[8 décembre 1597] Les voies du Seigneur descendent parfois bien bas [Terminé]

Le capitaine des gardes avait suivi avec attention tout l'entretien, mais pour ne constater que l'inefficacité de celui-ci. Il partagea l'impatience de Matthieu et ses méfiances : à n'en pas douter, une voire plusieurs de ces femmes se taisaient sur ce qu'elles savaient ou avaient reçu du sorcier.
Dans ce silence gênant, la troupe partie à travers le Lupanar en quête d'éléments à charge revint se rassembler au rez-de-chaussée, les mains pleines de fioles de diverses tailles. Le chef de la brigade en écarquilla les yeux. Scrupuleusement, ses hommes déposèrent sur la table au centre de la pièce : onguents, produits de beauté, médicaments, potions aphrodisiaques et stimulants sexuels. Bien sûr, les militaires n'avaient pour l'instant pas l'entière de connaissance de tout ce que ces bouteilles contenaient, cependant l'un d'eux prit soin de noter :

-- Tout ceci va être très prochainement analysé dans les laboratoires de la prévôté. Ou bien vous pouvez nous faire gagner du temps et dire de quoi il s'agit. En tout cas, ne vous amusez pas à mentir, les vérifications parleront.

Et le capitaine d'ajouter, tourné vers Louise et pour appuyer le cardinal :

-- Manifestement, Madame, vous-même ou vos filles nous ont caché des choses. (Très sévère) Je crois qu'il va falloir qu'une ou plusieurs d'entre vous révisent leurs versions. Cela ne vous vaudra que davantage d'indulgence. C'est votre dernière chance. Refusez de coopérer et il se pourrait bien que je décide de vous enfermer au même titre que cet ensorceleur que nous ne tarderons pas à capturer.

Les yeux de Matthieu s'arrondirent face au formidable butin que ramenait les soldats. Il ne put empêcher un sourire de naître sur ses lèvres. Enfin, une piste sérieuse. Cette fois, ces filles étaient coincées. l'une d'elles finirait bien par craquer devant les preuves accablantes. Malgré son envie de les pointer du doigt et de les blâmer, il laissa faire le capitaine des gardes et se contenta de se tenir droit, tout en mettant une pointe de déception dans son regard.

- En effet mesdemoiselles, je suis bien déçu qu'aucune d'entre vous n'ait eu le courage d'avouer ce que montre l'évidence à présent. Vous devriez vous repentir dès maintenant. Dieu pardonne, même aux pêcheurs, sauf s'ils persistent dans leurs péchés. Avouez maintenant ou votre âme sera damnée à jamais et souillée par ce crime impardonnable. Car en le couvrant, vous vous rendez coupable de complicité avec le Malin.

Il appuya bien son regard en espérant que les menaces suffisent. Si la gérante les avait bien éduquées comme elle le prétendaient, elles ne tarderaient pas à cracher le morceau. Il hocha ensuite la tête à la diatribe du capitaine, espérant que cela achève de les convaincre. Qu'au moins une leur donne une piste même s'il n'attendait plus grand-chose de ces damnées.

Durant tout le long des entretiens, Isabelle s'était tenue droite, assurée que rien ne pourrait ressortir de cette procédure. Ni des fouilles, ni des interrogatoires. L'établissement était devenu honnête, grâce à ses bons soins, et ses employées l'étaient tout autant. Les prostituées gardaient cependant la tête baissées, anxieuses. De son côté, Louise s'efforçait de paraître inébranlable mais éprouvait intérieurement une panique terrible. Quand cela finirait-il ?

Lorsque les gardes revinrent avec le résultat de la fouilles, la tranquillité d'Isabelle se fissura et elle céda à la panique.

"Mais... mais.. non !Mon établissement.. Il est honnête ! Je l'ai relevé ! Il est moral ! Mes filles sont.. morales ! Ce n'est pas possible ! Pas possible !"

Elle bégaya tant devant cette découverte horrible qu'elle n'entendit rien des avertissements du capitaine ou de l'inquisiteur. Louise, en revanche, arma son courage et s'avança vers le cardinal.

