[28 décembre 1597] - Pour ne pas laisser danser les souris [Terminé]
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[28 décembre 1597] - Pour ne pas laisser danser les souris [Terminé]
L'autre pleurnichard était retenu par des baptêmes, Lucinde avait décidé de prendre l'air, d'éloigner un peu cette tache de son champ de vision, et d'aller plutôt jeter un œil au chantier du presbytère, par conscience professionnelle. Et puis, comme ça, elle ne serait pas trop loin si cet imbécile tentait de filer.
Oooooh, il n'avait pas intérêt. Ou alors, qu'il ne réapparaisse jamais, cela valait mieux. Elle n'était pas d'humeur à lui céder quoi que ce soit.
Elle sortit sous un soleil glacial qui l'aveugla un moment. Une part d'elle craignait qu'on ne prenne sa sortie pour une démission mais... Il fallait qu'elle s'aère les idées, et qu'elle puisse réfléchir dans l'ordre. C'était essentiel, lorsque l'on n'avait presque pas dormi.
Elle s'avança donc. Les ouvriers s'activaient. Elle n'y connaissait rien en construction et laissait ces considérations-là à ceux qui savaient, cela valait mieux. Il y avait juste un détail qu'elle devait vérifier…
Elle s'arrêta, pensive. Que voulait-elle faire, encore ? Il y avait une chose dont elle devait s'assurer... Mais quoi ? Cela ne lui revenait plus.
Oooooh, il n'avait pas intérêt. Ou alors, qu'il ne réapparaisse jamais, cela valait mieux. Elle n'était pas d'humeur à lui céder quoi que ce soit.
Elle sortit sous un soleil glacial qui l'aveugla un moment. Une part d'elle craignait qu'on ne prenne sa sortie pour une démission mais... Il fallait qu'elle s'aère les idées, et qu'elle puisse réfléchir dans l'ordre. C'était essentiel, lorsque l'on n'avait presque pas dormi.
Elle s'avança donc. Les ouvriers s'activaient. Elle n'y connaissait rien en construction et laissait ces considérations-là à ceux qui savaient, cela valait mieux. Il y avait juste un détail qu'elle devait vérifier…
Elle s'arrêta, pensive. Que voulait-elle faire, encore ? Il y avait une chose dont elle devait s'assurer... Mais quoi ? Cela ne lui revenait plus.
Re: [28 décembre 1597] - Pour ne pas laisser danser les souris [Terminé]
Sous la pâleur de ce soleil d'hiver, une armée de silhouettes emmitouflées dans d'épaisses capes travaillait au chantier autour de ce qu'il restait du presbytère. Pierres et bois en charogne désarticulée, vertèbres visibles comme les fossiles du bâtiment qui naguère avait ici vécu. Carcasses d'arcades. L'esprit de la sorcière qui avait ici mis le feu semblait encore souffler dans les parages, alors que nulle cendre ne hantait les lieux depuis septembre. L'endroit restait craint. Peu de passants s'y arrêtaient véritablement. Mais bientôt, grâce aux bonnes œuvres du sieur Carpentier, la demeure du prêtre de Saint-Eustache allait renaître de ses cendres. Il se racontait toutefois que le curé actuellement en fonction essuyait quelques ennuis et se montrait de moins en moins... La roue tournerait-elle pour lui ? Ou était-il simplement peu disponible ?
Dans ce curieux spectacle, les yeux caverneux de Jérémie se perdaient sans qu'il ne s'en rendît compte. Ses deux grosses billes noires, vibrantes de la lumière qui s'y enfonçait, aimaient suivre la lente et belle progression du travail en même temps qu'il y participait. Déjà dix jours d'ouvrage. On avait déblayé. On avait gardé seulement les ossements du vieux bâtiment qui seraient encore utiles. Les échafaudages se dressaient et l'esclave fugitif n'était pas peu fier d'avoir participé à l'optimisation des calculs pour leur élévation.
Son esprit désossait, analysait, comptait, jouait à se composer une partition en calculant les distances entre deux piliers, en devinant la logique numéraire d'une allée de charpentes comme on écoute une suite rythmique. Ses bras et ses jambes, eux, obéissaient tel un automate alors qu'il s'oubliait à tant penser. Le corps se mettait en branle, à charrier telle poutre, à aller de ci, de là, à porter - quand sa pensée, elle, demeurait souvent rêveuse, en hauteur, vissée sur ce qu'il lui plaisait de décortiquer. La grande ombre besognait à une cadence tout à fait transparente, pas plus ou pas moins que ses camarades de labeur. Le balancier de ses bras travaillait à bon rythme. Il fallait avouer qu'aux regards de certains - plus blanc, plus trapus - la haute perche aux airs de faucheuse, enveloppé dans son long manteau usé, avait de quoi jurer.
L'homme-charpente travaillait à dresser un bout de mur... quand il fut le premier à repérer une inhabituelle silhouette rôdant sur le chantier. Une femme. Le teint clair, la longue chevelure vénitienne. Tout bonnement inhabituelle, dans un pareil milieu masculin. Les grands yeux charbonneux s'arrêtèrent un instant sur l'expression de cette mystérieuse invitée : elle semblait... songeuse ? Perdue ? En recherche de quelque chose ? Jérémie s'empressa de terminer ce qu'il avait entre les mains, puis se décida à aller à sa rencontre. En la rejoignant, ses pas suivaient une ligne droite imaginaire, comme l'aurait fait la tour du jeu d'échec sur son damier. C'était là sa manière de recentrer son esprit. Lui interdire de succomber une énième fois à mille arborescences à la vue - ou à l'ouïe - de n'importe quel nouveau petit détail n'importe où dans son champ d'attention. Il frotta ses mains noires sur sa vieille tuniques. Ses longs doigts osseux, cuivrés, restèrent à ses cuisses dans leurs chausses brunes - comme autant de racines torses sortant de terre.
Il esquissa un sourire poli... ou ce qui en tenait lieu : léger étirement de ses lèvres granit, en bas de ce long visage si droit, presque inexpressif. Sa voix sombre aux R puissamment roulés engagea :
-- Bonjour, Madame. Vous... cherchez quelque chose, peut-être ?
Re: [28 décembre 1597] - Pour ne pas laisser danser les souris [Terminé]
Lucinde n'avait pas vu l'homme approcher. Elle prit une grande goulée d'air froid avant de lever les yeux vers celui qui l'interrogeait, sans laisser entrevoir la moindre surprise ni la moindre gène. Et pourtant, l'idée d'avoir oublié ce qu'elle comptait faire la rendait malade.
Enfin, soit, son interlocuteur n'avait pas été hostile ; elle n'avait aucune raison de l'être. Elle hocha légèrement la tête pour le remercier de sa sollicitude, un sourire aimable aux lèvres. Réfléchir dans l'ordre. Retrouver le fil.
— Nous cherchons tous quelque chose, répondit-t-elle, évasive.
Mais il avait certainement mieux à faire que de l'entendre divaguer. Et justement, elle se souvenait enfin de ce qui l'amenait.
— On m'a récemment confié la charge de la paroisse, exposa-t-elle, plus sérieusement.
Bon... Elle en rajoutait peut-être un peu quant à ses fonctions… Mais officieusement, on n'en était pas loin.
— J'aimerais de plus amples informations sur le déroulement du chantier et ce qui est prévu précisément. Sauriez-vous qui pourrait me renseigner ?
Enfin, soit, son interlocuteur n'avait pas été hostile ; elle n'avait aucune raison de l'être. Elle hocha légèrement la tête pour le remercier de sa sollicitude, un sourire aimable aux lèvres. Réfléchir dans l'ordre. Retrouver le fil.
— Nous cherchons tous quelque chose, répondit-t-elle, évasive.
Mais il avait certainement mieux à faire que de l'entendre divaguer. Et justement, elle se souvenait enfin de ce qui l'amenait.
— On m'a récemment confié la charge de la paroisse, exposa-t-elle, plus sérieusement.
Bon... Elle en rajoutait peut-être un peu quant à ses fonctions… Mais officieusement, on n'en était pas loin.
— J'aimerais de plus amples informations sur le déroulement du chantier et ce qui est prévu précisément. Sauriez-vous qui pourrait me renseigner ?
