des soins ? Quels soins ? Cette enfant est une esclave ! Comme si on appellerait un médecin pour elle ! La seule chose qu'on a pensé en la voyant malade, c'était la contagion et on lui a ordonné de se mettre à l'écart et d'y rester. D'y mourir, oui ! Elle..."

Louise s'interrompit, soudain gênée de sa colère.

"Pardon. Vous ne méritez pas, vous, ces reproches. Les gens du Lupanar l'ont ignorée. Comme si elle était déjà morte. Seule mon amie et moi avons essayé de la soigner. Nous nous relayons à tour de rôle pour lui faire boire régulièrement du bouillon et mouiller son front et sa nuque. Mais ces derniers temps, le mal semble progresser. Isabelle pense qu'elle va mourir. Elle est restée une journée entière hier pour l'aider à prier. J'ai eu ensuite cette idée, me rappelant de rumeurs d'un sorcier dans la forêt qui soignerait les maladies. Je n'avais rien à perdre. Alors..."

Louise fixa avec intérêt le sorcier qui continuait sa préparation.

"Elle est exploitée quotidiennement. La nuit, elle doit participer aux soirées et sert en salle les clients en boisson et nourriture. La journée, elle doit faire ménage, cuisine et courses. Elle mange très peu, dort peu. Mon amie et moi essayons de lui offrir de temps en temps le luxe d'un repas ou d'une heure de repos. Mais elle a tant de mal à se détendre, stressée que ses maîtres la surprennent. pauvre, pauvre enfant."

Hyriel maugréa en entendant la réponse de la femme. Ils étaient tellements hautains et dédaigneux à l'égard du petit peuples qu'ils abandonnaient un "objet" dès qu'il était fêlé pour qu'il ne fêle pas les autres.

Sentant qu'elle s'emportait dans la détresse, le jeune acolyte qui leur avait ouvert posa main sur son épaule, adjoignant à ce geste un sourire réconfortant.

Bon, au moins, elle avait été veillée et rafraîchie, c'était déjà une bonne chose. Il secoua la tête en entendant les traitements de la fillette. Cela ne l'étonnait guère. Non seulement ils jetaient à la moindre fêlure mais en plus, ils ne faisaient rien pour les prévenir, au contraire même, ils les encourageaient. Quelles pourritures...

Il termina de reduire les herbes en poudre et transféra le produit dans un tissu pendant qu'un de ses compagnons transvasait l'eau chaude dans un bol. Hyriel laissa infuser les herbes à travers le tissu. Pendant que cela ce faisait, il se tourna vers Louise avec un air grave mais rassurant.

"Tout d'abord, je tiens à vous rassurer quant à cette petite : elle s'en sortira. Pas brutalement mais en lui faisant boire une infusion comme celle-là – je vais vous en donner la recette et quelques herbes – une à deux fois par jour, son mal ira décroissant. Pour le reste... Je sais bien que vous n'avez pas forcément de grande influence qur ceux qui dirigent votre établissement mais si jamais il leur venait à l'idée d'embaucher un voir deux autres esclaves, ce serait faire preuve d'une meilleure gestion... Enfin. Qui sommes-nous, pauvres parias, pour oser conseiller les dieux ?"

Il secoua la tête et revint vers le bol. Il ôta le tissu qu'un de ses acolytes récupéra pour le poser ailleurs et il présenta le bol à Cassandre, rendant son visage et sa voix les plus doux possible.

"Bois donc cela doucement, mon enfant. Veille à ne pas te brûler et tu iras mieux."

L'aventure et la peur connues en forêt avaient eu raison des nerfs de Louise qui flanchait ici désormais en sécurité dans cette modeste chaumière. Les émotions remontaient et s'évacuaient. un des commis du sorcier l’aida à s'apaiser. Elle se calma peu à peu puis se remit à apprécier la soupe. Elle était si bonne. Elle en adressa quelques compliments au jeune homme.

Tout en buvant, Louise observait les gestes sûrs et habiles du sorcier à préparer le remède. Il savait quoi faire. Avec certitude. Il n'était pas comme ces médecins qui tatillonnaient dont les résultats tenaient parfois plus du hasard que de leurs compétences. Elle l'écouta se tourner vers elle et émettre des recommandations. Du bon sens. Louise soupira.

