[01 Janvier 1598] Pirate et Jupons vous souhaites Bonne Année [RP Sensible][terminé]

Le dénommé Eldred était donc bien zakrotien. La langue qu'il semblait avoir plaisir à entendre et employer ne mentait pas. Et il avait cette morgue tout à fait irritante des habitants des terres froides. Le corsaire ne manqua pas le regard éloquent lancé à son arme. Si le zakrotien voulait un combat, il serait toujours temps de voir ce qu'il avait dans le ventre. Sarkéris aussi préférait de loin entamer un paso doble avec une lame adverse...

- Je pourrais arranger ça, répliqua-t-il dans la langue.

...mais les femmes avaient leurs exigences : pour l'heure, il s'agissait de faire le beau sur un parquet. Et comme Lavinia goûtait fort peu sa prose de loup de mer, il la laissait volontiers dans les bras d'un homme intéressé par les portés... Et non, il n'aurait pas le droit de voir le sien. Du moins pas tout de suite. Pas avant de savoir dans quel guêpier Bérénice venait de le fourrer. Ensuite, peut-être que le barbare pourrait admirer avec quelle agilité il soulevait les jupes de ces dames, et alors on verrait lequel des deux trouverait le plus vite un moyen d'en venir à des danses plus musclées.

Une fois installé en spectateur, il écouta les explications de sa sœur.

- Loquace, le guerrier, commenta-t-il sobrement. J'ai pas mal de... contact "marchands" à Zakros. Connaître leur langue c'est mieux pour pas se faire embobiner. Quant aux zakrotiennes...

Il se tut. Comment décrire les zakrotiennes de façon séante ? La distinction pouvait avoir beaucoup de définition. Il préféra persévérer dans le silence et savourer une gorgée de porto. Son attention fut vite ramenée au centre de la pièce où le couple pour le moins atypique évoluait... d'une façon pour le moins amusante. Il noya son amusement dans le fond de son verre et se laissa surprendre par l'abandon de Bérénice sur son épaule. Eh bien, voilà qui était nouveau. Il lui jeta un coup d'œil pour surprendre un air malicieux ou quoique ce soit, mais ne vit qu'un visage pensif. Il reposa son verre et passa un bras autour des épaules de sa sœur. Un peu maladroitement, il est vrai. Mais pouvait-on lui demander de devenir subitement expert en femmes Braktennoises, en danse de salon et en tendresse fraternelle, et le tout en même temps ? Au moins il essayait. Même s'il se sentait un tantinet ridicule.

- Hein, quoi ? ah ! euh... faudrait demander son avis à Alduis, question beauté masculine... moi j'ai d'autres compétences.

Il imaginait fort bien Alduis débattre des avantages physique de tel ou tel amphitryon de salon avec sa soeur, tandis que Coldris et lui ferait un sort aux formes plus développées de l'autre face du genre humain, cartographie en addition. Et pour ce qui était de l'éducation... il n'imaginait pas sa sœur dans un couvent. Elle avait l'esprit trop indépendant pour les nones. En fait, si, il l'imaginait parfaitement dans un couvent : en train de semer la zizanie dans un cloître habituellement calme, avec une horde de bonnes sœurs horrifiées à ses trousses. Occupé par cette vision réjouissante, il fut surpris par sa proposition finale. Il n'eut que le temps de se demander si ledit Alexandre était bien la bouillote d'Alduis, avant de se retrouver à faire une ronde au milieu du salon.

- Ah ça ! vous ne pourrez pas dire que mon porté n'est pas convenable dans ces circonstances, ma chère Lavinia ! s'exclama-t-il, joueur, en rompant le cercle pour la prendre à bras le corps et réitérer son exploit, à dessein devant les yeux du zakrotien, devant lequel il reposa la jeune femme. Eh, Eldred, qu'en dites-vous, ne feriez-vous pas la même chose ? Je suis sûr qu'elle goûterait bien plus la plaisanterie de votre part.

Pour ce qui était des contacts marchands, il n’avait pas besoin de préciser la nature pour que Bérénice se fasse une idée du genre de «  négociants » avec qui il pouvait bien faire affaire. Tout comme son silence au sujet des Zakrotiennes qui lui valut un regard mutin de long en large. S’il croyait s’en tirer à si bon compte, il se fourvoyait grandement ! Même si pour l’heure, elle préférait profiter paisiblement de cette épaule qui semblait l’appeler. Et tant pis, si cela lui valait un regard un brin interloqué de son frère ou même un bras hésitant autour de ses épaules : elle était bien trop heureuse de pouvoir recevoir cette anodine marque de tendresse et se blottit un peu plus contre lui. C’était sans doute là, la principale différence entre eux : elle pourrait bien avoir l’air aussi forte que possible, elle serait toujours au fond d’elle-même douce comme du velours, à rechercher l’affection qu’il lui manquait depuis toujours. Elle osa un regard vers son frère qui observait avec amusement la danse : lui n’en avait sans doute pas reçu davantage et certainement moins encore qu’elle, mais cela n’avait pas l’air de lui manquer le moins du monde. Quelque part, elle l’enviait.