Re: [28 décembre 1597] - Pour ne pas laisser danser les souris [Terminé]
Loin de trouver étrange la question que posa d'abord la jeune femme, Jérémie l'accueillit d'un léger sourire songeur. Lui-même ne savait plus exactement ce qu'il cherchait. Ce qu'il cherchait profondément. Dans l'immédiat, à conserver ce poste à l'abri des suspicions puisque personne ne semblait entrevoir son statut d'esclave en fuite. Il n'était par ici qu'un ouvrier parmi d'autres et tant qu'il travaillait correctement, nul ne le remarquerait ni ne le ferait d'histoire. Quant à ses motivations plus viscérales... Toujours, il rêvait de trouver l'endroit où il s'épanouirait comme passionné de sciences, de philosophie politique, d'écriture. La grande ombre patientait silencieuse, dans l'attente pour commencer que voie le jour son projet de diffusion d'un traité anti-esclavagiste et contre-impérialiste qu'il avait mis des semaines à composer dans sa tête. Alduis de Fromart lui avait promis de le faire imprimer. Surprenant complice. Contre toute attente, le noble et l'esclave s'étaient entendus : deux jeunes hommes abrupts cherchant à se réappartenir.
-- Et nous ne savons parfois même pas quoi, souffla-t-il en se prenant au fil de cette réflexion esquissée.
Jérémie écouta ensuite la réponse plus concrète. La charge de la paroisse ? Il haussa un sourcil. Non pas qu'il s'étonne de voir d'autres personnes y prendre des responsabilités, toutefois le jeune homme se posa malgré tout la question de ce qu'il en était de Thierry d'Anjou au milieu de cela. Le prêtre lui semblait plutôt du genre à faire cavalier seul et à mener ses offices comme bon lui semblait.
-- Le père d'Anjou aurait-il eu quelque complication ? Ou décidé de se faire prêter main forte dans ses charges ?
Le foyard ne connaissait en vérité pas plus que cela ce curé. Oh certes, ils avaient eu quelques intéressantes conversations théologiques et Jérémie avait apprécié les libertés que cet homme savait prendre avec certains préceptes même s'il était bien obligé par sa profession à les promouvoir. Sans compter l'aide que Thierry apportait volontiers aux esclaves. Le noiraud se souvenait de ces gestes généreux envers Claire-Marie, ou encore de cette fois où le père d'Anjou l'avait soustrait à une punition de son maître et emmené dans sa chambrette le temps de le nourrir. Néanmoins, sorti de ces quelques points Jérémie reconnaîtrait volontiers tout ignorer de la personnalité profonde du curé de Saint-Eustache.
-- Au fait, je m'appelle Achille. (Le faux nom que lui avait improvisé la jeune Cassandre et auquel il s'accoutumait.) Et vous êtes ? (Un temps) Hm, il y a le patron du chantier, Messire Carpentier, qui pourra vous donner le détail des perspectives pour cet ouvrage. Je le sais fort occupé mais sans doute ne rechignerait-il pas à vous renseigner. Pour ma part je peux vous dire que les travaux sont engagés ici pour au moins huit mois. La réfection du presbytère est prévue. Il sera même amélioré : j'ai entendu parler d'un accès par rampe pour les infirmes, ou encore de quelques statues aux colonnes qui feront les angles...
A peine achevait-il sa phrase que deux lascars bien bâtis s'étaient arrêtés pour guigner cette femme venue sur leur terrain. Coups de coudes goguenards entre les deux.
-- Soyez la bienv'nue m'dame !
-- Vous aimez la maçonnerie... glissa son collègue avec une petite mimique taquine.
Même son camarade tiqua en le sentant aller sur ce terrain glissant et adressa un regard d'excuses à la femme. Jérémie ouvrit des yeux ronds comme deux trous de puits. Il soupira. Sa face osseuse se tourna vers les deux importuns pour lesquels il eut un silence lourd valant toute réplique.
Re: [28 décembre 1597] - Pour ne pas laisser danser les souris [Terminé]
Lucinde acquiesça gravement. Il était parfois difficile de savoir ce que l’on cherchait. Ou ce que, rouillés par l’existence routinière et engourdis par la sécurité, on se refusait à chercher. Elle avait mis dix-huit ans à le déterminer. Dix-huit ans et un troisième déracinement, un troisième périple. Il n’y en aurait pas davantage.
Jouer les nourrices pour curé turbulent n’était évidemment pas un accomplissement. Pas plus que son occupation précédente. C’était une étape. Et une étape assez pénible pour qu’elle ne s’encroûte pas dans la facilité.
— Je crains que la première option ne soit la plus proche de la réalité, déplora Lucinde. Enfin, soit. Dans les deux cas, il fallait que cette église se reprenne un peu.
Elle hocha la tête lorsqu’il -- Achille, donc -- se présenta.
— Lucinde, répondit-elle machinalement. Elle ne trouvait pas d’intérêt à ce qu’il en connaisse plus.
Elle écouta ensuite ses indications. Bien. Il faudrait qu’elle aille rencontrer ce patron. Et oui, en effet, elle espérait bien qu’il lui donnerait les informations réclamées, non mais !
Elle listait, par habitude, les informations. A défaut de les répéter, elles les subvocalisait.
Pour huit mois ;
Reconstruire ;
Améliorer ;
Rampe pour infirmes ;
Statues pour colonnes ;
…
Interruption fort déplacée.
Son nez se plissa en entendant le ton du premier intru -- non, ce n’était pas elle qui n’avait pas à s’aventurer sur le chantier mais bien eux qui auraient dû poursuivre leur travail -- et elle cilla lourdement à la remarque du second.
Ne souhaitant pas gaspiller son énergie à répondre à des abrutis -- du moins tant qu’ils ne relançaient pas le débat --, elle ramena son attention vers Achille.
— Vous en étiez aux améliorations. Aux colonnes.
Jouer les nourrices pour curé turbulent n’était évidemment pas un accomplissement. Pas plus que son occupation précédente. C’était une étape. Et une étape assez pénible pour qu’elle ne s’encroûte pas dans la facilité.
— Je crains que la première option ne soit la plus proche de la réalité, déplora Lucinde. Enfin, soit. Dans les deux cas, il fallait que cette église se reprenne un peu.
Elle hocha la tête lorsqu’il -- Achille, donc -- se présenta.
— Lucinde, répondit-elle machinalement. Elle ne trouvait pas d’intérêt à ce qu’il en connaisse plus.
Elle écouta ensuite ses indications. Bien. Il faudrait qu’elle aille rencontrer ce patron. Et oui, en effet, elle espérait bien qu’il lui donnerait les informations réclamées, non mais !
Elle listait, par habitude, les informations. A défaut de les répéter, elles les subvocalisait.
Pour huit mois ;
Reconstruire ;
Améliorer ;
Rampe pour infirmes ;
Statues pour colonnes ;
…
Interruption fort déplacée.
Son nez se plissa en entendant le ton du premier intru -- non, ce n’était pas elle qui n’avait pas à s’aventurer sur le chantier mais bien eux qui auraient dû poursuivre leur travail -- et elle cilla lourdement à la remarque du second.
Ne souhaitant pas gaspiller son énergie à répondre à des abrutis -- du moins tant qu’ils ne relançaient pas le débat --, elle ramena son attention vers Achille.
— Vous en étiez aux améliorations. Aux colonnes.
Re: [28 décembre 1597] - Pour ne pas laisser danser les souris [Terminé]
Les mots du jeune homme semblèrent trouver écho chez sa vis-à-vis mais l'heure était à répondre à des interrogations plus immédiates. Le front de Jérémie se plissa, étonné, soucieux du sort du père d'Anjou. Un instant, il se demanda si les indispositions du religieux tenaient à de simples faits de santé. Il pourrait être malade, ou momentanément accidenté ? Mais à entendre la suite de ce que lui revalait cette dame de passage, non, le problème était ailleurs : de mauvais comportements au sein de cette paroisse. La grande ombre eut un petit mouvement de recul : il n'avait entendu parler de rien. Oh, il fallait dire qu'il ne se tenait pas non plus particulièrement au courant de l'état du clergé du coup. Lui ne venait que pour le travail du chantier. Le reste de son temps, l'homme le passait en solitaire, à chercher pitance ici, couche ailleurs... et surtout à fuir les lieux suspects et les autorités autant que faire se pouvait.
