[01 Janvier 1598] Pirate et Jupons vous souhaites Bonne Année [RP Sensible][terminé]

Avertissement - Allusions sexuelles:

Lavinia trépignait dans la diligence qui la conduisait au domaine de Fromart. Elle avait soigné sa toilette pour l'occasion et espérait pouvoir fêter la bonne année à son amie Bérénice et, avec un peu de chance, à Alduis si il était présent. Elle avait beaucoup repensé au jeune homme et à leur conversation au détour du couloir.

Oui, elle avait beaucoup réfléchi, elle devait reprendre sa vie en main. Lavinia avait trop longtemps fait ce qu'on attendait d'elle, une épouse modèle, une noble bonne sous tous rapports. Tout comme Bérénice, elle voulait se montrer forte et déterminée. C'était sa bonne résolution de l'année, tout comme vaincre ses phobies ou bien… remettre les pieds à l'église Saint-Eustache.

Ses mains serrèrent l'enveloppe marquée du sceau de son père. Il viendrait certes souhaiter ses vœux un peu plus tard, mais il l'avait missionné pour remettre ce pli au maître de maison.
Gérald la déposa devant l'entrée, là où un domestique l'invita à entrer dans la demeure. On la debarassa de son manteau et de son chapeau. Ses boucles brunes se libérèrent en cascade dans son dos.
Le domestique lui présenta un plateau sur lequel elle déposa la lettre de son père. Elle pria le domestique de remettre celle-ci au maître de maison en lui stipulant qu'elle serait heureuse de lui transmettre elle-même les voeux de bonne année à Monsieur de Fromart. Si celui-ci avait quelques minutes à lui accorder.
Le domestique s'eclipsa pour transmettre son message et  prévenir Bérénice de son arrivée.

En attendant, elle se plaça à la fenêtre et observa le jardin habillé de son manteau hivernal.

Sarkéris avait trouvé le compagnon de jeu parfait dans la personne de son neveu. Le chenapan se faisait une joie de courir après lui partout dans la maison, et Sark un plaisir de lui échapper ou de se laisser prendre. Ils jouaient tour à tour au voleur et au soldat, au pirate et à l'amiral, ou bien même aux fantômes. En fait, du haut de ses 4 ans, Adéis renvoyait au corsaire une image de lui-même au même âge.

Ce matin-là, le fils de Bérénice avait décrété qu'il était le pirate le plus redoutable des sept mers et que "tonton Sark" devait l'attraper avant qu'il ne fasse couler tous les navires du monde. Après un top-là, chacun avait ourdi son plan dans son coin. Sark s'était contenté d'attendre l'apparition de son neveu au coin d'un couloir, armé d'un petit sabre en bois qu'il lui avait confectionné quelques jours plus, et d'un faux cache-œil qui imitait le sien. Parce que selon Adéis, tous les pirates devaient avoir un cache-oeil…

- Allez forbans ! du nerf matelots ! hurlait l'enfant dans les escaliers en brandissant son arme.

Et Sark lui courait après en lui apprenant toutes sortes d'injures marines qui, selon un pacte passé avec l'enfant, ne devait jamais parvenir aux oreilles de sa mère.

Il résultait en général de ces jeux qu'on pouvait entendre sous les plafonds, des cavalcades et des dérapages sans arrêts. Au grand dam de qui devait cirer les parquets.

Soudain, Adéis entendit la porte d'entrée s'ouvrir, puis se refermer, les voix lui parvinrent étouffées, mais en Fromart digne de ce nom, un plan naissait déjà dans son esprit. A coup sûr, tonton Sark serait fier de lui. En plus ledit tonton s'était perdu dans un couloir (les avantages de connaître la maison !). Le pirate le plus redouté des sept mers descendit l'escalier à pas de loup et le plus silencieusement du monde. Ensuite, il passa sa tête dans l'entrebâillement de la porte et vit une belle dame qui regardait par la fenêtre. Parfait. Il détacha le ceinturon qu'il utilisait pour mettre son sabre et avança tout doucement derrière elle, jusqu'au moment où il put la toucher.

- AH AH AH ! Vous êtes ma prisonnière ! cria-t-il soudainement en passant le ceinturon autour de sa longue robe. Et je suis un redoutable pirate ! Vous devez avoir très très peur !

Sarkéris arriva sur ses entrefaites. Il prit rapidement la mesure de la situation (dramatique !) et son sourire s'élargit en voyant Adéis tout fier.

Sa proie correspondait parfaitement à l'idée que le corsaire se faisait d'une demoiselle de la noblesse braktennoise. Surprise, la belle écarquillait ses grands yeux noirs de biche effrayée, qui contrastaient vivement avec son exquis visage d’albâtre. Le regard appréciateur de Sark glissa sur la silhouette menue et fine, richement parée d’une chaude toilette d’hiver. Et cette abondante chevelure brune tombant en une cascade d’ébène le séduisit complètement. C’était une créature sortie d’un conte certainement.

Ce ne fut qu'un bref instant de contemplation. Sarkéris était déjà entré dans la pièce avec l'intention de profiter du jeu pour faire la connaissance de cette apparition mystérieuse.

- Ah fourbe pirate ! Lâche, prendre une dame en otage ! Rends-toi ou péris !

Avec une roulade (Adéis adorait le voir faire de la "gymnastique") il se retrouva aux pieds de Lavinia, attrapa son neveu le chatouilla férocement jusqu'à ce qu'il lâche le ceinturon et libère ainsi la dame en détresse. Sarkéris ne perdit par un instant, il attrapa le sabre de son neveu par terre et en tenant Adéis en respect, il enroula son bras autour de la taille de la jeune femme, pour l'attirer contre lui, protecteur.

- Vous êtes sauvée de ce redoutable monstre, madame. Récompenseriez-vous un humble amiral par un baiser ?

Tonton Sark l’avait bien eu ! Il se tenait encore les côtes de ses chatouilles agressives qui l’avait fait se tortiller dans tous les sens en criant entre deux spasmes.

- Tu es… l’Amiral..Tu..Tu... Ne peux pas être déloyal… Arr.. Arrete… J’en.. J’en peux… plus… je me rends !

Il observa la jolie princesse que son tonton tenait entre ses bras et la reconnut aussitôt. Sa bouche s’agrandit en un « O » et il décida d’avertir son compère :

- C’est la dame de compagnie de la Reine des Sept Mers !

Sa maman était la plus belle et la plus forte. C’était forcément la reine de l’histoire. L’Amiral réclamait un baiser pour l’avoir sauvée des griffes du plus dangereux pirates.

- Un baiser ! Un baiser ! encouragea l’espiègle rouquin les mains toujours en l’air.

Lui, trouvait ça dégoûtant et baveux, mais si tonton Sark aimait ça, il voulait bien l’aider à dérober l’amie de maman ! D’ailleurs il dut la convaincre car elle s’approcha de sa joue. Adéis profita de cet instant de flottement pour s’extirper de la vigilance de l’Amiral. Il escalada le bastingage du navire -une console- et s’apprêta à donner l’assaut. Dès qu’il aurait eu son bisou de la jolie dame, il lui sauterait sur le dos !

Incroyable ! elle se laissait prendre au jeu. Finalement, les femmes de la capitale étaient aussi joueuses que celles des côtes. Peut-être qu'il leur manquait un soupçon de folie dans leur vie, un petit côté canaille que seul Sark pouvait leur apporter. Le corsaire aimait bien cette idée. Mais tout occupé par l'action de sauvetage à mener, il ne prit pas le temps d'y réfléchir plus longtemps. C'était inutile.

