[Le 20 mai 1597] En mots et en couleurs (ft. Kalisha et Alexandre) [Terminé]

Florentyna débordait de joie depuis ce matin. Le jour était enfin arrivé ! Comme elle en avait reçu la confirmation, le père Bellanger acceptait volontiers que son fils Alexandre vienne au domaine de Monthoux en ce jour de son anniversaire, ainsi que proposé dans le carton d'invitation expédié deux semaines auparavant. Enfin ! Le jeune homme allait venir exercer ses talents au domaine ! Le demoiselle n'avait pas oublié leur rencontre au mariage de son père avec la princesse Djerdanne, ni la proposition faite à cette occasion de réaliser leurs portraits. Quelle chance ! Kalisha et Florentyna allaient poser en ce jour... mais pas pour un de ces ennuyeux tableaux protocolaires. Non, ce serait devant un ami commun, qui laisserait libre cours à sa sensibilité pour croquer les deux aristocrates. Ce serait un délicieux moment. Tous trois, ils parleraient aussi littérature et écriture. La fille de Monthoux prévoyait même quelques petites activités ludiques de plume qu'elle prévoyait de proposer au jeune Bellanger et à la princesse. Ce serait amusant, à n'en point douter.
Elle s'abandonna à un dernier tour du salon qu'elle venait de faire préparer exprès pour la réception. Agréables coussins que des esclaves achevaient de disposer et tapoter, petit feu doux dans la cheminée, fauteuils rembourrés, pâtisseries et thé sur la table basse... Du chocolat les attendait même ! Une toute nouvelle boisson venue des Amériques, dont on disait grand bien. Il faisait fureur dans les salons à la mode et Florentyna avait hâte d'en proposer à Alexandre - qui sans doute n'avait jamais goûté une confiserie si luxueuse et encore réservée de loin aux plus riches de ce monde. Et bien évidemment, de quoi écrire, mais aussi tout le matériel nécessaire au confort du jeune artiste.
Quand tout fut prêt, la demoiselle remercia ses servantes, les fit sortir à l'exception d'une seule, puis arrangea elle-même quelques fleurs au milieu du bouquet disposé sur la commode. C'est alors qu'elle entendit le claquement caractéristique des béquilles du jeune Bellanger. On venait donc de l'introduire ! Quand les portes s'ouvrirent sur le garçon, Florentyna approcha de lui, sourire aux lèvres, bras ouverts et s'enjoua :

-- Ah, Alexandre ! Bienvenue ! Je suis si heureuse que votre père vous ait libéré pour cette après-midi. (Lui désignant un des fauteuils) Installez-vous !

La servante demeurée sur place se chargera de débarrasser Alexandre du matériel artistique et des livres qu'il aurait éventuellement amenés. Florentyna pour sa part gagna l'autre bout de la salle, ouvrit un battant et appela :

-- Kalisha ! Notre hôte est arrivé !

D'ordinaire, Alexandre n'aimait pas ses journées d’anniversaire. Ces jours-là, son père était de mauvaise humeur de l'aube au coucher et lui aboyait dessus pour la moindre raison. Parfois, il lui ordonnait de sortir et de ne pas rentrer avant le dîner. Comme si sa présence lui en coûtait. Il ne le comprenait décidément pas. Or, cette année, grâce à l'invitation miraculeuse des bonnes dams de Monthoux, le libraire débordait de joie. Il se félicitait que son fils noue des relations aussi profondes avec des nobles et se montrait avec lui amical. Il n'avait même pas reçu une seule correction. Le garçon appréciait cette évolution et espérait que son père poursuive sur cette voie. Même si l'appât du gain le motivait, tout progrès pour l'âme humain devait être encouragé.

Pour cette journée, le libraire Bellanger avait loué une mule pour que son fils arrive décemment au domaine de Monthoux. Dans ses paniers reposaient un chargement de livres dont le garçon avait choisi les titre avec soin. De nombreux exemplaires de poésie, deux ou trois Vies de Saints, toutes dotées d'illustrations sublimes, puis quelques romans, qui racontaient des aventures épiques ou de belles histoires romantiques. L'apprenti libraire les connaissait tous et auraient pu,à leur sujet, disserter plusieurs heures dessus. A côté de cela, le garçon avait naturellement emporté de belles feuilles blanches et des fusains de qualité. Il aurait aimé posséder des couleurs mais cela so père, malgré sa bonne humeur, le refusait.

Lors de son voyage entre la librairie et le château, Alexandre prit son temps et s'arrêta ici et là pour discuter avec quelques commerçants. Cela ferait surement de bonnes anecdotes à raconter à ses amies. Il arriva finalement finalement au domaine et posa pied dans la cour. Deux esclaves étaient en train de la balayer. Le jeune homme en appela un d'un ton assuré, conscient de sa position sociale, légèrement soucieux malgré tout de ne pas les écraser.

"Je te prie de transporter mes affaires là où mademoiselle de Monthoux m'attend, mon brave. Ce sera peut-être lord. Prends soin d'accomplir plusieurs voyages s'il le faut mais n’abîme rien."

Sur ce, Alexandre s'éloigna, les mains serrées autour de ses béquilles, et rejoignit l'entrée. Il ut cordialement introduit par l'intendante et la suivi vers la salle où l'attendait ses hôtesses. Le salon était parfaitement charmant. Son regard se posa notamment vers une peinture qui représentait la négociation d'Orphée aux Enfers. Il sourit à Florentyna.

"Bonjour à vous, mademoiselle, je suis bien aise de vous revoir et je vous remercie sincèrement pour votre généreuse invitation."

Il préféra ne pas répondre sur le commentaire de son père. Mieux valait ne pas parler que risquer un mensonge. Il s'installa sur al chaise proposée et revint sur le sujet du tableau préalablement observé.

"Le sujet de cette peinture est merveilleusement bien traitée. La noirceur des Enfers est particulièrement rendue grâce aux traits secs qu'a donné l'artiste, associé à l'utilisation quasi omniprésente de la couleur noire. Le désespoir habite ce tableau. c'est palpable. Pourtant, sur ce coin, là-bas, minuscule, certes, on distingue un bout de lumière. Sans doute, la représentation d'Elpis ? Une manière de nous enseigner que même face à la fatalité, il nous faut garder espoir, que les choses peuvent s'arranger."

Tout à son analyse de la peinture, Alexandre ne se souciait pas de l'esclave qui apportait les livres et le matériel de dessin vers lequel la servante s'avançait pour aider. Il ne s'arrêta de parler que quand Florentyna s'éloigna pour appeler sa belle-mère. Son regard se promena ailleurs, à étudier la décoration du salon, prêt à découvrir de nouveaux chefs-d'oeuvres.

Enfin une journée différente ! Aujourd’hui, elles allaient recevoir le jeune Alexandre, rencontré au mariage. Difficile de savoir qui de Florentyna ou de la jeune Comtesse était la plus excitée à ces retrouvailles. C’était bien le seul souvenir positif qu’elle gardait de son mariage.
Elle avant tant hâte de le voir esquisser son portrait ! Elle-même dessinait parfois, ce n’était jamais très probant et tout juste médiocre.

Kalisha terminait de s’apprêter dans ses appartements. Elle avait revêtu une robe pastel de couleur pêche, très printanière et parfaitement en adéquation avec l’explosion florale qui avait lieu en ce moment dans les jardins. C’était comme à chaque fois, une toilette à mi-chemin entre la rigueur monbrinienne et la légèreté djerdanne. Sa camériste achevait de placer dans ses longues boucles brunes des bijoux d’argent à l’effigie de petits oiseaux.

- Madame la Comtesse, votre rendez-vous est arrivé. indiqua une jeune esclave avec déférence.

Elle la remercia et sauta aussi vite sur ses pieds, serrant ses mains l’une contre l’autre de félicité. Elle faillit dévaler les marches deux par deux en courant pour arriver plus vite mais c’eut été là peu digne de son rang. Les débordements émotionnelles et l’impatience, c’était bon pour les petites filles, pas pour les dames de l’aristocratie. Elle se reprit donc, lissa sa robe, inspira pour se détendre et descendit aussi lentement et naturellement que possible -c’est-à-dire avec un certain empressement-.

Lorsqu’elle entra dans le salon, tous deux étaient déjà en pleine discussion sur cette affreuse peinture obscure qui décorait les lieux. L’artiste semblait s’en émerveiller mais elle-même ni voyait là qu’un profond désespoir qui trouvait un drôle d’écho dérangeant en elle.