Il acquiesça et sourit quand son interlocutrice se présenta. A peine eurent-ils le temps de développer au sujet de la réfection du presbytère que deux importuns s'immiscèrent pour accueillir cette invitée... à leur façon. Jérémie se sera crispé, avant d'apprécier le phlegme de sa vis-à-vis qui ignorait superbement les deux lascars et tentait d'embrayer sur la suite de la conversation. Si l'un des ouvriers eut la bonne intention de ne pas en rajouter, l'autre - d'humeur farcesque de la pire des façons - s'embourba davantage encore :
-- Oh b'en c'est quoi ? Elle nous a pas entendus ou elle est timide ? C'est grand plaisir qu'un peu de gent féminine s'intéresse à not' travail ! L'utile, l'agréable, tout ça...
-- A votre travail, précisément. Nous vous serions reconnaissants de vous en tenir à cela, grommela cette fois-ci le noiraud en s'accompagnant d'un regard prompt à faire comprendre qu'il renseignait Lucinde et qu'ils n'avaient nul besoin d'un importun. Puis, espérant être enfin tranquille, il relança un ton plus bas quant à ce qui amenait la jeune femme en ces lieux - principal sujet à intriguer Jérémie : Que cette église se reprenne ? Pardon pour ma curiosité, mais puis-je vois demander ce qu'il y advient ?
Cette formule concernant l'église censée se reprendre l'aura amusé au passage, ce que ne manquera pas de trahir un pli un peu plus facétieux à ses sourcils pourtant souvent si inexpressifs : oh, à plus d'un titre ! Outre les déboires de cette paroisse en particulier, une liste certaine de points serait à réenvisager pour l'esclave en fuite : les abus monétaires de certains membres du clergé, la méconnaissance totale que certains pouvaient avoir des choses de la vie, des femmes, des familles... l'urgence que l'Église renoue avec le message pourtant pacifique et égalitaire des Évangiles au lieu d'avoir été mis au service des aberrations de Der Ragascorn, la mise en accès des textes pour un plus grand nombre en adaptant pourquoi pas les offices à la langue du quotidien ? Jérémie naviguait au milieu de ces questionnements tout en prêtant oreille à ce que lui décrirait Lucinde... mais pas avant d'avoir porté un œil alerte sur l'importun qui - espérait-on - allait lever le camp cette fois-ci.
Re: [28 décembre 1597] - Pour ne pas laisser danser les souris [Terminé]
Lucinde eut un soupir d’humeur, alors que l’ouvrier mal élevé en rajoutait. Bien, il fallait s’y attendre. C’était le genre d’individus que l’on recontrait sur un chantier, mais elle n’était ni de celles qui fuyaient, ni de celles qui se ridiculisaient par de pathétiques colères. Elle avait sur les lèvres une réponse bien sentie lorsqu’Achille la devança.
— Laissez. Il rira moins en apprenant que j’ai l’entier contrôle sur la bourse qui finance les travaux, dit-elle presque innocemment.
Elle planta un regard acéré dans celui du malotru, pour que le sous-entendu passe bien : elle avait tout pouvoir sur le salaire qu’il toucherait ou non. Même si ce n’était pas exactement vrai… Ce qu’il n’avait pas tout à fait besoin de savoir.
— Que cette église se reprenne ? Pardon pour ma curiosité, mais puis-je vois demander ce qu'il y advient ?
Il n’était sûrement pas prudent de trop en dire. Mais certaines choses lui étaient remontées aux oreilles bien avant d’être confrontée au curé, ou même à Alexandre.
— Disons que la fonction de prêtre exige une certaine rigueur que certains n’observent pas.
Elle aurait pu s’épancher sur tous les points de détails qu’elle avait relevé, et même sur ses suspicions mais… Elle n’avait jamais été comme ça.
— Il faut donc parfois recourir à une intervention extérieure pour que cela ne dégénère pas.
— Laissez. Il rira moins en apprenant que j’ai l’entier contrôle sur la bourse qui finance les travaux, dit-elle presque innocemment.
Elle planta un regard acéré dans celui du malotru, pour que le sous-entendu passe bien : elle avait tout pouvoir sur le salaire qu’il toucherait ou non. Même si ce n’était pas exactement vrai… Ce qu’il n’avait pas tout à fait besoin de savoir.
— Que cette église se reprenne ? Pardon pour ma curiosité, mais puis-je vois demander ce qu'il y advient ?
Il n’était sûrement pas prudent de trop en dire. Mais certaines choses lui étaient remontées aux oreilles bien avant d’être confrontée au curé, ou même à Alexandre.
— Disons que la fonction de prêtre exige une certaine rigueur que certains n’observent pas.
Elle aurait pu s’épancher sur tous les points de détails qu’elle avait relevé, et même sur ses suspicions mais… Elle n’avait jamais été comme ça.
— Il faut donc parfois recourir à une intervention extérieure pour que cela ne dégénère pas.
Re: [28 décembre 1597] - Pour ne pas laisser danser les souris [Terminé]
La remarque de Jérémie, mais plus encore la menace de Lucinde eurent un effet immédiat sur la malotru qui - vivement invité par son collègue - finit par s'éloigner. La grande ombre pourra un soupir de soulagement : enfin, bon débarras. Un léger sourire lui flotta aux lèvres. Puis il se décida à inviter la jeune femme à faire quelques pas avec lui entre les allées du chantier, peu accoutumé qu'il était à rester statique y compris pour parler. Quand bien même sa démarche était-elle lente, avec souvent quelque chose d'automatique, il avait l'habitude de déambuler à un rythme des plus posés pour penser seul ou réfléchir avec quelqu'un.
Aux paroles de Lucinde, Jérémie eut la confirmation que le père Thierry avait d'une façon ou d'une autre dérogé à ses devoir, qu'aucune maladie n'avait quelque chose à voir dans son besoin de cette surveillance. Il se pinça la lèvre. Que pouvait avoir fait le curé ? L'esclave évadé ne l'avait vu que dans ses quelques moments de soutien apportés à des gens de sa condition. Comme quoi, bien des facettes d'un individu échoppaient toujours à l'entendement. L'homme préférera néanmoins ne rien demander de plus : cela ne le regardait pas.
-- Bon courage alors dans votre mission. Pour avoir quelquefois échangé avec le père d'Anjou, je sais à quel point il a la langue bien pendue et sais tourner les choses pour tenter de se défendre en toutes circonstances.
Ce bagout, il ne pouvait pas l'enlever à Thierry. Il en faisait tantôt un usage magistral - comme quand il s'était agi de défendre ces deux malheureux garçons dont son propre fils lors de leur procès. Et tantôt une utilisation promptes à pousses ses adversaires de débat dans leurs retranchements. D'un ton un peu plus léger, il demanda à Lucinde :
-- Et officiez-vous depuis longtemps comme gardienne et redresseuse de prêtres ? Est-ce une bonne situation ?
Il était clair en outre, entre ses mots, que Jérémie imaginait bien que tel n'était pas le métier officiel de la jeune femme, mais un office qui devait lui avoir été confié en situation d'urgence. Quel pouvait être son véritable métier ? Sans doute quelque chose de relativement bien placé pour que quelqu'un soit venu à la trouver et lui demander de venir être la mère Fouettarde du père d'Anjou.
Autour d'eux se déroulait la petite allée de colonnes poussant vers les hauteurs. Jérémie leva le menton, jamais en reste pour décortiquer les décors - surtout quand ils prenaient vie de la main des ouvriers sous leurs yeux. Enthousiaste devant les arts architecturaux à l'œuvre, il commença à dire à sa vis-à-vis ce qu'il savait des projets pour ce presbytère rénové :
-- Ils vont mettre ici une croisée d'ogives, et là des arcs brisés. Pour les chapiteaux et même pour les corps de certaines des colonnes, apparemment ce seront des sculptures d'anges comme on en fait ces derniers temps en Italie. (L'œil espiègle, il ajoute) Il ne restera au curé qu'à se montrer un peu plus à la hauteur de ces décorations, si tant est que cela soit encore possible.
Re: [28 décembre 1597] - Pour ne pas laisser danser les souris [Terminé]
Oui, du courage il lui en faudrait… Mais elle n’en manquait pas. Elle était une battante, et ce n’était pas un prêtre débauché et profondément exaspérant qui allait abattre ses résolutions. Il n’était qu’une étape pour rebondir. Il n’était rien qui put la détourner de ses objectifs.
— Particulièrement quand il ferait mieux de se taire, précisa Lucinde d’un tonplutôt neutre. Mais honnêtement, elle n’avait jamais perdu l’ascendant, et elle était presque sûre de le conserver. Avec les documents qu’elle avait dénichés la nuit-même, elle le tenait.