— Oh aller ! Tu dois bien avoir un avis, non ? Et puis j’ai déjà son avis, je voulais le tien… Mais si tu préfères, je pourrais te donner le mien sur ton terrain elle leva une prunelle émeraude amusée.

Elle songeait déjà à ce bal de charivari où elle comptait bien le trainer avec Alduis. Ils auraient tout le loisir d’analyser et de décortiquer la faune locale couverte de plumes et de tissus scintillants. Sarkeris râlait à cette idée, mais elle savait bien qu’une fois sur place, il ne saurait plus à quel sein se vouer. Bérénice tenta de ramener la discussion sur un sujet plus sérieux qui sembla le surprendre. Était-ce la mention d’Alexandre ou celle de l’armateur qui lui fit hausser les sourcils ? Ce n’était visiblement pas maintenant qu’ils auraient le loisir d’approfondir ce point, puisqu’ils se firent tous deux inviter à danser dans une ronde décomplexée. C’était sans compter sur son intenable pirate de frère qui avait indubitablement le même père qu’elle-même. Sentant qu’il allait encore faire des siennes, elle tira vainement sur son bras pour lui intimer de rester en place. C’était comme tenter de retenir un espadon avec une canne en roseau… Elle n’eut bientôt plus que ses yeux à rouler face à la scène. Et qu’avait-il dit au Zakrotien ? Bérénice soupira. En soi, elle trouvait cela plutôt drôle et à sa place, elle en aurait ri de bon cœur. Ils étaient ici entre amis et en privée, alors vraiment, ce n’est pas ce genre de considération qui l’aurait empêché de s’amuser. Seulement voilà, son amie, elle avait grandi dans un monde bien plus ordonné que le sien. D’ailleurs, lorsqu’il la reposa, elle explosa.
Bérénice adressa un regard mi-amusé mi-exaspéré à son frère, celui-là même qui disait « tu es vraiment incorrigible, regardes ce que tu as fait.». Le pire n’était pas tant sa colère que le désespoir qu’elle sentait derrière.

Inadapté. C’était le mot qui lui sauta au visage.
Un jeu inadapté pour une jeune femme qu’elle découvrait fragilisée et justement inadapté à l’atmosphère frivole de Fromart. Elle n’écouta pas ses reproches -sans doute justifiés- envers son frère et la prit spontanément dans ses bras pour la rassurer.

— Je suis désolée Lavinia. Ne le prenez pas mal, Sarkeris n’escomptait certainement pas vous blesser ou même se moquer de vous. Il n’y avait rien de mesquin derrière, ce n’était qu’une plaisanterie. Il est parfois maladroit…

Par-dessus son épaule, elle jeta un regard de mentor à Sarkeris, tout en frottant son dos.

… et il n’a pas pour habitude de fréquenter les salons de la capitale. C’est un tout autre monde qu’il découvre encore.


— J’espère que vous ne lui en tiendrez pas rigueur. Ce n’est pas un mauvais bougre, loin de là.


Elle inclina légèrement la tête pour appuyer ses bavardes œillades turquoises.

Visiblement le fameux frère n’était pas contre une danse plus virile que celle que l’on pratiquait dans les salons braktennois. Il esquissa un sourire pour toute réponse et entraina Lavinia dans une danse toute zakrotienne qu’il maitrisait quand même un peu mieux que celle qu’il était censé effectuer. Il était surement un peu rouillé -comme il devait l’être au combat d’ailleurs-, mais cela ne l’empêcha de faire de son mieux. Et plus encore lorsqu’il pouvait apercevoir son sourire illuminer son timide visage. À ses applaudissements, il effectua une révérence maladroite et entraina tout le monde dans une ronde nettement plus légère et franchement moins technique.

Après tout juste quelques tours, il perçut dans le regard du corsaire -déformation guerrière- le coup qu’il s’apprêtait à porter. Justement Lavinia s’envola dans les airs.

— J’imagine…  commenta-t-il d’un haussement de sourcil.

Tout autour d’elle, ses jupons s’étalèrent comme autant de pétales qui dévoilèrent ses bas et même un infime bout de peau de neige. Son sourire s’étira, preuve s’il en était, qu’il savourait le spectacle.

… Mais je préfère la vue d’ici. Je te remercie.  

