[RP flashback] Mars 1587 à Torienel

En cette belle après-midi de printemps, le soleil avait chassé la pluie du domaine Torienel. Les jeunes enfants avaient obtenu l’autorisation de leur précepteur, sévèrement grondé par la nourrice de ne pas les laisser s’amuser plus souvent, d’aller s’amuser au bord du lac. En cas de danger, la douce Léontine avait fait mander Lazarre, serviteur peu commun qu’elle n’appréciait guère, mais qui avait le mérite de savoir nager et de faire son travail correctement.

Nehalan s’était accroupi dans l’eau, au milieu des grandes herbes. Pendant que ses deux frères jouaient à l’épée avec deux bâtons qu’ils avaient ramassés en poussant de grands cris, il avait décidé d’observer les petites bestioles qui nageaient dans l’eau. Pour se faire, le petit garçon avait roulé son pantalon jusqu’à ses genoux, même si parfois, il sentait que l’eau froide venait effleurer son fessier. A l’aide d’un petit bâton, il remuait la vase en chantonnant une comptine, dans l’espoir de voir sortir les têtards et peut-être, d’en attraper un.

Les minutes passaient, sans qu’aucun têtard ne montre le bout de son nez. Déçu, l’enfant s’apprêtait à sortir, quand une éclaboussure devant lui ramena son attention sur le lac. Qu’est-ce que c’était ? Du bout de son bâton, il écarta les plantes, à la recherche de l’auteur de se bruit. Il eu juste le temps de voir la queue d’un poisson disparaître dans un nuage de vase.

« Je vais t’attraper ! »

Le petit blond avança un peu plus loin dans l’eau, à la poursuite de la créature. Il lâcha son bout de bois et tendit les deux bras pour le prendre dans ses mains. Le poisson fut plus rapide que lui, et ses mains claquèrent dans l’eau, dans une gerbe d’éclaboussures. Comme l’eau lui arrivait à présent jusqu’à la taille, l’enfant se leva pour continuer sa quête. Il avançait dans l’eau au fur et à mesure, sans se soucier du niveau de celle-ci. Il continuait de chercher son poisson. Alors que le niveau de l’eau lui arrivait au-dessus de la taille, son pied nu heurta un caillou. Il perdit l’équilibre et tomba à la renverse, dans un cri de surprise.

Nehalan poursuivait tranquillement le petit poisson, quand son pied avait heurté un rocher. Un énorme rocher sans doute, énorme et terrifiant. Il s’écrasa dans l’eau, après un cri fugace qui fit rentrer de l’eau dans sa bouche encore ouverte. Un monstre terrible entourait son corps, un monstre liquide contre lequel ses petits poings ne pouvaient rien.

Ses bras et ses jambes commençaient à s’engourdir, alors que le monstre riait et son rire le ballottait de droite à gauche et de gauche à droite. Nehalan aurait voulu crier au secours, mais de ses yeux fermés il ne voyait plus la surface ou la vase, le monstre était trop fort. Il s’apprêtait à le dévorer tout cru quand une grande grande main saisit son épaule. Une grande main de géant qui vainquit l’affreuse créature et le tira hors de l’eau.

Le gentil grand géant le prit sur son épaule, et lui toussa, toussa, crachota, cahota, trembla de tout son être, jusqu’à se retrouver bien au chaud enroulé dans une nappe, assis près de Lazarre, en sécurité. Nehalan se blottit contre lui, là où ses grands bras pourraient le protéger du monstre qui bouillonnait encore non loin d’eux. Qui aurait cru que le lac puisse receler de tels dangers ?

- Allons, allons, jeune monsieur. Quoi que vous ayez chassé là-bas, ça n’en valait pas la peine. Restez plutôt auprès de vos frères, qui s’amusent gentiment.

L’enfant regarda vers la scène qui se jouait un peu plus loin, et secoua la tête.

- Ils ne veulent pas… en plus j’arrive jamais à faire comme eux… ils vont trop vite et ça fait peur les gros bâtons… j’ai pas envie…

Lazare était vraiment très gentil. Voyant qu’il tremblait encore, il lui avait mis sa veste. Une grande veste, comme ses grands bras. Elle sentait bon… Et il voulait lui faire une flûte. Ca devait être très difficile à faire une flûte juste avec un roseau.

- Oh oui ! Tu sais faire ça toi ?

L'enfant en avait presque oublié le gros monstre. Il était bien au chaud et Lazare était vraiment gentil. Le soleil venait même s'inviter sur son sourire de nouveau joyeux.