- Je suis ravie que vous ayez pu vous joindre à nous Alexandre. Je sais combien votre travail est prenant et ne vous laisse que peu de temps pour vos loisirs.

La joie de la jeune fille ne décrut pas lorsqu'elle entendit Kalisha arriver... en retenant presque une envie de dévaler les marches ! Comme il était plaisant de la voir si réjouie certains jours ! Le bonheur et les peines de la princesse étaient si communicatifs à Florentyna. Ensemble, elles accueillirent Alexandre qui arrivait tout sourire et prenait place sur le siège préparé pour lui.

-- Vous avez raison, cette peinture est extraordinaire ! commenta-t-elle à la suite de son analyse. C'est l'œuvre d'un jeune artiste du nom de Palmieri et dont j'ai le plaisir et l'honneur d'être le mécène. Il s'inspire directement de la technique du clair-obscur des maîtres italiens et je suis certaine qu'il ira loin.

Elle s'installa à son tour, et nota le panier qu'un esclave amenait et déposait à côté du jeune Bellanger. Sans doute garni de belles lectures qu'il avait pris soin d'amener. Tout sourire, elle s'enquit, pleine de curiosité :

-- Oh ! Mais que nous avez-vous apporté là ? (Puis elle adressa un regard clairement complice et joueur à Kalisha, avant de reprendre à l'attention d'Alexandre, mais une main dans celle de la princesse : ) Au fait ! Joyeux anniversaire, Alexandre ! (rieuse et avec un clin d'œil : ) Nous avons toutes les deux mené notre petite enquête voyez-vous, et appris que cette réunion tombait de façon tout à fait opportune. D'ailleurs, nous avons quelque chose pour vous !

Elle se pencha quelque peu sur le côté, plongea les mains dans un sac laissé près du canapé et en tira un paquet cadeau assez conséquent qu'elle déposa le plus délicatement possible sur les genoux du garçon - la chose était un peu lourde.

-- De la part de Kalisha et moi.

En déballant son présent, le jeune Bellanger pourrait découvrir une imposante mallette d'une très élégante facture, en bois verni orné de fines dorures. Quand il l'ouvrira, se révélera alors à lui tout un nécessaire pour la peinture à l'huile : tubes, godets, quelques brosses, un carnet de feuilles épaisses, médium et essence de térébenthine.

Alexandre écoutait avec ravissement les informations que lui révélaient Florentyna sur la tableau que tous deux étaient à présent en train de regarder.

"Ah ! Mais oui ! Je me suis rendu il y a quelques semaines à une exposition sur le thème de la fatalité. Magnifique, au demeurant. J'imagine que vous avez du également la visiter. J'y ai aperçu à cette occasion deux autres toiles de ce Palmieri. Je reconnais parfaitement ces traits, ces couleurs.. Oui, on y sent parfaitement son style."

Le jeune homme se retourna à l'entrée de Kalisha et sourit de son empressement. Sa visite lui prcurait-elle autant deplaisir ? Il s'en sentait rougir. Il ne méritait pas tant d'efforts.

"Soyez plus prudente, comtesse, les escaliers sont souvent traîtres et leurs chutes dangereuses. Croyez-moi, vous ne voudriez pas déambuler en béquilles plusieurs semaines. Ce serait épuisant. IL faut mieux savoir refréner nos passions, même si cela est difficile, plutôt que de se livrer à quelques imprudences dangereuses."

Il se rappela savoir oublié de la saluer, en lui adressant al parole, et rougit de cette convince.

"Veuillez m'excuser pour cette faute d'éducation, madame. Je vous salue et vous remercie de cette invitation. Oh, je peux être occupé à la librairie mais mon père me laisse quelques matinées de libres de temps en temps. Et une journée complète par semaine. "

Le jeune homme sourit à Florentyna quand celle-ci commença à l'interroger sur les livres qu'il avait amené et que l'esclave venait de déposer sur la table. Son regard ne prêtait aucune attention à cet homme qui se retirait, pas plus qu'à la servante qui l'avait aidé. Sa seule attention était pour ses hôtesses.

"J'ai réalisé une petite sélection de ce qui pourrait vous plaire de ce qui serait susceptible de vous plaire, mesdames. D'abord, ces deux recueils de poésie. Je n'en ferai pas l'article. Comme vous le savez bien, la poésie se lit, s'entend.. mais celle-ci supporte assez mal d'être résumé. Voici aussi deux romans qui relate une histoire d'amour tortueuse et à priori impossible. puis, finalement, deux ouvrages plus sérieux qui vous apprendront des points de vue intéressant sur l'histoire de notre bon royaume. J'ai beaucoup apprécié notamment cette relecture du règne du Roi Albert III, vous savez, celui que l'on considère fou du fait de ses positions hasardeuses. L'éclairage qui est donné à son égard dans ce livre remet considérablement ces présomptions en cause. Comme on dirt, les vainqueurs écrivent l'histoire et en reprenant le trône, le fils a souillé la mémoire du père. Triste destin, n'est-ce pas ?"

Alexandre eut à peine achevé ses explications que Florentyna reprit la parole, mais non pas pour commenter le choix de ses ouvrages, mais pour lui souhaiter son anniversaire. Il se sentait rougir. Seule sa mère le lui disait.

"Je vous remercie, madame, vous êtes bien bonne."

Le jeune homme, déjà tout étonné que l'on pense à lui souhaiter son anniversaire, resta interdit quand la demoiselle lui tendit un paquet, assez volumineux, pour le déposer sur ses genoux. Il l'observa, confus, hésitant à l'ouvrir.

"Je.. c'est pour moi ? Vraiment ?"

Il continua à observer les deux jeunes femmes, nullement moqueuses, réellement ravies de lui offrir un présent. L'émotion rendait Alexandre tout chose et quelques larmes perlaient au coin de ses yeux.

"Vous êtes si bonnes, mesdames. Si généreuses. Si gentilles. Je ne sais pas quoi dire. Merci. Merci beaucoup."

Encore tout ému, Alexandre se décida à ouvrir la mallette, les mains tremblantes et demeura interdit devant les merveilles que celles-ci renfermait. Ses yeux s'écarquillèrent, sous le choc de constater que ce materiel, qui le faisait certes rêver, serait pour lui. Il commença à toucher les pinceaux, mais plus encore toutes ces couleurs, celles avec lesquelles il avait eu si souvent envie de s'essayer.

"Mon Dieu, mon Dieu, mon Dieu ! Vous avez fait des folies ! Je ne le méritai pas, voyons !"

Ses yeux étaient de plus en plus humides tant l'émotion de ce moment le rendait fébrile. Il continua à examiner les tubes de couleur, arrivant difficilement à croire que tout ceci était désormais à lui.

Lorsqu’elle entra dans le salon, elle fut accueillie par Florentyna et Alexandre qui la sermonna gentiment sur son empressement à descendre. Kalisha se sentit rougir et détourna le regard.

- Je… Je suis descendue lentement, c’était juste impression!

Plus lentement que ce qu’elle avait prévu aurait sans doute été plus proche de la réalité. Quelle idiote! Pour qui passait-elle à se précipiter ainsi ? N’avait-elle donc retenu aucune leçon de ses longues heures de cours d’étiquettes et de bienséance? Pour qui passait-elle ? Elle avait soudainement envie de s’enterrer de honte, quelque part n’importe où...

Heureusement, elle pouvait compter sur son amie pour changer habilement le sujet qui dériva vers les livres apportés par Alexandre. De la poésie ! Kalisha avait les yeux qui brillaient à ce simple mot. Elle faillit s’exclamer mais se retint de justesse, se rappelant de la leçon encore fraiche de l’escalier. Et puis les histoires d’amour impossible, c’était bien aussi. Même si cela n’arrivait que dans les romans. Quant à l’Histoire, cela ne l’intéressait pas vraiment mais pour autant il aurait été mal venu de faire la moue. Surtout lorsqu’il s’agissait de son pays d’accueil. Elle se força donc à acquiescer poliment et à répondre d’une voix aussi calme que possible.

- Il nous sera bien difficile de faire un choix parmi toutes les merveilles que vous nous avez apporté aujourd’hui.

Florentyna mit sa main dans la sienne et elles lui souhaitèrent de concert un joyeux anniversaire. Sa retenue venait à nouveau de s’envoler quelque part au-dessus d’elle. Elle était terriblement excitée à l’idée de le voir découvrir ce cadeau qu’elles lui avaient fait. Il allait être si heureux ! Il y avait même du Verdigris ! L’outre-mer était hors de prix mais ce bleu n’était pas si mal.