"Nous avons dites toutes la vérité, monseigneur. Quant à ces produits, faites-les analyser, mais vous perdez votre temps. Ce n'est que des produits de maquillage, soyez en certain. Pensez-vous que notre beauté est naturelle ? J'aurai quarante-deux ans le mois prochain et mes collègues ont toutes passées les trente ans, un âge où le physique commence malheureusement à se gâter. Or, les hommes qui délaissent leurs épouses pour venir ici ne veulent pas retrouve sur la prostituée les rides de celle qu'ils fuient. Cela va contre la morale de l'église, je le sais, mais ce sont les choses de la vie."

Son regard s'accrocha à celui de Matthieu, désireuse de montrer que cette fois elle ne fuyait pas..

"En nous confisquant ces affaires, inutilement, qui plus est, c'est plus qu'évident, vos allez nous faire perdre des clients. Nous pourrions fermer. Que deviendrions-nous ?"

Elle devait se battre et tenir bon. Pour Hyriel. Elle devait le sauver, comme lui-même avait sauvé la vie de Cassandre.

De marbre, le capitaine des gardes soutint les admonestations de Son Éminence d'un nouvel hochement de tête. Voilà qui devrait produire son petit effet. Il demeura inflexible, mains croisées devant lui, aux larmoiements d'Isabelle. Elle pouvait bien clamer la pureté de son établissement, ce n'était de toute évidence pas le cas et le démon infirme avait continué d'y venir ! Toutes ces fioles en constituaient la preuve manifeste. En ville, il se disait que le sorcier en avait trafiqué de semblables et que, depuis des années, sous sa couverture d'écrivain public il faisait aussi et surtout profiter de ses talents d'ensorceleur. Cela devait cesser !
Le chef écouta les plaintes de Louise, déjà moins dévastée que la co-gérante. Elles n'allaient cependant rien n'y faire. Le militaire poussa un soupir et grommela, décidant finalement :

-- Aveux ou pas, tous ces flacons SERONT analysés. Et il va de soi que nous ne pouvons pas vous les laisser. Vous m'en voyez navré, mais ils constituent des pièces à conviction d'une enquête. Car voyez-vous, nous poursuivons quelqu'un qui, d'après ce qui se dit dans la ville, commercialise précisément ce genre de choses... quand il ne s'occupe pas de maudire des gens en public sur des marchés ! (Un temps) Quant à vos clients, c'est bien malheureux, Mesdames, mais les investigations priment.

Sur un léger sourire, il choisit alors de proposer :

-- Une dernière fois, dites-nous tout ce que vous savez du prévenu... et la Cour pourra envisager de vous dédommager pour les jours de paie que vous allez perdre.

Là-dessus, il redonna la main au Cardinal pour la suite des opérations et questions.

Matthieu leva les yeux au ciel aux plaintes d'Isabelle même si elle, elle lui semblait sincère. Peut-être avait-elle été abusé par une de ses filles.

- Pas si moral que vous le pensez puisque les preuves sont là et sont certainement accablantes. Maintenant, madame, je veux bien croire à votre innocence mais dans ce cas, que les véritables coupables se dénoncent.

Louise s'avança alors de nouveau. Matthieu haussa un sourcil. Il ne se laisserait pas impressionner et il était à présent certain qu'elle cachait quelque chose. Cette excuse sonnait bien trop creux à son goût. Et il n'avait pas besoin qu'on lui rappelle les choses de ce métier. Cela ne fit que l'agacer davantage. Il laissa le capitaine engager la contre-attaque et poursuivit ensuite.

- Comme le dit le capitaine, nous serons ce qu'il en est. Cela m'étonnerait que votre beauté nécessite autant de produits. Tout cela cache quelque chose et vous feriez bien de nous dire quoi maintenant. Je saurais indulgent, autant qu'un juge et Dieu vous en sera reconnaissant. Cela vaudra bien quelques flacons de perdus pour sauver votre âme. Alors maintenant mesdames, perlez.

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'Dé 100' : 82

Isabelle ne savait plus quoi penser de toute cette inspection. Les preuves qui s'étalaient sur la table, rapportées par les soldats, la laissaient inerte. Elle n'arrivait pas à croire ce qui se passait ici. Elle avait essayé de construire un établissement honnête. Pourquoi cela se retournait-il contre elle ? La nature humaine serait-elle à ce point mauvaise ? Son esprit se perdait. Les éclats du voix du capitaine ou de l'inquisiteur filtraient, lointaines, tant sa confusion était grande. De l'autre côté, Louise demeurait de marbre, bras croisés, et refusait de reconnaître les évidences. Elles n'avoueraient rien. Peu importaient ses exhortations, ce diable de cardinal devrait fournir ses propres effort s'il souhaitait tant attraper cet infortuné Hyriel.

