[26 Janvier 1598] Le retour de la taverne [RP Sensible][Terminé]

Matthias, 32 ans

Matthias retint une grimace en l’entendant nier ouvertement avoir semé sa descendance aux quatre coins de Braktenn. C’était tout bonnement répugnant.

— Mais c’est que l’on devrait vous canoniser pour avoir permis la résurrection du petit Sébastien ! ironisa-t-il.

Quoique, s’il avait eu envie de faire une pointe d’humour noir, il aurait sans doute ajouté que ses talents divins n’étaient pas encore suffisamment au point pour lui rendre la vie et les jambes à la fois. Cependant, cela aurait été terriblement mesquin envers le garçon qui était somme toute bien sympathique (ce qui n’était guère compliqué en comparaison du père) quand bien même il pouvait se montrer d’une ignorance affligeante.
Thierry remit Berthe sur le tapis et prit un malin plaisir à s’enorgueillir de ses talents de cuisinier. Un petit sourire en coin, il se tourna vers Hibiki.

— Ce qui est certain c’est qu’il a en tout cas cuisiné suffisamment pour être révoqué de ses fonctions. Vous conviendrez que voler le Premier Conseiller est une idée parfaitement idiote. Eh bien l’homme avec qui vous partagez votre pain ce soir, a eu l’audace de s’y essayer.

Et ce fut ensuite d’un regard froid qu’il toisa l’ancien curé. Celui-là même qui lui suggérait avec tact et subtilité de cesser son manège s’il ne voulait pas que la version suivante soit nettement moins suggestive concernant ses crimes. Et puisqu’il était si bon gastronome, il se promettait de lui servir un jour le chapon farci à la Thierry. Même si, il devait l’admettre, il aurait amplement préféré le savoir dindon de la farce. Surtout quand il se permettait de telles paroles abjectes sur son fils. Au fond, mieux valait qu’ils soient tous « morts » que de croiser la route de cet homme qui n’avait aucun respect pour eux. Savait-il ne serait-ce que le sens de ce mot ? En réalité, il en venait même à en douter aux vues de ces derniers jours.

— Ne vous en faites pas. La curiosité est bien naturelle. En revanche j’ignorais que discuter joaillerie avec lui pouvait vous mettre si mal à l’aise ! Heureusement que le vicomte s’est empressé de combler son avidité en répondant à ses questions lorsque vous l’avez rencontré sur la Grand’Place.

À son étonnement sur ses qualités linguistiques, il fut impressionné par cet apprentissage si rapide et hocha la tête.

— Vous devriez recommander votre précepteur à la reine d’Espagne. Figurez-vous qu’elle est venue ici en mission diplomatique sans parler couramment la langue de notre pays ! Quelle idée ! J’imagine que vous ne parlez pas latin, Monsieur Hibiki ?

Il imaginait la cocasserie d’une rencontre entre les deux individus. En attendant le départ de la reine bigote qui venait fouiner dans leurs affaires, c’était bien la seule chose qu’il pouvait faire…

Matthias, 32 ans

Matthias en avait plein les souliers de ce débauché aigri et bouffi d’un orgueil déplacé. C’était à se demander comment ses propres enfants pouvaient bien le supporter. Au moins était-il encore doté d’un minimum de bon sens pour ne pas répliquer à ses piques acérées. Si seulement il avait pu aller se coucher à la place du petit Sébastien…

Il ne semblait toutefois pas avoir dit son dernier mot puisqu’il fallut que l’intendant – qui se demandait parfois s’il n’était pas sa gouvernante – lui rappelle la raison de sa révocation autant que ses méfaits. Suffisamment clair pour l’intéressé et suffisamment voilà pour l’invité qui comprendrait ce qu’il pourrait. Toujours immobile, il écouta non sans surprise le coupable avouer tous ses crimes sans ambages. Avait-il réellement versé du jus de raison ? Il commençait à douter de ce qu’il avait mis dans son verre. Heureusement, le vicomte n’était pas présent sinon il en aurait conclu à une quelconque manipulation de sa part. C’est que ce ne serait pas la première fois qu’il droguait ses invités.

On développa finalement un autre sujet et Matthias fit glisser habilement quelques indices qui mettraient Hibiki sur la piste de l’objet de leur discussion mettant ainsi un terme au petit jeu de Thierry qui… le salua ? Non décidément… Il devait y avoir quelque chose avec ce jus de raisins. N’était-ce pas celui qui avait été livré ce matin de Fromart ? Tout cela était fort étrange. Il répondit tout de même d’un discret signe de la tête par politesse et relança la conversation sur le sujet des langues.

