[13 Janvier 1598] Quand les rideaux tombent [RP Sensible][Terminé]

Avertissement - Fermez vos yeux les petits, il n'y a rien à voir par ici:

Cela faisait quelques jours qu’elle avait accepté l’invitation des Fromart à venir s’installer chez eux quelque temps. En vue de son comportement quasi amorphe depuis les événements survenus lors de la tempête, on s’était inquiété pour elle. Bérénice s’évertuait à la faire participer à des activités pour la faire sortir de sa léthargie. Mais ce qui la rongeait de l’intérieur, personne ne pouvait rien y faire.
Elle n’avait rien mangé ce matin et avait largement dépassé le créneau du déjeuner. Ses entrailles étaient nouées car elle attendait de la visite. Pas n’importe laquelle, celle d’Eldred.

Après avoir discuté avec Alduis du secret qu’ils partageaient, la seule voie qui s’offrait à elle était la vérité. Elle devait avouait au zakrotien les motifs de son geste, ce qui alimente sa peur au quotidien, ce qui la dévore la nuit venue…
Alors, depuis le matin, elle faisait des va et vient dans le petit salon privatisé pour l’occasion. Alduis avait transmis son invitation à Eldred et depuis elle attendait.


Ils ne s’étaient pas revus en réel tête à tête depuis cet épisode dans la neige, enfin, pas à l’abri des regards indiscrets. Elle avait peur, peur de son attitude, ses ressentiments et... de ce qu’il penserait d’elle après lui avoir tout avouer.

Son regard se fixa sur la table basse, là où trônait la dernière lettre de son époux tout juste réceptionnée. Elle était ouverte en évidence. Rien qu’à sa vue elle en eut la nausée.
Lavinia se détourna pour s’approcher de la fenêtre qui donnait sur l’entrée principale du domaine.

Hasard ou non, c’est au même moment qu’Eldred entra, chevauchant tranquillement sur sa monture. Son cœur se serra, d’ici la fin de la journée son univers risquait de basculer. Elle ne supporterait pas de perdre le jeune homme.

La théière patientait sur un plateau aux côtés de deux tasses. Pour endiguer la panique qui commençait à s’installer, elle se servit. Mauvaise idée. Ses mains tremblaient tellement qu’à part casser la tasse elle n’arriverait à rien. Elle reposa donc la théière et assise sur son fauteuil se mit à inspirer et expirer profondément pour se détendre.

Eldred venait d’arriver à Fromart. Il remerciait chaque jour les dieux que le baron lui laisse tant de libertés dont celle inestimable de conserver son amitié avec Alduis. Il pouvait donc de temps à autre le visiter. Visite pendant lesquelles, il avait souvent le plaisir de retrouver Lavinia par un heureux concours de circonstances qu’il devinait comme n’étant absolument pas fortuit.

Depuis sa fugue ou même disons les choses telles qu’elles étaient, sa tentative de suicide, Eldred ne l’avait pas réellement vu. Elle s’était installée à Fromart et il avait appuyé cette décision. Ici, elle aurait au moins la compagnie d’Alduis, Bérénice, Adéis et même du rat à trois pattes. Le château ne manquait pas de vie ces dernières semaines et cela lui changerait sans doute les idées.

Une fois son cheval remis aux mains d’un palefrenier, il prit les suites d’un domestique qui le conduisit auprès de son hôte du jour. Ce qu’il y avait de bien quand on venait à Fromart, c’était que les serviteurs étaient habitués à toutes sortes de bizarreries et qu’ils ne s’étonnaient jamais de voir arriver un esclave sur un beau cheval arabe rendant visite à une noble dame égarée.

La porte était ouverte et il entra sans s’annoncer. Il sentait sa nervosité d’ici. C’était comme un nuage d’orage crépitant autour d’elle. Il remarqua une lettre sur la table, mais ne s’y attarda pas puisqu’il ne pouvait de toute façon pas encore la déchiffrer. Il ne manqua pas en revanche de voir ses mains trembler comme des feuilles.

Pourquoi était-elle si angoissée ? Comme à chaque fois qu’il la revoyait il était partagé entre le désir de courir pour l’étreindre et cette étrange distance qu’il ne savait pas vraiment comment combler. Il se savait ici en parfaite sécurité, alors il passa un bras autour de son dos et l’autre derrière sa tête pour l’étreindre. Il embrassa le sommet de sa tête et sans dire un mot, prit ses mains et la guida vers un fauteuil pour qu’elle puisse s’y asseoir. Comme les tasses étaient vides, il fit lui-même le service et lui tendit la sienne.

Il ne savait pas par où commencer que déjà son cœur s’emballait.

- C’est l’idée de me revoir qui te met dans ces états pareils ? demanda-t-il taquin.

Au diable ce vouvoiement qu’il s’imposait chaque jour. Il l’avait de toute façon déjà tutoyée plusieurs fois sans le vouloir. Et puis en zakrotien, ça n’existait pas !

Il fallait qu'elle aborde le sujet dès son arrivée. C'était la seule façon de ne pas revenir sur sa décision. Si elle y allait par quatre chemins, elle savait que par lâcheté elle ne lui avouerait rien. Elle était pleine de bonne volonté, mais c'était sans compter sur Eldred qui l'a pris au dépourvu. Elle ne l'avait pas entendu entrer et refermer la porte derrière lui qu'elle se retrouvait dans ses bras rassurants. Par pure égoïsme, même en sachant ce qu'elle allait lui apprendre, elle s'abandonna à cette étreinte. Une étreinte qu'elle craignait être la dernière. Elle resta silencieuse, acceptant tous les signes d'affection de la part du jeune homme et se laissa guider jusqu'à une assise.

Eldred exécuta le service sans ciller contrairement à elle quelques minutes plus tôt. À la taquinerie du jeune homme, elle vida sa tasse d'une seule traite. Le liquide était pourtant trop chaud pour être consommé de la sorte, mais peu lui importait. La brûlure qu'elle sentait se frayer un chemin dans son fort intérieur lui permettait de rester concentré sur son objectif. Malgré qu'Eldred faisait tout, inconsciemment ou non, pour la détourner de son but.

— C’est l’idée de me revoir qui te met dans ces états pareils ?

Son trouble était tel que le tutoiement s'était installé entre eux tout naturellement. Il l'avait installé dans un fauteuil, mais l'envie de marcher en long et en large dans la pièce l'a demangée.