Les choses basculèrent lorsqu'une des prostituées, la plus jeune de l'établissement, qui n'avait pas plus de vingt-cinq ans, sortit du rang et s'avança vers le cardinal et le sergent. Elle songeait que la situation devenait dangereuse et il y aurait bien plus d'avantages à coopérer avec la justice que de continuer à soutenir les magouilles auxquelles elle avait pourtant participé. Elle s'exprima d'une voix contrite.

"Vous avez raison. Je ne peux plus me taire si longtemps. Je me nomme Thérèse. Thérèse Caballus. C'est que... La maquerelle est terrible. Cette Louise... Elle nous tient. Elle nous impose le silence sur celles qui savent son commerce. vous ne l'aviez pas vu, monseigneur, mais avant que nous venions nous bous voir elle nous adressait un signe avec ses doigts. L'index et le majeur levés, appuyés sur le coude. Cela veut dire : parle et tu connaîtras de terribles représailles. Quand j'ai su so secret, j'ai été mal à l'aise. Et elle m'a fait comprendre, seule à seule, qu'il pourrait m'arriver des choses."

Adossée au comptoir, Louise dévisagea, interdite, sa toute jeune collègue inventer un mensonge éhonté. Elle n'avait jamais menacé personne. Seulement intimé le silence. Mais pour leur protection à toutes. Et elles avaient conscience. Cette petite garce avait en plus profité de ce commerce. Non loin de là, Isabelle se laissait tomber dans un fauteuil, pâle come la mort.

"Tout a commencé en Février dernier. Notre petite servante est tombée malade. Elle a eu l'indécence de s'écrouler en plein milieu du service. Quel bordel ça a mis ! Elle était mourante. Alors, Louise l'a soustraite à nos maîtres, en catimini, et l'a mené en forêt où un sorcier l'a soigné. Je pense qu'il s'est passé des choses louches, monseigneur, là-bas. Cette petite était trop mal en point. Elle n'aurait pas dû survivre. Il a dû utiliser les forces du mal, ou quelque chose comme ça, pour faire partie la maladie."

Isabelle, se redressant légèrement, poussa un cri :

"Cassandre ! Cassandre... Louise, tu m'as dit la mener au médecin !"

Louise haussa les épaules, fataliste. A quoi bon mentir encore ? Elle répondit, fataliste :

"Pour moi, cet homme était médecin. je n'ai pas menti."

Ses yeux fixaient avec aigreur la dénonciatrice. Au même moment, les prostituées commençaient à s'énerver et à huer la vile jeune femme mais les soldats les encadraient et les rappelaient à plus de discipline. Thérèse poursuivit sa déposition.

"Puis, après ça, quand Louise est revenue avec la petite, elle a... Elle a commencé à évoquer un commerce, demandant de quoi on aurait besoin. Tous les Jeudis, pendant que les maîtres étaient absents, un certain Hyriel, qui couvre ses sombres trafics en ville en se disant écrivain public, et vendait aux filles divers produits. Les deux filles là-bas, Marguerite et Claudine lui ont par ailleurs achetés des plantes pour se faire avorter."

Les deux concernés poussèrent en même un cri, plein de rage, pour celle qui venait ouvertement de les trahir.

"Salope !"

Les soldats les obligèrent rapidement à se canaliser. Elles semblaient sur le point de se jeter sur la traîtresse, furieuses. isabelle écouta toutes ces révélations, de plus en plus pâle, et tremblait dans son fauteuil. la dénommée Thérèse l'observa d'un sourire compatissant faux.

"La pauvre... elle pensait sincèrement... Quand Isabelle a repris cette maison, je pensais que le sombre commerce était fini. Mais Louise... Louise s'est arrangée pour avertir cet Hyriel e ne plus venir ici. Elle se rendait en forêt, chez lui, avec une liste des commissions que lui demandaient les filles et revenaient avec les produit. Il y a eu un nouvel avortement le mois drnier, peu après que Louise soit revenue de cette forêt. Il concernait Lucie, qui est là-bas."