Pour une raison qu'il ignorait elle ne s'offusqua même pas lorsqu'il la prit par la taille et réclama un baiser, alors qu'Adéis braillait pour les voir s'embrasser. Le petit l'avait désignée comme la dame de compagnie de la reine des Sept-Mers. Une amie de Bérénice ? il n'en serait que plus amusant de la séduire. Il imaginait parfaitement l'air offusqué de sa sœur. Et pour commencer, un baiser était parfait.

Si proches l'un de l'autre puisqu'elle avait été jusqu'à passer ses bras autour de ses épaules, elle ne pourrait pas y échapper. Oh oui, il méritait bien une récompense pour avoir si vite ferré un poisson sans qu'il s'en rende compte. Au moment où elle allait poser ses lèvres sur sa joue de corsaire, il détourna le visage et l'embrassa. Il était fier de son coup.

Et pourtant il se fit avoir comme un bleu. A trop regarder les jolies femmes, on oublie parfois que l'ennemi ne se cache pas loin. Adéis en avait profité évidemment.

Au moment où Sarkéris écartait (un tout petit peu) son visage, avec la ferme intention de réitérer la chose, quelque chose lui tomba dessus. Déséquilibré, le corsaire tomba, et les bras passés autour de la taille de Lavinia, il l'entraîna avec lui, si bien qu'ils se retrouvèrent allongés par terre entre une table basse et un fauteuil.

La tenant toujours par la taille. Sark sourit de toutes ses dents.

- Eh bien, madame, je ne pensais pas que votre reconnaissance serait si généreuse et que nous en arriverions là si vite.

Beurk c’était dégoutant ! Tonton Sark avait tourné la tête pour avoir un bisou sur les lèvres. Qu’est-ce qu’il pouvait bien y trouver de si agréable ? Il faudrait qu’il pense à lui demander… Mais pour l’heure, il était en mission pour capturer l’Amiral, car il ne fallait pas oublier l’objectif principal : détruire la flotte royale ! Il s’élança donc sur le dos de son oncle, agrippa son cou et…

- Je vous tiens Amiral ! Livrez-moi l’armada ! lança-t-il alors qu’ils basculèrent sur le sol.

Adéis ria aux éclats toujours accroché autour de son cou. En plus la dame de compagnie de la Reine semblait vouloir se marier avec l’Amiral. Enfin c’était ce qu’il croyait jusqu’à ce qu’elle lui vole sa dague et le menace. Le garçonnet sauta à terre et plaça ses petits poings furieux sur ses hanches comme le faisait sa maman quand elle le grondait:

- Ce n’est pas gentil d’attaquer l’Amiral, c’est lui le gentil! Et en plus il vous aime ! Le Pirate c’est moi ! et il se mit rugir pour appuyer ses propos

Hum hum:

Sous lui, la jeune femme se tortillait comme une anguille, ce qui n'en était que plus amusant. Certes, la position était tout à fait inconvenante, mais ils n'avaient pour seul spectateur qu'un garçon à peine âgé de 4 ans qui n'y voyait qu'une façon de poursuivre le jeu. Et d'une certaine manière il n'avait pas tout à fait tort. Sark la laissa se mouvoir autant qu'elle le souhaitait, la gêne n'était pas pour lui, qui prenait beaucoup de plaisir et d'amusement à la situation. Savait-elle à quel point elle était tentante ainsi, cette jolie "dame de compagnie" en détresse. En plus ses joues rougissaient. Charmant.

Le corsaire eut un moment d'étonnement lorsqu'elle l'agrippa par le col. Par Dieu, était-elle endiablée ? Il réfléchissait déjà à un moyen d'éloigner Adéis assez longtemps quand leurs souffles se mêlèrent. C'était un chatouillement irrésistible, un appel presque. Il tendit les lèvres, mais celles de la jeune femme passèrent et vinrent chuchoter à son oreille, le laissant frustré et bougon.

Elle lui demandait ce qu'il entendait par "là" ? eh bien, couchés par terre dans une position plus que suggestive alors qu'ils venaient juste de s'embrasser. N'était-ce donc pas évident ?

Elle devait bien comprendre non ? Elle était mariée, Sark avait vu son anneau. Et à moins de n'avoir jamais couché avec son mari, il ne comprenait pas comment elle pouvait se montrer si ignorante. Même une jeune vierge effarouchée se serait doutée de quelque chose. Et puis... une femme non mariée aurait-elle ainsi glissé sa main aussi lascivement le long de son corps ? certaines oui...

Adéis devait s'en aller. Cette délicieuse torture ne faisait que tourmenter le corsaire qui se retenait pour ne pas prendre cette jeune femme dans ses bras, la remonter sur le fauteuil, ou bien même la débarrasser de ses jupons sur le sol même. Au moins il avait une excuse pour renforcer leur proximité : Adéis, justement, sur son dos, commençait à se faire lourd. Le corsaire expira longuement pour se donner de la patience, notant au passage qu'une délectable chair de poule naissait sur la peau de la jeune femme alors que son souffle l'effleurait. Il aurait pu l'embrasser de nouveau. Adéis ne s'en serait pas étonné, après tout, il avait réclamé ce baiser tout à l'heure. Il pouvait l'embrasser.

Il remonta une main le long du corps de la jeune femme, tout accaparé par son but : ses lèvres qui arboraient à présent le sourire le plus coquin du monde. Et puis il se figea en sentant contre ses côtes la désagréable pointe de la défaite. Sa dague... c'était sa dague qu'elle cherchait à tâtons. Et apparemment encore trop peu satisfaite, la lutine en profita pour lui mordre l'oreille. A croire que le travailler au corps lui plaisait beaucoup malgré les mots qu'elle prononçait.

Sans la quitter des yeux et avec un petit sourire où paraissait une envie de revanche, il se releva et tendit sa main à Lavinia pour l'aider. Il s'inclina ensuite devant elle.

- Adéis a raison, c'est moi le gentil qui vous protège du vilain pirate qu'il est. Vous m'offensez madame, en me menaçant de la sorte. Mais, dans ma grande bonté, je vous accepte quand même à bord de mon navire et vous serez confortablement logée dans les quartiers du capitaine... est-ce une assez bonne négociation ou bien désirez-vous encore davantage pour... satisfaire vos désirs ?

Et sur ce beau discours, fort courtois mais non empreint d'une certaine lueur dans le regard, Sark se retourna brusquement vers son neveu qu'il attrapa à bras le corps pour le soulever dans les airs.

- Ah ! Ah ! Pirate ! tu ne faisais plus attention et je t'ai attrapé ! Je te fais prisonnier et je te mets dans les cales ! ah ah ah ah !

Il posa Adéis sur le fauteuil (confortables cales) et lança un clin d'oeil à Lavinia.

- Eh bien madame, que dites vous de ma capture ? est-elle à votre goût ?

Lavinia avait bien failli lâcher la dague à l'instant où la main du corsaire effleurait son corps. Elle se maudit de ressentir cette sensation qui l'a fit frissonner. Ce n'est pas ce qu'elle voulait faire passer comme message, mais son corps avait réagit tout seul.
Fort heureusement, l'exploration sauvage de sa personne s'arrêta, inquiétée par le tranchant de la dague à ne pas en douter.

Fière d'elle, Lavinia observa, satisfaite, Sark se relever. Il ne la lâcha pas un instant des yeux. Paré de nouveau de ce sourire particulier, l'amiral l'aida à se relever et pour la première fois se comporta en gentleman en s'inclinant.

— Adéis a raison, c'est moi le gentil qui vous protège du vilain pirate qu'il est. Vous m'offensez madame, en me menaçant de la sorte.