Les yeux d’Alexandre scintillaient et elle la Comtesse secoua vivement la tête pour répondre à sa question rhétorique.

- Bien sûr que si ! Mais j’espère que j’aurais le droit à un joli tableau à afficher dans mes appartements, Alexandre..

Il était si ému, c'était terriblement touchant. Il n'y avait rien de plus beau que d'offrir le cadeau parfait. Et si fortune pouvait faire le bonheur d'un autre alors rien ne la réjouissait plus. Cela donnait au moins un avantage à son mariage...

Fatalité. Mot qui sonna aussi noble que dur aux oreilles de la demoiselle. Mot qui envahissait souvent les pensées parfois déboussolées de Florentyna, avec son lot de questions. Fallait-il l'accepter comme les stoïciens - dont l'exposition de peinture avait vanté d'ailleurs les vertus à travers une série de portraits de leurs plus fiers représentants ? Changer ses désirs plutôt que l'ordre du monde... ou du moins n'intervenir que ce sur quoi l'on avait vraiment du pouvoir ? Ou bien pouvait-on avoir l'audace quelquefois de sortir de sa condition ? Elle garde ces interrogations pour elle.

-- Oui bien sûr, j'ai visité aussi cette belle exposition. C'est d'ailleurs à sa suite que j'ai acquis cette toile et suis entrée en contact avec l'artiste. J'espère qu'il n'en est qu'au début de sa carrière que je souhaite florissante.

Kalisha fit là-dessus son entrée à vive allure, d'un pas qui laissait deviner à quel point elle s'était pressée, impatiente qu'elle était de cette visite. Florentyna accueillit d'un petit rire les fausses remontrances qu'Alexandre fit à la princesse. Le garçon soulignant, sous des airs de boutade, les difficultés de sa condition quotidienne de personne invalide. Il fallait en effet ne mieux pas souhaiter des béquilles à la Djerdanne et, devant le rose de honte venu teinter les joues de cette dernière ainsi que sa répartie toute confuse, la fille de Monthoux embraya :

-- C'est que nous étions ravies et dans la hâte de vous recevoir ! Il est difficile parfois de garder nos passions dans un parfait état de sagesse et nos vies n'auraient pas cette saveur sans les petits hauts et petits bas d'un tempérament. Ils sont comme les épices et le sel dans les plats.

Dans la mesure, bien évidemment, du raisonnable. Quelques petites joies, de légères peines, mais rien qui ne vienne déséquilibrer la bonne ordonnance des humeurs ni la mécanique nécessaire de la tempérance sociale. Là-dessus, Alexandre s'installa, le serviteur et l'esclave se retirèrent tandis que toute l'attention des deux nobles était déjà pour les livres que leur présentait leur jeune hôte.
Elle acquiesça après l'intervention de Kalisha : il était bien ardu de choisir ! La poésie savait toujours emporter les sens de la fille de Monthoux, mais elle se savourait sans pouvoir être résumé ni consultée au débotté en si peu de temps... Les romans d'amour et d'aventures, elle en avait déjà lus un certain nombre mais elle ne disait jamais non à de nouvelles péripéties, cherchant ici et là des idées neuves ou appréciant tout du moins la peinture minutieuse des sentiments traversés par les amants - le voyage sur leur "carte du tendre". Quant au livre d'histoire, il titilla la curiosité de la demoiselle. En effet, il était bon de dépoussiérer régulièrement les acquis de l'Histoire. Certains personnages méritaient réhabilitation.

-- Triste, oui. Mais heureusement, il se trouve souvent des chercheurs scrupuleux qui ont à cœur le souci de déterrer certains sujets, de les creuser mieux que leurs prédécesseurs, d'offrir des portraits plus nuancés de certaines figures. J'avoie assez peu connaître le cas d'Albert III et je me laisserais volontiers tenter par cette approche neuve de son portrait.

Toutefois, elle connaissait maintenant assez Kalisha pour savoir que son cœur irait en premier lieu vers la poésie. Ses yeux d'ailleurs auront immédiatement croisé ceux de la princesse à la mention du recueil des vers. Sans un mot même, elles parurent tomber d'accord sur l'acquisition au moins de cet ouvrage-là. Aussi Florentyna ajouta-t-elle :

-- Ainsi, bien entendu, que par cet ouvrage de poésie ! Nous ne sommes jamais assez rassasiées d'odes et de sonnets. Voulez-vous bien que nous les consultions ?

Mais à peine venait-il d'achever la présentation de ses ouvrages que les deux jeunes dames lui offrirent leur cadeau. La fille de Monthoux pouvait sentir depuis sa place toute l'impatience qui dansotait dans le regard de Kalisha : avec elle, le plaisir de contempler la réaction de leur ami. Florentyna elle aussi débordait de hâte, toute heureuse comme de coutume à faire des cadeaux parfois plus encore que d'en recevoir. Elle sentit son cœur se serrer au spectacle de l'humilité du fils Bellanger, osant à peine ouvrir le paquet, hésitant, contemplant le trésor. Recevait-il donc si peu d'affection et de cadeaux ? Du moins... pas des présents de cette valeur, la fille de Monthoux pouvait le deviner. Sa timidité ne put que la laisser tellement attendrie ! Et puis... cet émoi, ces larmes prêtes à couler... La demoiselle elle aussi sentit ses yeux s'humidifier : Alexandre était si touchant ! Quel bonheur que de voir un présent plaire à ce point ! Kalisha trouva les mots : évidemment que oui, leur ami méritait son cadeau !

-- Vous êtes un artiste ! Vous méritez amplement tout ceci aussi comme personne de talent... aussi bien que comme notre ami. (Un temps, puis à la suite de la princesse, plaisantine : ) J'en désirerai un aussi, pas de jalouses !

Alexandre opina d'un hochement de tête aux déclarations de Florentyna sur l'avenir de cet artiste. Il ne voyait pas quoi ajouter de plus à ce sujet. La conversation fut de toute manière coupée par l'arrivée empressée de Kalisha qui faillit s'étaler au sol. Le jeune homme lui adressa gentiment cette petite leçon pour la rappeler à plus de tempérance puis s'arrêta là, soucieux de ne pas jouer trop les moralisateurs. Il sourit là-dessus à l'intervention de Florentyna.

"Je comprends, oui. Moi-même, j'ai eu du mal à m'endormir hier soir."

Sur ce, ils s'installèrent pour causer littérature et Alexandre exerça toute sa passion pour présenter à ses hôtesses les différents ouvrages apportés. Il sourit devant ce fait qu'elles soient dans l'impossibilité de choisir par lequel commencer.

"Je comprends parfaitement. Tant de choix nous tournent la tête, n'est-ce pas ? Mais oui, mademoiselle Florentyna, heureusement quelques historiens ont à cœur de déterrer le passé pour nous présenter une version plus complète de l'histoire qui nous est enseignée. Cela doit nous permettre de réfléchir de ne pas se fier à ce qu'on nous dit et de savoir douter des versions d'un récit. Vous ne le pensez pas ?"

Il vint ensuite ce présent d'une valeur inestimable, posé sur ses genoux. Cette superbe mallette en bois sculpté, avec tant de merveilles dedans. Alexandre les observait avec une émotion qui lui serrait la gorge et continuait à murmurer des remerciements pour ses deux amies si bonnes. il sourit à la proposition de Florentyna.

"mais bien sûr, je vous ferai naturellement un tableau à chacun, mes si chères amies ! Et je pourrais également vous en réaliser de vous deux, côte à côte."

Le jeune homme déposa avec délicatesse la mallette sur la table basse, redoutant de l'endommager, puis prit une feuille et son fusain. il convenait avant tout de réaliser une esquisse avant d'envisager d'utiliser les couleurs. Son œil fixa longuement les jeunes femmes, concentré, pour apprécier les bonnes proportions et commença à reproduire sur le papier leurs silhouettes en commençant par le corps. La tête viendrait en dernier. Il s'agissait de la partie la plus difficile mais surtout de la plus importante. Tout en ouvrant, l'artiste continua toutefois à entretenir la conversation.