Lucinde esquissa un sourire à la question suivante, et souffla de rire dans la brise hivernale.
— Honnêtement ? J’ai été engagée pas plus tard qu’hier.
Elle avait d’ailleurs pris ses marques assez rapidement, maintenant qu’elle y pensait. C’était presque trop facile.
— Pour le reste… C’est un travail qui me loge, me nourrit, et me donne le temps de réfléchir à l’avenir. Que demander de mieux ?
Oh, bien sûr, on pouvait toujours en demander davantage. Mais tout cela viendrait en temps voulu. Elle n’avait rien besoin de précipiter. Elle obtiendrait quand il faudrait. Les opportunités se présenteraient - ou elle les provoquerait - quand elle serait prête.
Elle écouta attentivement les explications d’Achille, les récapitulant pour elle-même, avant de s’arrêter sur un mot. Italie. Pour un ouvrier de chantier, il semblait fort informé de ce qu’il se passait en ces lointaines contrées.
Elle ne s’appesantit pourtant pas davantage sur ce détail pour l’instant. Elle aurait tout le temps d’approfondir la question plus tard. Quand l’occasion s’en présenterait.
— Ce serait préférable pour tout le monde, oui. Il y en a pour huit mois, c’est bien cela ? demanda-t-elle confirmation sans douter qu’elle avait bien retenu. Cela lui laisse du temps pour s’assagir.
Quelques pas. Puis une question lui vint :
— Ainsi, vous avez déjà personnellement eu affaire à lui ?
Elle hésita à lui demander clairement les circonstances, mais se ravisa. Il lui dirait ce qu’il voudrait lui en dire, et elle verrait bien ensuite.
— Particulièrement quand il ferait mieux de se taire, précisa Lucinde d’un tonplutôt neutre. Mais honnêtement, elle n’avait jamais perdu l’ascendant, et elle était presque sûre de le conserver. Avec les documents qu’elle avait dénichés la nuit-même, elle le tenait.
Lucinde esquissa un sourire à la question suivante, et souffla de rire dans la brise hivernale.
— Honnêtement ? J’ai été engagée pas plus tard qu’hier.
Elle avait d’ailleurs pris ses marques assez rapidement, maintenant qu’elle y pensait. C’était presque trop facile.
— Pour le reste… C’est un travail qui me loge, me nourrit, et me donne le temps de réfléchir à l’avenir. Que demander de mieux ?
Oh, bien sûr, on pouvait toujours en demander davantage. Mais tout cela viendrait en temps voulu. Elle n’avait rien besoin de précipiter. Elle obtiendrait quand il faudrait. Les opportunités se présenteraient - ou elle les provoquerait - quand elle serait prête.
Elle écouta attentivement les explications d’Achille, les récapitulant pour elle-même, avant de s’arrêter sur un mot. Italie. Pour un ouvrier de chantier, il semblait fort informé de ce qu’il se passait en ces lointaines contrées.
Elle ne s’appesantit pourtant pas davantage sur ce détail pour l’instant. Elle aurait tout le temps d’approfondir la question plus tard. Quand l’occasion s’en présenterait.
— Ce serait préférable pour tout le monde, oui. Il y en a pour huit mois, c’est bien cela ? demanda-t-elle confirmation sans douter qu’elle avait bien retenu. Cela lui laisse du temps pour s’assagir.
Quelques pas. Puis une question lui vint :
— Ainsi, vous avez déjà personnellement eu affaire à lui ?
Elle hésita à lui demander clairement les circonstances, mais se ravisa. Il lui dirait ce qu’il voudrait lui en dire, et elle verrait bien ensuite.
Re: [28 décembre 1597] - Pour ne pas laisser danser les souris [Terminé]
Un sourire traversa le visage sévère de Jérémie à la précision de sa vis-à-vis, quand bien même elle fut dite avec une certaine neutralité. Cela ne l'étonnait pas vraiment de Thierry : il avait eu plus d'une occasion de remarquer qu'il ne manquait pas de toupet. Sans doute avait-il eu plusieurs passes d'armes gratinées en présence de sa nouvelle gardienne, voire directement avec elle. Toutefois elle lui faisait l'impression de quelqu'un qui ne se laissait pas défaire. Cette paroisse ne s'en porterait probablement que mieux, quoi que le curé ait pu faire exactement.
-- Le contrat paraît en effet honnête, dit-il quand Lucinde lui parla de cette toute récente embauche et des conditions de ce travail si particulier. Il se demandait toujours comment et dans quelles circonstances elle avait, elle, été choisie en particulier. Sûrement une connaissance commune à la jeune femme et à Thierry. Et quelqu'un de soucieux de la bonne conduite de ce dernier. Jérémie poursuivit : Je suis d'accord. Moi même je travaille un peu ici et là au jour le jour, quand il y a nécessité de journaliers en tel endroit. Toit, petit salaire et nourriture font l'affaire dans l'attente d'autres choses. Des domaines particuliers vous intéressent-ils dans vos réflexions pour l'avenir ?
Il appréciait toujours de s'intéresser à ce qui pouvait porter les gens qu'il rencontrait. Leurs domaines de préférence, leurs inclinations intellectuelles. Pour tout ce que lui-même s'interdisait de révéler de ses nombreuses passions - si frustrant... mais nécessaire étant donnée sa situation - Jérémie appréciait de rebondir sur ce que les autres lui confiait. Apprendre, toujours. De partout. De chacun, tant il était homme à penser qu'il y avait à grandir intellectuellement de chaque rencontre. Untel lui parlait médecine. Untel agriculture. Parfois il avait la chance de croiser des artistes, des scientifiques... Et Lucinde, qu'appréciait-elle ?
Ils parcoururent côte à côté un bout de chantier et Jérémie céda à la tentation de partager spontanément ce qu'il savait du style architectural envisagé pour le presbytère. Comme souvent, il ne s'inquiétait qu'après coup des détails malheureux qui auraient pu sortir de sa bouche et le trahir... ou tout du moins jeter une suspicion dans l'esprit de ses interlocuteurs. Être sous auto-contrôle permanent pouvait le fatiguer et, parfois, laisser filtrer de petits éléments malgré sa vigilance.
Il acquiesça à la question de Lucinde. Huit mois, ci fait. Puis il sourit à son souhait.
-- Presque le temps d'une naissance, oui. Je lui souhaite d'être un homme nouveau après cette gestation. (Un temps, se voulant le plus naturel possible) Oh, j'ai eu quelques conversations avec lui, et quelques secours de la religion quand il m'est arrivé d'être dans la panade avant que de trouver ce nouveau travail. Du pain. Des fruits. Des mots de réconforts et des bonnes adresses. C'est à lui que je dois cette opportunité professionnelle.
Il ne mentait pas. Thierry l'avait nourri à deux reprises. La première fois après que son premier maître l'ait puni et que, sous couvert d'interrogatoire visant à s'assurer de la bonne religiosité de cet esclave, le prêtre avait soustrait pour une journée Jérémie du domaine noble. Le temps de le remplumer un peu et d'avoir une riche conversation théologique. L'autre fois, après la fuite de Jérémie. Ce dernier s'était vu donner asile dans la cellule du curé. Le père d'Anjou devait d'adonner à de lourdes fautes pour que Lucinde ait été engagée à le surveiller... toutefois on ne pouvait pas lui enlever sa sensibilité au sort des esclaves.
Re: [28 décembre 1597] - Pour ne pas laisser danser les souris [Terminé]
Lucinde acquiesça aux paroles d’Achille. Son mode de vie n’avait rien de stable et de rangé, mais l’essentiel était de continuer, d’agir, et de ne pas attendre que tout se règle miraculeusement. Attendre les bonnes opportunités et ne pas se précipiter, oui, mais pas en restant les bras croisés.
Pour ce qui était de l’avenir… L’ennui était bien que concrètement, elle ne savait pas. Elle avait aimé son métier, réellement. Ce métier qui exploitait tout à fait sa rigueur et sa capacité d’adaptation, son aisance de réflexion et son calme à toute épreuve, son esprit d’initiatives, sa responsabilité. Mais ce métier-là, elle ne pourrait plus l’exercer. Ou du moins, plus avant très longtemps. Elle n’était vraiment pas prête et c’était imprudent. Ce qu’elle cherchait ? Avancer. Et c’était bien parce qu’elle ignorait encore exactement vers où qu’elle n’était pas tentée de se précipiter.