Lavinia se mordit la lèvre. Il était vrai que sur ce coup, elle y avait été un peu fort. Menacé ainsi cet homme avec une arme devant le garçon n'était pas l'idée du siècle. Elle devait se rattraper et heureusement pour elle, Sark semblait vouloir continuer dans le jeu.

Lavinia s'approcha du jeune homme et plaqua ses mains sur son torse. C'était le seul moyen pour garder le contrôle quant à la distance de son corps par rapport au sien.

— Veuillez excuser ma fougue cher amiral. Je voulais m'assurer que tout n'irait pas… trop vite…

Tout en délivrant son message, elle fit glisser la main qui tenait toujours la dague, jusqu'à ce que la lame regagne son fourreau. D'un mouvement sec et sans quitter la pupille de Sark du regard, elle serra la lanière de cuir qui apportait un maintien supplémentaire à l'arme. Le mouvement rapprocha inévitablement leurs corps et elle en profita pour chuchoter au corsaire un avertissement quant à sa pointe.

— Vous avez raison, ce ne sont pas des choses à montrer devant un enfant aussi jeune. À l'avenir faites en sorte de garder vos effets à l'abri pour ne pas qu'ils ne soient saisissables aussi facilement dans des moments inappropriés.

Le sourire du corsaire devint plus carnassier qu'auparavant ce qui désarçonna quelque peu Lavinia.

— Mais, dans ma grande bonté, je vous accepte quand même à bord de mon navire et vous serez confortablement logée dans les quartiers du capitaine... est-ce une assez bonne négociation ou bien désirez-vous encore davantage pour... satisfaire vos désirs ?

Était-il en train de lui proposer enfin de faire connaissance comme il se doit ? Lui offrait-il l'occasion de se venger de se baiser volé ? Lavinia ne s'en priva pas.

— C'est fort aimable à vous et je serai honorée d'être introduite dans les quartiers du capitaine pour peu qu'ils soient aussi confortables que vous vous en vantiez. Sera-t-il possible de mettre à disposition quelques mets ? Je ne serai pas contre quelques petites gâteries à me mettre sous la langue.

Après tout, quoi de mieux que faire connaissance autour d'un bon thé et quelques gourmandises ? Bérénice ne semblait pas venir et le mystérieux jeune homme semblait bien connaître les lieux et connaître Adéis.


— Quant à la négociation et votre capture exceptionnelle, vous pourriez fêter ça comme il se doit dans toute aventure chevaleresque. Quelques pas de danse en l'honneur de la demoiselle en détresse tout juste sauvée ?

Tonton Sark le souleva dans les airs. C’était pas juste ! Il était tellement grand et fort ! On le déposa sur un fauteuil. Adéis soupira bruyamment en croisant les bras, enfermé dans les cales.

L’amie de maman protestait sur sa présence, le garçon pesta :

- Je suis grand ! J’ai bientôt cinq ans !

Pourquoi les adultes voulaient toujours l’exclure de leur conversation ? C’était toujours la même chose ! Heureusement, il trouvait souvent un moyen de venir écouter aux portes ou mieux de se faufiler sous les tables. Il fallait bien qu’être petit offre quelques avantages.

La dame de compagnie continuait de faire les yeux doux mais elle n’y connaissait rien aux lois de la mer !

- Si vous allez sur son bateau, il pourra plus repartir en mer ! Ca porte-malheur les femmes en mer ! Hein tonton Sark ?! Alors dans tous les cas, c’est moi qui gagnerait ! Il faut juste être patient comme dit grand-père.

Il afficha un sourire victorieux, fier de sa réparti lorsque justement, en parlant du loup…

- Krakeeeeeeeeen! hurla-t-il en se jetant sous le fauteuil.

Coldris avait bien reçu les vœux du seigneur de Frenn, transmis par sa fille. Il s’était dit que c’était l’occasion idéale de la rencontrer, notamment suite à cette fâcheuse affaire avec Thierry. Il s’était laissé emporter sous le coup de la colère, mais il ne parvenait toujours pas à savoir si elle avait été consentante ou forcé dans le but de se venger.

Il se laissa le temps d’achever sa lecture et descendit en direction du principal. Aux sons des différentes voix, il comprit qu’Adéis et Sarkeris étaient en train de jouer avec la dame de Kergemont. Il n’entra pas immédiatement. C’était toujours un ravissement de les entendre s’amuser ensemble, à jouer aux pirates. Le petit s’était réellement attaché au corsaire en si peu de temps et tout cela renvoyait Coldris des années auparavant.
Il regretterait éternellement de ne pas avoir retrouvé son fils avant. C’était ici qu’il aurait dû grandir et nulle part ailleurs. Mais on ne refaisait pas le passé, surtout pas quand tout le monde était enfin réuni.

Il écouta donc un instant aux portes avant d’entrer.

je vous accepte quand même à bord de mon navire et vous serez confortablement logée dans les quartiers du capitaine... est-ce une assez bonne négociation ou bien désirez-vous encore davantage pour... satisfaire vos désirs ?

Sacré Sarkeris… Il avait l’impression de s’entendre parfois… Il eut un sourire amusé en se souvenant de bon nombre de fois où il avait usé de stratagèmes similaires pour faire rosir les joues des braktennoises et autres.

C'est fort aimable à vous et je serai honorée d'être introduite dans les quartiers du capitaine pour peu qu'ils soient aussi confortables que vous vous en vantiez. Sera-t-il possible de mettre à disposition quelques mets ? Je ne serai pas contre quelques petites gâteries à me mettre sous la langue.

Il eut un instant de recul en entendant cette réponse qui n’avait rien de celles qui suivaient d’ordinaire ce type de déclaration. À moins de vouloir finir les jupons retroussés, mais il comptait quand même sur son fils pour épargner ce spectacle à son petit fils… Pourtant quelque chose clochait dans le son de sa voix. Il en aurait mis sa main à couper qu’elle ne comprenait pas le double sens qu’elle y mettait. Coldris le savait : elle avait été élevée dans un couvent. Il se souvenait encore de la détresse de Bérénice qui l’avait même suppliée de l’accueillir à Fromart… Oh qu’il se réjouissait désormais que sa petite princesse n’ait jamais foulé ces sols impies qui ne connaissaient rien d’autre que les légumes racines pour tout bon plaisir. Qui n’entendait rien à l’esprit masculin retors. Qui ignoraient que les mots pouvaient avoir d’autre sens que ceux qu’on leur prêtait. Où elles finissaient les quatre fers en l’air sans comprendre comment elles en étaient arrivées là.
Ces lieux infâmes n’éduquaient pas les jeunes filles, ils fabriquaient de parfaites proies candides à souhait. Il soupira. Finalement, Thierry n’avait peut-être pas totalement abusé d’elle…

Il entra. Adéis hurla au Kraken. Il fallait qu’il intervienne, car il était persuadé que Sarkeris y verrait là une invitation à poursuivre tant la phrase était… ambiguë.

- Kraken ?! Vraiment?! il haussa un sourcil Ce n’est pas très flatteur tout de même…

- C’est parce que c'est le plus fort, grand-père! tenta de se justifier le garçon.

Il avait bien le sens de la répartie de sa mère. Mais où était passée la réserve naturelle des Aussevielle ?
– Madame de Kergemont, j’ai bien reçu les vœux de votre père. Je vous prie d’accepter en retour nos meilleurs vœux pour cette nouvelle année qui je l’espère comblera vos désirs les plus secrets et vous apportera bon nombre de nouvelles expériences, ici à Braktenn…

Oui, bon. On ne se refaisait quand on s’appelait Coldris de Fromart. Et il n’avait pas résisté à l’envie de quelques paroles bien placées avant d’adresse un regard entendu à Sarkeris lui signalant que la fête était finie. Et pour que tout soit bien clair pour son fils, il compléta à l’attention de Lavinia:

– Je vous suggère de faire attention aux choix de vos mots. Vous pourriez vous retrouver en fâcheuse posture. L’esprit des hommes sait être fertile et joueur.