"Il y a deux jours, j'ai terminé la Geste du seigneur Gerbert. Il s'agit d'un roman picaresque, sans grande prétention, autre que celle d'amuser son lecteur. Le style s'avère agréable, très soigné. On sent que quand cet ouvrage l'auteur a pris plaisir à jouer de sa plume et à réinventer les formules. il compte dedans bons nombres de calembours et autres jeux de mots. Je ne sais cependant si cela saurait vous plaire. Beaucoup de ces expressions viennent de phrases qui sont dites au sein de la plèbe. Je les connais pour les entendre en marchant dans les rues mais elles vous seraient peut-être bien moins familières. En vérité, ce roman il se rapproche de la farce comique, très proche dans l'esprit de la Comedia Del Arte si populaire en Italie."

Sa main s'arrêta un court instant à l'évocation de ces farces qui se jouaient parfois à Braktenn, sur des tréteaux rapidement montés. Il se souvenait de la première qu'il eu vu, en compagnie de son ami Ulysse. Ulysse... Où se trouvait-il en ce moment ? Il avait dû finir ses études. Pourquoi ne revenait-il pas le voir ? Ils avaient pourtant jurés d'être amis pour la vie. Alexandre se remit à dessin, le cœur serré, s'efforçant de chasser ces souvenirs. Il se raccrocha à la conversation.

"J'aime beaucoup les costumes colorés que portent les comédiens lors de ces pièces. Ils sont si écarlates, si vifs... Et si beaux ! Ces farces sont sans doute un peu simples mais elles me plaisent malgré tout beaucoup. Parfois, l'esprit n'a pas à réfléchir. il peut aussi simplement s'amuser, ne le pensez-vous pas ?"

Florentyna avait toujours le don de trouver les bons mots au bon moment quand elle se sentait, elle, terriblement maladroite à côté. Cela faisait désormais plusieurs mois qu’elle était arrivée à Monbrina, mais elle ne parvenait toujours pas à trouver sa place. Ni dans ce pays, ni dans cette ville, ni même réellement au sein de son propre foyer. On lui avait fait abandonner sa culture, tous ses biens et attachements pourtant cela ne suffisait pas à faire d’elle une comtesse monbrinienne. Elle restait toujours la « princesse djerdanne ». Pour eux. Car Djerdan l’avait en revanche complètement oublié. Elle ne recevait guère de nouvelles si l’on exceptait une lettre de temps à autre de sa sœur pour la sermonner. Kalisha se trouvait entre deux cultures. L’une ne lui appartenait plus et l’autre ne voulait pas vraiment d’elle. Il n’y avait désormais plus qu’un grand vide en elle qui ne cessait de s’agrandir chaque jour qu’elle passait le ventre vide. Elle bénissait toutefois que quelqu’un -elle ne savait plus bien à quel Dieu se vouer- ait mis la formidable Florentyna sur son chemin. Elle n’osait imaginer ce qu’aurait pu être la vie ici sans elle pour l’égayer.

Sa belle-fille était l’archétype parfait de la jeune noble : douce, souriante, cultivée, agréable, intelligente, curieuse -mais point trop-, doté d’une certaine retenue, élégante, compréhensive… Kalisha l’admirait en tout point. Là encore devant Alexandre, elle la trouvait formidable. Elle prenait note de chaque parole qu’elle prononçait pour tenter de l’imiter lorsque son tour viendrait plus tard. Elle acquiesça donc volontiers à sa remarque sur l’histoire et un large sourire s’étira lorsqu’elle se décida pour la poésie.

Alexandre ému par son cadeau accepta les commandes spéciales qui lui étaient demandées.

- Oh oui! Excellente idée! Commencez par ce dernier Alexandre, s’il vous plait

Déjà, il se mettait à l’œuvre tout en poursuivant la discussion littéraire. La jeune comtesse suivait du regard ses doigts adroits tracer avec application des lignes et autres courbes. Elle était fascinée par ce qui naissait sur ce papier, juste sous ses yeux. Des traits émergèrent des formes grossières qui se détaillaient petit à petit.

- Je ne sors pas beaucoup. La ville me fait peur. commenta-t-elle sans quitter des yeux ses mains.

- Je ne connais que les pièces classiques mais certaines sont très amusantes. Je pense que vous avez entièrement raison, il est parfois bon d’oublier de penser.

C’était un peu comme cet instant précis, où elle ne faisait que profiter du moment sans songer à sa position ou au futur plus ou moins lointain qui l’attendait. Elle aurait bien voulu que l’on puisse lui révéler son avenir. Naviguer dans le brouillard était effrayant. Alors quitte à ne rien à percevoir, elle préférait encore fermer les yeux.

Les paroles d'Alexandre concernant l'Histoire étaient d'une grande sagesse. Elles témoignaient d'une instruction certaine. Florentyna ne put que les approuver, tout en dégustant un peu des gâteaux à disposition. Avec un regard vers Kalisha dont elle capta, reconnaissante, son sourire pour le choix des livres de poésie, elle rebondit quant au sujet de l'étude du passé :

-- Cela me semble même intrinsèque à la discipline : il faut réviser nus jugements. L'histoire est une matière en perpétuelle évolution, comme n'importe quel autre terrain d'étude d'ailleurs. La pensée doit être prête bouger, et certaines théories prêtes à être révisées, dès qu'il se présent toujours de nouvelles découvertes sur une période. On ne doit jamais être sûrs et certains de ce qu'on sait d'une époque ou d'une figure du passé. Je me demande souvent comment nous-mêmes serons regardés par la postérité. Ce qu'il sera dit des remous politiques actuels...

Elle pensait bien entendu à Kalisha, notamment. Que diraient les générations futures de cette alliance entre Djerdan et Monbrina - pacte dont la jeune femme était le sceau... Un rôle si lourd, et que la demoiselle savait intimidant pour sa belle-mère. Sans compter tous les efforts qu'elle mettait à être une grande dame monbrinienne. Pourtant, la jeune Monthoux était convaincue qu'en retour, la cour de Braktenn gagnerait à s'intéresser davantage à ce qu'était Kalisha ! Ce qu'elle amenait avec elle d'histoires, de culture, de raffinements... et bien sûr de sentiments personnels derrière la personne officielle.
Elle trouva excellente l'idée d'un portrait les réunissant, elle et Kalisha, et se félicita que cette dernière ait pris les devants pour réclamer un pareil tableau. Florentyna l'en remerciera d'un sourire. Au moins, à Monthoux, les deux jeunes femmes se seront trouvées - faute d'un époux décent pour la princesse djerdanne... Et déjà, Alexandre commençait à dessiner. Florentyna ne s'attendait pas à ce que la séance débute là, comme cela, aussi vite. Elle en rosit, déposa sa tasse après quelques gorgées de thé et demanda :

-- Faut-il prendre une pose particulière ? Voulez-vous que nous continuions à discuter ou vous faut-il toute votre concentration ?

Mais apparemment, Alexandre poursuivait volontiers la conversation. Oh ! A la bonne heure ! Ce ne serait pas une de ces séances de pose ennuyeuses et guindées. Toutefois à présent que Florentyna avait vu le fusain du jeune commencer à danser sur la feuille, elle essaya de ne pas bouger autant qu'avant. Au moins put-elle se concentrer tout entière sur ce qu'il disait du roman picaresque et de ses mélanges surprenants de vocabulaire.

-- Oui j'en ai entendu parler mais je n'ai encore jamais lu ce type de fictions. Ne sont-elles pas trop... vulgaires ? La comédie et les récits bouffons aiment à donner parfois dans la grivoiserie gratuite... En revanche, un autre regard sur le monde par le voyage - et par la rencontre de toute une palette de personnages de la société - cela m'intéresse au plus haut point ! Je regrette parfois que les obligations de notre rang nous obligent (dit-elle en incluant Kalisha dans ce "nous" et avec un regard de sororité) à ne pas aller directement au contact de gens... que nous gagnerions pourtant à connaître de plus près. Afin de les mieux comprendre et faire le meilleur pour leur quotidien, puisque telle est notre responsabilité.

Une vague de tristesse traversa son visage. Florentyna savait que la jeune princesse avait passé toute son enfance dans le palais de Djerdan, à ne quasiment pas pouvoir sortir, ni voir autre chose que le harem et les appartements des souverains. Savoir si peu de son propre peuple... Un maque que partageait la demoiselle de Monthoux et qu'elle cherchait à combler a mieux par ses opérations de charité, ou bien ses visites à des artistes dans le cadre de mécénat.

-- Je comprends, souffla-t-elle d'ailleurs à la confession de Kalisha quant à la ville. Il y a de quoi être intimidé par son agitation constante, surtout lorsqu'on y est depuis si peu de temps encore comme vous. (Puis, plus guillerette) Il faudra que nous remédions à cela ! Nombre de salons littéraires, d'expositions, de salles de concert et de théâtre valent trop le détour ! Vous vous accoutumerez...