— J’ai horreur du gaspillage. Je réfléchis à une manière d’exploiter les qualités que je possède.
Elle le disait sans orgueil ni fausse modestie : elle était une femme efficace qu’il aurait été dommage de reléguer à certaines tâches. Pas qu’elle répugne à les accomplir, loin de là, seulement… Être sage-femme avait exploité tout juste assez de son potentiel. Cela lui plaisait assez - dire qu’elle aimait soutenir les autres ! -, et elle pouvait profiter de sa famille. Sans cela, elle n’avait pas le droit de rester inactive et de rendre vaine son éducation.
— C’est un objectif que chacun devrait nourrir, précisa-t-elle, presque pour elle-même. Parce que si les justes talents de chacuns étaient exploités, tout fonctionnerait bien mieux. C’était pour cela même, sans doute, que ces capacités existaient.
Cet Achille, par exemple, semblait gaspiller son esprit en travaillant comme ouvrier de chantier. Il parlait bien et ses commentaires sur l’architecture italienne - même si elle n’était pas experte sur le sujet - n’étaient pas le régurgitation d’une informations surprise à la volée qu’il répétait pour se rendre intéressant.
Son analogie la laissa sceptique un moment. Il était curieux de demander à une ancienne sage-femme d’orchestrer une renaissance. Quoiqu’elle doutait d’être encore là pour le voir dans si longtemps. Prendre le temps nécessaire : oui. Paresser et s’encroûter : non. Elle ne connaissait pas encore très bien l’individu, mais il n’avait rien de ce qui l’aurait poussée à s’attarder en sa compagnie.
Quoiqu’Achille, qui semblait l’avoir fréquenté, lui laissait entendre qu’il n’avait peut-être pas que des défauts - comme tout un chacun, bien que les qualités de certains soient moins évidentes à déceler. Alors on savait converser avec ce cher prêtre sans conflit ? Bon à savoir. D’ailleurs, elle se rendit compte qu’elle était elle-même particulièrement bavarde, aujourd’hui… Chose rare que de la voir deviser ainsi.
Thierry pouvait aussi apporter son soutien. Elle avait beau s’être persuadée que les bons sentiments ne menaient nulle-part, elle ne pouvait s’empêcher d’apprécier que certains en fassent preuve… Elle songea un instant à Cecilia… Si gentille. Quoique sans doute trop, c’était bien le problème. Et puis… Elle devait cesser de se poser des questions inutiles ! Elle n’était vraiment plus elle-même, ces derniers temps.
— Une opportunité professionnelle un peu plus stable que quelques journées, non ? Bien que stabilité soit une notion fort relative.
Elle engloba le chantier d’un regard, puis s’enquit :
— A quelle tâche êtes-vous affecté ?
Après quelques pas encore, elle posa la question qui, au fond, l'avait vraiment amenée ici. Peut-être saurait-il lui répondre, peut-être pas... Mais après tout, pourquoi pas :
— Auriez-vous entendu parler de quelque exigences particulières de la part du père Thierry pour son presbytère.
Avec toutes les caches qu’elle avait trouvées dans son bureau, il cachait peut-être des requêtes louches.
Pour ce qui était de l’avenir… L’ennui était bien que concrètement, elle ne savait pas. Elle avait aimé son métier, réellement. Ce métier qui exploitait tout à fait sa rigueur et sa capacité d’adaptation, son aisance de réflexion et son calme à toute épreuve, son esprit d’initiatives, sa responsabilité. Mais ce métier-là, elle ne pourrait plus l’exercer. Ou du moins, plus avant très longtemps. Elle n’était vraiment pas prête et c’était imprudent. Ce qu’elle cherchait ? Avancer. Et c’était bien parce qu’elle ignorait encore exactement vers où qu’elle n’était pas tentée de se précipiter.
— J’ai horreur du gaspillage. Je réfléchis à une manière d’exploiter les qualités que je possède.
Elle le disait sans orgueil ni fausse modestie : elle était une femme efficace qu’il aurait été dommage de reléguer à certaines tâches. Pas qu’elle répugne à les accomplir, loin de là, seulement… Être sage-femme avait exploité tout juste assez de son potentiel. Cela lui plaisait assez - dire qu’elle aimait soutenir les autres ! -, et elle pouvait profiter de sa famille. Sans cela, elle n’avait pas le droit de rester inactive et de rendre vaine son éducation.
— C’est un objectif que chacun devrait nourrir, précisa-t-elle, presque pour elle-même. Parce que si les justes talents de chacuns étaient exploités, tout fonctionnerait bien mieux. C’était pour cela même, sans doute, que ces capacités existaient.
Cet Achille, par exemple, semblait gaspiller son esprit en travaillant comme ouvrier de chantier. Il parlait bien et ses commentaires sur l’architecture italienne - même si elle n’était pas experte sur le sujet - n’étaient pas le régurgitation d’une informations surprise à la volée qu’il répétait pour se rendre intéressant.
Son analogie la laissa sceptique un moment. Il était curieux de demander à une ancienne sage-femme d’orchestrer une renaissance. Quoiqu’elle doutait d’être encore là pour le voir dans si longtemps. Prendre le temps nécessaire : oui. Paresser et s’encroûter : non. Elle ne connaissait pas encore très bien l’individu, mais il n’avait rien de ce qui l’aurait poussée à s’attarder en sa compagnie.
Quoiqu’Achille, qui semblait l’avoir fréquenté, lui laissait entendre qu’il n’avait peut-être pas que des défauts - comme tout un chacun, bien que les qualités de certains soient moins évidentes à déceler. Alors on savait converser avec ce cher prêtre sans conflit ? Bon à savoir. D’ailleurs, elle se rendit compte qu’elle était elle-même particulièrement bavarde, aujourd’hui… Chose rare que de la voir deviser ainsi.
Thierry pouvait aussi apporter son soutien. Elle avait beau s’être persuadée que les bons sentiments ne menaient nulle-part, elle ne pouvait s’empêcher d’apprécier que certains en fassent preuve… Elle songea un instant à Cecilia… Si gentille. Quoique sans doute trop, c’était bien le problème. Et puis… Elle devait cesser de se poser des questions inutiles ! Elle n’était vraiment plus elle-même, ces derniers temps.
— Une opportunité professionnelle un peu plus stable que quelques journées, non ? Bien que stabilité soit une notion fort relative.
Elle engloba le chantier d’un regard, puis s’enquit :
— A quelle tâche êtes-vous affecté ?
Après quelques pas encore, elle posa la question qui, au fond, l'avait vraiment amenée ici. Peut-être saurait-il lui répondre, peut-être pas... Mais après tout, pourquoi pas :
— Auriez-vous entendu parler de quelque exigences particulières de la part du père Thierry pour son presbytère.
Avec toutes les caches qu’elle avait trouvées dans son bureau, il cachait peut-être des requêtes louches.
Re: [28 décembre 1597] - Pour ne pas laisser danser les souris [Terminé]
Encore une fois les paroles de la jeune femme étaient directes, terre à terre mais touchaient juste dans une perspective que Jérémie appréciait aussi : que chacun utilise au mieux les différentes cordes de son arc sans n'en excepter aucune, et arrive à y être reconnu à sa juste valeur. Son pas ralentit mais il ne cessa pas pour autant de se déplacer au milieu du chantier qu'il appréciait de montrer à sa vis-à-vis. Avec un brin de peine dans le regard - car en tant d'années d'esclavage, oui, il s'était senti amputé d'une part de ses compétences quoiqu'il ne méprisait pas les tâches physiques, il dit :
-- Voilà une idée que je partage. Que nous avons tous un, voire plusieurs talents à exploiter. Que les circonstances nous les révèlent et qu'il nous les faut saisir. Talents manuels, physiques, intellectuels, humains... sans hiérarchie. Sans gâchis non plus, ni que l'un exclue la pratique d'un autre. Et librement choisis, ne s'empêcha-t-il pas de glisser, sans prêcher ouvertement pour la cause des esclaves qui, eux, étaient interdits de ce choix si élémentaire pour eux-mêmes.