Il n’aurait plus manquait qu’il soit également obligé de sortir son fils d’une sordide affaire d’adultère voire de viol suite à un mal entendu propagé par ces ignorantes bonnes sœurs…

Ayant posé le garçon sur le fauteuil, Sark vit avec surprise Lavinia s'approcher de lui pour poser ses mains sur son torse. Mais à quoi jouait-elle à la fin ? Et puis ces mots qu'elle employait... c'était jouer avec le feu ! Il repensa à Bérénice sur le port. Elle l'avait bien mené en bateau, et il s'était posé des questions sur la facilité avec laquelle elle entrait dans son jeu. Là, c'était pire.

Dans un coin de sa tête, il songea à demander à son père s'il n'avait pas d'autres soeurs... Et il se méfia de Lavinia, sans pour autant être capable de laisser s'engouffrer son esprit dans les brèches qu'elle ouvrait par ses propos. Adéis était juste à côté en plus... à quoi pensait-elle en le chauffant comme un quartier de viande sur un grill ?

Pour un peu, avec ces demis-mots chuchotés comme des promesses, Lavinia aurait pu convaincre Sarkéris de se faire amiral. Véritablement. Si les hommes honnêtes arrivaient à obtenir tout ce qu'ils voulaient des femmes sans rien faire, le corsaire aurait été prêt à remettre en question sa carrière de flibustier.

— C'est fort aimable à vous et je serai honorée d'être introduite dans les quartiers du capitaine pour peu qu'ils soient aussi confortables que vous vous en vantiez. Sera-t-il possible de mettre à disposition quelques mets ? Je ne serai pas contre quelques petites gâteries à me mettre sous la langue.

Sarkéris écarquilla les yeux, et heureusement Adéis répondit à sa place. Effectivement, une femme sur un bateau portait malheur, mais... là, clairement, il ferait une exception.

- Krakeeeeeeeeen ! Hurla son neveu

C'était une sorte de "code" entre eux pour prévenir de l'arrivée du redoutable Coldris. Une idée d'Adéis. Le corsaire (le vrai) se retourna vers la porte. Son père venait effectivement d'entrer. Toujours au bon moment. Il lui jeta un regard : "Tu viens bien d'entendre comme moi non ? c'est qui cette fille ?" - mais en échange il ne reçu qu'un message visuel énigmatique : était-ce un avertissement ? depuis quand on ne pouvait pas toucher aux femmes mariées ?

Il recula d'un pas, laissant son père saluer la dame, mais la détailla de nouveau des pieds à la tête. Madame de Kergemont. Et visiblement elle n'était pas sa sœur. Mais Sarkéris ne put s'empêcher de sourire légèrement en entendant son père faire exactement la même chose que lui. Il se demandait quelle réponse il allait recevoir de la dame.

Le cri d'Adéis la fit sursauter et elle s'éloigna de Sark pour voir Coldris de Fromart s'avançait vers eux. Elle s'inclina devant le maître de maison et lui tendit la main.

— Madame de Kergemont, j’ai bien reçu les vœux de votre père. Je vous prie d’accepter en retour nos meilleurs vœux pour cette nouvelle année qui je l’espère comblera vos désirs les plus secrets et vous apportera bon nombre de nouvelles expériences, ici à Braktenn…

Ses désirs les plus secrets, nouvelles expériences ? Où voulait-il en venir ? Lavinia réfléchit avant de répondre à son tour.

— C'est un honneur d'enfin vous rencontrer cher Monsieur. En ce qui concerne mes désirs j'espère sincèrement qu'ils seront comblés. Pour les nouvelles expériences, je crois y être confrontés depuis mon retour en ville que cela soit en bien ou non…

Pour ne pas installer un blanc malvenu, Lavinia invita tout naturellement Coldris a se joindre à eux.

— En attendant la venue de Bérénice, ce Monsieur me proposer de faire connaissance autour d'une petite collation. Voulez-vous vous joindre à nous ?

— Je vous suggère de faire attention aux choix de vos mots. Vous pourriez vous retrouver en fâcheuse posture. L’esprit des hommes sait être fertile et joueur.

Avait-elle commis un impair ? Quelles paroles avaient pu être mal interprétées ? Elle repassa toute la conversation avec Sark et le rouge lui monta au visage. Elle se retourna vers l'amiral inventé de toute pièce.

— Vous...je… les quartiers du capitaine ! Devant un enfant ! Je … désolé, Monsieur de Fromart cela n'a jamais été dans mon intention de.. Nous jouions avec Adéis et…

Lavinia se rendit compte qu'elle ne connaissait pas l'identité de l'homme qui se tenait à ses côtés. Il était temps de mettre les points sur les "i", elle s'adressa donc à Sark d'un ton plus froid qu'elle ne l'aurait voulu.

— Nous n'avons pas eu l'occasion de nous présenter... Lavinia de Kergemont, à qui ai-je l'honneur ?

Elle ne manquerait pas de tirer les choses au clair dès qu'elle serait de nouveau en tête à tête avec le jeune homme.

A son regard, il comprit bien que son fils semblait chercher lui aussi des explications qui n’allaient pas de venir pour peu qu’il prenne le temps de relever les indices au lieu de s’appesantir sur son charmant décolleté.

Lavinia lui retourna ses salutations et il eut un sourire énigmatique à la mention des nouvelles expériences dont il avait en effet eu vent. Il ne répondit rien et la laissa se précipiter pour combler le blanc qui s’était à peine installé. Un détail qu’il ne manqua pas de relever.

- En attendant la venue de Bérénice, ce Monsieur me proposer de faire connaissance autour d'une petite collation. Voulez-vous vous joindre à nous ?

Il se tourna vers Sarkeris, haussant un sourcil, commissure légèrement retroussée « Depuis quand tu t’occupes des goûters ? ». Mais ce qui l’étonnait presque le plus c’était que Bérénice ne soit pas là pour l’accueillir. Elle était toujours une hôte exemplaire et cela ne pouvait signifier qu’une seule chose : elle ne comptait pas descendre, car elle avait une autre idée derrière la tête. Pour un peu, il aurait pu songer qu’elle essayait d’arranger une union entre eux, mais, même si elle était bien charmante, elle n’aurait sans doute pas le tempérament nécessaire à vivre avec un Fromart et encore moins un Fromart-Farnendes. Le mystère restait donc entier, mais cette chipie avait prémédité son coup...

- J’aurais été ravi de me joindre à vous, mais malheureusement le Premier Conseiller attend mon rapport pour demain et je doute que votre si sérieux père ne m’octroie un délai supplémentaire, quand bien même je lui avouerai que c’est votre plaisante compagnie qui est cause de mon retard.


C’était parfaitement faux. Mais désormais son fils savait qui elle était et pourquoi on ne batifolait pas avec elle en jouant aux pirates. Il y avait des femmes qu’il valait mieux éviter si on ne voulait pas se retrouver la corde au cou. Celle de chanvre surtout. Il se tourna ensuite, taquin vers le maitre de cérémonie :

- Tu n’auras qu’à me faire monter un verre. Café-whisky. Je te laisse le Porto.

Au moins ses paroles suivantes eurent le don de la faire réfléchir sur ce qu’elle venait de dire. Il acquiesça lentement de la tête, sourire en coin alors qu’elle virait au rouge. « Désolé mon fils, j’ai gagné pour cette fois-ci. » lui lança-t-il d’un regard avant de reprendre son sérieux.