"Les tenanciers de l'établissement sont radins. ils ont acheté cette enfant car elle était bien moins chère qu'une servante adulte. Et, bien sûr, moins rebelle. Un enfant se modèle bien mieux qu'un adulte, n'est-ce pas ? Ou plutôt, comme ils disent, on le dresse mieux. Ils n'écouteront jamais aucune requête pour elle. Ils la considèrent déjà morte. Ou elle est en état de travailler et travaille ou elle reste loin de leurs yeux. il n'y a aucune demi-mesure."

Louise contempla en silence, les yeux humides, le sorcier s'approcher de Cassandre qui continuait de gémir faiblement. Il lui proposait de boire le remède mais l'enfant était bien trop faible. Sa conscience se relâchait de plus en plus. Un des commis s'avança pour relever avec douceur la tête de la petite patiente puis contribua à lui faire avaler lentement, très lentement le liquide salvateur.

Nerveuse, Louise observa Cassandre ingérer la potion et se signa tout en récitant une prière pour la guérison de cette Enfant. La scène était cependant touchante et lui faisait penser à quelque chose. Elle se tourna vers le sorcier.

"Excusez-moi, monsieur, mais il me vient une idée. Vous la trouverez peut-être... directe. Et si vous gardiez Cassandre une semaine, le temps qu'elle se remette ? Mon amie et moi n'avons pas toujours le temps de nous occuper d'elle. Les contraintes du... travail. Or, vous, avec vos employés... il y aurait toujours quelqu'un pour la veiller. Et elle pourrait se reposer. Qu'en dites-vous ?"

Elle sortit à nouveau sa bourse.

"Je paierai bien sûr une pension pour les frais de bouche. "

Un pareil entretien serait sans doute une fortune. Tant pis. Elle enchainerait cette semaine, pour une fois, de très nombreuses passes en dépit de sa répugnance pour les hommes. Si cela pouvait sauver Cassandre, Louise acceptait le sacrifice.

Hyriel arqua un sourcil aux explications de la femme. Bien évidemment. Un esclave docile est mieux que tout et un esclave malade ne sert à rien. Tout pour moins dépenser et se faciliter la gestion. Il se contenta de secouer la tête à la fin de son explication. Plus elle parlait, moins il aimait les nobles hautains de ce pays – de ce Saint-Empire – et plus il désirait leur mettre des bâtons dans les roues.

C'est bien ce qu'il se disait : la petite était faible au point de ne pas pouvoir prendre le bol. Pouvait-elle même le percevoir ? Heureusement, ils savaient que faire et l'un des acolytes de l'herboriste aida l'enfant en lui inclinant la tête. Bien, elle pouvait encore boire. Doucement toutefois, et surtout pas tout. Il ne fallait pas la brûler. Il abaissa rapidement le bol, il lui en redonerait plus tard.

Il se retourna vers Louise à sa proposition.

"Vos gérants ne s'étonneront pas de ne plus la voir ? Certes, elle ne risque rien ici et il n'y a aucun problème pour que nous la gardions, ce serait même mieux en effet, mais... vous risqueriez d'en souffrir de votre côté, j'espère que vous en êtes consciente."

Quand elle sortit sa bourse, peu grande, Hyriel consulta du regard l'un de ses amis qui se contenta pour répondre d'un discret signe de tête. Hyriel se retourna alors vers Louise en repoussant sa bourse.

"Nous avons assez pour nourrir une quatrième bouche souffrante. Gardez votre argent. Je sais comment vous le gagnez et il est hors de question que nous vous y forcions sans raison."

Louise entendit la réponse du guérisseur d'un regard triste.

"Non, ils ne s'en soucieront pas. Ils sont radins mais ont en plus une peur terrible des maladies. Si on leur expose que Cassandre est toujours souffrante, ils voudront la fuir. C'est au moins une excuse pratique. Il n'y a pas de risque, ne craignez rien. Et de toute façon, je suis prête à mentir et me parjurer si ça peut sauver une enfant."

Le sorcier fixa ensuite sa bourse e refusa toute possibilité de la voir payer. Elle le fixa, hagarde. Il allait vraiment garder Cassandre sans rien demander en échange ? Louise en eut des larmes aux yeux.