La fameuse Lucie jeta un regard assassin à la jeune femme mais contint sa colère.

"Ah oui ! Cet Hyriel.. il semblait avoir une relation particulière avec une esclave qui travaillait autrefois ici. Une certaine Phaïde qui est au service à présent du comte de Monthoux. Elle avait f réalisé un eau scandale à son départ. Incapable de tenir sa place... Je suis certaine, monseigneur, qu'elle pourrait vous apprendre des choses sur cet Hyriel."

Thérèse s'arrêta et observa, la mine basse, l’inquisiteur.

"C'est tout, monseigneur. Je suis désolée de vous avoir menti tout à l'heure."

Depuis son fauteuil, Isabelle semblait comme morte, incapable de réagir à tout ce fatras qui remettait en question son existence entière. Non loin de là, Louise comprenait ce qui allait se passer. Après toutes ces accusations, la prévôté et l'inquisiteur la feraient arrêter. Ils ne pourraient la laisser tranquille. Elle l'acceptait. Hyriel risquait lui aussi sa vie pour sauver de pauvres malheureux. Il s'exposait aux flammes cruelles et pernicieuses qui le tortureraient de manière atroce jusqu'à son atroce. Que serait la prison ou même la corde en comparaison ? Elle serait solitaire. Jusqu'au bout.

Avec bravoure, elle s'écarta du comptoir et rejoignit l'inquisiteur, le fixant dans les yeux, sans la moindre peur.

"Quand le vin est tiré, il faut le boire, n'est-ce pas ? Eh bien, oui, je connais cet Hyriel mais ce n'est pas un sorcier. C'est un homme formidable, qui se démène, lui, chaque jour pour sauver des vies, pour arracher des gens malades à la mort, et que vous, monseigneur, même si vous deviez vivre cent ans, en dépit de toutes vos pratiques religieuses, n'égalerai jamais."

Venait-elle de sceller son destin ? Oui. Elle plantait elle-même le dernier clou mais au moins elle aurait eu la possibilité de défendre son ami. Publiquement. Ce que personne n'avait encore jamais fait.
Elle avait la conscience tranquille.

Par miracle, les menaces du capitaine des gardes assorties des pieux avertissements du Cardinal portèrent - enfin ! - leurs fruits et l'une des catins se décida à avouer. Les soldats, habitués à demeurer neutres quelle que soit la situation, se retinrent de manifester leur soulagement. Déjà, le secrétaire qui les accompagnait se tint prêt à noter tout ce qui allait être dit. Et quelles ne furent pas les déclarations de la dénommée Thérèse Caballus !
D'abord, Louise était déclarée coupable d'avoir menacé toutes ses employées si elles parlaient du sorcier. Cette gredine se révélait sous son vrai visage : la complice de ce démon infirme. Elle le couvrait. Au mépris du bien être de ces malheureuses filles et du sauvetage de leurs âmes ! Le commandant la fixa d'un regard polaire. Il allait devoir l'emmener en prison.

Mais les aveux ne s'arrêtèrent pas là et la suite se révéla pire encore. Certains gardes se signèrent. Un avorteur ! Cet Hyriel était un empoisonneur et un "faiseur d'anges" - comme le disait ce doux euphémisme des vieilles femmes en ville pour parler des auteurs d'un des pires crimes : ôter la vie au ventre même des mères ! Et ensuite... il y avait ce commerce douteux de décoctions, baumes et potions en tous genres. Ainsi que la complicité un peu trop marquée entre le sorcier et une des anciennes catins de l'établissement... Cette Phaïdée serait-elle aussi une acolyte du démon boiteux ? Voire une pauvre âme qu'il aurait ensorcelée pour la mettre à sa botte ? On savait bien que le Diable était prompt à se servir du sexe faible. Oh certes, le dénommé Hyriel aurait apparemment soigné une petite servante, cependant cela ne rachèterait en rien le reste de ses crimes. Et encore ! Avait-on découvert l'intégralité de ses forfaits ? Qui savait si d'autres félonies n'allaient pas apparaître au fil de l'enquête ?

-- Un médecin, persifla le capitaine des gardes, cynique, après l'intervention de Louise.