- Oh oui je sais. J’ai bien compris. Soyez libre de faire selon votre bon plaisir, mais signez-moi une décharge, je ne veux pas retrouver mon fils à la Prévoté demain.

D’ailleurs elle s’inquiéta subitement de connaitre l’identité de l’homme avec qui elle venait de jouer à d’innocents jeux d’enfants.

- Sarkeris, mon fils. Il est corsaire pour le compte de notre bon roi. Vous voulez toujours visiter la cabine du capitaine ? Si vous lui demandez gentiment, il acceptera peut-être. répondit-il malicieusement.
Tu viens Adéis? Laissons-le pirate avec sa Princesse et sortons un peu faire du poney en attendant le retour d’Alexandre, d’accord ?

Son petit fils s’extirpa de sa cachette en hurlant de joie tandis qu’il remontait sur le fauteuil pour sauter sur le dos de son grand-père. Désormais il était un chevalier en croisade ! Comme dans les histoires du légendaire Mérobald d’Aussevielle !

Il ne fut pas déçu de la réponse de "Madame de Kergemont" à la salutation malicieuse de son père et masqua difficilement
son amusement. Non assurément, c'était dit de façon si candide qu'elle ne pouvait pas se rendre compte. Mais si elle voulait de nouvelles expériences, Sark se faisait fort de lui en montrer quelques unes fort agréables... quoique... vu le regard de son père, ce n'était pas forcément une excellente idée. Surtout s'il s'agissait de la fille du premier conseiller. Autrement dit : distances obligatoire.

Il ouvrit de grands yeux en entendant parler de collation. Il avait proposé ça lui ? ah... la "cabine du capitaine". Il était bien loin d'évoquer une "collation" à ce moment là, mais soit... Coldris venait de le coincer dans un ennuyant partage de gâteaux sablés et d'eau chaude colorée.

- Du café-whisky, oui, acquiesça-t-il avec un sourire forcé.

"Merci papa, je me coltine la copine de ma soeur...". D'ailleurs, où était-elle, celle-là ? à quoi jouait-elle encore ? Son bref ressentiment envers sa sœur donna le temps à Coldris de le présenter à la dame, qui répondait par ailleurs au doux prénom de Lavinia.

Une fois seul avec elle, il se retint de faire le moindre commentaire sur ce qui venait de se passer et lui indiqua la sortie de la petite pièce pour ensuite la conduire dans le salon de réception, où ils seraient bien plus à l'aise pour prendre une collation. Bien sûr, il n'allait pas s'excuser pour son comportement tout à fait déplacé un peu plus tôt.

- Je vous en prie, madame, installez-vous. On ne devrait pas tarder à nous apporter de quoi faire pitance.

Il s'assit en face d'elle, s'assurant d'avoir un espace assez large entre elle et lui.

- Où en étions-nous ? vous vouliez une danse ? il va falloir m'apprendre dans ce cas, madame, parce qu'on m'a appris beaucoup de choses sur mon bateau, mais la danse ne fait pas partie de mes compétences. Pas encore.

Une domestique entra avec un petit chariot où étaient disposés boissons et petits fours. Elle les installa près d'eux puis les laissa seuls.

Elle était furibonde. Au moins avait-elle fini par réaliser ce qui s'était passé. Sark ne pouvait nier que toute cette petite scène l'avait beaucoup amusé, et même si ça l'avait conduit à jouer les mondains, il ne regrettait pas. Certes, Coldris lui avait fait comprendre qu'il ne pouvait pas poser ses grandes paluches sur ce joli brin de femme mariée. Ces "épargnées" devaient être rares, et le Premier Conseiller un homme dont son père devait se défier pour ne pas vouloir provoquer son courroux.

Dommage qu'il ait ouvert les yeux de cette Lavinia de Kergemont sur ses paroles inconséquentes. Avec son innocence, il ne doutait pas qu'elle l'aurait encore régalé de beaux sous-entendus d'autant plus croustillants qu'ils auraient été prononcés en toute bonne foi. Le petit mordillement de ses lèvres là, lui fit pencher la tête sur le côté, avec un amusement non dissimulé. C'était très aguichant, mais elle ne s'en rendait pas compte. Il regarda ailleurs en inspirant bon coup : si elle continuait comme ça, peu importe l'espace qui les séparait ou l'interdiction de son père, il ne jurait pas de lui-même.

— Où en étions-nous ?

— Cela dépend si nous sommes encore au fin fond des Sept Mers Monsieur le Corsaire ? J’espère au moins que vous vous êtes bien amusé ?

Oh que oui ! il s'était bien amusé. Mais il ne souhaitait pas se mettre en danger (ni elle par la même occasion) en poursuivant trop loin les jeux d'enfants.

— Madame, dit-il, considérez que nous sommes revenus à terre. Il n'est bon pour personne qu'une femme reste à bord trop longtemps.

Si cela pouvait la rassurer et lui faire perdre cette méfiance, ce serait toujours ça de gagné. Il était à Braktenn depuis quelques semaines, et il avait appris entretemps que certains comportements n'étaient pas admis en "société". Séduire les Braktennoises se révélait plus compliqué que prévu.

Mais en reparlant de la danse, il ne pensait pas que cela la plongerait dans un tel état de réflexion.

— Un gentleman comme vous ne sais pas danser ? Mais comment allez-vous faire pour épater ses dames lors des prochains évènements ?

Était-ce de l'ironie qu'il percevait ? et de quoi parlait-elle quand elle disait "prochains évènements" ? Il plissa les paupière, méfiant. Danser n'était pas utile à un marin, et il ne se considérait pas comme gentleman, mais c'était bien ce mot, en particulier, qui était ironique, plus que tous les autres, dans la bouche de la dame de Kergemont. Il n'avait pas besoin de savoir danser pour épater la galerie, les femmes encore moins. Toutefois, lorsqu'elle se leva, il la suivit des yeux avec curiosité, avant de répondre à son injonction et de la rejoindre.

— Ne faites pas votre timide ! Nous sommes partis sur des bases plus que douteuses… Je vous offre mon aide et nous pouvons faire connaissance en même temps. Repartir sur de bonnes bases. Qu’avez-vous donc appris sur votre bateau ? Et je vous en pris, vous pouvez passer l’épisode de la cabine du capitaine !

Un peu boudeur devant cette réprimande toute teintée d'une rancœur légitime, il était quand même prêt à faire de son mieux. qu'avait-il appris sur son bateau ? beaucoup de choses... mais ce n'était pas un sujet de salon. Et puis c'était tellement vaste que cela pouvait difficilement tenir en une seule phrase sans être très vague. La mer, naviguer, c'était sa naissance, sa vie, et ce serait probablement sa mort.

— Un bateau n'est pas un salon de danse... c'est un lieu de travail et de danger, d'amour et de haine, c'est un endroit où l'univers tient en entier, et que l'univers tient en entier. On y apprend la vie, tout simplement.

Elle ne pouvait pas comprendre. C'était insensé de vouloir lui expliquer, alors qu'ils dansaient... Danser. Quelle idée ! Il l'observa alors qu'elle expliquait ce qu'il fallait faire, tout en illustrant ses propos par des mouvements. Il s'y essaya aussi, circonspect.


— Quelle surprise, vous n’êtes pas aussi novice que cela. Votre jeu de jambe est plutôt bon. C’est votre port de tête qui ne va pas.

Un jeu de jambes plutôt bon ! encore heureux ! c'était l'épée ça ! et le tangage du navire. Il se troubla un vague instant. Une autre voix, lointaine, lui disait la même chose. Il y a bien longtemps.