Alexandre, là-dessus, eut l'air mélancolique à l'évocation des comédiens sur leurs tréteaux. Cela lui rappelait-il un douloureux souvenir ? Dans le doute, Florentya n'insistera pas, respectant avec pudeur sa secrète douleur. Mais elle nota, aussitôt après, à la question d'Alexandre tout comme à la remarque de Kalisha :

-- C'est même essentiel ! Et parfois, on peut même réfléchir sans s'en rendre compte tout en s'amusant, s'instruire des vices de ce monde derrière les farces d'une bonne comédie ! (Un temps, puis avec un petit sursaut joyeux à une idée qui lui vint) Et à propos de jouer, que diriez-vous de bouts rimés ? Chacun donnerait à son voisin deux paires de mots qui riment, et à lui d'en improviser un petit quatrain !

Voilà qui, jugea-t-elle, pourrait rendre amusante la séance de peinture !

Face à ses amies, Alexandre poursuivait l'esquisse de leur portrait. Les visages commençaient à prendre forme, d'un trait étonnamment fin et léger. Il écoutait en même temps Florentyna lui répondre sur sa vision de l'histoire.

"Je partage votre opinion. Il faut se souvenir que les civilisations et les sociétés évoluent avec les siècles et les valeurs et les regards changent et se modifient. Songeons que du temps des Romains, le père de famille disposait de tous les droits sur les membres de sa maisonnée. Même sur ses esclaves. Il pouvait décider, de sa seule décision, de supprimer un enfant si celui-ci serait une nouvelle fille ou si le bébé se révélait frappé de l'infirmité."

Sa main autour du fusain trembla à cette pensée. Si les choses n'évoluaient pas, lui serait... Son corps s'agitait. Son père aurait-il pu décider de le laisser mourir ? Quelqu'un aurait-il eu la générosité de le recueillir ou serait-il mort de faim, hurlant à pleins poumons ?  

"Mais heureusement la religion chrétienne est venue et ces pratiques barbares ont enfin cessé. Je suis certain que dans plusieurs siècles les historiens s'étonneraient eux du traitement que l'on réserve encore à certains infirmes, les croyant marqués par Dieu."

Sur ces réflexions un peu graves, Alexandre poursuivit le dessin et la conversation et se mit à évoquer ses sorties en ville. Kalisha déclara sortir peu, que les rues lui faisaient peur. Ce que Florentyna partageait.

"Je comprends. Il est vrai que pour des femmes, seules, les rues seraient dangereuses. On raconte depuis quelques temps la présence d'un violeur qui sévirait dans la forêt et attaquerait les jeunes nobles. Et que lors des périodes hivernales, poussé par la faim et le froid, et assaillirait là encore de jeunes nobles, pour abuser d'elle, puis les détrousser. Il se nommerait Sylvère et aurait la prétention de se faire nommer le roi des brigands. ou le roi d'Aiguemorte. On dit aussi de lui qu'il serait capable de tuer à mains nues. A entendre toutes ces histoires, cela semble être un monstre."

Alexandre s'arrêta de parler pour se concentrer à dessiner les mains des jeunes femmes. Un passage difficile qui requierait toute son attention. Une fois fini, il reprit :

"Mais ce sont peut-être là des légendes. Ce Sylvère n'existerait pas réellement mais serait un condensé de nombreux récits. Un peu comme les nombreuses versions des mythes grecs. Cela n'empêche... Il reste dangereux pour une femme de sortir seule en ville. Les hommes ne sont que prédateurs qui ne pensent qu'à assouvir leurs besoins méprisables."

Tout à ces pensées, Alexandre s'interrogea une fois de plus sur pourquoi il ne ressentait aucune de ces pulsions qui, selon so père, était un naturel pour un homme. Il se pensait plus équilibré que les autres. Lui se montrait respectueux, à la fois envers la gente féminine et les valeurs chrétienne.

"Pour en revenir à ces pièces comiques, burlesques même, je ne les juge pas de vulgaires. Après, tout dépend de l'endroit où vous serez. Dans un quartier où se trouvent des tavernes ou une maison close, il y a risque d'entendre des choses assez osées. Néanmoins, sur une place, près du marché ou devant une église, elles sont divertissante. Je recommande d'ailleurs ces troupes qui se produisent devant les églises. Leurs pièces sont excellentes et les curés les tolèrent, considérant que celles-ci exercent une catharsis pour la population. Au moins, cette activité est bien mieux que celle du charivari."

Alexandre continuait de dessiner tout en écoutant à présent Florentyna , puis il sourit d'entendre son idée de jeu.

"Pourquoi pas ? ce pourrait être amusant ! Que diriez-vous de commencer, Florentyna, pour nous donner l'exemple ? Voyons.... Que feriez-vous avec impair et repère, puis merveille et soleil ?"

L’on dissertait sur l’histoire et les pensées de Kalisha voguèrent vers les rivages de Djerdan et les bordures des colonies. Comment ne pas faire le parallèle lorsque l’on évoquait l’empire romain ? Pour sa part, elle ne trouvait pas que les pratiques barbares aient disparu, mais elle n’osa pas dire quoi que ce soit se contentant d’un évasif :

- Le problème c’est que l’histoire est toujours écrite par les vainqueurs. Qu’en est-il de l’autre point de vue ? Qui vous dit que c’est la vérité ou même la réalité ?

La princesse se mordit les joues en se disant qu’elle aurait sans doute mieux fait de garder ses sombres pensées pour elle-même plutôt que de gâcher l’euphorie du moment. Ils discutèrent ensuite des représentations théâtrales dans les rues et Alexandre leur fit part des rumeurs sur un dénommé Sylvère d’Aiguemorte. La forêt… S’il y avait bien un endroit plus dangereux que les rues, c’était certainement les bois. Ce n’était peut-être qu’un mythe, mais tous les mythes prenaient racine dans un fond de vérité. On ne pouvait pas avoir une réputation pareille en étant blanc comme neige.

- Je pensais que vous avez raison. répondit-elle à son amie Nous pourrions allez voir cette troupe, Florentyna, qu’en dites-vous ? Quitte à se faire accompagner d’un ou deux gardes, si besoin.

Elle se sentirait sans doute plus en sécurité ainsi, au milieu de tous ces tire-laines avides de ses richesses et… D’autres choses. Sa belle-fille, jamais en reste pour animer les réunions et autres salons proposa aussitôt un jeu de rimes. Pourrait-elle rivaliser avec eux ? La poésie, elle en lisait beaucoup, mais en faire, c’est autre chose.

Alexandre donna ses paires et Kalisha se tourna vers elle, curieuse de savoir ce qu’elle allait inventer.

Florentyna brûlait d'envie de jeter un coup d'œil à la feuille sur laquelle travaillait Alexandre. Elle aurait raffolé de voir l'avancement de l'œuvre - cependant on ne dérangerait pas un artiste. Certains développaient un trac énorme quand on les observait à leur métier. Tant pis. La demoiselle verrait le tableau une fois achevé, en même temps que Kalisha, et son impatience n'en était que plus grande. Bien évidemment elle n'en montra rien.

-- Quelle horreur... murmura-t-elle aux rappels des lois les plus rudes des temps anciens. Oui, pour tout ce que l'Antiquité nous a légué de splendide, elle a aussi comporté son lot de barbarie et à Rome, la place des femmes y a été une des pires de l'histoire. (Aux ferventes paroles chrétiennes d'Alexandre, elle demeure plus songeuse et réagit enfin) Nos religions monothéistes, que ce soit la nôtre ou celle de Djerdan, sont infiniment perfectibles, mais en effet on ne peut pas leur enlever qu'elles ont mis fin à des pratiques comme les sacrifices humains ou que sais-je encore. Quoique, vous me direz... il est bien d'autres manières de sacrifier son corps ou son âme. (Plus réjouie) Mais pour en revenir aux femmes, oui j'ai même appris dans de récentes lectures que contrairement à ce qu'on aime faire accroire, entre le neuvième siècle et le quatorzième, la condition de nous autres dames était même bien plus émancipée que durant l'Antiquité... et même que maintenant à certains égards. Il faut croire que l'Histoire aime faire la roue !