-- Silence ! s'imposa un autre militaire, aux injures que lançaient les dénommées Marguerite et Claudine à leur collègue qui venait de révéler leurs avortements. Malheureuses ! Avez-vous seulement conscience de ce que vous avez fait là ?! La prévôté statuera sur les sanctions qui vous seront administrées à toutes les deux. (puis à l'ensemble des filles : ) Bénissez plutôt votre camarade pour nous avoir ouvert sa conscience ! Comme dit plus tôt : le Tribunal sera indulgent avec vous et vos âmes pourront être sauvées par la coopération qui vient d'être démontrée.

Et après avoir entendu tous ces forfaits dont elle aurait dû rougir, Louise s'avança. Elle se permit de tenir au Cardinal des paroles outrageantes qui ne feraient qu'aggraver son cas. Mais Son Éminence n'allait sûrement pas rester sans la moindre réaction. Le capitaine des gardes, pour sa part, se contenta de faire signe à ses hommes d'entourer Louise.

-- Madame. Vous êtes en état d'arrestation. N'opposez aucune résistance, vous avez déjà suffisamment empiré votre situation. Vous allez être retenue à la prévôté jusqu'au jour où se tiendra le procès de votre cher ensorceleur - audience où il sera du même coup statué sur votre peine. Quant aux deux avortées, elles seront prochainement informées de leur sort.

Le chef espérait bien qu'Hyriel serait promptement arrêté. Entre ce qui venait d'être dit céans, l'analyse très prochaine du contenu des fioles, et les suites de l'enquête, il ne faisait pour lui quasiment aucun doute que ce criminel monterait sur le bûcher - non sans avoir auparavant, si possible, livré quelques autres éventuels complices aux questionneurs de la prévôté.

-- Soldats ! Rompez !

Les rangs se défirent. On quitta le Lupanar sans plus de cérémonie. Le Cardinal aura bien sûr reçu, au passage, tous les honneurs qui lui revenaient ainsi que les remerciements pour sa collaboration, avant que la troupe ne se disperse. Louise, quant à elle, marcha encadrée de militaires jusqu'à la prévôté - heureusement pas très loin.

Matthieu commençait à désespérer. N'y avait-il aucune bonne âme dans cet établissement, quelqu'un pour l'aider ? C'est alors que quelqu'un sorti du rang. Matthieu fit un pas en avant, sans s'en rendre compte, impatient, les yeux presque avides. Il haussa un sourcil et accusa le coup en regardant vers Louise. Ainsi, elle lui avait bien menti, droit dans les yeux. Quelle audace !

L'histoire de Thérèse sur les menaces de Louise ne le convainquit qu'à moitié mais il afficha tout de même un air affligé et compatissant, pour faire bonne mesure. Il souleva un peu plus son sourcil à ses révélations suivantes puis arrondit les yeux.

- Cassandre ? La fille qui loge chez ma sœur ?

Et elle cachait bien son jeu alors, la petite peste ! Il grogna entre ses dents, tâchant cependant de se tempérer. Si elle avait été malade, elle avait pu être abusée et amenée de force au sorcier qui avait trompé sa confiance de son venin, tout ça à cause de cette Louise. Mais peut-être serait-il bon qu'il la surveille aussi...

Il écouta attentivement la suite puis fronça les sourcils et fixa d'un œil mauvais les deux femmes qu'elle dénonça. Il pointa un doigt menaçant vers elle.

- La paix, malheureuses ! Votre camarade tente de vous sauver du démon ! Et à ce que je vois, il va y en avoir bien besoin ! Mesurez donc vos paroles si vous voulez que le Seigneur soit clément !

Il retint ensuite toutes les informations avec attention, notamment le nouveau nom d'une femme avortée puis le nom de cette Phaïdée. Encore une qui serait possiblement une piste. Il acquiesça avec un sourire satisfait. Voilà qui s'annonçait finalement mieux qu'il ne l'avait espéré. Il s'avança à la fin de son laïus et traça une croix sur son front.

- C'est bien mon enfant. Voilà une conduite qui vous honore et que vous pourrez un jour faire valoir devant Saint Pierre.

Il ne fit pas attention à Isabelle mais fixa Louise avec un œil mauvais, surtout quand elle eut l'audace de s'avancer. Il grinça des dents à son discours et ne put se retenir de s'avancer vers elle pour lui assigner une gifle.