"Vous... Je vous remercie. Je n'ai jamais connu une personne avec des moyens aussi bonne. Que Dieu vous bénisse !"

Louise se signa dans un grand geste puis s'avança vers Cassandre. Elle s'agenouilla, laissa la main caresser les cheveux puis lui embrassa le front.

"Je dois te laisser, ma chérie. Mais tu es avec quelqu'un de bien."

Les yeux humides, attristée de cette séparation, elle embrassa à nouveau le front de l'enfant puis se releva, décidée à partir rapidement. Elle salua le guérisseur en le remerciant chaleureusement puis sortit.


Il faisait chaud.

Les yeux de Cassandre s'ouvrirent lentement, le corps à nouveau frais. Seules quelques courbatures pressaient ses bras et ses jambes. Elle avait la sensation d'avoir dormi longtemps. trop longtemps même ! Ses maîtres... Si on la découvrait en train de ne rien faire, elle serait grondée et privée de repas ! Déjà que ses rations étaient minimes... Dans un sursaut de panique, la fillette se releva. Elle se sentait encore faible et la tête lui tournait un peu. L'environnement la laissai perplexe. Où se trouvait-elle ? Ce n'était assurément pas le Lupanar. Elle trembla de peur. on l'avait enlevé ? Pour lui faire quoi exactement ?

Apeurée, l'enfant se recula, animée par un réflexe instinctif de survie, et alla se coller contre une cloison. Ne pas permettre à un ennemi de surprendre par l'arrière. Une règle de base. Ses yeux observèrent la pièce. Il y avait une cheminée où brûlait un bon feu, dotée d'une marmite. Elle surprit ensuite de la vie. Trois jeunes hommes ! Sa terreur se décupla. Qu'allait-elle subir de leur part ? Elle se plaqua au sol, priant pour ne pas avoir été vu se réveiller, et rampa a sol. N'y avait-il une fenêtre ? Où était la porte ? Elle devait fuir rapidement et rentrer. Ou sinon... Sinon des soldats viendraient l'arrêter et elle serait condamnée à recevoir soixante coups de fouet en place publique. Son dos se contracta à cette pensée. Dans son état, avec la corpulence qui était la sienne, Cassandre aurait toutes les chances d'y rester.

Alors que Cassandre continuait à observer la chaumière à la recherche d'une échappatoire, la fillette découvrit un individu des pus singuliers qui lui causa une vive terreur. Il se tenait dans un coin à casser quelque chose dans un mortier, les jambes enveloppées dans un mécanisme diabolique. Un cri de terreur jaillit de sa gorge mais la fillette, dans un réflexe instinct, habituée de longue date à rester incognito, plaqua la main contre sa bouche et l'étouffa.

Les mains cramponnées au sol, la silhouette tremblante, la fillette était terrifiée de cette vision. Dans quel antre avait-elle été conduite ? Elle fixa à nouveau la marmite qui bouillant dans la cheminée et se souvint de quelques contes effrayants. Elle avait été enlevée par un ogre qui allait bientôt la faire cuire et la dévorer ! Et là, il préparait les condiments pour accompagner sa cuisson.

Spontanément, Cassandre joignit les mains et formula à voix basse sa prière qui serait peut-être la dernière :

"Oh, Sainte-Zita, moi, ta servante dévouée, moi qui te prie chaque jour, moi qui espère toujours ta gentillesse et ta bienveillance, soutiens-moi encore. Donne-moi la force d'affronter cette épreuve. Donne-moi du courage. Et si je dois en mourir, attends-moi et conduis-moi au Paradis où je pourrais enfin revoir maman. Je t'aime, sainte-Zita, et je te respecte.  J'ai confiance en toi. Amen."

Cassandre termina sa prière en traçant le signe de croix. Elle se sentait un peu mieux. Assurément, au travers de ces mots, Zita lui avait envoyé de la force. Elle se sentait courageuse.

Il n'y avait pas d'alternative. La porte de la chaumière était bien trop loin. Les hommes la captureraient avant qu'elle ne puisse sortir. Alors, elle affronterait la mort avec bravoure. Zita veillait sur elle. Cassandre n'avait plus peur. De toue manière, restée tapie dans un coin ne lui allait pas. Elle préférait être fixée sur son sort.