Obéir à un maître. Mais si ce maître ne connaissait pas l'étendue des compétences d'un esclave ? S'il avait peur de certaines et les lui interdisait. Si de cette façon, pour reprendre les mots de Lucinde, il gaspillait ? Outre cela, Jérémie estimait que chacun était le mieux placé pour disposer de ce qui lui paraissait une évidence : la liberté du choix de ses activités. Et d'en être récompensé à la hauteur de son mérite. Laissant cependant cela de côté il s'enquit, curieux :
-- Et actuellement, j'espère que vous n'avez pas l'impression de gaspiller ? Car je devine que vous devez avoir beaucoup de ressources. Vous n'auriez pas autrement cette crainte de les voir gaspillées.
Elle sembla ensuite préférer ne pas donner davantage de détails concernant le père Thierry. Après tout, le sujet de sa possible renaissance comportementale et spirituelle - s'il y avait des choses à y redire et que Jérémie ignorait - ne le regardait pas. Il acquiesça donc plutôt à sa question : une place stable effectivement. Qu'il espérait conserver. D'autant que le sieur Carpentier lui avait justement offert de ne pas trop gaspiller une de ses compétences, en lui confiant d'autres fonctions en plus des ressources de ses bras. Il expliqua donc :
-- Diverses choses. Déblayage de gravats, préparation de fondations plus solides que les précédentes pour l'érection des colonnes : l'on a jamais assez de bras pour cela. Aide à la mise en place des échafaudages. Et calculs divers et variés pour donner les meilleures harmonies possibles à l'ensemble du bâtiment, des ogives à la symétrie des fenêtres en passant par le juste écart entre des piliers, ce genre de choses. (D'un geste réflexe, sans même s'en rendre compte, il aura laissé tourner son doigt à côté de sa tempe : les calculs, pour lui, se faisaient directement à la tête et à l'œil nu, pas sur le papier. Quant à connaître quelque exigence du curé pour son presbytère) Hm, l'on ne m'a informé de rien de particulier. (Léger sourire) Il y aurait bien de petites rumeurs concernant le fait qu'il tienne à des caves bien fournies en bouteilles, mais je préfère ne pas accorder trop de crédit aux racontars. Dans le doute.
Et alors même qu'il achevait, Jérémie sursauta en entendant un pas dynamique approcher vers lui - mais surtout vers son interlocutrice. Un des ouvriers du chantier. La cinquantaine, une barbe fournie dont la blondeur tirait sur le blanc et un bagout par lequel il s'était déjà illustré plus d'une fois au milieu des travailleurs. Du peu qu'il savait de cet homme - Ekberth, menuisier itinérant qui proposait ses services ici et là, sur des chantiers mais aussi dans des domaines de bonne famille au gré des routes et des besoins ici ou là - le fugitif se demanda ce qu'il pouvait bien leur vouloir. Surtout à la jeune femme, dont l'intéressé approchait avec un grand sourire amical :
-- Lucinde ?! Vous ici ! Eh b'en quelle surprise ! Qu'est-c'que vous dev'nez de beau depuis chez la baronne de Coutrenielle ?
Il hocha brièvement la tête en salut à l'attention de "Achille" - et en genre d'excuses pour s'immiscer ainsi dans la conversation, mais trop curieux d'en savoir davantage sur une collègue très temporaire au sein d'un ancien domaine. Par réflexe, Jérémie se referma. Visage neutre. Attendre la réaction de Lucinde en espérant qu'elle ne soit pas importunée, mais plutôt contente de cette "retrouvaille" de pur hasard comme le Fatum en réservait parfois.
Re: [28 décembre 1597] - Pour ne pas laisser danser les souris [Terminé]
Lucinde devait reconnaitre dans le discours de son interlocuteur autant de points auquels elle s’accordait que de points qu’elle désapprouvait. Cette histoire de choix, par exemple, ne la convainquait absolument pas. On avait les qualités que l’on avait, si l’on avait pu les choisir, cela se saurait. En outre, il fallait savoir entendre que certains talents étaient moins requis que d’autres. Et que combiner les talents ne signifiait pas qu’il fallait se disperser et n’en employer aucun comme il l’aurait fallu.
Gaspillait-elle ses ressources ? Oui et non.
— Disons que pour l’instant, je suis utile là où je me trouve, alors je l’accepte, répondit-elle sans s’étendre davantage sur les qualités qu’elle estimait ou non avoir.
Se vanter, cela ne servait à rien. Il fallait faire - et bien faire -, et se réjouir de l’effort accompli au moins autant que de son résultat. C’était dans la discilpline et l’autosatisfaction que se trouvait la clef du bonheur.
Lucinde interrogea ensuite Achille sur ses tâches. Déblayage, fondation colonnes, échafaudages, calculs, lista-t-elle machinalement. Calculs. Cela confirmait qu’il était un peu plus qu’un simple ouvrier de chantier. Elle acquiesça sans le relever. Peut-être quelque chose dans son regard aura-t-il pu trahir ses pensées.
Mais vint une question un brin prioritaire. Des racontars… Elle ne se fiait pas aveuglément aux rumeurs non plus, seulement, entre les innombrables bouteilles vides qu’elle avait vues la veille, et toutes celles - bien pleines - qu’elle avait sorties de ses cachettes, il y avait de quoi se poser des questions.
Un homme l’appela par son nom. Par son nom. Son coeur manqua un battement. Elle eut, bien malgré elle, un instant de panique. Un instant atroce durant lequel son visage autant que son corps se seront crispés.
Elle se reprit bien vite pour voir à qui elle avait affaire. Elle n’était pas tout à fait rassurée, mais ce n’était pas en perdant ses moyens que les choses allaient s’arranger. Elle risquait surtout d’éveiller inutilement les soupçons. Son sursaut pourrait être mis sur le compte de la surprise et d’un coeur un peu trop susceptible, ce n’était pas grave. Elle n’avait rien à craindre. Rien. Rien. Rien. Et même si c’était le cas, paniquer serait improductif
Elle reconnut un menuisier qui avait autrefois travaillé à Coutrenielle, et se composa un visage aimable tout en chassant la culpabilité de s’être laissée emporter – rien ne devait la déstabiliser. C’était arrivé, tant pis. Elle était trop sur les nerfs depuis son arrivée en ville. Ce ne devait plus arriver, mais là encore, cela ne s’arrangerait pas à coup de culpabilité. Réfléchir dans l'ordre, trier les options, agir en conséquence.
— Vous… Vous allez trouver cela sot, je ne me souviens plus de votre nom, admit-elle.
Cela lui laissait le temps d’improviser une réponse à la fois convaincante et conforme à la version qu’elle avait préparée.
— Peu de choses, à vrai dire, finit-elle par répondre, un peu ingénument. En un mois, vous savez, on ne fait pas grand chose… Oh, mais vous étiez là la dernière fois que… Oui… Je n’en suis pas très fière, c’était capricieux de ma part.
Elle se tourna vers Achille pour lui expliquer la situation :
— A une époque, j’ai été assez sotte pour laissee une excellente place sur un coup de tête.
Et dans sa version, au fond, elle ne faisait pas mieux cette fois...
Gaspillait-elle ses ressources ? Oui et non.
— Disons que pour l’instant, je suis utile là où je me trouve, alors je l’accepte, répondit-elle sans s’étendre davantage sur les qualités qu’elle estimait ou non avoir.
Se vanter, cela ne servait à rien. Il fallait faire - et bien faire -, et se réjouir de l’effort accompli au moins autant que de son résultat. C’était dans la discilpline et l’autosatisfaction que se trouvait la clef du bonheur.
Lucinde interrogea ensuite Achille sur ses tâches. Déblayage, fondation colonnes, échafaudages, calculs, lista-t-elle machinalement. Calculs. Cela confirmait qu’il était un peu plus qu’un simple ouvrier de chantier. Elle acquiesça sans le relever. Peut-être quelque chose dans son regard aura-t-il pu trahir ses pensées.
Mais vint une question un brin prioritaire. Des racontars… Elle ne se fiait pas aveuglément aux rumeurs non plus, seulement, entre les innombrables bouteilles vides qu’elle avait vues la veille, et toutes celles - bien pleines - qu’elle avait sorties de ses cachettes, il y avait de quoi se poser des questions.
Un homme l’appela par son nom. Par son nom. Son coeur manqua un battement. Elle eut, bien malgré elle, un instant de panique. Un instant atroce durant lequel son visage autant que son corps se seront crispés.