Leur invité semblait étonné de le voir s’exprimer si librement, mais ce n’était là que l’avis de son maitre et celui de bon nombre de courtisans peu ravi de voir la souveraine venir se mêler de leur morale alors même qu’elle était à peine plus qu’une fillette. Le d’Anjou s’en amusa ouvertement d’ailleurs - à juste titre, il devait l’avouer –

— De ce que je sais, elle vient s’assurer que notre Cour est de « bonne morale ». Elle ne sera sans doute pas déçue de constater à quel point nous avons bon moral à Monbrina. ironisa-t-il

Matthias, 32 ans

Et voilà que la politique étrangère s’invitait à table. Un peu par sa faute, il fallait bien l’admettre. À croire que même lorsque le vicomte n’était pas présent il fallait que les sujets diplomatiques s’invitent malgré eux entre les murs de ses demeures. Il n’y avait de toute façon rien de bien secret à ce qui fut servi, en guise d’accompagnement au dessert. Quiconque trainant dans les tavernes aurait certainement ouï-dire d’un avis bien tranché sur cette enfant-reine venue s’inquiéter de la bonne morale de leur bon roi. Hibiki salua son trait d’esprit et il inclina la tête en guise d’humble remerciement. Quant à son interrogation Thierry lui coupa non seulement l’herbe sous le pied, mais se mit en plus à la ruminer longuement.

Il s’effaça donc derrière sa langue qui semblait tant avoir à dire sur le sujet. Pour un peu le vicomte aurait du se faire du souci pour son poste de ministre des Affaires étrangères tant le d’Anjou semblait disposer d’une expertise en la matière. Enfin cela… Cela était ce qu’il paraissait. Lorsque l’on grattait le vernis en revanche, les couleurs fadasses s’effritaient rapidement. Mauvais pigments, que voulez-vous ?

C’était curieux cette histoire de prince déjà marié. Il était sûr de n’avoir rien entendu de tel à Fromart. Le mariage avec le Prince, oui certes. Marié ? Non. Il n’en laissa pourtant rien paraitre. Il tenait assurément cette information du vicomte lui-même. Il ravala un sourire en comprenant ce qui était en train de se passer. Se croyait-il si proche de lui qu’il pourrait en obtenir ses secrets d’État ? C’était mal connaitre Coldris de Fromart surtout face à un personnage à la langue si longue qu’il aurait pu se prendre les pieds dedans. En revanche, cela pouvait avoir une certaine utilité et le ministre ne se privait pas d’user de ses amitiés. Combien de temps faudrait-il à cette rumeur pour se répandre ? Quelques boissons dans une taverne tout au plus. De quoi discréditer l’impudente fouine de bénitier qui venait exiger droit de regard sur leurs affaires privées. Le peu qu’il connaissait d’elle suffisait à lui donner un avis bien tranché en la question quand le sien était si fumeux.

Une fois le monologue achevé, il put enfin répondre à leur invité. Question qui, rappelons-le, lui était adressée de prime abord.

— Ma foi je l’ignore. Ce sont des considérations bien loin de mes attributions si je puis me permettre. Le vicomte serait plus apte à vous éclairer sur le sujet que nous tous ici. Peu nombreux sont ceux qui peuvent se targuer de détenir une vision plus globale. Enfin puisque vous me demandez mon avis qui n’engage que moi, je dirais qu’il s’agit en effet d’une forme de prosélytisme. Plus que les djerdannes, je crains qu’elle ne s’effraie de la naissance d’une réforme au sein de l’empire. Nous avons été jusqu’alors était peu touché par les guerres de religion ayant eu lieu en Europe ces dernières décennies. Toutefois, il semblerait que certains écrits se diffusent peu à peu en ce sens.

Et il évitera d’évoquer la piété si personnelle de Sa Majesté qui ne devait pas être au goût de la reine dévote. En parlant de religion et de place de la femme, cette dernière ferait sans doute mieux de s’en tenir à son rôle de génitrice… Point sur lequel il s’accordait avec l’ancien curé.

Matthias, 32 ans

Matthias avait avancé ses arguments – sans trop se mouiller – préférant écouter les deux hommes discourir entre eux. Il ne lui appartenait pas de juger outre mesure la politique et la religion de son pays. Lui n’avait fait que jeter la pomme de la discorde en plein sur la tarte.