Cassandre se mit difficilement debout. Les effets de sa maladie rendaient encore ses jambes flageolantes. Elle s'avança lentement vers l'ogre qui gardait le dos tourné. Ses complices semblaient ne pas intervenir. Une migraine battait cependant à ses tempes.

Quand elle arriva près de l'ogre, Cassandre s'immobilisa puis demanda d'une petite voix claire :

"Excusez-moi, monsieur l'ogre, mais quand allez-vous me manger ?"

La question allait peut-être le surprendre. Dans certains contes, la petite héroïne réussissait parfois à se tirer d'affaire grâce à sa bravoure ou son honnêteté. Cassandre songea de nouveau à sa patronne restée pendant de si longues années vertueuse en dépit des innombrables brimades de ses maîtres et autres employés. Elle aussi allait être brave et créer une nouvelle légende. La petite fille qui triompha de l'ogre ? Ce pourrait donner une histoire amusante.

Hyriel secoua la tête à la réponse de Louise. Décidément… Au moins, cette couardise sauverait la petite et sa protectrice par la même occasion. Il se retourna vers la petite pour lui faire boire un peu d’infusion. Il sourit avec douceur à Louise quand il vit ses yeux s’embuer de larmes et s’apprêtait à la rassurer avec un grand sourire quand… Que Dieu vous bénisse ? Son sourire se fit discrètement amusé. Si ça pouvait lui chanter de le bénir, qu’il le fasse, mais qu’il ne se sente pas obligé… Il désigna Cassandre d’un bref signe du menton.

"Gardez vos prières pour elle, elle en a plus besoin que moi."

Il la regarda dire au revoir à la petite. Il était quelqu’un de bien à présent ? C’était là une très heureuse nouvelle ! Il releva les yeux vers ses compagnons. Tous trois évitaient son regard pour ne pas rire. Hyriel leva les yeux au ciel en secouant la tête avant de revenir à Louise. Il la salua à son tour et la regarda partir. Une fois qu’elle fut sortie, il se retourna vers Cassandre pour la faire terminer son infusion puis les compagnons la couchèrent et commencèrent à convenir des tours de veille pour s’occuper d’elle la nuit.


Il s’était passé deux jours. La petite commençait à aller mieux, aussi Hyriel décida-t-il de refaire un mélange d’herbes pour le lui faire boire pendant que le repas cuisait. Il releva brusquement la tête en entendant une voix fluette à côté de lui et découvrit la bouille assurée – et surtout réveillée – de la petite. Il lutta pour se retenir de rire, ne voulant pas la vexer, car elle était vraiment adorable. Il lui adressa un sourire joueur en levant son mortier vers elle.

"Je n’ai pas encore décidé mais maintenant que tu es réveillée, tu n’auras plus l’excuse du sommeil pour éviter prendre ton remède."

Les trois autres avaient aussi relevé des mines réjouies en l’entendant. Sans qu’Hyriel ait besoin de lui faire signe, son jeune apprenti mit un peu d’eau à chauffer tandis que son frère sortait un gobelet et une assiette en plus qu’il posa sur la table. Hyriel désigna le nouveau couvert sans changer son sourire.

"J’espère que tu aimes la bouillie de légumes…"

Cassandre observa d'une mine circonspecte l'homme qui se tenait devant elle. Il paraissait... gentil. Son sourire avait quelque chose d'apaisant. Il tendait un mortier dans lequel reposait une préparation inconnue. La fillette le reçut, les paumes offertes, mais n'y toucha pas. Son nez sentit avec prudence les odeurs un peu acres qui se dégageaient de la mixture. Elle ne semblait pas novice mais du poison pouvait se cacher derrière le plat le plus innocent. Elle la garda mais fixa l'homme, méfiante.

"Un... remède ? Vous m'avez trouvé dans la rue ? je me souviens. J'étais malade. Très faible. Vous... m'avez soigné ?"

Du bruit émanait derrière eux. Cassandre tourna la tête et remarqua les hommes mettre un couvert de plus. Leur maître lui demandait si elle aimait la bouillie de légumes. Elle haussa les épaules d'un air blasé puis répondit avec détachement.