Spoiler:

A présent, le petit garçon avait presque oublié sa malheureuse chute. Il grelottait encore un peu, mais emmitouflé sous toutes ces couches de tissus, la chaleur le regagnait peu à peu. Tout ce qui l’intéressait dorénavant, étaient les deux mains de Lazare qui s’activaient autour du roseau. Nehalan gardait les yeux rivés sur le processus, pour ne pas perdre une goutte du spectacle merveilleux qui se déroulait devant ses pupilles écarquillées d’admiration. Demain, il retournerait près du lac pour essayer à son tour !

Quand il entendit le mot devinette, Nehalan battit des mains.

— Des devinettes ? Raconte m’en une ! ordonna l’enfant sur un ton de petit prince.

Il se souvint alors de la leçon sur les bonnes manières que lui répétait sans cesse Léontine.

— S’il-te-plait, corrigea-t-il, plus calme.

La première fois qu’il avait aperçu ce grand Monsieur tout étiré sur la longueur, Nehalan avait eu un peu peur. Il ne parlait ni ne souriait pas beaucoup, et se déplaçait comme une ombre inquiétante. Ses frères lui avaient aussi raconté qu’il s’agissait d’un fantôme venu les hanter ou d’un esprit malveillant envoyé par le Malin pour tromper leurs parents, alors le petit garçon avait décidé de ne pas trop s’approcher de lui. A présent qu’il se trouvait en sa compagnie depuis un moment et qu’il n’avait toujours pas été dévoré tout cru, il comprenait qu’on s’était encore une fois moqué de lui. Lazare s’avérait finalement très gentil et très intéressant. Nehalan se promit d’en toucher quelques mots à Alban et Jehan, pour qu’ils arrêtent de croire qu’il était dangereux.

Après avoir un peu discuté, l’enfant fini par avouer qu’il craignait les bâtons avec lesquels jouaient. Il s’était déjà pris un coup en voulant les rejoindre et préférait s’en tenir à l’écart depuis cet incident.

— Pourquoi est-ce que je devrais me battre Monsieur Lazare, puisque t’es là ? T’es beaucoup plus fort que moi, et puis y a aussi les gens de la garde. Moi je suis trop gauche, alors il vaut mieux pas que je le fasse, et en plus personne voudra jamais m’attaquer, je suis trop gentil ! S’il y a des méchants, je leur dirais, et ils ne seront plus méchants, c’est tout.

Il haussa candidement les épaules. De toute manière, il se trouvait bien à l’abri au château, et n’avait aucune raison de le quitter. Lazare lui expliqua ensuite qu’avec un bâton on ne pouvait pas tuer par inav.. inad… idanvertance… Nehalan grimaça.

— C’est vrai que c’est moins dangereux qu’une épée de chevalier, mais ça fait mal quand-même.
— Et puis, on peut marcher paisiblement avec un bâton, et tout le monde oublie que tu es armé, et le jour venu… ils ont une drôle de surprise.
— Mais c’est pas juste ! protesta l’enfant. S’ils savaient que t’avais une arme, ils t’attaqueraient peut-être pas, parce que les méchants auraient trop peur, alors que ça, c’est des menteries !

Il allait se mettre à bouder quand un petit sifflement lui fit instantanément oublier qu’il était mécontent. Son nouvel ami avait réussi à faire marcher le sifflet ! Ses yeux brillaient d’admiration à mesure que Lazare perçait les trous de l’instrument. Qu’il était doué ! Et minutieux !

Au loin, les deux aînés s’élançaient l’un vers l’autre en poussant de grands hurlements de puissants guerriers. Leurs bâtons s’entrechoquèrent sous l’œil inquiet de Léontine qui raccommodait des vêtements sur une souche d’arbre. Si seulement ses maîtres avaient eu des filles ! Au fond elle les aimait bien ces deux diablotins, mais parfois ils l’épuisaient. Elle détourna le regard vers le lac. Ce drôle de bonhomme veillait au grain en théorie mais l’on n’était jamais trop prudent. Elle fut soulagée de constater que le petit dernier était retourné sur la berge et paraissait en grande discussion avec Lazare. Sa seule inquiétude restait qu’il lui mette de drôles d’idée dans la caboche mais il serai toujours temps de rectifier le tir plus tard, Nehalan était encore jeune. Aussi la jeune femme reporta-t-elle son attention sur les deux plus turbulents de la fratrie qui jouaient à présent au croisé et au sarrasin.