— Je pensais que tu m'en voudrais … que tu serais en colère contre moi, avoua-t-elle à demi-mots.

Pourquoi racontait-elle cela ? Elle devait tout lui dire là, maintenant, sans détour ! Pourquoi ne pas lui parlait des prévisions météorologiques pendant qu'elle y était ?
Elle n'arrivait plus à tenir en place et, dans un mouvement plus énergique que souhaité, elle se leva et se dirigea vers la porte.
Lavinia vérifia que cette dernière fut bien fermée et posa son front contre le bois. Inspire.Expire.

— J'ai des choses à te dire …

C'est bon, elle avait mis le pied à l'étrier et Eldred serait fière de l'expression. Il fallait qu'elle enchaîne vite avant que son esprit s'éparpille en tous sens.

— Je ne l'ai jamais dit à personne. Enfin si… Ingrid et Gérald, mais ça ne compte pas.

Devait-elle mentionner Alduis ? C'est lui qui l'avait conseillé d'avouer ses secrets. Mais… Eldred ne le prendrait-il pas mal. Non, elle avait juré de dire toute la vérité, elle devait s'y tenir.

— En fait si, il y a quelqu'un à qui j'ai déjà partagé ce que je veux te dire. Mais je lui ai fait promettre de ne rien dire et ne rien faire.

Elle s'embrouillait déjà alors que rien de concret n'était dit. Eldred allait la pensée délirante et faire quérir un médecin si cela continuait.

Elle quitta la porte et revint auprès d'Eldred. Devant lui, elle fit les cent pas. Droite. Gauche.Droite. Gauche. Elle allait lui donner le tournis.

— C'est au sujet de mon mari…

Et elle reprit beaucoup plus bas, à peine audible pour le zakrotien.

— de pourquoi je… dans la forêt…

Lavinia avala le contenu de sa tasse bien chaude d’une traite. Il la resservit aussitôt tandis qu’elle répondait à sa question. En colère contre elle ? Mais pourquoi ? Parce qu’elle avait essayé de se tuer ? Il secoua la tête.

- Bien sûr que non… Je suis désolé si je t’ai paru rude sur le lac, mais l’urgence de la situation passait avant tout. Ce n’était pas vraiment le lieu idéal pour parler, tu comprends ?

D’un bond, elle se leva pour vérifier que la porte était fermée. Plus que jamais, il sentait son inquiétude la gagner lorsqu’elle annonça finalement à voir des choses à dire. Quel genre de choses ? Qu’elle ne voulait plus le revoir ? Non ce n’était pas logique... Alors quel secret si terrible pouvait-elle bien porter ? Il l’encouragea d’un signe de la tête, le visage grave, à poursuivre. Il acquiesça à ses premiers mots et l’observa faire les cent pas, confuse. Il ne devina que trop bien qu’il était difficile de se confier. Sa nervosité se vidait au travers de ses pieds tandis qu’elle tournait dans un sens puis dans l’autre. Elle allait finir par lui donner le tournis.

Son mari. La forêt.

Eldred se leva et prit ses mains pour l’obliger à s’immobiliser. Il plongea son regard brun dans le sien et lui dit avec le plus grand calme.

- Ca va aller d’accord ? Calme-toi. Respire tranquillement.

À force de s’agiter dans tous les sens, elle allait finir par se faire emporter par une vague d’émotion et rien de bon n’en ressortirait. Sans parler du fait qu’il pouvait tout entendre quoi qu’elle en pense. Des choses, il en avait vu un paquet, que ce soit ici ou à Zakros.

- Tu peux tout me dire, je t’assure. renchérit-il en espérant la rassurer et la détendre.

Il fronça les sourcils à ses paroles et ne put s’empêcher de soupirer. Comment pouvait-elle toujours penser cela ? Il secoua lentement la tête. Qu’est-ce qu’ils avaient tous à vouloir mourir ? A préférer fuir la vie ? A se dire qu’il n’y avait aucune autre alternative quand il y avait autant de chemins que de branches sur Yggdrasil ? Elle était là pour lui. Et… D’un côté ça lui réchauffer le cœur de savoir qu’elle tenait à lui autant que cela, mais d’un autre côté, il était attristé qu’elle n’ait aucune autre raison.

- Je te prouverai que tu as tort. Un jour, tu me diras « Eldred, heureusement que la tempête ne m’a pas emportée ce soir-là », tu verras

Elle vérifia que la porte était bien fermée, même si à Fromart, ça ne craignait pas grand-chose. Elle semblait si nerveuse qu’il dut la calmer de peur qu’elle ne finisse emportée par ses tourments comme un papillon par une bourrasque. Il avait pris ses mains et sondait son regard. Non pas pour y dénicher ce secret, mais pour essayer de l’apaiser. Elle s’agrippa à sa tunique, l’autre main sur sa joue. Perdu dans ses deux profonds puits bruns, le temps sembla se suspendre un court instant. Ça et ce désir de combler ce minuscule vide entre eux. Quelques secondes tout juste. À peine plus avant qu’elle ne cède et ne l’embrasse franchement dans un long baiser où lèvres et langues s’entremêlaient. Ses bras la pressaient contre lui, ses mains parcouraient la légère robe de laine qu’elle portait au travers de laquelle, il pouvait sentir la chaleur de son corps, mais même ce tissu aussi fin et délicat soit il était toujours de trop. Il dévora son cou et sa poitrine reculant jusqu’au mur où le désir avait littéralement consommé son reste de bon sens. Ça et la sécurité des lieux. Ce fut Lavinia qui arrêta l’échange et la larme qui venait de s’écouler le long de sa joue le ramena aussitôt à la réalité. Il s’en voulut soudainement de s’être emporté, surtout après ce qu’elle avait vécu avec Thierry, il l’avait peut-être effrayée. Elle posa sa tête sur son torse et Eldred une main sur sa tête, qui caressa ses longues boucles brunes. Sa respiration encore vive de leur étreinte se calma petit à petit pour retrouver sa placidité naturelle. Il aurait voulu la garder le plus longtemps ainsi, contre lui dans ses bras à la caresser et à la bercer, mais à nouveau elle s’échappa pour le canapé.

Avait-il fait quelque chose de mal ? Il resta un instant debout à l’observer alors qu’elle fuyait visiblement son regard. Devait-il s’excuser de son comportement ou…

— Je ne sais pas comment sont considérés les épouses à Zakros, mais au convent on m’a enseigné qu’une femme devait combler les attentes et désirs de leurs époux et surtout d’enfanter…

Il croisa les bras pensifs, se remémorant les zakrotiennes qui avaient croisé son chemin et bien entendu Byrnja.