En revanche, il apprécia moins la vague de fureur qui se déchaina sur eux. Bon sang, ils ne comprendraient jamais les femmes d’ici et c’était bien ce que disait son regard éberlué. Où était le problème ? Il lança une œillade à son homologue masculin. Chez lui, tout le monde faisait ça. Et puis l’été, pendant les moissons, les femmes remontaient leurs jupons au niveau des genoux par pure praticité et on baisait sur les meules de foin fraichement coupées. De toute évidence, ici, ça ne se faisait pas. Et puis il ne comprenait pas non plus pourquoi l’on faisait un si grand cas de la différence entre ce qu’il se passait dedans et dehors. Il se souvenait bien de l’explication d’Alexandre mais ils étaient à l’abri des regards ici et il n’y avait rien de honteux à apercevoir des jambes couvertes. Ou peut-être que si ? Allez savoir…

À force de chercher une explication rationnelle et culturelle, Bérénice s’était jetée sur Lavinia, et lui, se sentait bien bête au milieu de tous ces nobles aux mœurs si différentes des siennes. Depuis qu’il était arrivé ici, il avait constamment l’impression de marcher sur les œufs et d’en faire une omelette. Il baissa cependant le regard même s’il ne voyait pas bien ce qu’il y avait de mal à s’amuser et à rire.

Avoir un avis sur les hommes ? Eh bien... il en avait un quand il fallait recruter. Mais quand il s'agissait de commenter l'allure du loustic...

— Il ferait probablement une bonne recrue pour l'équipage si jamais il a le pied marrin...

Evidemment, ce n'était pas ce qu'elle souhaitait entendre, mais elle le prenait un peu au dépourvu. Et que suggérait-elle quand elle disait vouloir lui donner son avis sur son terrain ? C'est vrai que ça pourrait être utile après les écueils qu'il avait rencontré ces derniers jours. Son ego en avait pris un coup.


La réaction d'Eldred lui plut absolument, mais comme il se faisait déjà incendier par la belle, il préféra ne pas ajouter d'huile sur le feu en riant à gorge déployée. Elle avait l'air tellement offusqué, et lui tellement perdu par toutes ses manières que la situation n'avait pas de sens.

- Me les briser ? mais voyons, vous auriez privé une grande partie du pays d'un atout majeur pour ces dam...

Une tornade sororale l'empêcha de terminer sa phrase. Avec un air légèrement étonné, il regarda Bérénice étreindre son amie comme si elle pleurait à chaudes larmes. Ce qui n'était pas le cas, elle avait tout au plus l'air... bouleversé. Sarkéris leva les yeux au ciel. Entre celles qui vous mettaient facilement au tapis avec des mots acerbes et incompréhensibles et celles qui s'écroulaient en pleurs à la moindre petite allusion déplacée, comment pouvait-il savoir comment faire ? et puis elle aurait dû être rassurée, son père lui avait dit "pas touche". Est-ce qu'il avait une tête à enfreindre les règles franchement ... ? bon peut-être, mais faut pas se fier aux apparences...

Il adressa un regard à Eldred et haussa les épaules, l'air de celui qui ne comprend pas vraiment ce qu'il a fait de mal. Toutefois, il n'ajouta rien : les yeux de Bérénice en disaient long sur ce qu'elle pensait de lui, même s'il était incapable de comprendre avec précision le message qu'elle lui transmettait. Il garda un retrait stratégique jusqu'à ce que la scène de consolation s'achève, tout en ayant le bon goût de paraître (légèrement) coupable.

Comment expliquer à Bérénice que la colère dirigée sur son frère n’était que le fruit de celle qu’elle se destinait à elle-même ? Depuis quand n’était-elle plus apte à s’amuser avec autrui en toute insouciance ? Elle était trop formatée à faire en sorte qu’aucun de ses comportements ne laisse à penser à son mari qu’il faille régler le compte de ses interlocuteurs qu’elle en était devenue odieuse. Elle avait tellement honte. Elle ne savait pas quoi répondre à son amie d’enfance.

À voir le regard baissé d’Eldred et la mine contenue de Sarkéris, elle avait définitivement gâché l’ambiance. C’était tout ce dont elle était capable de faire semblait-t-il. Eldred l’avait vu dans cette crise totalement hors de propos. Elle en était sûre, elle devait le dégoûter à présent.

— Je… Désolé, je ne suis pas à ma place ici. Je devrais rentrer chez moi.

Elle n’osait même plus redresser la tête. Cette vieille habitude de soumission lui collerait à la peau toute sa vie.

Bérénice tentait de consoler Lavinia entre ses bras, tout en expliquant à son frère que non, on ne procédait pas ainsi. Oh elle avait bien vu l’échange de regards entre les deux bourrus de service ! Rah ! Ce que les hommes pouvaient être idiots parfois !