"Quand c'est comestible, je mange. Ce sont les enfants qui ont été trop gâtés qui peuvent se permettre de faire les difficile."

Elle songea à ses maîtres au Lupanar qui devaient se questionner sur son absence. L'avaient-ils déjà signalé à la prévôté ? Si elle rentrait tout de suite, pourrait-elle convaincre que ce n'était pas sa faute ? Ou les maudits agents appliqueraient-ils la punition réservé aux esclaves en fuite ? Son ventre se noua aussitôt. Elle n'avait jamais jusque-là donné une preuve de mauvaise conduite. Mais la fuite... La fuite était sévèrement châtiée. Elle allait être trainée en place publique et recevoir soixante coups de fouet. Sous le coup de l'émotion foudroyante, son visage devint livide et ses mains lâchèrent le mortier qui s'écrasa sur le plancher.

"Je... Je dois rentrer !"

Hyriel agrandit son sourire en voyant l’incompréhension de la petite. La pauvre était vraiment perdue, elle n’avait même pas dû se rendre compte qu’on la changeait d’endroit. Il la laissa sentir la mixture laissa échapper un petit rire à sa question.

"Oui, un remède, comme celui que je t’ai fait boire il y a deux soirs. Je ne t’ai pas trouvé dans la rue mais une de tes amies, Louise, t’a amenée ici. J’admets que je n’en ai pas forcément l’air mais je suis médecin et ces hommes que tu vois là sont mes amis et mes aides."

Il hocha la tête à sa réponse sur la nourriture. Une brave petite. Il s’inquiéta en voyant son visage s’effrayer. Heureusement que le mortier était solide d’ailleurs et il tomba de manière que rien ne se renverse. Hyriel posa aussitôt ses mains sur les épaules de la petite avec un sourire réconfortant.

"Non, non, ne t’inquiète pas. Louise m’a assuré qu’elle s’occupait de tout en ton absence. Il vaut mieux que tu restes ici pour terminer de te soigner et nous ne te ferons aucun mal, tu as notre parole."

Les autres hochèrent en même temps la tête avec de grands sourires.

Cassandre écoutait les explications et se remettait de sa confusion en rassemblant les fragments dans son esprit. Alors Louise se souciait tant d'elle ? Elle se rappelait que celle-ci lui offrait parfois discrètement un fruit ou une tartine. Elle avait été jusqu'à payer un médecin. Pour elle ? La fillette s'en sentit toute gênée. Elle avait des dettes à présent.

Son regard observa la pièce qui semblait plutôt propre et la marmite qui bouillait dans la cuisine. Elle reprit d'une voix forte :

"Je vais faire le ménage pour vous alors ! Et la cuisine ! Et la vaisselle ! Comme ça, comme ça, vous rendrez à Louise l'argent qu'elle vous a donné pour les soins ! S'il vous plaît, acceptez ! Sinon je ne pourrais jamais la rembourser !"


Elle s'accroupit pour reprendre le mortier. Le sourire doux du médecin la persuada de sa gentillesse réelle. Et puis, elle se rappelait avoir été très mal et pensé mourir. Si elle était encore là, c'était que celui-ci tait compétent et ne cherchait pas à la tuer. Elle baissa la tête et renifla les herbes..

"Tout ça, ça a un goût étrange. Mais pas si mauvais. Alors pourquoi on dit que les potions pour guérir c'est mauvais, si en vrai c'est efficace ?"

Alorsq ue al fillette rendait le mortier, le médecin insista pour qu'elle reste dans la maison afin d'assurer sa convalescence. Il disait que son absence ne se remarquerait selon Louise. C'était vrai. Une fois quelqu'un malade au Lupanar, les maîtres ne lui trouvaient plus aucun intérêt avant de le savoir guéri en toute certitude.

"Ouais. Les maîtres ne supportent pas la maladie. A la moindre possibilité de contagion, on doit disparaître et ne revenir que si on est sain."

Tout en répondant, Cassandre se retourna et s'avança vers un balai. Alors qu'elle commençait à balayer, elle demanda :

"Je pourrais aller chercher du bois dans votre réserve après, peut-être ? N'hésitez pas à demander ! Je suis peut-être petite mais très costaud quand même ! Et j'ai peur de rien ! Donnez-moi tout le travail qui y a faire !"