- Cela n’a rien à voir à Zakros. Déjà les femmes ne sont pas considérées de la même façon qu’ici. Elles sont à peu de choses près relativement égales à un homme. Et puis si un mari avait cette idée, laisse-moi te dire qu’il serait vite remis à sa place. Le pays est rude et ses habitants sont à son image, femme comprise. Elles ne se laissent pas marcher sur les pieds crois-moi. Ça leur ferait drôle aux monbriniens d’épouser une zakrotienne.

Il ne put réprimer un sourire à cette idée en se disant que c’était sans doute pour cela que ça n’arrivait pour ainsi dire jamais. Elle avait pris la lettre dans ses mains. Si elle était là, c’était pour une bonne raison, il en aurait mis sa main à couper.

- C’est une lettre de chez toi ? De ton mari ? hasarda-t-il

Un jour… Comment Eldred pouvait-il être aussi certain que dans quelques jours, quelques mois, elle soit toujours libre de le voir à Braktenn ? Car d'après les informations qu'elle avait cela semblait être utopique d'espérer de la sorte. Restait-il ne serait-ce qu'un seul espoir ? Elle était prête à emprunter n'importe quelle voie si il le fallait. Oui, elle souhaitait de toute son âme que le jeune homme lui prouve qu'il avait raison.

La raison… celle qu'elle perdit quelques minutes plus tard. Lorsque son corps se pressait contre celui d'Eldred uniquement séparaient par de fins tissus. L'envie de se séparer de ces encombrants habits autant pour lui que pour elle la demangeait. Mais les lèvres d'Eldred, ses mains qui parcouraient son corps en y laissant des sillons brûlant, lui faisaient perdre pieds. Dos au mur ainsi enlacés, elle était prisonnière de ses lèvres enflammées. Son cou, sa poitrine, elle était prête à tout lui offrir pour ressentir cette sensation qui crépitait dans son bas ventre.

—Eldred…souffla-t-elle entre deux caresses.

Elle haletait à chacun de ses assauts. Si elle ne faisait rien maintenant… Son but n'avait pas été de frustrer le jeune homme, elle espérait qu'il comprendrait et lui pardonnerait. Même là, au calme de leurs respiration, sous les caresses d'Eldred, elle peinait à ne pas s'abandonner à lui. Mais ce n'était pas correct… Alors dans un effort qui lui arracha le cœur, elle se détacha de lui.
La conversation était enfin enclenchée et le premier retour fit grimacer Lavinia.

— Si seulement j'étais aussi forte qu'elles…

Que se serait-il passé si elle aurait tenu tête à son époux ? Elle ne mourrait peut-être pas à petit feu de la sorte. Elle serait simplement déjà morte …

— C'est une lettre de chez toi ? De ton mari ?

Le papier se crispa de plus belle sous ses doigts. Il fallait se lancer à présent, elle nepouvait plus reculer.

— Oui, c'est une lettre d'Antoine. Il semble...aller mieux. Je… Si je devais le décrire. Il suffirait de connaître trois aspects de sa personnalité pour apprécier l'homme qu'il est. En vrai ..pas celui qu'il s'efforce de paraître en société.

Sa voix avait flanché sur les derniers mots. Elle avait du mal à endiguer ce mal-être qui l'assaillait. Mais elle oubliait qu'elle n'était pas seule. C'est tout naturellement qu'Eldred lui saisit les mains. Il effectuait de petits mouvements avec ses pouces, des caresses circulaires qui l'incitaient à poursuivre son récit.

— La première .. c'est que tu vois… je le répugne car il… il aime les hommes.

Comprendrait-il ce que cela impliquait ? Qu'il ne l'avait jamais touché, ou du moins pas de la façon escomptée… Elle tremblait d'avance de la réaction d'Eldred. Le mouvement de ses doigts s'était figé. Ça y est… elle commençait à le perdre.

Les révélations n'étaient pas terminées. Sur sa lancée, elle enchaîna le portrait peu reluisant d'Antoine de Kergemont.

— Possessif. Malgré ses penchants...Il m'avait accompagné à une réception. Cette soirée, elle est restée gravée…

Oui, elle était restée gravée d'une manière indélébile. Il y en avait eu tant d'autres qu'elle aurait pu prendre pour exemple, mais celle-ci était la plus équivoque.

— Il y avait un jeune homme, Lord Sorel. Je ne l'avais pas remarqué mais apriori, je lui plaisais. Antoine l'a repéré aussitôt et a été lui parler. Je.. je l'ai vu pâlir aux mots de mon époux et ils se sont éclipsés. Antoine m'a annoncé à la fin de la soirée l'avoir inviter le lendemain à une partie de chasse car il voulait faire plus ample connaissance et connaître ses intentions.

Dis ainsi il n'y avait vraiment rien qui justifiait l'état dans lequel elle se trouvait. Eldred allait se gausser d'elle. Un mari jaloux et protecteur, ce n'est pas ce que chaque femme tend à trouver ?

— Lord Sorel…il..il a fait une mauvaise chute à la chasse. Il ne s'en ai jamais relevé.

Un accident. Aux yeux de tous, cela avait été un accident. Mais elle savait qu'il en était autrement. On arrivait au moment crucial, où tout allait basculer…

— Je vais te lire la lettre qu'il m'a adressé, peut-être que tu comprendras mieux. Désolé si ma lecture n'est pas aussi fluide que je le souhaiterais.

La lecture achevée, un blanc s'installa. Il n'avait sans doute pas compris la référence à son immonde cicatrice. En fait, elle se faisait peut-être des idées et ce genre de message n'avait rien d'alarmant. Elle en profita pour avouer le destin qui lui était réservé pour son retour.

— Dans la forêt… c'était pour éviter à Ingrid et Gérald de tenir leur promesse. Ils sont comme une mère et un père adoptifs. Si… Eldred, si jamais mon époux me faisait revenir auprès de lui, je n'arriverai pas vivante à Kergemont.

Il avait bien failli oublier toute considération de retenue lors de leur étreinte. Encore plus lorsqu’elle murmurait son nom entre deux baisers qui ne faisait qu’attiser le brasier qui consumer son ventre et plus encore. Si la frustration l’avait gagné lorsqu’elle avait mis fin à la tornade qui était en train de les emporter, il lui en était en réalité reconnaissant. Quelques minutes de plus et il la déshabillait.