L'appui de la main de Lavinia dans son dos le réveilla brutalement d'une réminiscence. Il redressa machinalement les épaules, remonta le menton et se concentra pour appliquer ses consignes. Il avait l'impression d'être un pantin ridicule. Mais bon, il avait promis la danse... Elle n'était pas contente de lui, et son regard agacé, lui fit recouvrer un air taquin. Finalement, rien n'était plus amusant que de faire enrager certaines femmes, et Lavinia de Kergemont en faisait partie.

—  Vous n’écoutez pas ce que je vous dis on dirait … Bien passons au moment le plus crucial de cette danse. Il ne faut absolument commettre aucune erreur à cet instant ! C’est la suite de portée. Avec moi cela sera simple du fait de ma petite taille, mais la majorité des dames sont plus élancées donc soyez attentif.

Oh ! il allait la porter. Excellente perspective. Qui ne fit qu'agrandir son sourire. Mais ... avant toute chose, il fallait prendre des précaution, pas question de se retrouver dans une position plus que suggestive et tentante comme un peu plus tôt. Avant qu'elle ne poursuive, il fit un geste pour l'interrompre, se rendit à la porte du salon en deux longues enjambées, l'ouvrit et leva la tête vers le haut de l'escalier.

- BÉRÉNIIIIIICE ! QUELQU'UN POUR TOI ! hurla-t-il à plein poumon dans le hall.

Laissant la porte ouverte derrière lui, il revint vers le salon, avec un large sourire. Après tout, c'était à sa sœur de faire la causette avec Lavinia, et si elle pouvait se pointer rapidement, ça l'arrangerait. Non pas que la compagnie d'une charmante dame lui soit désagréable, au contraire ! c'était bien cela le problème. En attendant que sa sœur apparaisse (elle avait forcément entendu, non ?), autant profiter du court répit offert par ce porté... Lavinia reprit là où elle s'était arrêtée :

—  Je vais poser une de mes mains sur votre épaule et l’autre sur votre bras pour me donner l’impulsion. Et vous vos mains doivent être autour de ma taille. Et uniquement autour de ma taille ! Ensuite vous me soulever et…

Mains autour de la taille ? pas compliqué. Il se saisit d'elle, la souleva sans aucune difficulté et la fit virevolter en tournoyant, comme il avait pu le faire lors de bals côtiers, où l'on ne s'embarrassait pas de sautillements ridicules et autres absurdités. Dans ces bals, on dansait tout simplement, paume contre paume, le rythme sous les semelles, la musique sur les lèvres, dans les cœurs et les yeux. A ces moments-là, c'était le corps qui parlait plus fort que les mots, et il fallait bien que Sark fasse un petit écart dans cette danse guindée, pour lui donner un peu de rythme ! Le mouvement tournoyant souleva haut les jupes de la jeune femme, un peu trop pour la bienséance. Sark ne s'en préoccupa absolument pas. D'abord, parce qu'il ne voyait pas grand chose du spectacle révélé par les jupons soulevés, ensuite parce qu'il avait vu assez de paires de gambettes pour savoir à quoi ça ressemblait (une de plus ou de moins, vous savez.... !) et enfin parce que le spectacle du joli petit minois effarouché en face du sien était beaucoup plus intéressant.

Il éclata de rire et la reposa sur le sol avant de la faire tournoyer une dernière fois entre ses bras pour l'étourdir un peu et se pencher sur elle.

— Peut-être aurais-je dû préciser que je ne savais pas danser vos danses.

Bérénice était particulièrement fière d’elle : avoir invité Lavinia en même temps qu’Eldred pour qu’elle puisse le revoir en dehors de Frenn, c’était une idée absolument formidable ! Adéis sur le dos, son père venait tout juste de l’avertir que son amie était arrivée et que Sarkeris lui tenait compagnie en même temps qu’il servait le thé.

- Oh ne t’inquiètes donc pas pour eux, je descends d’une minute à l’autre. Ce n’est pas tous les jours qu’on peut se faire servir par son frère.

Sourire lumineux et air enjoué, elle pivota sur elle-même avec allégresse faisant voler sa robe pourpre. Dans l’escalier d’honneur, ses petits sautillants claquaient sur les marches de marbre qu’elle dévalait joyeusement. Ils étaient dans le Salon de Réception. Elle les entendait parler sans vraiment discerner leur conversation. Elle aurait pu les rejoindre, mais elle préféra attendre Eldred dans le salon situé de l’autre côté du hall. Elle était curieuse de voir à quoi ressemblait le fameux guerrier zakrotien qui avait réussi à devenir le meilleur ami d’Alduis autant qu’à séduire sa sage Lavinia. Jamais elle ne l’aurait imaginée s’éprendre d’un étranger et encore plus d’un esclave ! Cet homme devait décidément être bien particulier.

Elle n’eut pas le temps d’ouvrir un livre qu’une voix désormais familière tonna dans le hall

BÉRÉNIIIIIICE ! QUELQU’UN POUR TOI !

Elle leva les yeux au plafond, mais son sourire trahissait son amusement. La fille Fromart se leva et traversa les quelques mètres qui les séparaient. La porte était ouverte, elle s’installa silencieusement dans l'embrasure pour épier les prouesses de son frère : ce n’était pas très orthodoxe, mais on ne pouvait nier qu’il ne se débrouillait pas si mal qu’on aurait pu croire. Il manquait simplement d’un peu de distinction. Quant à la subtilité… eh bien il était un Fromart après tout. Elle fit quelques pas dans son dos afin de se porter sa hauteur.

- Tu sais, je ne suis pas sourde, inutile de t’égosiller comme si tu étais sur le pont en pleine tempête. Oh et tu as tort. Ce n’est pas pour moi.

Elle se hissa sur la pointe de ses pieds et ébouriffa joyeusement sa tignasse brune en riant avant d’embrasser sa joue. Elle se tourna alors vers Lavinia :

- Je ne vous présente pas, j’imagine. Il est charmant n’est-ce pas ?

Elle pencha la tête candidement avant de s’adresser de nouveau à son frère :

- Il faudra que je complète ton répertoire, mais puisque tu n’es pas si mauvais danseur… Tu voudras bien m’accompagner au bal du charivari ? ses yeux qui oscillaient entre vert et bleu sans parvenir à se décider, l’imploraient silencieusement.

Il était là, au-dessus de Lavinia qu'il retenait dans ses bras, lorsque la voix de sa soeur interrompit leur danse. Sarkéris se redressa et Lavinia avec lui. Il ne la retint pas plus longtemps que nécessaire, cette fois.

- C'est pour qui alors ? tu l'as bien invitée non ? La moindre des choses, c'est que tu sois là quand elle arrive, non ?

Oh ! Par le Trident de Neptune ! est-ce qu'il ne deviendrait pas trop civilisé ? ça ne lui ressemblait pas de faire ce genre de réflexion. Et puis, il s'en fichait un tantinet que ce soit lui qui accueille les amies de sa sœur. Il se retint de justesse de lui demander si elle en avait d'autres qui devaient venir dans les jours suivants... Avec un air offensé, il remit ses cheveux en place, et, singeant les grands de ce monde, il lissa son pourpoint du plat de la main, avant de se débarrasser d'une poussière imaginaire par une pichenette sur l'épaule.

- Le bal du charivari ? hummmm... il faut voir, c'est quel jour ? je suis très pris en ce moment. Les affaires, tu comprends... peut-être réussirai-je à libérer un créneau...