Hyriel sourit tout le temps qu’il fallut à Cassandre pour rassembler ses pensées. Il ouvrit de grands yeux quand elle reprit la parole, sur un ton plus inquiet. Il s’empressa de lui prendre les épaules et de plonger son regard doux dans ceux de la petite.

"Calme-toi, Cassandre, calme-toi. Louise ne m’a rien donné, ou plutôt elle a voulu mais je l’ai refusé. Vu votre situation à toutes les deux, je n’allais pas la faire payer pour quelque chose qui aurait dû t’être donné alors rassure-toi."

Il la regarda ramasser le mortier et renifler le contenu. Il sourit de son commentaire.

"Vois-tu, si tu veux tuer un agneau sans essuyer de critique, la meilleure solution est de dire qu’il est malade à des gens qui te sont fidèles. Ainsi, ils prêchent la bonne parole, celle-ci se répand et tout le monde se fie à ce que tu dis. Je ne vais pas prétendre être un agneau mais certaines personnes n’apprécient pas les méthodes que j’emploie car elles pourraient être dangereuses pour eux."

Il récupéra son mortier et serra à nouveau les dents quand Cassandre approuva ce que Louise avait dit. Quels idiots. C’est comme sortir un pot cassé de la maison en attendant qu’il se répare tout seul et qu’il revienne en roulant comme un grand. Il fut tiré de ses pensées par un son de frottement. Il releva la tête et ne vit plus Cassandre. Il la repéra quand elle parla et la vit passer le balai. Pauvre petite, incapable d’accepter l’idée qu’elle pourrait se reposer un peu. Et puis bon, d’accord, il fallait dépoussiérer un peu mais ce n’était pas si urgent, on voyait encore très bien la couleur du sol. Il sourit à son assurance et tendit le bras pour arrêter le balai et elle avec.

"Je ne doute pas un instant que tu sois quelqu’un de costaud mais ne t’inquiète pas, ce n’est pas ça qui manque dans cette maison."

Ce disant, il désigna de la main ses trois amis qui observaient le manège de la petite et de son médecin avec des airs amusés en attendant que le repas termine de cuire. Hyriel posa le mortier entre ses jambes et revint vers Cassandre avec un air amusément pragmatique et un index levé.

"Et puis tu sais, tu es censée être une malade que nous avons à charge et on m’a fait savoir que ton médecin recommandait le repos alors je pense que du dois te reposer."

Il reprit son air doux.

"Considère que tu bénéficies de quelques jours de repos, ça te revigorera."

Cassandre observait le médecin lui répondre sans comprendre le sens.

"Vous... Vous avez refusé un paiement ? Pourquoi ? Tout a un prix. Vos remèdes, ces potions, les soins... Tout ça a un prix. Alors pourquoi vous le faites pas payer ? Vous allez demander quelque chose en échange ? Un service ?"

Elle l'écouta poursuivre des explications un peu trop complexes pour son esprit juvénile. Elle opina d'un air entendu, laissant croire qu'elle comprenait le sens de ses paroles, et continua de balayer la pièce. Il y avait beaucoup de poussières. ses maîtres auraient détesté un tel lieu. Au Lupanar, à la moindre imperfection, on la privait de repas. Parfois, une prostituée, par goût de dominer la petite servante qui ne pouvait se défendre, inventait un prétexte pour l'empêcher d'avoir sa ration.

Le balai s'arrêta soudain.

Surprise, Cassandre releva la tête et vit le médecin qui lui demandait de se reposer.

"Mais je me sens mieux, vous savez. Je tiens debout. Et j'ai plus de fièvre ! Je peux travailler et être utile ! Et puis, si je travaille pas, qu'est-ce que peux faire ?"

Hyriel adressa à Cassandre un regard attendri.
 
"Tout a un prix, oui, effectivement, mais tout n’a pas un prix matériel. Pour moi, avoir pu sauver une vie qui méritait de l’être à mes yeux est un payement amplement suffisant. Ainsi, le seul service que je pourrais te demander est de garder ton sourire, ta détermination et ton intelligence. Cela te convient-il ?"
 