Sur cette image, Kalisha ajouta une question évidemment rhétorique mais pleine de vérité. Trouverait-on un jour des traces de ce que fut le point de vue des gens plus discrets... Florentyna en doutait. C'étaient les grandes fortunes de ce monde, qui disposaient des moyens de se faire écrire leur généalogie et leurs prouesses. Là-dessus, elle s'outra du portrait qu'Alexandre brossa d'un certain Sylvère, et d'un hochement de tête tomba d'accord avec lui et - semblait-il - avec Kalisha quant à la dangerosité et des rues et des bois. Il y rôdait de plus en plus de malfrats, il s'y formait des cours entières de brigands, d'estropiés. La forêt... serait même le siège d'esprits du Malin. Sans parler des animaux sauvages et des routiers qui ne se privaient sans doute pas d'abuser des malheureuses en voyage. Heureusement, Kalisha changea vite de sujet et sa proposition enchanta le jeune femme :

-- Oh oui ! Il le faudra ! Je suis certaine que Père sera d'accord, pourvu en effet que nous nous fassions accompagner. On ne sait jamais ce qui peut survenir aux carrefours. (Un temps) Nous pourrions même sortir assez sobrement vêtues : autant ne pas soumettre les possible tire-bourses à la tentation. Voilà bien longtemps que je n'aurais pas vu de théâtre de rue. (à Kalisha) Cela se fait-il à Djerdan ? (se rappelant soudain qu'elle ne sortait guère du palais) Enfin... je veux dire... vous et les autres princesses bénéficiez-vous parfois de spectacles dans l'enceinte de la demeure royale ?

Au grand bonheur de Florentyna, son idée de jeu enthousiasma Alexandre et elle vit également aussitôt la princesse tourner sur elle son regard plein de curiosité. Elle avait intérêt maintenant d'être à la hauteur ! La fille de Monthoux hocha la tête aux mots proposés par Alexandre, croisa les mains devant sa bouche et se concentra quelques instants. On la vit front plissé, à faire de tout petits hochements de tête alors qu'elle comptait ses syllabes... avant de se racler la gorge et de se lancer :


Elle rosit, eut un petit rire nerveux, avant toutefois de sourire. L'improvisation restait une activité dont elle était des plus friandes et elle ne manquait jamais une occasion de s'entraîner - ni de s'instruire de celles d'autrui. Malgré tout, une pointe de trac l'aiguillonnait toujours en même temps que le plaisir qu'elle prenait à ce genre de jeu d'esprits. Elle glissa, à la fin de ses vers, un clin d'œil à ses comparses puisqu'il avait précisément été question de théâtre, avant de se tourner vers la princesse à qui elle proposa - en même temps qu'un nouveau gâteau que le plateau qu'elle lui tendit :

-- Souhaitez-vous essayer ? (Un temps, réfléchissant, malicieuse) Si oui, je vous proposerais... hum... "couleur" avec "leurre", et "santé" avec "compter" ?

Tout en poursuivant son esquisse, sur laquelle apparaissaient de plus en plus nettement les silhouettes des deux amies, assisses sur ce canapé, Alexandre écouter Florentyna abonder dans son sens sur les horreurs épouvantables que la civilisation romain s'était permise. Elle ajoutait, à jute titre, la place atroce des femmes, qui ne valaient guère mieux que celles des infirmes. Là aussi, le père de famille avait toute autorité sur elles et pouvaient librement décider de ne pas reconnaître celle qui venait pourtant de naître de son épouse. Une singulière épique qu'il convenait de plus jamais ressusciter. Le christianisme possédait ses faiblesses mais leur religion prônait l'amélioration de l'être humain et surtout l'humiliation. Peu à peu, les réformes viendraient, lentement, et les gens apprendraient véritablement à s'aimer. Kalisha intervenait justement pour rappeler le triste constat que l'Histoire était écrite par les vainqueurs. Comment savoir la réalité véritable ?

"Il est certain que nous n'aurons que bien souvent une réalité tronquée des événements. Ceux que l'on nomme perdants n'ont que rarement voix au chapitre. Ou sont même rayés des actes. là encore l'Empure romain, ou celui des Egyptiens, se distingua. Mais on trouve parfois des documents qui ont survécu. C'est justement le devoir d'unhitorien, à mon sens, que de creuser dans une autre direction que les versions officielles si celui-ci souhaite rétablir la vérité."

Peu après, les deux jeunes femmes semblèrent enthousiastes à cette idée de vor tantôt une pièce théâtrale jouée dans les rues. Alexandre continuait de dessiner, puis releva la tête.

"Si ce projet se concrétise, faites-moi donc de prévenir. Je pourrais vous servir de guide et me renseignerai des troupes du moments."

Florentyna s'accorda ensuite un temps de réflexion avant de produire un superbe quatrains, qui exaltait les mérites des anciens héros de l'antiquité. Alexandre posa son fusai et applaudit.

"Bravo, bravo, c'est magnifique ! On sent toute la condition de ces héros, déchirés par un sort injuste qui s'acharne perpétuellement sur eux, auréolés de gloire. Que d'émotions et de faits résumés en si peu de mots !"

Il reporta so attention vers son esquisse, qui lui semblait à présent parfaite, au moment où Kalisha recevait ses mots. Les traits étaient fins, légers... La ressemblance et les proportions convenaient et les expressions de ses amies étaient plaisantes, enjouées. Il se décida à leur montrer.

"Mesdames, si vous le permettez, avant que je passe aux couleurs, jetez un regard à mon ouvrage."

Kalisha hocha vivement la tête à la mention de la sortie en ville. L’excitation de la découverte surpassait désormais sa crainte de l’inconnue. Jusqu’à ce que Florentyna l’interroge sur sa vie à Djerdan. L’étincelle sembla s’éteindre brièvement et elle se referma quelque peu avant  déclarer.

- Je… Et bien oui, nous recevions des saltimbanques de temps à autre. J’aimais beaucoup les dresseurs de singes et de perroquets, ils sont si amusants ! Et les acrobates aussi ! Certains peuvent se mettre dans des positions que l’on peine à croire possible !

Elle se souvenait des spectacles à la tombée de la nuit, dans l’une des cours, près de la fontaine centrale qui glougloutait lentement. La fraicheur relative de la nuit, les lucioles, les parfums des fleurs de jasmin… Elle se perdit dans ses souvenirs pour ne revenir qu’à la remarque du jeune artiste.

- Je n’y manquerai pas. C’est très gentil à vous de vous proposer comme guide répondit-elle en osant jeter un œil discret sur sa feuille.

Florentyna improvisa un magnifique quatrain et elle se mit à applaudir devant la prouesse de son amie. On lui offrit les paires couleurs/leurre et santé/compter. Elle écarquilla les yeux et se plongea dans une intense réflexion. Elle compta sur ses doigts les pieds. C’est compliqué sans pouvoir griffonner ses idées… Petit à petit au gré des vers, une image s’assembla dans son esprit. Au bout d’un certain temps, elle osa timidement déclamer sa création.

Elle attendit le verdict puis Alexandre leur montra son travail. À nouveau, ses grands yeux bruns s’agrandirent devant son travail. Elle claqua ses mains, jovialement.


- comment avez-vous pu faire quelque chose de si beau et de si ressemblant en si peu de temps ?! Et tout en discutant ! C’est magnifique Alexandre, vous avez un réel talent pour le cela ! Quel coup de crayon ! J’aimerais pouvoir en faire autant.

Elle avait réellement hâte de voir la suite. Ce portrait allait être si beau !

- Pensez-vous pouvoir jouer avec nous ? Je pourrais vous proposer feuille et écureuil puis amour et pourtour ? Qu’en dites-vous ?

Des dresseurs de singes et de perroquets ? Voilà quelque chose que Florentyna n'avait jamais vu ! Au mieux s'était-elle contentée d'apercevoir de loin quelques montreurs d'ours - et encore, sans jamais vraiment s'approcher. On lui disait qu'il était indigne d'une jeune fille de son rang de trop se faire voir aux premières loges de spectacles de cette nature. Et puis, était-ce vraiment bien pour les animaux ? Les bêtes exotiques toutefois éveillaient toute sa curiosité et son sourire s'agrandit à la mention des acrobates. Apparemment, tout ne se passait que dans l'enceinte du palais et Kalisha ne sortait jamais... Ce ne fut donc qu'avec d'autant plus d'enthousiasme qu'elle applaudit la proposition d'Alexandre ! Avec lui comme guide, la princesse et la fille de Monthoux s'amuseraient beaucoup au gré des rues !