Lavinia regrettait de ne pas être aussi forte que les zakrotiennes. Il lui adressa un sourire et s’installa à ses côtés sur le canapé richement tapissé.

- C’est une question de culture, tu sais. Tu n’as pas été élevée comme elles, ça ne veut pas dire que tu ne peux pas l’être. Mais tu n’as pas à t’en vouloir ou quoi que ce soit

Ses yeux se posèrent sur ce papier qui se froissait entre ses doigts. Il sentait sa voix vaciller, les émotions ressurgir. Comme avec il le faisait avec Alduis, il essaya de l’ancrer avec dans la réalité en prenant ses mains. Une façon de lui donner du courage et de l’empêcher de se noyer dans ses souvenirs et ses pensées obscures tandis qu’elle les déverserait, car il n’avait aucun doute que ce n’était là que la partie émergée de l’iceberg qu’elle s’apprêtait à retourner.

— La première .. c'est que tu vois… je le répugne, car il… il aime les hommes.

Il hocha lentement la tête. Il comprenait parfaitement, car il se souvenait très bien de ses discussions avec Alduis sur ce sujet et il comprenait parce que lui aussi, coucher avec un homme l’aurait dégouté. Pourtant il sentait que par répugner elle entendait quelque chose de bien plus fort que l’aversion qu’il pouvait éprouver à l’idée de passer la nuit avec un homme. Comment pouvait-on être écœuré par quelqu’un à ce point ? Elle qui était si douce en plus. Cela dépassait clairement la simple affaire sexuelle. Il ne l’interrompit pas et écouta la suite. Possessif. Malgré ses penchants. Et cette simple phrase suffisait tant l’aberration la rendait malsaine. Quand elle commença son récit, il la prit en ses bras et posa sa tête contre son torse pour la bercer légèrement. Cette pisse de troll putréfié avait froidement assassiné un homme qui avait eu le malheur de poser les yeux sur son épouse qui la répugnait. Il embrasse le sommet de sa tête. Dans quel monde vivait-elle sa petite brindille ? Homosexuel, possessif, violent et même agressif, meurtrier ; le portrait qu’elle en dressait lui faisait apparaitre quelqu’un d’excessivement sombre, dépourvu de la moindre qualité relationnelle et humaine. Une vieille merde humaine au sens le plus pur : un déchet de la société qu’il fallait évacuer.

Lorsqu’elle annonça lire la lettre, il la serra un peu plus fort et embrassa sa joue.

- Ne t’excuse pas pour ça. Et si je ne suis pas content je n’ai qu’à apprendre à lire répondit-il pour détendre un peu l’atmosphère si lourde.

Il écouta avec un profond sérieux les mots qui s’écoulaient de ses lèvres. Si le début n’avait rien d’anormal, cela ne dura guère. Au portrait, il ajouta « obsession du contrôle », « tyran » et « manipulateur vicieux et malveillant ». Cet homme le faisait vomir, et à part pour lui ouvrir l’abdomen de sa gorge à ses attributs, il préférait ne pas avoir l’immense honneur de croiser son chemin. Il secoua la tête lentement. La liste se compléta de « sadique ».  Il n’y avait que cette histoire de symétrie qu’il ne comprenait pas, mais dont rien de bon ne pouvait découler. Il pouvait le deviner rien qu’à la violence des propos. Elle était aussi sa victime…

Eldred la serra encore plus fort à ses aveux.

- Ca n’arrivera pas. Je te le promets. Arrange-toi pour convaincre ton père de me laisser t’accompagner, je règlerai le problème et tu en seras débarrassé. il s’approcha de son oreille et lui murmura Je lui dirais combien, je t’aime et combien tu es formidable et belle. Combien il ne te mérite pas et ne méritera jamais personne. Je lui dirais que ce n’est qu’une vieille couille de troll que même Jörmungand vomirait tant il est infect.

Il n’avait même pas réfléchi à ce qu’impliquer cette proposition et pour cause, c’était pour lui la seule façon de régler une bonne fois pour toute ce problème. Quoi qu’elle en dise, il n’y avait pas à hésiter. S’il devait mourir ce jour-là, il aurait au moins la chance de le faire honorablement.

- C’est la seule solution. Il est malade, c’est le moment idéal pour t’en débarrasser. Ne t’en fais pas pour moi j’ai connu pire qu’un convalescent et j’aurais pour moi l’effet de surprise. Pour ce qui est de se faire surprendre et bien je compte sur toi pour que ça n’arrive pas. répondit-il avec un large sourire avant d’ajouter je sais que tu en es capable.

Elle avait des paroles dures envers elle, des paroles qu’il ne comprenait pas. Un monstre rien que ça ? Elle était bien loin de ce que l’on pouvait qualifier de monstrueux que ce soit au sens propre ou figuré. Elle releva à son grand étonnement le bas de sa robe avant de prendre sa main pour la guider sous son jupon. Dans d’autres circonstances, il aurait pris ça pour une invitation mais compte-tenu du contexte, il comprit qu’elle voulait lui montrer quelque chose.
A l’intérieur de sa cuisse se trouvait une légère boursouflure de plusieurs centimètres. Son visage se fit plus grave. Sans ses explications, il aurait sans doute cru que cette cicatrice était de celle qui servait à camoufler une absence de virginité, mais ça ne collait pas. En fait c’était tout l’inverse : il n’avait pas voulu la toucher ce jour-là et cette pourriture d’entrailles de hareng avait osé baiser son amant sous ses yeux… Ses doigts continuaient de parcourir sa cicatrice. D’ailleurs, il ne s’était pas contenté de simuler la consommation, il l’avait sciemment meurtrie comme en témoigner l’entaille bien plus profonde que nécessaire.

- Il paiera tout ce qu’il t’a fait, sois en certaine. Mais si tu crois que c’est ça qui va me dégoûter de toi tu te trompes. Déjà parce que j’en ai moi-même bon nombre et parce que quoi qu’il arrive, tu seras toujours la plus belle.