Elle se reprit bien vite pour voir à qui elle avait affaire. Elle n’était pas tout à fait rassurée, mais ce n’était pas en perdant ses moyens que les choses allaient s’arranger. Elle risquait surtout d’éveiller inutilement les soupçons. Son sursaut pourrait être mis sur le compte de la surprise et d’un coeur un peu trop susceptible, ce n’était pas grave. Elle n’avait rien à craindre. Rien. Rien. Rien. Et même si c’était le cas, paniquer serait improductif
Elle reconnut un menuisier qui avait autrefois travaillé à Coutrenielle, et se composa un visage aimable tout en chassant la culpabilité de s’être laissée emporter – rien ne devait la déstabiliser. C’était arrivé, tant pis. Elle était trop sur les nerfs depuis son arrivée en ville. Ce ne devait plus arriver, mais là encore, cela ne s’arrangerait pas à coup de culpabilité. Réfléchir dans l'ordre, trier les options, agir en conséquence.
— Vous… Vous allez trouver cela sot, je ne me souviens plus de votre nom, admit-elle.
Cela lui laissait le temps d’improviser une réponse à la fois convaincante et conforme à la version qu’elle avait préparée.
— Peu de choses, à vrai dire, finit-elle par répondre, un peu ingénument. En un mois, vous savez, on ne fait pas grand chose… Oh, mais vous étiez là la dernière fois que… Oui… Je n’en suis pas très fière, c’était capricieux de ma part.
Elle se tourna vers Achille pour lui expliquer la situation :
— A une époque, j’ai été assez sotte pour laissee une excellente place sur un coup de tête.
Et dans sa version, au fond, elle ne faisait pas mieux cette fois...
Re: [28 décembre 1597] - Pour ne pas laisser danser les souris [Terminé]
L'esclave fugitif ne pouvait que comprendre la réponse terre-à-terre et réaliste de Lucinde. Plus d'une fois lui aussi, il n'avait eu d'autre choix que d'accepter ce qui se présentait, sans faire le difficile... et prenant soin de garder pour lui sa frustration de ne pas voir ses autres capacités sollicitées. Ce n'était pas du mépris pour les travaux manuels, mais une volonté d'être entièrement utile par tous les pans où il pouvait l'être. Il allait répondre - et attendit également ce que la jeune femme dirait de ses maigres indications quant aux prétendues exigences du père d'Anjou... quand un des hommes du chantier - apparemment un ouvrier qui avait travaillé temporairement au même endroit que Luicnde - fit irruption. Il semblait très bavard et animé d'une grande envie de nouvelles des gens qu'il retrouvait. Par réflexe et puisque cela ne le regardait pas, Jérémie demeura en retrait.
La jeune femme venait de sursauter à l'arrivée de l'ancien collègue. Le Torrès s'interrogea d'abord sur ses raisons, mais se dit qu'après tout l'homme s'était imposé d'une voix forte qui aura dû surprendre sa vieille connaissance. Cette dernière se reprit et malgré tout, son vis-à-vis lui adressa un large sourire puis un convivial :
-- Oh, s'cusez ! J'vous ai effrayée à parler aussi fort ! (Il secoue les épaules dans un évident "aucun problème" quand elle confessa avoir perdu son nom) Pas de soucis, faut dire qu'on s'est croisés si peu de temps ! J'm'appelle Ekberth.
Ses épais sourcils s'arrondirent à ses explications quelque peu désarçonnées et il rebondit :
-- Ah c'est donc ça ! J'dois dire que ça en avait étonné plus d'un d'vous voir partir si vite, comme ça, mais ma foi j'comprends ! Un coup de tête, bah, ça arrive... (Mais sa mine le révélait tout de même franchement étonné qu'on puisse laisser une place si enviable et sécurisante dans un domaine tel que Coutrenielle. Quelle mouche avait donc piqué la jeune femme ? Oh et puis ça ne le regardait pas.) En tout cas j'espère que vous êtes davantage contente maint'nant. (Il observe "Achille") Vous vous connaissez ?
-- Maintenant oui, depuis quelques instants et sur un pur hasard, sourit Jérémie.
Le visage sec du fugitif avait été traversé d'un fond d'étonnement pendant l'intervention d'Ekberth. Un coup de tête ? Cela ne ressemblait vraiment pas du tout à ce qu'il entendait et déduisait de Lucinde depuis le début de leur conversation : une femme réfléchie, méthodique, prête à accepter un poste même difficile quand celui-ci se présentait. Il avait bien du mal à imaginer autre chose mais après tout, peut-être avait-il existé une autre Lucinde, bien plus enflammée et changeante ? Ou alors, quelque chose l'avait vraiment exaspérée dans ce fameux domaine. Au point de la faire partir alors que plus d'un roturier courrait après un poste comme celui-là, au sein d'une bonne maison.
Re: [28 décembre 1597] - Pour ne pas laisser danser les souris [Terminé]
Oui, c’était parfaitement cela : il avait parlé fort, et cela l’avait surprise. Rien d’autre. Il n’y avait rien à soupçonner de plus.
— Ekberth, oui, je m’en souviens !
Elle s’en souvenait, maintenant. Elle s’en serait certainement souvenue par elle-même si elle n’avait pas été prise au dépourvu, mais cela n’avait pas d’importance puisque cela n’avait rien de fort suspect. Une chance : l’homme ne semblait pas plus perturbé que cela par l’idée qu’une gamine de seize ans se soit laissée emporter.
Achille semblait moins convaincu. Et pourtant, même si la petite Lucinde eut difficilement succombé à un caprice, cela n’avait rien de si extravagant pour quelqu’un qui ignorait son éducation. La baronne avait fait-elle quelqu’un de responsable et de résistant. De volontaire et déterminé. A la fois ferme, disciplinée, et apte à rebondir. A la fois capable d’obéissance et d’autonomie, selon les nécessités. Quand Aniète Nioret l’avait recueillie, elle s’était rendue compte qu’il lui manquait une grande partie de l’aspect affectif, qu’elle avait laissé s’enterrer. Il était vrai que Marie-Laurence ne l’avait pas assez aiguillée sur ce côté là, pourtant, elle avait été prête et avait su apprendre à concilier.
Toujours progresser. Apprendre ce que l’on ignorait, désapprendre ce qui nous encombrait. Selon ses propres besoins pour s’adapter à ceux du monde. Lucinde savait que c’était une marque de confiance de la part de Madame de Coutrenielle que de lui apprendre l’autonomie, de lui apprendre à changer. De lui apprendre à penser à elle alors même qu’elle était très ancrée dans l’ordre des naturel des choses. Elle devait se servir correctement des outils qu’elle lui avait mis entre les mains.
Connaissait-elle Achille ? Eh bien… Elle fut devancée pour la réponse. Elle ne savait pas trop quoi ajouter. A vrai dire, elle n’avait pas fort envie de trop lancer la conversation. Il devait travailler, et elle préférait ne pas s’absenter beaucoup plus longtemps - elle ne savait pas encore ce que Thierry pouvait bien inventer. Et puis, surtout, si elle avait alimenté la conversation, il y aurait eu un risque de garder le contact avec Ekberth. Ce qui ne l’aurait pas arrangée. Les liens avec le passé n’étaient pas judicieux à entretenir.
Peut-être l’ouvrier l’avait-il compris et était-il un peu vexé. Cela n’importait que peu à la jeune femme tant qu’il ne lui causait pas de problèmes. Les bons sentiments ne servaient à rien.
— Contente de vous avoir revu, dit-elle tout de même alors qu’il prenait congé.
— Ekberth, oui, je m’en souviens !
Elle s’en souvenait, maintenant. Elle s’en serait certainement souvenue par elle-même si elle n’avait pas été prise au dépourvu, mais cela n’avait pas d’importance puisque cela n’avait rien de fort suspect. Une chance : l’homme ne semblait pas plus perturbé que cela par l’idée qu’une gamine de seize ans se soit laissée emporter.
Achille semblait moins convaincu. Et pourtant, même si la petite Lucinde eut difficilement succombé à un caprice, cela n’avait rien de si extravagant pour quelqu’un qui ignorait son éducation. La baronne avait fait-elle quelqu’un de responsable et de résistant. De volontaire et déterminé. A la fois ferme, disciplinée, et apte à rebondir. A la fois capable d’obéissance et d’autonomie, selon les nécessités. Quand Aniète Nioret l’avait recueillie, elle s’était rendue compte qu’il lui manquait une grande partie de l’aspect affectif, qu’elle avait laissé s’enterrer. Il était vrai que Marie-Laurence ne l’avait pas assez aiguillée sur ce côté là, pourtant, elle avait été prête et avait su apprendre à concilier.