La remarque de son frère lui étira un sourire espiègle jusqu’aux oreilles. C’est qu’il en deviendrait presque un habitué des salons maintenant ! Elle ne résista pas à poursuivre sa taquinerie avant de lui ébouriffer les cheveux :

- Eh bien que voilà ! Mon cher Sarkeris de la Lutine de Fromart, encore quelques jours parmi nous et vous deviendrez l’hôte rêvé.

Oh il avait beau râler, elle était sûre qu’il s’était fait une joie d’accueillir son amie. Et puis Lavinia ne pouvait pas nier qu’il était charmant, même avec les cheveux en bataille. Elle se garda bien de lui répondre au sujet de l’identité de son invité. Il le saurait bien assez tôt à n’en pas douter. Elle n’afficha qu’un petit sourire énigmatique avant de l’inviter au bal.

- Fin février, mon grand frère. répondit-elle en achevant la remise en état imaginaire de son pourpoint par un époussetage de ses épaules. Je suis sûr que papa te libèrera du plancher de ton navire pour que tu puisses m’accompagner sur celui de la scène, si je lui demande gentiment. à Lavinia Je compte sur vous, pour faire de ce beau zéphyr, un cavalier émérite.

Et bien en entendu, elle ne parlait pas d’équitation. Son amie avait toujours eu une sainte horreur des chevaux. Elle quitta son corsaire préféré pour l’un des fauteuils du salon et se servit un verre de whisky. Porto pour Sarkeris. Thé pour Lavinia. Dans le hall, elle percevait des pas inhabituels sur le marbre. Une chaude gorgée rapidement avalée du spiritueux tourbeux et elle se releva aussitôt gaiement de son assise. Une joyeuse tornade déboula dans le hall :

- Enchantée! Je suis sa sœur, Bérénice! Venez donc il est ici ! il vous attend. mentit-elle sans la moindre once de remord.

Alors c’était lui l’ami d’Alduis ?! Il n’avait pas tort, il était bel homme dans son genre. Elle ne put s’empêcher de se demander si c’était l’une des premières choses à laquelle avait pensé son frère. Au moins, ils pouvaient comparer leurs points de vue respectifs sur la gent masculine. Il avait l’air si calme et posé. Inutile de chercher plus loin pourquoi son frère l’apprécier autant. Elle afficha un sourire plein de douceur et l’entraina dans le salon. Elle avait hâte de découvrir la tête de Lavinia. Oh et celle de Sarkeris par extension ! Alduis pourrait attendre un peu. Après tout il était rarement à l’heure lui-même…

Eldred était dans ce grand hall de marbre blanc. Rien à voir avec l’austère château de Frenn. Où était passé le domestique ? Mystère. Il piétina un peu, hésitant sur le chemin à prendre lorsqu’une tornade blonde fit son apparition, un sourire lumineux jusqu’aux oreilles. Un sourire qu’il aurait reconnu entre mille et pour cause : Alduis avait parfois le même. Un sourire heureux et quelque peu espiègle. Il fronça légèrement les sourcils. Devait-il s’attendre à quelque chose de sa part ?

- Enchanté…

Il n’eut pas vraiment le temps d’en dire plus qu’une main attrapa son bras et l’entraina avec autorité  vers l’un des salons. Le moins que l’on puisse dire c’est qu’elle ne manquait pas de poigne. Au sens propre comme au sens figuré. Il débarqua dans le salon, un brin déséquilibré par l’impulsion.

Il chercha du regard la tignasse blonde de son ami, mais… Que faisait-elle ici ?! Il tourna un regard suspicieux vers Bérénice qui lui répondit de ce petit sourire en coin malicieux indiquant qu’elle plaidait -presque- coupable.


- Bonjour Lavinia, je… Je venais voir Alduis.

Il remarqua ensuite le grand brun borgne qu’il identifia immédiatement même sans présentation.

- Vous devez être Sarkeris, son demi-frère. Eldred, enchanté.

Tous ces regards rivés sur lui… Qu’était-il censé faire ? A quoi jouer Bérénice qui semblait si satisfaite de sa petite affaire ? Il posa ses prunelles brunes sur Sarkeris puis sur Lavinia.

- Je vous dérange sans doute. Vous deviez être occupés. Je repasserai tout à l’heure en ce cas.

Il allait prendre congé, mais Bérénice lui barra la route dans un pas glissé. Il soupira. Pouvait-elle vraiment être pire que son frère ? Il fallait croire que oui. Si ça se trouvait, Alduis aussi était de mèche. Il avait l’air bien motivé à le voir conclure…

Fin février, fin février... c'était bien joli, ça lui laisserait peut-être le temps de trouver une déconvenue. Parce qu'en guise de planche, il préférait largement le bois raboté d'un navire en pleine mer que le parquet ciré et glissé d'une salle de bal où les parfums sont plus capiteux que l'iode marin. Il renifla, légèrement dédaigneux, et se rendit compte que Lavinia lui lançait un regard peu amène. Sans doute en représailles du porté foireux qu'il lui avait infligé. Pourtant, il était bien content de son coup. Rien ne valait la foudroyante étincelle de colère qui éclairait le regard de femme, du moins pour les femmes inaccessibles... Il lui envoya un sourire canaille en retour, s'apprêtant à recevoir une bordée de sentences cérémonieuses et moralisatrices.

Mais à la place, Bérénice apporta la dernière pièce du service. Sarkéris détailla le nouveau venu avec un intérêt curieux. Brun, l'œil sombre, le muscle travaillé, l'homme n'en menait pas large pour une raison inconnue, qui ne tarda pourtant pas à apparaître aux yeux de Sark. L'embarras de l'amie de sa sœur était transparent, tout comme le regard du nouveau venu était éloquent.

Notre corsaire peu subtil se fendit d'un sourire amusé, et d'un regard entendu lancé à sa sœur. Parbleu, voilà une histoire des plus intéressantes. Non contente de briguer un empire, voilà que Bérénice se proposait de devenir marieuse, à la façon de ces matrones orientales qui lisent dans les astres pour savoir si les deux êtres sont faits l'un pour l'autre dans cette vie ou dans une autre. Il n'avait pas encore décidé s'il allait prêter main forte à cette idylle ou bien s'il allait semer la zizanie lorsque "Eldred" se présenta.

Il l'avait reconnu, ça voulait dire qu'Alduis avait parlé de lui, intéressant... Sarkéris fit un simple hochement de tête en réponse, dans l'expectative. Au passage il détailla un peu plus le zakrotien dont il avait reconnu l'accent. De deux choses l'une ; ou bien cet homme était un sacré veinard et avait toute la liberté nécessaire pour vaquer à des occupations telles que conter fleurette à la fille du premier conseiller, ou bien il était là en tant que prisonnier de guerre, ou plutôt esclave.

Sarkéris réfléchissait au meilleur moyen de s'amuser un bon coup alors que les deux amoureux se faisaient des politesses d'enfants aveugles. Lorsque Lavinia lui prodigua son ultime conseil, il saisit la perche au vol, et attrapa sa main comme elle la lui tendait si innocemment.

- Voyons ! délicieuse créature, ce n'est pas avec des mots qu'on apprend à danser ! remontrez-moi plutôt ce fameux pas de danse. Non... Non pas avec moi. Il faut que je le voie pour le comprendre. Tenez, Eldred (en zakrotien), c'est bien ton nom n'est-ce pas ? (reprenant le monbrinien) montrez-nous donc vos talents de danseur.

Avant de laisser Lavinia rejoindre son nouveau cavalier, Sark prit malgré tout la peine de la faire tournoyer sur elle-même fort élégamment, avant de la plaquer contre lui pour lui chuchoter :

- J'espère que vous reviendrez goûter tout le piquant de mon porté, un de ces quatre.