- Assez ! N'aggraver pas votre cas, pécheresse ! Vous m'avez menti et vous avez ainsi menti au Seigneur par là-même ! Et si vous faites vraiment commerce avec le Diable comme je le crois, sachez que vous serez bien châtiée ! Vous êtes perdue et je prie pour qu'il vous ai simplement ensorcelée et que sa mort dans les flammes vous libère. Dieu ait votre âme en pitié si ce n'est pas le cas !

Il approuva ensuite le capitaine avec satisfaction et sourit largement, d'autant plus quand ils arrêtèrent Louise. Il salua ensuite les soldats, l'air triomphant mais également reconnaissant pour leur aide précieuse. Il tenait déjà de quoi faire tomber cet infirme. Et dans sa chute, il entraînerait tous les autres, pour le salut de cet Empire.

Prostrée dans son fauteuil, Isabelle n'osait plus effectuer un mouvement. Ni encore moins dire un mot. Elle était décontenancée par tout ce qui venait de se passer. Par tout ce qu'elle venait d'apprendre. Cela la dépassait. Cela ne pouvait pas être réel. Son esprit n'arrivait plus à se fixer à la réalité.

Peu après les dénonciations calomnieuses et sa prise de position, Louise demeura stoïque, le regard fier. Elle n'exprimait pas le moindre regret de sa conduite. Ni même pour s'être faite prendre. Elle entendit les dialogues absurdes de ce cardinal, du capitaine des gardes... Ils s'offusquaient des pratiques des avortements. Elles étaient pourtant banales et normales. A quoi faire naître une vie si c'était pour lui offrir une existence de misères et d'incertitudes ? Cela se révélait moins barbare de supprimer un bébé dans le ventre de sa mère, à quelques semaines après sa conception que ces femmes qui osaient, elles, tuer un véritable bébé.

En arrière fond, les prostituées s'étaient finalement tues. La peur se lisaient sur leur visage à toutes. Qu'allait-il leur arriver ? L'établissement allait-il rester ouvert ? Une d'elles finit par oser prendre la parole. Très timidement, tremblante, elle s'approcha du capitaine.

"Excusez-moi, monsieur, mais comment allons-nous faire ? Louise.. Louise est la seule qui sache ici lire et écrire. Comment enregistrerons nous les transactions ? Ou toutes les formalités que moi je ne comprends même pas ?"

Elle ajouta, d'une toute petite voix.

"L'établissement... Va-t-il devoir fermer ? Devons-nous chercher une autre place ?"

Elle observa en même temps, d'un regard triste, la malheureuse Louise qui sortait, la tête haute, encadrée par deux soldats qui surveillaient le moindre de ses gestes.
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Contre toute attente, une des filles osa encore interpeller le capitaine. Il piaffa sans sa barbe : ainsi, Louise était en plus la seule de ces catins à savoir lire. Piètre situation pour le lupanar. Mais cela ne changerait rien.

-- Il fallait y réfléchir avant, grommela le chef à la mention des compétences de la coupable et non sans un regard sévère à cette dernière. Pour ce qui est de votre établissement, il est de la responsabilité de la patronne qui vous reste d'embaucher dans les plus brefs délais une femme assez lettrée pour se charger de vos comptes. Il se trouvera bien en ville quelque femme un peu instruite, qui faute d'accepter d'ouvrir les cuisses, se laisserait volontiers embaucher pour tenir vos registres. Faites donc tourner une annonce, que voulez-vous que je vous dise !

Cette Louise était décidément irresponsable, à avoir ainsi mis tout son établissement dans de sales draps par son inqualifiable dévoiement. Après tout, que ces prostituées se débrouillent à présent avec les mauvaises graines qu'elles avaient elle-même semées. Cynique, il acheva :

-- Quant à payer cette éventuelle nouvelle secrétaire, ne comptez plus vos heures à la tâches mes filles.

Et sans un mot de plus, le capitaine ne se laissera pas davantage importuner, préférant s'éloigner avec leur captive. Misérable fille... A l'instar du cardinal, le chef espérait lui aussi qu'une fois ce sorcier brûlé, toutes les malheureuses âmes qu'il avait su assujettir à son emprise seraient libérées de leur lien démoniaque avec lui. Qu'elles sauront retrouver les grâces de Dieu, que ce soit cette Louise, la dénommée Phaïdée ou encore la petite Cassandre.