En la regardant balayer et en l’écoutant, il se dit qu’elle avait vraiment été éduquée à la baguette hérissée de piques pour ne pas pouvoir comprendre l’idée même du repos. Il garda son air doux et légèrement joueur pour lui répondre.
 
"Premièrement, le médecin te dit que se sentir mieux n’est pas la même chose qu’être mieux. C’est comme si le mal en toi dormait mais il pourrait se réveiller si tu considérais qu’il était parti. Ainsi, jusqu’à ce que te le dise, tu es encore considérée comme souffrante et tu dois donc te soigner et, surtout, te reposer."

 
Il veilla à insister sur ce dernier mot.
 
"En effet, secondement, le repos est une activité comme une autre et, qui plus est, elle est nécessaire, ne serait-ce que si tu veux pouvoir mieux travailler après. Prends un cheval : si tu le fais courir tout le jour, il finira par lâcher prise alors que si tu le laisses se reposer régulièrement, il pourra rester avec toi des années. Ce principe se retrouve aussi chez les humains. Si tu ne travailles pas, tu te reposes donc et, pour cela, tu peux commencer par manger, ce que l’on devrait pouvoir faire sous peu, tout en buvant ton médicament. Compris ?"

Les mains encore autour du manche du balai, Cassandre fixa avec étonnement ce médecin bien curieux. Elle n'avait jamais vu un seul examiner un patient sans réclamer ensuite ses honoraires. Au Lupanar, pour les prostituées, il y avait un souvent requéri et ce dernier n'oubliait jamais de rappeler le salaire et le prix des remèdes. Elle observa la cabane modeste. La richesse ne semblait pas l'intéresser. Il voulait juste soigner les gens. Cela lui rappela une histoire que son père lui racontait petit, quand elle avait encore une famille.

"Vous êtes comme Hipocrate ? Mon père m'a raconté qu'autrefois en Grèce, c'est un pays très lointain, vivait un médecin qui portait ce nom. Il soignait les gens et était gentil avec eux. Vous êtes comme lui ?"

Le médecin se mit ensuite à lui expliquer pourquoi elle devait se reposer. sans s'énerver. C'était... rationnel. A cela s'ajoutait quelque chose, comme une sorte de fascination pour cet être étrange? La fillette finit par reposer le balai et alla s'asseoir devant le feu. Les flammes brulaient dans l'âtre. Cassandre l’observait et se laissait bercer. Néanmoins, asez vite, elle s'ennuya. Elle n'avait jamais eu pour habitude de rester inactive.

Cassandre se tourna et demanda d'une petite voix :

"Dites, je peux coudre ?"

Hyriel fut surpris par la question de Cassandre, si naïve. Il haussa les épaules en souriant.
 
« Si l’on veut. Après tout, quel est l’intérêt de soigner si, après, on se comporte comme le dernier des rustres ? »
 
Il la laissa reposer le balais, heureux d’avoir réussi à la convaincre. Il la regarda un instant s’installer auprès du feu et l’observer avant de terminer de broyer ses herbes. Il se releva finalement pour aller s’asseoir à sa place à la grande table pendant que son jeune assistant décrochait l’eau du feu. Il récupéra un bout de tissu qu’il plaça sur le bol vide, il y déposa le mélange d’herbes et laissa son ami verser l’eau chaude. Il replia ensuite le chiffon et le laissa tremper pour infuser les herbes. La petite tourna alors vers lui sa petite frimousse. Il resta un instant figé. Coudre ? Il parcourut rapidement la pièce du regard, de même que ses trois amis, avant de se retourner vers Cassandre.
 
« J’ai bien peur que nous n’ayons pas ici de quoi faire de la broderie… »
 
Un éclair de lucidité traversa son esprit.
 
« Que dirais-tu de découvrir un peu les plantes ? J’ai un bel herbier dans mes étagères qui pourrait te plaire, avec de très belles plantes séchées à l’intérieur. Je pourrais te parler d’elles aussi, si tu le souhaites. »

Cassandre se réchauffait devant l'âtre et attendait patiemment une réponse positive. Les flammes enveloppaient une bûche et dansaient autour. C'était joli à voir. Elle entendit alors le médecin rapporter, embêté, qu'il n'y avait rien pour coudre. L'étonnement lui vint.