Toujours progresser. Apprendre ce que l’on ignorait, désapprendre ce qui nous encombrait. Selon ses propres besoins pour s’adapter à ceux du monde. Lucinde savait que c’était une marque de confiance de la part de Madame de Coutrenielle que de lui apprendre l’autonomie, de lui apprendre à changer. De lui apprendre à penser à elle alors même qu’elle était très ancrée dans l’ordre des naturel des choses. Elle devait se servir correctement des outils qu’elle lui avait mis entre les mains.
Connaissait-elle Achille ? Eh bien… Elle fut devancée pour la réponse. Elle ne savait pas trop quoi ajouter. A vrai dire, elle n’avait pas fort envie de trop lancer la conversation. Il devait travailler, et elle préférait ne pas s’absenter beaucoup plus longtemps - elle ne savait pas encore ce que Thierry pouvait bien inventer. Et puis, surtout, si elle avait alimenté la conversation, il y aurait eu un risque de garder le contact avec Ekberth. Ce qui ne l’aurait pas arrangée. Les liens avec le passé n’étaient pas judicieux à entretenir.
Peut-être l’ouvrier l’avait-il compris et était-il un peu vexé. Cela n’importait que peu à la jeune femme tant qu’il ne lui causait pas de problèmes. Les bons sentiments ne servaient à rien.
— Contente de vous avoir revu, dit-elle tout de même alors qu’il prenait congé.
Re: [28 décembre 1597] - Pour ne pas laisser danser les souris [Terminé]
Deux très courtes phrases. Bon... Lucinde n'avait pas l'air d'avoir envie de discuter. Bah ! Tant pis, se dit Ekberth. Tout le monde n'était pas si enjoué que lui à l'idée de papoter en retrouvant des vieilles connaissances. Il haussa donc les épaules sans se départir de son sourire au milieu de sa barbe fournie. Il hocha la tête à sa dernière phrase qui lui confirma qu'en effet, elle souhaitait en rester là. Elle avait sans doute des choses à faire. Oh, et puis lui aussi après tout. S'il traînait encore, le Carpentier allait se pointer et râler. Il se retira après un rapide :
-- B'en moi aussi, Lucinde. Bonne continuation.
De nouveau seul avec elle, Jérémie se détendit. En effet non, elle n'avait manifestement pas apprécié l'arrivée de cet homme pourtant sympathique, mais qui malgré lui semblait avoir réveillé un passé peu agréable. Ou dont son interlocutrice n'était pas forcément fière... Dans un demi sourire, "Achille" lui demanda bas :
-- Je comprends qu'il a donc existé une autre Lucinde que la très réfléchie et déterminée avec qui j'ai fait aujourd'hui connaissance ?
A moins bien sûr que les employeurs en questions étaient indignes et qu'elle ait eu toutes les raisons de rendre précipitamment son tablier ? Question que bien sûr il aurait été indélicat de poser et qu'il garda donc pour lui, préférant demeurer sur un ton plus léger si le sujet de son passé était complexe pour la jeune femme.
Re: [28 décembre 1597] - Pour ne pas laisser danser les souris [Terminé]
Ekberth semblait trouver dommage que la jeune femme ne partage pas son enthousiasme, mais il s’en remettrait. D’ailleurs, il passait déjà à autre chose, et c’était tant mieux !
— A vous aussi, prit-elle tout de même la peine de répondre.
Elle reporta son attention sur Achille, qui l’interrogea avec un brin d’humour.
En vérité ? Pas vraiment. L’époque de Coutrenielle était bien celle qui avait connu la Lucinde la plus disciplinée et assurée. Elle n’avait jamais été un enfant - pas avec insouciance -, pas plus qu’elle n’avait connu les élans d’une jeunesse capricieuse. Mais elle ne tenait pas à s’étendre davantage sur sa vie. C’était que ce mystérieux Achille l’avait déjà rendue fort bavarde !
— J’ai eu seize ans, répondit-elle simplement. Et j’ai bien mûri depuis.
Son interlocuteur semblait lui aussi assez jeune, d’ailleurs. Jeune, mais peu sensible aux élans d’inconscience.
— J’ai appris à cerner mes priorités, à avoir des objectifs, et à remplir assidûment les devoirs qui m’incombaient, précisa-t-elle avant d’ajouter : Je pense d’ailleurs qu’il est temps pour moi de retourner à mon poste. C’était un plaisir de faire votre connaissance, Achille.
Etrangement, c’était assez vrai. C’était agréable, parfois, d’avoir une conversation avec quelqu’un. Mais maintenant, il fallait prendre congé et retourner surveiller le gamin de presque cinquante ans dont on lui avait confié la garde.
— A vous aussi, prit-elle tout de même la peine de répondre.
Elle reporta son attention sur Achille, qui l’interrogea avec un brin d’humour.
En vérité ? Pas vraiment. L’époque de Coutrenielle était bien celle qui avait connu la Lucinde la plus disciplinée et assurée. Elle n’avait jamais été un enfant - pas avec insouciance -, pas plus qu’elle n’avait connu les élans d’une jeunesse capricieuse. Mais elle ne tenait pas à s’étendre davantage sur sa vie. C’était que ce mystérieux Achille l’avait déjà rendue fort bavarde !
— J’ai eu seize ans, répondit-elle simplement. Et j’ai bien mûri depuis.
Son interlocuteur semblait lui aussi assez jeune, d’ailleurs. Jeune, mais peu sensible aux élans d’inconscience.
— J’ai appris à cerner mes priorités, à avoir des objectifs, et à remplir assidûment les devoirs qui m’incombaient, précisa-t-elle avant d’ajouter : Je pense d’ailleurs qu’il est temps pour moi de retourner à mon poste. C’était un plaisir de faire votre connaissance, Achille.
Etrangement, c’était assez vrai. C’était agréable, parfois, d’avoir une conversation avec quelqu’un. Mais maintenant, il fallait prendre congé et retourner surveiller le gamin de presque cinquante ans dont on lui avait confié la garde.
Re: [28 décembre 1597] - Pour ne pas laisser danser les souris [Terminé]
Jérémie sembla d'abord perdu, à la réponse de Lucinde : comme si elle évoquait là une réalité qui lui était étrangère. Seize ans. Oui certes, mais était-ce une explication logique ? Lui-même n'avait pas l'impression d'avoir jamais agi de façon trop éloignée d'en ce moment-même. Distant. Maladroit. Perdu dans son monde, les yeux levés sur les grands espaces de pensée ou des forêts de calculs. Et puis il comprit : oui, en effet des jeunes gens se comportaient d'ordinaire... bien différemment. Si différemment qu'ils étaient toujours un peu resté comme une espèce exotique à ses yeux - autant que lui-même devait en être une en retour à leurs regards. Et encore ! Le Torrès se sentait toujours si à la marge vis-à-vis d'autres adultes. Toutefois, jamais sa différence n'avait été aussi marquée qu'au moment des quatorze, quinze, seize ans qu'évoquait Lucinde.
-- Oh. Oui bien sûr. Suis-je bête. L'on change, depuis cet âge.
Réponse un peu formelle et banale mais qui devrait faire l'affaire. Il ne souhaitait pas s'engager outre mesure à parler de ce drôle d'âge de l'adolescence, qu'il ne comprenait pas vraiment. Cependant, il entendant qu'en effet, la jeune femme pouvait avoir fait des choix tempétueux en cette période de rébellion contre l'autorité et de recherche de je-ne-sais-quoi. Des choix qu'elle avait probablement regrettés par la suite. Inutile donc d'insister. D'autant qu'elle prenait ses dispositions pour retourner à son poste de nounou de prêtre - souvenir qui raviva une pointe de sourire aux lèvres de l'esclave.
-- Je vois. Je ne veux donc pas vous retarder et ferai mieux de regagner moi aussi mon travail. (Un temps) Plaisir partagé, Lucinde. Peut-être à une prochaine fois et bon courage avec... votre pupille.
Il inclina la tête pour la saluer puis fera demi-tour quand Lucinde se sera éloignée. Curieuse profession temporaire que la sienne, tout de même. Il espérait que le père d'Anjou n'ait pas de gros ennuis ou n'en ait pas causés du genre qu'il craignait désormais... Mais cela n'était plus son affaire. "Achille" repartit à son rôle, à ses chiffres. Qui savait s'il ne serait pas amené à recroiser régulièrement cette jeune femme si elle venait remonter les bretelles - sous la soutane - d'un garnement.
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