Le rose monta aux joues de la demoiselle : ces compliments sur sa petite improvisation, exprimés avec tant de spontanéité, lui allaient droit au cœur. Kalisha enchaîna aussitôt et ce fut à Florentyna d'applaudir ces vers. Leur musique en était agréable, leurs syllabes chantaient, portées par l'accent de la djerdanne.

-- Un vrai médaillon ! J'imagine ce visage frais et lumineux... qui invite cependant à regarder ce qu'il y a derrière les apparences, souffla-t-elle, émue du dernier vers qui apportait une note un peu plus grave et réflexive à l'ensemble.

Aussi vite que Kalisha, elle bondit derrière Alexandre pour observer son œuvre alors qu'il les invitait à un premier coup d'oeil critique. La demoiselle émit une inspiration stupéfaire, yeux écarquillés et main près de ses lèvres. Quel talent ! En si peu de temps et tout en discutant comme le notait la princesse !

-- Oh Alexandre ! Oh mais quelle merveille, c'est si vivant ! Kalisha a bien raison, vous avez un talent incroyable ! Pour moi, vous pouvez passer à toutes les couleurs que vous voulez, c'est déjà éblouissant et ce le sera encore davantage. (Ses yeux n'arrivaient pas à se détacher des sourires criants de vérité qu'affichaient les deux jeunes femmes sous les traits de l'artiste. Ce portrait, il serait à elles deux ! Il scellerait cette amitié et leur rappellerait que malgré les lourdeurs que prenait par ailleurs la vie à Monthoux pour la princesse, elles pourraient toujours compter l'une sur l'autre.) Merci, merci ! (à Kalisha) Oh que j'ai hâte que nous lui choisissions un beau cadre et puissions l'accrocher !

Elle se rassit, prête maintenant à écouter ce qu'allait composer Alexandre avec les mots que lui donnait la princesse. Écureuil ? Feuille ? Oh, cela promettait déjà d'engendrer une description automnale et si attendrissante !

Tout en portant les derniers traits à son esquisse, Alexandre écoutait le récit de Kalisha pour leur parler de spectacle que al cour de Djerhann avait l'habitude d'assister. Comme cela devait être grandiose ! Florentyna en était elle aussi impressionné, rêvant sans nulle doute à découvrir ces animaux exotiques.

"Je me souviens avoir vu un singe avec un saltimbanque. J'étais encore jeune. autrement, ici, on ne voit effectivement que des montreurs d'ours et ces spectacles sont pour le moins effrayants. A moins que ce ne soit moi qui ne soit trop timoré ? Mais ces animaux sont si massifs et on raconte tant sur eux... Je ne peux m'empêcher de frissonner si l'un d'eux brisait sa chaîne et se jetait dans la foule."

Pendant que Kalisha réfléchissait à la composition du quatrain à partir de ces mots donnés par Florentyna, Alexandra posa le crayon pour contempler l'esquisse. Sa main passa avec tendresse sur la feuille de papier sur laquelle était représentée les deux amies. Comme elles étaient superbes. Son regard fixait avec fierté le résultat de son travail et il songea n même temps aux enseignements de Platon. Si le philosophe enseignait une morale intéressante, à savoir que sans la connaissance, les hommes ne seraient que des prisonniers enfermés dans l'obscurité, sur laquelle on pourrait disserter pendant des heures, ce dernier se trompait quand il affirmait que l'art serait en dessous de la réalité et même de l'idée. Ses doigts continuaient à effleurer le dessin, le cœur légèrement battant. Pour ceux capables de ces talents, la création et souffrait d'aucune limite et pouvait être supérieur à la réalité.

Kalisha énonça finalement le fruit de sa composition et Alexandre sourit, émerveillés, par ces doux vers.

"Oh, bravo, bravo ! Quelles douces phrases, rêveuses et enchanteresses !"

Il se décida à leur soumettre son œuvre et les deux jeunes femmes s'exclamèrent de toute leur joie et leur ravissement pour complimenter le résultat de son travail. Comme elles étaient bonnes ! Il les remercia poliment et se décida à passer ainsi à la couleur, trop heureux d'essayer le cadeau reçu de ses amies. lors que le jeune artiste étudia les tubes et commençait sur la palette le mélange des pigments, Kalisha lui proposa de participer à leur jeu.

"Mais j'en serai ravie, ma bonne amie ! Au contraire, en préparant mes couleurs, cela constituera un bon exercice."

Ainsi, le jeune homme réfléchit quelques instants à de beau vers, tout en préparant ses pigments, comptant rapidement les pieds, puis se décida à énoncer le quatrain d'une belle voix claire :


Le dernier vers ne le satisfait pas trop mais il ne voyait pas une autre idée pour compléter ce poème qui évoquait la force de l'amour, celui qui pousserait un être à tout abandonner pour rejoindre son amante. Il releva la tête vers ses amies, attendant leur jugement.

Des ours, elle n’en avait jamais vu chez elle. Des tigres à la limite, pour ce qui était des animaux effrayants, ou même plus rarement des lions avec leur épaisse crinière. Elle acquiesça au dire d’Alexandre, elle avait toujours eu ce même sentiment que ce soit avec les félins ou avec les charmeurs de serpents, mais c’était sans doute ce qui plaisait tant à d’autres ?

Son quatrain fut adorablement reçu de part et d’autre et ses joues se teintèrent immédiatement d’une douce teinte rosée avant qu’elle ne remercie timidement ses deux amis de leur compliment. Puis, le jeune artiste leur présenta son travail et tant l’une que l’autre en furent émerveillés. Face à l’enthousiasme de Florentyna, Kalisha lui sauta littéralement au cou en riant de bonheur. Oh ce qu’elle avait hâte aussi de lui choisir un joli cadre ! Elles allaient passer des heures à essayer chacune des baguettes colorées pour voir laquelle irait mieux à rendre fou l’artisan !

Comment pouvait-il préparer ses couleurs et chercher un quatrain en même temps ? Et en si peu de temps… Elle applaudit aussitôt.

— C’est si beau Alexandre ! Je peux imaginer la forêt d’ici et même entendre les petits oiseaux. Il y a quelque chose de si léger et insouciant à l’évocation de ce petit écureuil bondissant.

Quelque chose qu’elle ne connaitrait certainement jamais, mais c’était ainsi. Les femmes ne se mariaient pas pour aimer, mais pour effectuer leur devoir. Autant que faire se peut. Elle chassa ses pensées obscures et l’observa avec admiration déposer une petite touche de couleur sur l’esquisse. C’était comme si, du bout de son pinceau, il lui donnait vie.

— Et si nous faisions un autre jeu, en attendant ? proposa-t-elle avec entrain.

Florentyna se pinça une seconde la lèvre à la seule idée que des spectacles animaliers puissent virer au cauchemar. Alexandre n'avait pas tort : que se passerait-il si un jour un animal furieux se retournait contre ses dresseurs ? C'était même à se demander si telle était bien la place - et tel bien le rôle - de si gros animaux... Ou s'il n'existait pas quelque moyen de les faire admirer aux humains mais sans brutalité, sans cages trop étroites... Sujet que Florentyna laissa cependant de côté pour se réjouir une nouvelle fois en voyant leur ami passer aux couleurs ! Oh ! Le moment le plus magique ! L'exercice de la coloration semblait à la jeune femme le plus ardu, mais c'était lui qui donnait toute sa vie et tous ses volumes à l'œuvre. La demoiselle n'en eut que d'autant plus hâte de voir le résultat - cependant avant cela, elle suivrait avec intérêt tous les gestes de leur invité. Tenter de comprendre son geste, d'entrevoir sa technique, d'analyser les bons mélanges.

Alors que les premières touches ocrées venaient sur la toile, du bout du pinceau de l'artiste, sa bouche composait de si jolis vers. Un début plutôt romantique et puis soudain, cet écureuil comme un surgissement qui donnait toute sa vie - et sa drôlerie la plus attendrissante - à cette évocation de l'amour.

-- Faire du cœur un petit écureuil, oh c'est charmant Alexandre ! Et l'idée est ma foi très vraie ! Contrairement à la raison comme une balance et doit nous modérer, notre cœur nous surprend, fait de petits bonds, joue dans tous les sens... (se permettant soudain une petite image coquine) et cherche noisettes.