Quant au roi qui n’était pas intervenu, c’était là uniquement ce que la population en retiendrait. La vérité était tout autre et Matthias était bien placé pour savoir qu’il abritait en sa demeure un invité très spécial. Il aurait cependant pu avancer un tas d’arguments invoquant le contraire de ce que déblatérait Thierry, mais comme nous l’avons dit il ne lui appartenait pas de prendre position. En revanche, imaginer la Reine d’Espagne en hérétique sectaire avait de quoi faire sourire.

Il appuya la sage décision de leur invité : laisser les personnes compétentes débattre de ces sujets ennuyeux et affreusement délicats pour retourner sur les planches de la scène locale. Il resta un instant pensif, cherchant quelle pièce lui recommander. Il en connaissait certaines grand public et d’autres produites en cercles plus fermés. Il exclut d’office ces dernières ne connaissant pas suffisamment encore leur invité.

— Nous avons en ce moment une pièce historique sur Albert III, roi monbrinien considéré comme fou du fait de ses prises positions peu orthodoxes qui acheva sa vie assassiné par son fils. Et si vous préférez les comédies absurdes avec une pointe de tragique, je vous conseille Bella donna dont le récit se déroule à Mantoue.

Pendant qu’il se transformait en guide culturel d’un temps, Thierry s’était enfin tu pour manger son dessert. Il n’y avait qu’une fois la bouche pleine qu’il cessait ses piaillements intempestifs. Il remercia le d’Anjou pour son compliment et proposa qu’on le resserve afin de prolonger quelque peu le silence. Matthias fut pour le moins étonné de cette invitation à diner. C’était bien la première fois qu’il était directement convié par un invité du vicomte. Il était bien entendu exclu de refuser, cependant emmener le rat noyé dans son orgueil ne lui disait rien qui vaille, qui plus est au sein d’une délégation étrangère…

— Ce serait un honneur, Monsieur Hibiki. Si le vicomte n’y voit pas d’inconvénients, je me ferais un plaisir d’accepter cette proposition. Je suis fort curieux de découvrir ces fameuses baguettes et toutes les autres curiosités de votre pays.

Il n’avait en effet pas la moindre idée de ce qui pouvait l’attendre durant ce diner. Il considérait cette offre comme une chance que de pouvoir côtoyer ces étrangers venus de si loin. Peut-être – sans doute ? – auraient-ils amené quelques exemples de leurs pratiques artistiques locales ? Il n’y avait qu’une seule chose qu’il craignait quelque peu, c’était de se retrouver perdu au milieu de personnes ne parlant pas sa langue, car il doutait fortement que tous ne parlent le monbrinien à ce repas, bien au contraire.

Matthias, 32 ans

Matthias avait repris sa position stoïque suivant la discussion d’une oreille attentive mais d’une bouche silencieuse. Il ne tenait pas à s’étendre sur la politique et la religion. Il réprima un sourire à la pique à peine dissimulée au sujet des bâtards morts de Thierry et qu’importe si ce dernier le foudroyait du regard pour avoir énoncé une pure vérité. Il fallait assumer ses propos lorsque l’on était adulte. Il se garda bien d’appuyer les propos de l’ex-curé en parlant des infanticides récurrents dans les milieux les moins aisés. Puis l’on passa à l’hérésie présumée de la Reine d’Espagne. C’était si gros que même le poisson japonais hésitait à gober l’appât.

Il patienta jusqu’à ce que les épineux sujets se soient essoufflés d’eux-mêmes et qu’Hibiki requiert son avis concernant le théâtre. Il nota religieusement dans un carnet ce qui devait être le titre sous forme de symboles. Il y avait l’air d’en avoir moins que de lettres monbriniennes. Alors c’était cela le japonais.

— Vous disposez donc d’un alphabet particulier pour votre langue ? demanda-t-il avec curiosité.

Il y avait quelque chose de fascinant à le voir inscrire avec une facilité naturelle ces quelques mots que lui-même était incapable de déchiffrer. Et dire que ce n’était sans doute que les deux noms des pièces qu’il avait donnés ! Il se demanda à quoi ressemblerait son nom écrit dans cette langue étrange. Langue qu’il n’avait d’ailleurs jamais utilisée et dont il n’avait aucune idée des sonorités.

— Je l’espère également. Je suis fort curieux de découvrir tout cela, au même titre que votre langue et votre cuisine. Oh, peut-être pourriez-vous nous éclairer sur le sujet ? Que mangez-vous au Japon, Monsieur Hibiki ? Est-ce fort différent de ce que nous vous avons servi ? Sans doute, mais j’ai peine à imaginer ce que vous pouvez manger dans votre si lointain pays.