Elle reprit sa main et remonta jusqu’à son bas ventre. Il y avait là une nouvelle cicatrice, plus longue, plus fine qui l’interrogea. C’était de celles que l’on obtenait dans le cas d’une césarienne, lorsque le bébé devait être extirpé d’urgence au risque de perdre la mère et l’enfant. Mais quelque chose ne collait pas non plus: elle ne le lui aurait pas montré dans ce contexte, cela devait forcément avoir un rapport avec son mari. Il fronça les sourcils en caressant la peau chaude de son ventre.

- Lui aussi je présume ?

Si quelqu’un méritait d’être condamné, c’était bien lui. Qui pouvait ainsi se permettre de violenter et blesser volontairement sa femme juste parce qu’il préférait les hommes ? Eldred se baissa et embrassa le tissu de sa robe, juste au niveau de sa cicatrice.

- Tu n’as pas de honte à avoir. Même lorsqu’il sera parti, elles seront toujours là comme un témoin de ton passé mais tu dois les accepter de la même manière que tu ne peux pas juste oublier. Elles ne font pas de toi un monstre au contraire. C’est le passé qui nous construit, le présent qui détermine nos choix pour le futur. Un jour tu verras tu contempleras à quel point tu es devenue forte en les regardant.

Il déposa un tendre baiser sur ses lèvres et attendit ses explications

— Je ne laisserais personne te faire du mal...quoi qu’il m’en coûte !
- Alors tu surveilleras la porte et ce sera parfait. conclut-il un petit sourire en coin.

Parce que oui, pour lui c’était acté. Il ne restait qu’à convaincre le baron de le laisser accompagner Lavinia et il se chargerait du reste. Des hommes, il en avait déjà tué des tas, certes à la guerre uniquement, là c’était plus… Une situation de survie, ou à mieux y réfléchir… Comme abattre un chien qui avait la rage : une action de bien publique.

Elle lui montra -ou plutôt fit toucher- sa première cicatrice, celle à l’intérieur de la cuisse. Si cela l’étonna, elle était bien loin de le dégouter. Ce n’était pas la première qu’il voyait, et ce même sur une femme. Alors oui, ici, à Monbrina c’était peut-être moins courant, mais il se fichait pas mal de ce que pensaient les Monbriniens et leurs idées étriquées.

- Elle montre surtout que j’ai échappé à la mort. Ou que je suis un parfait idiot. Ca dépend. Si j’étais si fort, je n’aurais pas de cicatrices. Mais toutes sont une leçon pour le présent.

Parce que oui si certaines étaient le fruit du champ de bataille, d'autres n'étaient en revanche que de vulgaire accident. Il marqua une pause avant d’aborder la suite de sa remarque. Il planta son regard dans le sien et déclara:

Ne pense plus à lui, d’accord ? Il ne mérite même de hanter tes pensées.

Oh non, il méritait tout un tas de choses fort créatives, mais certainement pas le privilège d’habiter son esprit ou même de la terroriser. Et puis, là, leurs deux regards bruns, l’un dans l’autre, elle devait bien voir à quel point tout ceci était faux et combien il avait envie d’elle. D’ailleurs sa main ne se gênait pas pour lui rappeler en caressant doucement sa peau avant d’être conduite vers le second traumatisme. A son récit, il retira son bras de sous sa robe pour la serrer contre lui. Il ne comprenait pas tout, mais c’était bien suffisant et bien trop épouvantable. Il ne savait pas quand, mais il savait déjà qu’il le tuerait. Il aurait voulu le saigner comme un porc et lui enfourner ses couilles dans sa bouche béante, comme la pomme du porcelet à la broche… Oh non! Il ne manquait décidément pas d’imagination, mais il savait déjà que sa mort serait bien plus sobre -mais tout aussi pitoyable- que celles qu’il était en train d’imaginer.

- tu n’y es pour rien… Le problème c’est lui, pas toi…

Il la berça un instant entre ses bras, jusqu’à ce qu’elle passe les siens autour de son cou, se pressant contre lui. Eldred déposa ses mains sur ses hanches. Il eut un sourire à cette déclaration qui l’embrasa littéralement. Il la renversa sur le canapé  et s’appuyant sur ses avant-bras avoua à son tour:

- Je t’aime aussi. Et je me fiche pas mal qu’un homme t’es touché ou non. Ca ne changera rien au fait que je te voudrais toujours : maintenant, tout à l’heure, dans un mois ou dans un an. Quand tu le voudras. Tout comme ça ne changera jamais que je pense à toi sans arrêt et que tu me manques dès que je ne te vois plus.

Il resta là, suspendu au-dessus de ses lèvres, à bouillir d’envie de les prendre entre les siens, à rêver de coller son corps contre le sien, mais cette décision ne lui appartenait pas et jamais il ne l’aurait brusquée d’une quelconque façon, encore moins après tout ce qu’elle venait de partager avec lui.

- Merci d’avoir partagé cela avec moi. ajouta-t-il dans un murmure.

Ses yeux bruns ne pouvaient se détacher des deux obsidiennes face à lui. Ce fut d’un souffle qu’elle lui posa cette question déroutante qui le laissa une fraction de seconde pantois. Alors elle ne savait rien ? Vraiment rien ? Rien du tout ? Il ne répondit que par un sourire et un hochement de tête silencieux, déposant ses lèvres dans son cou. Il sentit ses mains passer sous sa tunique, faisait frémir sa peau au passage de ses doigts. Ses doigts chauds qui traçaient un sillon de lave sur son épiderme enflammant le reste de son corps. Son cœur s’emballait, tandis que ses mains remontaient instinctivement vers sa poitrine.

- Laisse-moi te montrer souffla-t-il en contrôlant cette respiration qui s’emballait.

Avec délicatesse, il la renversa sur le canapé puis redescendit subitement jusqu’à ses chevilles pour emprunter de nouveau ce chemin le long de ses jambes, mais cette fois-ci la finalité était bien différente.

Il ne resta bientôt plus que leurs deux peaux mêlant l’une à l’autre leurs cicatrices respectives indépendamment de toutes les frontières ou murs qui pouvaient se dresser. L’espace d’un instant, tout fut terriblement simple. Il n’y avait plus qu’eux et rien d’autre.

Il en oublia le danger, le risque et toute autre considération. Il n’y avait qu’elle et sa peau si douce qu’il embrassait, ses doigts qui la parcouraient, ses yeux dans lesquels il se perdait. Comment pouvait-on croire qu’elle était répugnante et indésirable ? Pour lui prouver, il embrassa chacune de ses stigmates dont elle avait tant honte. Peu importe combien elle pourrait en avoir, il ne la trouverait jamais repoussante. Il avait peut-être marqué son corps de manière indélébile, mais plus jamais il n’aurait d’emprise sur son cœur ou son esprit. C’était sans doute prétentieux de sa part, mais il désirait pouvoir lui offrir cet amour qu’on lui avait refusé jusque-là. Il aspirait à pouvoir lui montrer que tout cela n’avait rien à voir avec ce qu’elle avait vécu.


Il avait beau avoir été aussi doux que possible, il espérait ne pas lui avoir fait trop mal. Il embrassa son front en caressant ses cheveux, un sourire béat au bord des lèvres. Il n’avait pas de mots. Sa respiration s’était apaisée, il flottait désormais à mi-chemin entre le monde des hommes et celui du divin. Pouvait-on être plus léger qu’en cet instant ? Sans doute pas. Qu’importe ce M sur son épaule, il se sentait plus libre que jamais. Il effleura sa joue avant de déposer un court baiser sur ses lèvres.

C’était la première fois que Lavinia ressentait cette sensation de plénitude si délectable. Là, dans les bras de son amant, sous ses caresses délicates et ses baisers emplis de tendresse, elle n’aurait souhaité pour rien au monde être ailleurs. Il effleura sa joue et l'embrassa furtivement. Elle en était sûre, elle devait arborait le même sourire que lui.

— Pourquoi tu souris comme cela ?

Lavinia se blottit de nouveau sur son torse, l’oreille sur sa peau à se laisser bercer par le rythme de son cœur qui la rassurait.

— J’aimerais pouvoir rester ainsi éternellement, avoua-t-elle à demi-mot.

Elle voulait que ce moment inoubliable ne se finisse jamais. Que ces murs retiennent le bonheur qu’elle arrivait enfin à toucher. Eldred savait tout d’elle à présent, mais elle, que savait-elle ? Il lui avait parlé un jour de son frère, de son pays, mais avait-il une famille qui l’attendait là-bas. Un frisson la parcourut, elle ne lui avait jamais demandé, et si une femme et des enfants attendaient son retour. Était-elle une vulgaire amante...une maîtresse ? Elle avait confiance en Eldred et si cela avait été le cas, elle était sûre qu’il ne lui aurait rien caché. Mais le doute était là et elle n’arrivait pas à s’en débarrasser.
Les doigts d’Eldred glissèrent sur son ventre et déclenchèrent un rire franc chez la jeune femme. Elle n’était pourtant pas si chatouilleuse que cela !

— Arrêtes veux-tu ! réussit-elle à articuler entre deux rires. Dis-moi plutôt qui est ce Jörmungand ? Une personne, un animal ?

Sa prononciation devait être hachée au couteau et elle s’en voulut de massacrer ainsi la langue natale du zakrotien. En plus, sans doute de le vexer de sa flagrante ignorance. Elle voulait s’intéresser à lui, sa culture, son passé, mais elle avait peur de sa réaction. Il était esclave, son seul désir devait être de retourner là-bas. Ici, il vivait plus les évènements comme des contraintes, un supplice peut-être.
Lavinia exécutait des petits cercles avec ses doigts sur la peau chaude d’Eldred. Pour se rassurer, pour essayer de lui poser ces questions sans tremblements dans sa voix.

— Tu as une famille, une femme, des enfants qui t’attendent ? Je veux dire là-bas à Zakros… ou même ici d’ailleurs.

Ces derniers mots moururent sur ses lèvres. Elle patienta, craignant les réponses qu’Eldred allait lui fournir, si il était enclin à le faire.

– Pourquoi tu souris comme ça ?
– Parce que je suis heureux. Pourquoi faudrait-il une autre raison ?

Pourquoi trouvait-on toujours cela plus normal que d’être affligée ? Il n’avait pas envie d’arrêter de sourire. D’autant plus qu’il savait que ce bonheur serait éphémère. Il n’oubliait pas que cette situation n’avait rien de gagné et que tout pouvait s’arrêter d’un instant à l’autre. Cette petite bulle de tranquillité dans laquelle il se trouvait était fragile comme la glace d’automne. Pourtant, fidèle à ses principes, il s’efforçait de profiter du moment présent sans songer à l’avenir.

Il caressa ses longs cheveux bruns ondulés qui cascadaient le long de ses épaules et recouvraient une partie de son torse.

– C’est parce que les choses ont une fin qu’on les apprécie autant répondit-il avec philosophie en embrassant son front.

Comme la vie. La vie était chère et précieuse, car elle pouvait s’arrêter sans prévenir, du jour au lendemain. Une maladie, un accident, un combat… Il fallait peu de choses pour couper ce mince fil de vie, et ce quoiqu’en dise Alduis. C’était parce qu’il avait conscience de la mort qu’il chérissait la vie. Elles étaient intrinsèquement liées. Comme les deux faces d’une même pièce. Comme le début et la fin qui n’existaient pas l’un sans l’autre. Ou encore le présent qui n’avait de sens qu’avec le passé et le futur auquel il était lié. Il songea alors au valknut cette imbrication de triangles qui avaient tant de significations possibles. Eldred en retenait pour sa part une chose : c’était l’acceptation des différents éléments unis qui permettaient de grandir et de devenir plus fort, car de ces trois formes en émergeait une seule, plus imposante encore qu’il percevait aussi solide et stable qu’une montagne.

Il s’était tellement perdu dans ses pensées qu’il n’avait pas remarqué que ses doigts se promenaient le long de son ventre, déclenchant au passage un si beau rire qui le contamina joyeusement jusqu’à l’étouffer dans son cou d’un baiser.

– Jörmungand ? Hmm on peut dire que c’est un animal puisqu’il s’agit d’un serpent. Le plus gros de tous les serpents que tu ne pourras jamais ni voir ni imaginer. commença-t-il mystérieusement, un petit sourire en coin, tandis qu’il laissait planer le suspens Il est le fils du Dieu Loki et de la Géante Angrboda. A sa naissance, Odin, le père de toutes choses, le jeta dans l’océan qui entoure Midgard, la terre des hommes. Il grandit, grandit, grandit tellement qu’au bout d’un moment, il fut si grand qu’il finit par entourer le monde il encercla sa taille entre ses bras d’un coup avant de reprendre Si bien qu’il se mordit la queue !

Eldred se rua sur son ventre qu’il dévora de baisers avant de rire aux éclats en se laissant tomber à ses côtés. Il avait encore plein de choses à lui raconter sur ce serpent si elle le voulait : sa naissance, la partie de pêche ou encore comme Thor tenta de le soulever en pensant qu’il s’agissait d’un chat. Des récits qui les emmèneraient inévitablement vers d’autres puis d’autres encore, comme autant d’embranchements sur la feuillaison d’Yggdrasil.

Il observait ses doigts tracer de petits cercles sur sa peau lorsqu’elle posa une question qui le ramena à la réalité durant une courte fraction de seconde avant de le projeter neuf ans plus tôt.
Le petit corps fiévreux ruisselant de sueur dont il ne parvenait plus à se souvenir de ses traits, ce petit corps bouillant subitement glacé. Les yeux vides de Byrnja qui ne reflétaient que le vide qui s’étirait en elle, jour après jour, nuit après nuit. Ce vide qu’il avait essayé de combler sans y parvenir.


Son esprit effectua un bon de quelques mois. La bataille. Elle souriait avant d’y aller, elle était même étrangement heureuse et apaisée, si bien qu’il en avait eu un frisson glacé, comme un avertissement lorsqu’il l’avait embrassé pour la dernière fois.
Elle était allongée entre des corps défigurés ou ce qu’il en restait. Avec cet officier roux empalé sur sa lame. Ses grands yeux d’azur ouverts vers Asgard, fiers et paisibles. Sa bouche carmin figée dans un indescriptible sourire d’où un mince filet de sang s’écoulait.

Son visage avait beau peu à peu s’effacer de sa mémoire, il se souvenait étrangement bien de ces détails. Il secoua la tête en inspirant. Il pouvait le faire. Il pouvait tourner la page. Alduis avait promis qu’il ne les trahirait pas. Il se rattacha avec toutes ses forces à cette certitude lorsqu’il déclara :

– Elles sont mortes. Il y a neuf ans. Quand j’ai rencontré Alduis. À peu près.

Elle ne comprit pas le fond de sa pensée sur la nécessité d’avoir une fin mais il ne pouvait pas lui en vouloir. Elle s’en offusqua et elle était terriblement adorable ainsi à s’accrocher à lui comme s’il risquait de fuir d’un instant à l’autre. Pourtant il n’avait pas prévu de s’échapper de si tôt, d’autant plus qu’il lui devait un récit mythique.

— Mais comment l’enfant d’un Dieu et d’une géante peut-il être un serpent ?
- Mais de la même façon qu’il peut avoir un loup géant pour frère et une sœur à la beauté inhumain. rétorqua-t-il comme s’il s’agissait là de l’évidence même

Il reprit sans plus attendre la suite de son explication. A sa dernière remarque, juste après avoir sur vécu à sa chatouilleuse riposte, il haussa les épaules :

- Tu n’auras qu’à lui demander si tu le rencontres un jour. Je ne fais que te conter ce que les anciens disent.

Il déposa un baiser dans son cou, puis en sema un peu partout, avant de commenter, taquin:

- J’espère bien que tu ressens chaque partie de ton corps, mais je devrais peut-être m’en assurer qui sait ?

Un sourire s’esquissa alors qu’il envisageait déjà de profiter agréablement du temps imparti. C’était sans conter une question légitime qui fit son apparition. Sa famille. Byrnja. Sigrùn. À son tour, il se redressa et comprit que sa réponse était bien trop vague. Il secoua la tête et prit sa main pour la porter à ses lèvres.

- Tu n’as pas à t’excuser, c’est parfaitement légitime. Tu es en droit de savoir. il leva brièvement les yeux au ciel et reprit  Ma femme et ma fille. Ma fille est morte l’hiver précédent la bataille. Elle avait deux ans. Les Monbriniens avaient tout brulé, tout pillé. Il n’y avait plus rien à manger. Elle est tombée malade et… Elle n’a pas survécu.

Il secoua brièvement la tête pour chasser les dernières images du corps de sa fille. Parce que ce n’était pas ce dont il voulait se souvenir. Il voulait la revoir souriante, courant vers lui pour se jeter dans ses bras au milieu des bois tandis qu’ils ramassaient des myrtilles.

Et ma femme, n’a jamais pu accepter sa mort. Elle n’était plus vraiment elle-même. Le jour de la bataille... il leva ses grands yeux bruns vers elle Elle avait prévu de ne pas revenir. J’ai fermé les yeux. Je ne l’ai pas retenu et elle n’a pas survécu.

Ce n’était pas de sa faute. Ce n’était pas de sa faute. Mais un peu quand même. Ca le resterait toujours. Ce n’était pas parce que c’était culturellement acceptable de mourir sur un champ de bataille que l’on ne devait pas protéger ce que l’on aimait. D’un autre côté, Alduis avait sans doute raison : sa vie devait s’achever ce jour-là, pour une raison qui le dépassait. On ne pouvait pas tout contrôler. C’était impossible.

Il aurait pu lui raconter un tas d’autres histoires sur le serpent géant, mais puisque ce qui semblait désormais la préoccuper était un tout autre domaine de compétence, il remit à plus tard ses talents de conteurs.

- Tout à fait ! Alduis dit que je suis un expert en la matière ! S’il le dit, c’est bien que ce doit être vrai n’est-ce pas ? Il n’est pas homme à mentir !

Il eut un éclat de rire franc et se laissa aller à profiter un bien trop court instant de sa proximité avant que le sujet ne devienne subitement plus sérieux. Eldred l’aborda sans détour, dans sa vérité la plus absolue. Lavinia avait les larmes aux yeux pendant son récit. Il lui offrit le temps nécessaire à digérer les informations. De quelques gouttes, on passa à un flot ininterrompu. Eldred savait que ce n’était pas uniquement l’évocation de ses souvenirs douloureux qui avait déclenché un déluge émotionnel, mais bien le parallèle qu’elle était en train de faire avec les évènements récents.

Il passa un bras autour de ses épaules et l’attira contre lui.

- Hey ce n’est rien, d’accord ? Tu ne pouvais pas savoir. Je ne t’en veux absolument pas et je ne veux pas non plus que tu t’en veuilles. il caressa ses cheveux lentement et avoua C’est vrai, je m’en suis longtemps senti coupable, d’une part parce que je considérer que sa mort était  normale et honorable, d’autre part parce que j’estimais ne pas en avoir fait assez, mais la vérité c’est que j’aurais pu dire ou faire, elle serait peut-être morte. Même sans ça, elle serait peut-être morte ce jour-là. C’est comme ça. D’accord ?

Il se détacha d’elle pour croiser son regard et essuya tendrement ses larmes du revers de sa main.

À la mention d’Alduis, Lavinia fronça les sourcils. Il aurait peut-être dû éviter, mais en même temps ses mots avaient été par un fortuit hasard, exactement les mêmes que ceux de son ami… Elle eut alors ce commentaire qui acheva de le faire rire aux éclats tant c’était parfaitement absurde. Qu’est-ce qu’ils avaient tous à s’imaginer une possible relation entre eux ? D’abord Alexandre, maintenant Lavinia… il secoua vivement.

- Il n’y absolument rien entre nous si ce n’est de l’amitié. Et une bonne dose de provocation. Tu n’as pas à t’en faire, les hommes ne m’intéressent pas le moins du monde, je t’assure !

Il hésita, mais se ravisa finalement. Aborder leurs baisers échangés n’était peut-être pas la meilleure chose à faire pour l’heure si elle avait la même réaction qu’Alexandre sur le port…

Il se pencha et embrassa son front.

- Je n’aime que toi avoua-t-il

Une fois son douloureux passé confessé, il se sentait bien plus léger. Il allait même sans doute pouvoir enfin faire la paix avec lui-même et tourner pour de bon la page. Il n’avait pas voulu blesser Lavinia en faisant ressurgir les évènements récents, mais il ne pouvait nier le parallèle entre eux. Et d’ailleurs, il espérait ne plus jamais avoir à affronter cette épreuve, car il savait que cette fois-ci, il refermerait le livre pour ne plus jamais le rouvrir. Il la berça entre ses bras tandis qu’elle se blottissait contre lui. Puis ce fut une avalanche de baisers qui déferla le long de son torse jusqu’à l’aine. Une cicatrice vieille de deux ans. Une lame qui avait bien failli le transpercer. Il frissonna sous ses lèvres, si bien qu’il sentit tout son corps se raidir.
Elle prit ses mains et les déposa sur ses hanches qu’il ne put s’empêcher d’agripper puis de caresser avec douceur.

- Je… Tu apprends vite dis-moi… articula-t-il tandis qu’un nouveau feu se répandait dans tout son corps. J’ai tout le temps de te narrer les autres aventures de Jormungand, et… je serai d’avis de faire autre chose… indociles, ses mains remontèrent le long de ses flancs, effleurant sa peau … mais ce serait sans doute parfaitement déraisonnable et… terriblement risqué si l’on se faisait surprendre… mais…

Mais la tentation était bien forte et sa volonté bien faible quand il croisait ce regard et que ses lèvres fourmillaient déjà du contact qu’elles anticipaient…

Comment était-il censé garder son sang-froid quand elle prenait un malin plaisir à le faire bouillir ? Raisonnable, il l’était à longueur de temps, mais pas lorsqu’il s’agissait de sa belle petite brindille qui se trémoussait de façon plus que suggestive sur ses cuisses, et qui se permettait en plus de replacer ses mains. Pire encore, de soupirer à lui en faire frémir chaque centimètre carré de son épiderme. Comment pouvait-il encore tenter vainement de lui résister alors qu’elle embrassait désormais un à un ses doigts dans un regard lascif?

- Mais ?

Mais il avait bien trop envie de sentir sa peau contre la sienne, de la couvrir de baiser, de l’envelopper de caresses, de l’entendre soupirer, et plus encore. Peu importait le risque encouru, tout cela semblait désormais terriblement anecdotique et dérisoire en comparaison avec cette lèvre qui l’appelait, ce dos qu’il renversait sur le canapé ou cette cuisse qu’il relevait...


Il n’y avait rien de plus beau que cet instant où l’univers entier s’effaçait entre deux soupirs, car ils devenaient l’univers. Le passé, le présent, le futur tout disparaissait. C’était comme flotter au milieu de la voie lactée, n’être plus rien qu’une étoile perdue au milieu du néant. C’était toucher du bout des doigts les neuf mondes d’un seul souffle, sentir frémir le feuillage d’Yggdrasil et ses racines à la fois… Son esprit était tellement loin de son corps qu’il n’entendit pas la porte du salon s’ouvrir.

Après plusieurs heures à avoir étudié dans la bibliothèque, Alexandre s'était décidé à s'accorder une pause pour poursuivre ses peintures. son sac sur l'épaule, il remontait les couloirs pour rejoindre un petit salon tranquille, là où personne ne devrait le déranger. A part, peut-être Alduis. Mais ce ne serait pas une intervention trop pénible.

Une surprise l'attendit en poussant la porte : un couple prenait du bon temps dans cette pièce.

Quelques mois plus tôt, Alexandre se serait bruyamment exclamé pour faire la morale à ces deux personnes imprudentes. Il aurait rappelé que ces choses ne se faisaient que dans le cadre du mariage. le jeune homme rougissait de l'entêtement aveugle qui avait été le sien. Il s'apprêta à tourner les talons lorsque son regard distingua des traits familiers. Le jeune homme s'interrompit dans son action de repartir et fixa plus attentivement. Un sourire espiègle naquit. Eldred... Ce cher Eldred en train de... Il ne pouvait passer sur une occasion de l'embêter un peu. Et puis, ce n'était pas comme si cette brochette zarkotienne n'avait jamais fait de même.

Soucieux de ne surtout pas attirer l'attention du couple, Alexandre posa ses béquilles contre le mur. leur bruit caractéristique aurait donné l'alerte. Il fit beaucoup d'effort pour parvenir à la petite table qui se trouvait heureusement à un mètre de là et s'y percha, jambes pendantes. Au moins, l'avantage de la faiblesse de ses muscles lui permettait de progresser avec une lenteur qui étouffait ses pas.

"Eh la brochette !"

Un sourire insolent et malicieux s'était peint sur son visage. Il fixait tranquillement Eldred, balançant ses jambes dans le vide.

"Comment vas-tu donc, mon cher ami ?"

Alexandre pouffa, presque comme un enfant, de plus en plus amusé.

"Souhaites-tu que je te laisse tranquille ?"

Il rit encore.

"Mais je n'en ai pas du tout envie, moi ! Et puis, je ne sais pas encore beaucoup en matière de sexualité, contrairement à toi, ô grand maître zarkotien, alors cela te dérangerait-il tant que je reste pour assister à une leçon ?"