Mais qu'est-ce qui l'avait prise ?! Elle en rosit aussitôt, espérant avoir amusé mais pas choqué ses deux amis. Du bout des doigts agités devant sa bouche, elle chassa l'air avant de suivre Kalisha dans son entrain :

-- Oui ! Puisque notre grand artiste a encore du travail, nous occuper en attendant et le divertir lui aussi ! (réfléchissant à ce qu'ils pourraient bien faire) Hm, que diriez-vous d'un "qu'est-ce que ?" Le principe est simple : nous écrivons chacun, au secret, sans le dire aux autres, une question commençant par "Qu'est-ce que..." Qu'est-ce que la vie ? Qu'est-ce que ma tête au réveil ? Qu'est-ce que la forêt d'Aiguemorte... qu'est-ce que vous voulez ! Et bien sûr sans connaître la question des autres, nous écrivons une définition : "c'est sournois comme un serpent", "c'est long comme l'éternité", "c'est plus gros qu'une baleine"... tout ce qui vous passe par la tête. Et ainsi au moment de lire, les questions-réponses sont... souvent aussi improbables que savoureuses ! Qu'en dites-vous ?

Il lui sembla que cette proposition ne dérangerait pas trop Alexandre dans son ouvrage : cela ne lui demanderait qu'un très court instant par-ci par là, le temps d'écrire une petite question ou une petite réponse sur une feuille retournée, avant de revenir à son tableau. Tandis que que Kalisha ou Florentyna découvriraient les papiers pour lire les résultats des associations incongrus. Si ses deux comparses étaient d'accord, la demoiselle s'en ira aussitôt en quête de feuilles et crayons aussitôt distribués.

-- Allez ! je vous montre !

Elle écrira une question secrète, fera signe à Alexandre de préparer de son côté une réponse secrète. Association qu'elle lirait ensuite. Puis Alexandre à son tour rédigerait une question, à laquelle Kalisha répondrait sur sa feuille...

Spoiler:

[HRP : @Alexandre à toi de lancer une réponse à la question de Flo sans ouvrir mon spoiler Puis d'écrire une question en spoiler ensuite pour @Kalisha de Monthoux et ainsi de suite sur quelques tours si vous voulez ? ]

Alexandre terminait de préparer les pigments des couleurs et se sentait finalement prêt à pouvoir les poser sur l'esquisse. Son pinceau appuya avec prudence sur la feuille et remplit avec prudence la robe de la princesse Kalisha. Ce magnifique lui rendrait divinement hommage. Il avait opté pour une teinte légèrement plus foncée que celle de la réalité mais cela l'associerait à la Vierge Marie et sa pureté. Son esprit ne la concevait pas autrement. Elle se trouvait être si gentille, si généreuse, si vertueuse... Ceux qui verraient ce portrait se devait d'avoir cette impression avant même de la rencontrer alors que ceux qui la connaissaient ne pourraient affirmer que cela la représentait parfaitement.

Il releva la tête aux beaux compliments que ses bonnes mies lui adressaient sur la qualité de son quatrain. Comme elles étaient gentilles ! Il leur sourit de reconnaissance.

"Je vous remercie, Mesdames. Le coeur est effectivement volage, dit-on, mais comme la raison se doit de le maitriser. Je suis assuré que chez un esprit éclairé, il saura toujours résister aux tentations et se garder des dangereuses inclinaisons."

Alors que son pinceau portait de nouvelles couches de bleu, Alexandre entendit cette nouvelle proposition de jeu et sourit. Cela promettait d'être follement amusant. Il posa avec délicatesse l'instrument et se saisit d'une plume pour rédiger rapidement une réponse. Sans réfléchir. ce se serait bien plus drôle.


Il prit ensuite une autre feuille pour transcrire sa propre question.

Spoiler:

Sur ce, Alexandre déposa la plume, le sourire aux lèvres, et reprit le pinceau, impatient d'entendre ce quii aura été composé.

"Je prédis que cela va être très drôle !"

Tandis que leur ami artiste mettait en couleur ce beau portrait, Florentyna le proposa un jeu qu’elle ne connaissait pas. Un « qu’est-ce que ». Les règles étaient très simples et cela convenait bien à la jeune princesse qui n’aimaient pas beaucoup les divertissements demandant trop d’engagement.

Et puis cela ne serait pas trop compliqué pour Alexandre qui pourrait ainsi participer. Lorsque plume, papier et encre furent disposer, Kalisha se prêta de bon gré à l’exercice.

Elle inscrivit tout d’abord une réponse. Elle leva les yeux vers le plafond sculpté et écrivit :

Elle pensait bien sûr au désert qui s’étendait non loin des portes de la capitale. Aride et brulant, vallonée mais caillouteux ou sableux…. Puis ce fut autour de la question.

Spoiler:

Elle sourit avant de prendre une petite pâtisserie sur le plateau.


- Oh oui cela va être très amusant je pense! J'ai hâte de découvrir ce que vous avez choisi!

Alexandre passait maintenant aux couleurs. Et il commençait par Kalisha, dont Florentyna put voir apparaître le teint cuivré et la robe aux ombres subtiles qui n'en faisaient que mieux ressortir la mine de la princesse - aussi radieuse et douce que son tempérament. Elle sourit, rêveuse, et allait contempler la suite tout en jouant.
Les premières associations cocasses arrivèrent et ce fut pour eux trois un grand amusement. Il y avait du comique à ces associations... mais elles n'étaient pas non plus dénuées de poésie parfois ! A son tour d'offrir une réponse à l'aveugle à la question qu'elle découvrirait ensuite de la part de Kalisha :


Puis pour la future question :

Spoiler:

Le jeu était décidément amusant, rapide, sans prise de tête. Alexandre le suivait tout en continuité à poser ses couleurs. Son pinceau s'employait à colorier de rose la robe de Florentyna en prenant soin de réaliser un subtil dégradé de la teinte pour respecter le tissu de son ami. Comme elle serait jolie elle aussi ! Elles étaient si belles toutes deux, à l'image leur coeur tendre, sensible et généreux. Quel bonheur de les connaître !

Il riait encore de sa propre réponse à al question cachée de Florentyna. Si sa pauvre amie savait ses pensées, que le porc à la crème lui évoquait une représentation de son père... Elle e serait déçue. Il releva la tête un instant et lui adressa un doux sourire. Il compatissait, comme pour sa nouvelle belle-mère, de subir les caprices d'un homme aussi peu intelligent et étroit d'esprit. Le sien de père se révélait aillé le même. Peu étonnant donc que ces deux deux sots s'entendent aussi bien. Il s'e question ensuite de l'inscription suivante.

"Des loukoums... Je ne me souviens plus. Ce n'étaient pas des pâtisseries de votre pays, Kalisha, qui ont été servies à votre mariage ?"

Le tour lui revint et Alexandre troqua pinceau contre crayon.

Spoiler:

 

Lorsqu’ils déplièrent les petits papiers, ce fut un festival d’absurdités et les rires fusèrent de toute part. Kalisha applaudissait vivement, les larmes aux yeux. Et en même temps, il fallait bien que certaines réponses ne fussent pas dénuées d’un brin de philosophie.

— Ce sont des confiseries à base de miel, oui il y en avait en effet. Mes préférés sont ceux qui sont à l’eau de rose. Saviez-vous qu’à l’origine il s’agissait d’un médicament utilisé contre le mal de gorge ? Une sorte de potion sous forme de bouchée

Pour une fois qu’elle en savait plus, elle était ravie de pouvoir partager ses connaissances à ce sujet. Pendant ce temps, elle écrivit sa réponse et sa question

Oui, évidemment à parler de nourriture, c’était la première chose qui lui était venue à l’esprit...

Spoiler:

Son tour arrivait ! Les yeux de Florentyna pétillèrent devant les gestes d'Alexandre, apposant le rose à ses pommettes et dans les nuances satinées de sa robe. Quel talent ! Elle se trouvait même plus jolie que dans son miroir et son duo avec Kalisha aurait de quoi la mettre de bonne humeur à chaque fois qu'elle observerait ce magnifique portrait. Son amie détailla ce qu'étaient les Loukoums et Florentina suggéra :

-- Nous pourrions pourquoi pas en faire porter à la librairie Bellanger, prochainement. Entre nous, considérez que ce sera officieusement surtout un présent pour votre mère et vous-mêmes.

Florentyna n'appréciait pas plus que cela le mielleux libraire et avait bien compris entre les lignes, en écoutant Alexandre, qu'il profitait de sa position sur lui et abusait de son infimité dans un genre de chantage... Elle ne pourrait pas commettre l'affront de ne pas lui destiner les gâteaux et il en profiterait - mais dans le fond de son cœur le cadeau serait pour Madame et Alexandre. La demoiselle écrivit :


Puis :

Spoiler: