[19 décembre 1597] Trop serré, l'écrou cède [Terminé]
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Re: [19 décembre 1597] Trop serré, l'écrou cède [Terminé]
Depuis le départ de Sœur Cécilia et de son époux, Kalisha serrait toujours la main de son amie dans la sienne, terrifiée à la nouvelle qu’allait annoncer Prosper. Il pouvait bien la qualifier de « bonne », son instinct lui disait que la définition qu’ils mettaient tous deux sous ce terme différait franchement. Les minutes s’égrainaient mais elle n’aurait su dire si elle avait trouvé cette attente interminable ou affreusement courte.
Lorsque la porte s’ouvrit, lui dégageant le passage, elle nota ce petit sourire qui lui fit froid dans le dos.
Elle opina du chef au compte-rendu de la sœur parfaitement dupée Désolée ma sœur, mais c’était le seul moyen. et accepta ses excuses d’une profonde inclinaison de la tête. Pourtant, tout cela lui faisait l’effet de la mer qui se retirait avant de laisser déferler une vague destructrice… Et l’eau se retirait si loin, qu’elle ne pouvait que présager de la noyade imminente qui s'en suivrait.
— vous allez être fiancée.
Il était trop tard pour éviter la colonne d’eau saline. Sa bouche s’arrondit dans un « O » de stupéfaction qu’elle parvint de justesse à dissimuler de sa main libre. L’autre serrant, toujours aussi fortement que possible, celle de la réelle victime de ces paroles. Elle ne pouvait pas se marier. Pas maintenant. C’était trop tôt. Qu’allait-elle devenir, ici, seule dans ce château ? Sans même son amie à qui parler ? À supporter la vacuité embarrassante de Prosper et le venin du vieux fennec ?
— Au jeune seigneur Alduis de Fromart, fils de notre ministre des Affaires étrangères.
Pourquoi lui ? Pourquoi lui de tous les jeunes nobles existants ? Avait-il vraiment décidé de la punir et de détruire sa vie ? Que lui avait-elle fait au juste ? Mais au final, peu importait à qui elle serait mariée. Ce n’était que secondaire. La vérité, ce qu’elle quitterait la demeure de Monthoux emportant avec elle le peu de joie qui y demeurait. Elle se noya si bien sous le rouleau de la vague, que l’eau saline finit par ressurgir de ses paupières sans un bruit.
Et Florentyna qui acceptait son sort avec tant de courage, sans mot dire ! Elle lui rappelait cette même attitude qu’elle avait eu un an plus tôt à Djerdan où elle s’était presque réjouie de quitter le palais. Les femmes n’étaient que des marchandises, et il venait de vendre sa fille. Elle happa une gorgée d’air salvatrice. Elle ne pouvait rien y faire, elle ne pouvait qu’aider au mieux son amie et la préparer autant que possible à ce qui allait advenir d’elle.
Elle acquiesça sans un bruit, esquissant ce qu’elle voulait être un sourire.
Re: [19 décembre 1597] Trop serré, l'écrou cède [Terminé]
La main de Kalisha, pleine de douceur, fut un radeau auquel Florentyna se raccrocha tout du long pour ne pas flancher en attendant la nouvelle. Elles furent incapables de se dire quoi que ce soit, crispées à guetter ce qui allait encore leur tomber dessus - mais la seule présence de son amie fut pour la demoiselle un immense soutien. Sans elle à ses côtés, sans ses gestes d'affection, elle aurait peut-être flanché. Ses forces furent drainées, canalisées - et quand son père revint, après un temps de surprise Florentyna affronta avec dignité ce qu'il lui dévoilait : ses fiançailles.
Le tout avec ce maladroit sourire à l'abri de ses moustaches. Si la fille de Monthoux ne sut trop comment l'interpréter, elle vit que Kalisha en concevait une horreur certaine. Elle avait de quoi : que dissimulait telle expression sous ses faux airs patauds ? Ce ne fut toutefois rien à côté de ladite nouvelle. Les fiançailles de Florentyna. Pour son amie, cela signifiait se retrouver bientôt seule au domaine. Seule avec ce mari si mal-aimant. Seule avec tout ce qu'elle avait déjà enduré de trahison, d'isolement, de bêtise crasse. Dans les lèvres arrondies de la princesse, la demoiselle crut lire autant surprise et désespoir compatissant pour la principale intéressée - que la peine de ce que cette donne allait impliquer pour la triste épouse de Prosper. Et les larmes de Kalisha arrivèrent. Bien légitimes. Pourtant, elle continuait de serrer fort la main fébrile de sa belle-fille. Laquelle resserra elle aussi le petit panier de sa paume en geste de soutien qu'elle espéra assez discret devant son père... mais assez éloquent pour Kalisha, en attendant qu'elles soient tranquilles toutes les deux.
-- Avez-vous un peu plus d'informations ? trouva-t-elle la force de demander à son père.
-- Oui. Les fiançailles auront lieu le 24 janvier, date à partir de laquelle vous vous installerez à Fromart. Mais avant, vous êtes conviée à partager le dîner de ce Noël avec votre promis et sa famille, après quoi nous nous retrouverons à la cathédrale pour la messe de Minuit. Coldris de Fromart est venu pas plus tard qu'hier demander votre main. C'est un immense honneur et une telle union vous ouvre les plus prestigieuses portes de l'Empire ainsi qu'un bel avenir, tenta de la rassurer au mieux son père - et de s'en convaincre lui-même.
Florentyna n'eut pas l'énergie de rebondir. Elle hocha la tête. Ses yeux restaient accrochés à la silhouette de son amie qui - pour elle - faisait aussi tant d'efforts afin de se contenir alors qu'elle sentait son chagrin monter. Pour cette autre raison, donc, la demoiselle ne rebondit pas sur les paroles de son père. Même si ce n'étaient des précisions de cet ordre qu'elle attendait. Oh non, quand elle parlait "d'informations", elle songeait plutôt à essayer de comprendre pourquoi - par tous les Saints ! - les Fromart avait choisi leur domaine ! Celui-là où se morfondait la princesse sacrifiée à la politique monbrinienne. Ils savaient forcément ce qu'elle endurait comme genre de mariage. Inutile toutefois d'aller en quête de ce type de renseignements auprès de Prosper. Encore moins sur le vif, et en présence de Kalisha ! Florentyna garda le silence.
Devant le malaise évident installé dans cette pièce, le comte se racla maladroitement la gorge et, doigts croisés, tapota deux secondes ses pouces l'un contre l'autre avant de préférer se retirer, sur un dernier :
-- Nous... reparlerons bien sûr de tout cela. Je vous laisse entre vous. Et réinvestir le domaine à votre guise. Quant au procès du sorcier, à sa torture, et au reste - le renvoi des trois autres jardiniers, la destruction de la serre maudite recommandée par le Cardinal Cassin - Prosper choisit d'attendre encore quelques temps et de suivre, le moment venu, les indications de la novice.
A peine la porte se fut-elle refermée que, malgré le sourire tenté pour elle par Kalisha, elle tomba entre ses bras et laissa à son tour couler ses larmes. Florentyna enroula ses bras aux épaules de son amie. Ses longues mains firent des aller-retours le long de son dos en une tendre étreinte. La demoiselle déglutit. Renifla. Parvint enfin à faire cesser cette houle de larmes et à reprendre la parole :
-- Je... Je... Je ne vous oublierai pas, Kalisha... Je vous en fais la promesse, vous n'êtes pas seule : je reviendrai aussi souvent que possible... N... Nous retournerons au théâtre, et en ballade, nous ré-inviterons des connaissances communes, nous irons en forêt voir Sylvère et tout le reste, je vous le jure ! Nous trouverons des solutions. (Elle s'écarta lentement pour se rasseoir en face de la princesse, les yeux rougis et brillants mais avec un sourire confiant) Ce ne sont pas ces fiançailles qui vont nous séparer.
Et avec davantage de gravité, retrouvant de la clarté dans les idées :
-- Quant à ce... que nous disions avant que tout cela ne s'enchaîne... La solution est là. Profitons de cette journée du 24 pour faire... ce que vous savez, qu'en dites-vous ? L'on croira que nous sommes sorties à quelques dévotions pour arriver encore mieux préparées moi à Fromart, et nous deux ensuite à la célébration de la Nativité.
Là-dessus, ses yeux s'échouèrent longuement dans ceux de Kalisha : elle ressentait à son tour tout ce que la princesse djerdanne avait dû affronter il y a bientôt une année de cela.
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Kalisha ravala ses larmes autant que possible. Prosper n’en méritait pas tant et elle devait se montrer forte pour Florentyna qui essayait de la soutenir autant que possible. C’était un peu le monde à l’envers. Mais elle commençait à se dire qu’au fond, ce monde ne tournait pas vraiment rond.
Elle tendit l’oreille aux informations. Le 24 janvier ? Dans un mois ? C’était si vite arrivé ! Oh non… À entendre le nom du ministre des Affaires étrangères, elle eut du mal à retenir un frisson. Chaque fois qu’elle le croisait, elle ne pouvait s’empêcher de baisser fautivement les yeux. C’était plus fort qu’elle.
— C’est une excellente nouvelle, mon ami. trouva-t-elle le courage de répondre après avoir dégluti péniblement.
Les mots lui manquaient pour le reste et devant le malaise qui s’installait définitivement, il fit le -fort judicieux pour une fois- de se retirer. Elle acquiesça, le visage toujours hagard de la nouvelle qui venait littéralement de la sonner comme le glas, grave et glacial écho dont elle percevait toujours les vibrations au travers de son corps. La porte se referma dans un grincement et son amie lui tomba dans les bras, en pleure. Elle se sentait si démunie. Incapable de l’aider, à part en lui frottant doucement à son tour le dos. Malgré toutes ses bonnes résolutions, ses larmes se mirent à jaillir silencieusement jusqu’à humidifier la robe de sa pauvre Florentyna.
Pour combien de temps ? Elle l’ignorait. Mais soudain elles s’éloignèrent. Kalisha passa une main pour tenter d’essuyer ses larmes -heureusement elle n’avait pas mis de khôl puisqu’elle n’en avait pas- et se pinça les lèvres, avant de se mordre les joues pour ne pas pleurer de plus belle aux mots de Florentyna qui ne pensait même pas à son mariage mais bien à elle. Mais pourquoi ? Elle se jeta à nouveau dans ses bras et la serra encore plus fort.
— Vous n’avez pas besoin de me dire tout cela, je le sais. Moi non plus je ne vous oublierai pas. Je viendrai vous visiter et je ferai tout mon possible pour vous aider et… vous préparer. J’aurais voulu mieux le connaitre mais j’avoue ne rien savoir d’autres à son sujet que ce que vous savez déjà vous-même. Elle caressa ses cheveux tendrement Tout se passera bien, Florentyna. Vous êtes une femme forte et douce à la fois. Comment pourrait-on ne pas apprécier votre compagnie avec toutes les qualités dont vous recelez ? Au moins, Alduis n’est pas connu pour sa gourmandise. tenta-t-elle de plaisanter en reniflant.
Comme elle reprenait en évoquant un futur nettement plus proche, elle put retrouver un peu plus de contenance. Hyriel. Oui c’était la priorité. Elles n’avaient pas beaucoup de temps, mais c’était le moment idéal. Elle hocha lentement de la tête.
— C’est une excellente idée, oui. Personne ne se doutera de rien. Nous n’aurons qu’à passer à l’église ou à la cathédrale pour y être vues avant de rebrousser chemin vers la Prévôté. Si je peux faire quoi que ce soit pour vous...
Kalisha aurait voulu lui offrir quelque chose de personnel pour lui donner du courage dans cette nouvelle épreuve. L’ennui, c’est que tout ce dont elle disposait était lié à son époux et non réellement à elle. Ses effets personnels, les vrais, on l’en avait privé au passage de la frontière.
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Son amie avait trouvé la force de répondre à Prosper pour la forme : ces mots et ce "mon ami", Florentyna comprit que Kalisha s'efforçait de les dire afin que la situation soit moins lourde... pour elle-même. Tout à côté de la princesse cependant, elle l'entendit déglutir. Elle vit ces larmes stagner aux coins de ses longs cils charbonneux mais qui heureusement ne coulaient plus. Au moins le comte se retira et enfin, les deux camarades d'infortune purent vider le sac de tout ce qu'elles avaient encore à pleurer. C'était nécessaire. Autant se décharger maintenant avant de trouver comment affronter la suite puisqu'elles se trouvaient désormais toutes deux logées à la même enseigne : un mariage arrangé. Une vie future dont on venait de décider pour la demoiselle, comme cela avait été le cas pour Kalisha une année plus tôt. Elles se comprenaient mieux que personne. Et Sœur Cécilia avait paru aussi de leur côté en un sens.
Réconfortée par l'étreinte de son amie, et malgré ses pleure qui mouillaient le fin tissu de sa robe, Florentyna parvint à son tour à ravaler ses sanglots. Puis à esquisser un sourire sur lequel elle reprit la parole pour faire ces promesses qui lui tenaient tant à cœur. La demoiselle garda une main à l'épaule de Kalisha tandis qu'elle essuyait ses yeux. Elle-même cilla plusieurs fois, saisit son mouchoir pour s'en tamponner plusieurs fois les joues, le nez, le dessous des yeux creusé de cernes après toutes les émotions qui avaient secoué ces cinq jours.
Les douces paroles de son amie ravivèrent les lueurs au fond de ses prunelles. Sa lèvre en tremblota, saisie par l'émoi et bien incapable d'articuler une réponse bien formulée. Kalisha ne pouvait imaginer à quel point ses mots - et tout ce qu'elle pensait d'elle - lui faisaient du bien. Elle s'en trouva rassurée et raffermie mais, toute penaude en face de compliments comme ceux-là et de la part d'une personne si précieuse, Florentyna ne put que rosir et murmurer un :
-- Merci... Merci, Kalisha, du fond du cœur. Puis elle rit volontiers à son bon mot, façon de relâcher toute cette pression. La demoiselle ne put s'empêcher de repenser à cette après-midi en compagnie d'Alexandre, au cours de laquelle s'étaient échangées de petites blagues de cet ordre autour de la gourmandise de son cher père.
-- J'espère que ce jeune homme sera agréable et attentionné. Je n'ai pas envie de l'associer à son père et à ses décisions en tant que ministre, non... j'attends de voir. Pourvu que nous nous plaisions... qui sait.
Un espoir criant auquel Florentyna voulut s'accrocher de toutes ses forces. Et une manière, par ses paroles, d'essayer de détendre Kalisha alors que cette dernière venait de lui promettre des visites. Des visites à Fromart. Mais c'était bien cela : elles devaient toutes les deux laisser le Ministre d'un côté - et de l'autre considérer qu'elles ne seraient que deux amies se retrouvant, avec peut-être en plus un époux que sa promise apprécierait.
-- C'est très bien pensé, oui, confirma-t-elle quand elles s'en revinrent à un sujet d'urgence bien plus brûlante - la visite à leur ami guérisseur en prison - et que Kalisha proposa ce petit détour par l'église pour être vues en dévotions. Et nous pourrions prendre chacune un panier avec ce que nous disions : de quoi lui tenir chaud, à manger, à boire si les soldats nous laissent lui donner tout cela. Des paniers... cela passera pour des emplettes de dernière minute avant le repas de Noël, ils n'attireront pas l'attention à l'église.
Florentyna étira un sourire à la dernière question de la princesse. Son pouce allait et venait toujours avec douceur sur le dos de sa main. Elle secoua la tête.
-- Merci... Votre amitié, votre soutien, cela fait déjà pour moi plus que vous ne pouvez l'imaginer. Et les choses sont loin d'être terminées, nota-t-elle d'une voix soudain plus affirmée malgré l'émoi : oh cela, oui, loin d'être terminé. Elles n'avaient pas dit leur dernier mot et dans l'affaire d'Hyriel, et auprès de Prosper quand tout serait moins dangereux et plus calme, et en tant qu'amies n'ayant pas fini de se soutenir dans les prochaines tribulations quelles qu'elles soient.
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