Au moins, l’instinct de Sarkeris le poussait-il à faire profil repentant. C’était déjà ça. Quoiqu’elle doutait de sa sincérité profonde. Il était plus comme l’un de ces chiots qui baissaient la tête coupablement sans même savoir ce qu’on leur reprochait réellement.

Elle relâcha son amie qui s’empressa de prendre congé, terriblement mal à l’aise. Bérénice posa sa main sur son bras et un regard sévère sur les deux hommes.

— Vous deux. Dehors. ordonna-t-elle sèchement.

Lorsqu’ils eurent quitté les lieux, elle invita Lavinia à s’asseoir à ses côtés sur le canapé puis fit le service.

— Vous êtes la bienvenue ici, aussi longtemps et aussi souvent que vous le souhaiterez. Vous n’avez pas à vous sentir gêner de quoi que ce soit. Je comprends que les manières de Fromart puissent être… Déroutantes pour vous et je m’en excuse. Sachez qu’ici vous pouvez être vous-même, personne ne vous en tiendra rigueur, croyez-moi.

De toute évidence, le frère d’Alduis avait adopté la même technique que lui : tête baissée, mine désolée. Pour le reste, on verrait plus tard, surtout qu’il voyait bien du coin de l’œil que Bérénice semblait discuter muettement avec Sarkeris tandis qu’elle frottait le dos de Lavinia. Il aurait peut-être dû le faire lui-même ? Mais il demeurait un esclave. C’était peut-être Fromart, cela aurait été assez étrange tout de même et puis si les choses n’avaient pas été si évidentes, cela aurait levé tout doute.

Il retint un soupir agacé. Ce que tout ceci pouvait être pénible. Zakros lui manquait. La simplicité. La liberté. L’air des tourbières. Les soirées festives. La nostalgie commençait à le gagner lorsqu’il remarqua le haussement d’épaules de Sarkeris qu’il lui rendit discrètement. Tout ceci était bien trop compliqué pour lui.

Et ils se firent jeter dehors.

Ce qui l’arrangeait bien au fond, parce qu’il ne savait réellement plus quoi faire qui n’irait pas mettre de l’huile sur le feu. Alors il quitta le salon sans un mot et se laissa tomber sur les marches de marbre blanc.

— Je déteste Monbrina. lâcha-t-il dans un souffle désespéré.

Pour la première fois depuis des mois, il avait le mal du pays. Son esprit ne cessait de lui renvoyer des images des forêts de résineux, des montagnes, des landes, des villages et de leurs langhús à l’atmosphère aussi chaleureuse que ne l’était la rudesse du climat. Les hivers rigoureux lui manquaient. Le blizzard fouettant le visage de mille aiguilles aussi. Tout comme la blancheur immaculée de la neige. Il pouvait bien neiger ici aussi, ça n’avait rien à voir. Si à Zakros la neige était un épais manteau blanc, ici, elle n’était rien d’autre qu’une fine chemise souillée.

Les voilà tous les deux proprement jetés dehors. De quoi respirer un peu. L'atmosphère se tendait trop de guimauve féminine. Pour une fois qu'il essayait de rester sage, ses efforts semblaient inutiles. A la porte du salon, mains sur les hanches, il prit un grand bol d'air, abandonnant son pseudo air penaud. Il n'avait rien compris aux froncements de sourcils de Bérénice. Il lui demanderait plus tard.

A côté de lui, le Zakrotien avait l'air vraiment ennuyé. Un Zakrotien dans une maison monbrinienne. C'était plutôt rare. Sarkéris lui fit face.

- M'en parle pas... c'est l'enfer, répliqua-t-il.

Les femmes...

Son zakrotien était un peu rouillé, mais autant poursuivre ainsi puisqu'ils étaient lancés. Il se demanda au service de qui Eldred pouvait bien être. Certainement pas de son père, il l'aurait probablement déjà croisé sinon. Un tel homme dans un tel décor ça se remarquait comme une baleine dans un filet de pêche. Pour autant il semblait assez libre d'aller et venir. La liberté c'était important.

- Certaines choses ne devraient pas exister.

Il ne parlait plus de Monbrina. Il tourna le dos de sa main droite vers Eldred, et désigna la cicatrice ancienne d'une brûlure. Elle se voyait à peine : la peau de l'homme avait remplacé celle de l'enfant depuis longtemps, dissimulant en partie un lointain passé.

- Le fer n'a pas pu terminer son travail sur moi. Je suis chanceux.

Ce M inachevé était une des raisons pour lesquelles son équipage ne comptait pas d'esclave. Sarkéris n'était pas le plus honnête des hommes, ce n'était rien de le dire, mais l'esclavage, jamais il ne s'y adonnerait.

Après ça, il s'installa sans façon sur les larges marches, et engagea la conversation pour passer le temps avant que les dames ne consentent à les revoir.