Après quoi, il abandonna les amoureux pour se réfugier au creux du canapé, près de Bérénice, et sirotant son porto, il se pencha vers elle :

- Tu m'expliques ? et n'omets aucun détail croustillant.

Il ne s’était pas vraiment attendu à rencontrer Lavinia ici, en compagnie de la fratrie Fromart. Ils étaient tous là, excepté celui qu’il était vraiment censé voir : Alduis. C’était à se demander si ce n’était pas un coup monté, car Lavinia elle-même semblait surprise de cet étrange concours de circonstances. Il hocha la tête à ce qui était visiblement des excuses qui n’avaient pas lieu d’être. Après tout, elle n’avait pas à se justifier de quoi que ce soit. Elle était libre, elle, contrairement à lui qui devait sans cesse trouver un alibi. De toute façon, il ne pouvait pas sortir du salon, puisque Bérénice le lui interdisait. Il retint un soupir et inclina docilement la tête.

Pourquoi partait-elle ? Il ne comprendrait décidément jamais les femmes d’ici. Aux paroles échangées, il comprit qu’il avait raté un cours de danse -ouf !- ce ne fut qu’entendant  le son familier de sa langue natale qu’il s’intéressa réellement au corsaire. Il le détailla de pieds en cape et laissa un sourire s’étirer.

- Apparament. C’est ce qu’elle a dit quand elle m’a salué. il lorgna sa dague à la ceinture, lui aussi en avait une – celle d’Alduis – caché dans un pli de sa tunique je préfère les danses martiales.

Mais il n’était pas du genre à s’avouer vaincu. Tout le monde savait qu’un guerrier zakrotien mourrait au combat, il ne fuyait pas l’adversité. Évidemment, il n’y connaissait rien en danse monbrinienne. Déjà à la base, ça ne le passionnait pas plus que ça et quelque chose lui disait que Sarkeris partageait son humble avis.

-Et moi je n’y ai pas droit ?  railla-t-il avant de récupérer la main de Lavinia

- Je suis désolé, je ne sais pas danser. Enfin pas ce que vous attendez de moi, Lavinia, mais je peux vous montrer une danse de chez moi. Je suis certain que vous n’aurez aucun mal à la suivre.

Il prit sa main dans la sienne et se plaça à ses côtés, effectuant quelques pas sautés tout en tournant en lentement sur un cercle imaginaire.
- ça va? Vous voyez c’est simple. dit-il en le faisant tournoyer calmement plusieurs fois sur elle-même.

Il la lâcha et effectua de nouveau des petits pas sautés sans la quitter du regard. De temps à autre, il levait ses bras ou les baissait. Cela faisait une éternité qu’il n’avait pas dansé ainsi ! Il souriait tellement qu’il commençait à rire alors qu’il s’accroupit avec souplesse à deux reprises pour effectuer quelques jeux de jambes au ras du sol. Il se releva et posa une main sur son épaule et l’autre dans le creux de ses reins avant de reprendre ses déplacements circulaires. Maintenant au moins, il pouvait admirer toutes les nuances brunes de ses prunelles.

-Ne crois pas t’en tirer à si bon compte !  lança-t-il jovialement à Sarkeris qui discutait

Il prit son bras et le passa derrière sa nuque avant d’effectuer quelques pas chassés puis de la faire tournoyer une nouvelle fois avant de la lâcher pour sauter plusieurs fois en frappant ses talons dans la paume de ses mains avant d’atterrir et de saluer l’assemblée de ce qui devait être une révérence.

- Qu’en dites-vous? Je vais vous en montrer une autre nettement plus amusante !

Il se dirigea vers le canapé où il invita, Sarkeris et Bérénice à le rejoindre dans une ronde, main dans la main.

Elle observait les retrouvailles depuis son canapé d’un œil malicieux. Sarkeris avait bien fait de ne pas la laisser partir, maintenant que son hôte était enfin arrivé ! Pourquoi paniquait-elle ainsi ? Les secrets de Fromart restaient à Fromart, c’était bien connu. Jamais ni elle ni son frère n’aurait rien dit de cette relation.

Bérénice fut bientôt rejointe par son corsaire favori avec qui elle trinqua aussitôt avant de se voir réclamer les derniers potins croustillants. Elle pencha sa tête contre la sienne, verre toujours la main, le regard rivé vers les deux danseurs.

- C’est le meilleur ami Alduis, un guerrier qu’il a rencontré là-bas à l’époque. inutile de préciser où j’ignorais que tu parlais, zakrotien. Tu vas souvent là-bas ? Je croyais que tu les préférais distinguées.

Ou alors c’était pour servir les besoins de papa… Allez savoir. Elle trempa ses lèvres dans le spiritueux tourbé avant de donner un coup de coude à Sarkeris pour attirer son attention sur les deux tourtereaux qui ne semblaient pas des plus à l’aise. Il n’était pas si mauvais danseur qu’on aurait pu le croire. Sa tête retomba contre l’épaule de son frère. Depuis combien de temps n’avait-elle pas eu ce simple geste de tendresse ? Cela remontait… Au départ de Démétrius, il y a longtemps, bien trop longtemps. Elle l’avait bien serré dans ses bras à son retour, mais cela n’avait plus rien eu à voir. Depuis, elle prenait sur elle et taisait sa peine pour ne pas affecter Adéis plus qu’il ne l’était déjà. Elle n’avait pas le droit de flancher. Elle devait être forte pour eux deux. C'était la moindre chose qu'elle pouvait faire. Tout cela la ramena à son enfance, prise en étau entre son père et son frère, mais toujours seule à devoir faire bonne figure pour ne froisser personne et ne surtout pas envenimer la situation de peur de perdre le peu qu’il lui restait.

- Il est plutôt pas mal, non ? finit-elle par dire pour chasser ses sombres pensées tout en devinant qu’il était focalisé sur autre chose.

Elle se laissa aller à un sourire amusé avant de reprendre une gorgée.

- Tu sais, elle n’était pas comme ça quand on était petite. Elle a changé. Heureusement que Papa ne m’a pas enfermé dans un couvent.

Bérénice prit une nouvelle petite gorgée, pensivement. Elle aurait aimé l’aider plus que cela. Elle ne savait finalement pas grand-chose d’elle, c’était désormais une inconnue avec qui elle avait été amie. Où était passée la jeune fille avec qui elle avait joué et rit ? De ce qu’elle avait compris, elle n’était pas heureuse dans son mariage. Là aussi, elle pouvait remercier son père du choix qu’il avait fait. Raison de plus de s'en montrer digne et de demeurer stoïque. Elle se redressa d'un coup lorsqu'une information entreposée dans son esprit refit surface, la faisant passer du coq à l'âne.

- J’ai trouvé un armateur à couler… commença-t-elle pleine d'engouement.

Et bien sûr, elle parlait au sens figuré. Parce que les fameux bateaux, elle comptait bien les récupérer intacts pour servir son ambitieux projet.

… L’oncle d’Alexandre. poursuivit-elle en anticipant sa question. Tu ne voudrais pas jeter un œil à l’occasion ?

Elle avait demandé de son plus beau sourire, mais cela suffirait-il ? Elle n’avait de toute façon pas le temps d’argumenter plus que cela, Eldred venait de s’approcher pour les inviter à participer à une ronde telle qu’on les pratiquait encore dans les campagnes. Bérénice s’y prêta de bonne grâce, riant de tout son cœur après quelques tours. Comment aurait-elle pu garder son sérieux alors qu’ils étaient en train de faire une ronde avec deux nobles, un pirate et un esclave ?