"Comment c'est possible ? Une maison sans avoir de quoi coudre ? Mais...."

Elle avait tourné la tête en même temps et remarqua les quatre hommes présents. un petit sourire, légèrement insolent lui vint ensuite.

"Oui, bien sûr. Vous êtes des hommes et les hommes n'apprennent pas à coudre. Ah la la ! Comment vous faites pour être si présentable ? Vos vêtements ont l'air corrects ! Ne me dites pas que vous en rachetez ? Par la Sainte-Vierge ! Quelle dépense inutile ! Alors qu'il suffit de repriser un vêtement usagé."

Alors que Cassandre s'amusait de cette petite leçon adressée à des adultes, elle observa, surprise, le médecin lui proposer d'apprendre sur les herbes grâce un livre. Elle l'observa puis demanda, timide.

Je... peux ? C'est vrai ? Mais je ne sais pas lire."

Les quatre s’amusèrent de la remarque de Cassandre. Le plus costaud d’entre eux, Florentin, leva un doigt avec un air de professeur.

« Si je puis me permettre, notre ami a dit ne pas avoir de quoi broder mais pour ce qui est de coudre pour repriser, nous avons de quoi faire et nous savons faire. »

Son frère, Guillaume, le benjamin de la bande, s’autorisa un sourire et un regard moqueur.

« Disons plutôt que nous nous débrouillons comme nous pouvons et que, au cas où, nous avons des connaissances en soin des blessures légères. »

Florentin acquiesça silencieusement, faisant sourire Hyriel. Lui pencha la tête en voyant l’air timide de Cassandre. Évidemment, à quoi sert d’instruire une esclave ? Et les nobles savent bien qu’un objet qui pense peut voir naître en lui des tendances mutines. Il lui sourit avec indulgence.

« Bien sûr que tu peux. Et ne pas savoir lire n’est pas forcément grave : je pourrai t’apprendre à reconnaître les plantes et à savoir en utiliser certaines. Et si tu veux, je pourrai aussi t’enseigner quelques lettres. »

Cassandre étudia la réponse des deux hommes puis eut un petit sourire insolent à nouveau :

"Vous savez peut-être coudre mais vous n'avez quand même pas de matériel !"

Elle se leva ensuite et rejoignit le médecin. La fillette était curieuse de ce que les plantes pouvaient avoir à lui apprendre.

"Alors, tu vas me montrer quoi ?"

Les deux frères secouèrent la tête, vaincus mais souriants.

« Pas pour les fines œuvres, non… »

Hyriel sourit de leur réaction et de l’intérêt de la petite. Son expression se fit malicieuse à sa question. Il enleva le tissu du bol, l’égoutta et le remit à Eugène, le troisième larron, qui alla le déposer devant la porte pour qu’il égoutte. Hyriel approcha alors le bol de Cassandre, sans se départir de son air joueur.

« Tout d’abord, je te montre cette magnifique infusion que tu vas boire. Ensuite, nous te montrerons ce délicieux repas que tu vas partager avec nous et, enfin, nous regarderons un herbier. J’espère que ce modeste programme te convient parce que, au moins pour le médicament et pour la nourriture, je n’en démordrai pas. »

Cassandre se leva de la cheminée et rejoignit le médecin qui dévoilait le programme. Elle opina en silence. Cela lui allait bien. De toute manière, un esclave n'avait aucun mot à dire même si quelque chose ne lui plaisait pas. Elle prit le bol et le but sans émettre la moindre protestation en dépit du goût un peu âcre.

"Il y a quoi dedans ? Il n'y a pas de fruits en tous cas. J'ai pas reconnu."

Elle se souvint soudain ne pas s'être présenté et rougit.

"Au fait, c'est quoi vos noms ? Moi, c'est Cassandre ! Enchantée de vous rencontrer !"

La fillette s'inclina poliment, comme son père et ses sœurs le lui avaient appris. Elle rejoignit ensuite la table et attendit d'être servie. C'était assez bizarre. D'ordinaire, elle mangeait après tout le monde, dans un recoin et se dépêchait de vite avaler de peur qu'on lui reprenne.