[Alternatif] - Là où disparaissent les obstacles insurmontables pourrait naître l'amour

Durant le mois qui s'écoula, Thierry évita tout contact avec les dames du fameux appartement. Quand son regard les apercevait au loi, il s'arrangeait pour filer dans une direction tout autre ou discutait avec quelques personnes, feignant de ne pas les remarquer, s'il n'arrivait pas à s'échapper. Pourtant, ses sentiments pour Lucinde perduraient. Ils se renforçaient plus le temps passait et lui en donnait de la fièvre. Mais il ne pouvait céder. Pas comme la dernière fois. Il était prêtre. Il devait être respectable. Son coeur se déchirait dès l'instant où cette conclusion lui revenait à l'esprit.

Les gestes du quotidien étaient devenus tristement répétitifs. Le curé donnait ses messes mais y mettait moins d'entrain qu'à l'accoutumée. Aider ses fidèles ne lui procurait plus autant de joie. Les gens commençaient à jaser et à critiquer le relâchement. Il s'en moquait ouvertement. Qu'ils ailent dans d'autres églises si le service les lassait. Il accomplissait malgré tout son travail. Son coeur s'aigrissait au fil des jours qui passaient.

Thierry venait de terminer une messe et contemplait avec langueur l'église à présent vide. Tous s'étaient retiré. Il ne restait que lui, coincé dans cette vie qu'il n'avait finalement jamais pu choisir. Il sursauta en percevant des pas et distingua une silhouette entrer. Il s'approcha et sentit son coeur battre dans sa poitrine. Il lâcha un cri de surprise :

[color=#a128a1]"Lucinde !"

Son regard l'observant, cherchant à la voir dans le moindre détail. Comme elle lui avait manqué ! Il ne pensait pas possible que l'on puisse autant s'attacher à une personne en si peu de temps Il ne savait pas quoi faire. Ni comment réagir.

"Lucinde... Vous... que vous arrive t-il ?"

Soudain, la sage-femme entendit son prénom retentir et se saisit. Le père Thierry accourait déjà pour lui demander ce qu’il se passait. Etrangement, cela non plus n’était pas tout à fait passé - il lui aurait fallu plus de temps, manifestement -, mais aujourd’hui, c’était un souci mineur. Elle fut tentée, par orgueil, de l’envoyer promener. Elle s’en abstint. Elle n’en avait… pas envie.

— Tout va bien, mon père. Je viens seulement d’apprendre le décès de mon mari, répondit-elle sur un ton tout à fait sérieux qui se voulait relativement détaché.

Sa gorge se serra un moment. Cela passerait, comme tout. Cela ne faisait que quelques heures, demain cela irait mieux. Il fallait seulement s’en convaincre. Demain, ce serait passé. Ou le jour suivant. Mais cela passerait, alors se plaindre ne servait à rien.

— Aniète est dévastée, confia-t-elle néanmoins. Et je… J’ai un peu de mal.

Voilà qui était déjà un fameux aveu. La jeune femme ne savait même plus si elle atténuait ou exagérait l’effet de cette nouvelle, mais elle avait eu besoin de le dire.

Le père Thierry était désolé. Eh bien, cela l’avançait beaucoup de le savoir !

Non, elle était injuste. Il n’y avait pas grand chose à dire dans ce genre de situation et sans qu’elle ne puisse se l’expliquer, la présence du prêtre la rassurait quelque peu.

Il… Il… quoi ? Il se tut, et cela valait certainement mieux. Par principe, quand il n’y avait rien de productif à dire, le mieux était très certainement de se taire. Quoi qu’une parole inutile eut certainement été moins étrange que ce qui se passa alors. Car avant que la jeune femme n’ait pu répliquer quoi que ce soit, elle se retrouva entourée par ses bras.

Euh… Alors, c’était à dire que… Que… Oui mais non. Pourtant, elle ne put s’empêcher de laisser sa tête reposer quelques instants sur l’épaule de Thierry. En fait, elle n’y était pas si mal mais… Très vite, elle reprit conscience de la situation et se recula, sans toutefois se laisser gagner par la précipitation. C’était absolument n’importe quoi. Elle était fatiguée et faisait absolument n’importe quoi.

— C’est que… je...

Non, vraiment, elle ne savait plus quoi dire, là.

Il arrivait même aux meilleurs de s'égarer un peu. De se perdre dans quelques élans sentimentaux passagers. Et sans être capable de dire à quel moment on avait perdu pied, on passait de veuve d'un soldat à épouse d'un ancien prêtre. On accouchait de jumelles dans un calme presque inhumain - à vrai dire, Lucinde n'avait jamais compris ce besoin de paniquer, comme si cela pouvait changer favorablement l'issue de la situation. Et l'on finissait par se demander si l'on n'avait pas eu raison depuis le début, et si ces niaiseries n'auraient pas dû être ignorées.

Ce soir-là, Thierry n'était pas rentré. À vrai dire, Lucinde ne s'en était pas immédiatement souciée : il ne prenait jamais la peine de rentrer tôt. Ce n'était pas à elle qu'on ferait croire qu'il s'éternisait à l'ouvrage. Elle ne l'attendait plus pour se coucher. À vrai dire, elle avait mieux à faire que de se soucier de lui. Elle avait deux filles magnifiques mais qui ne la laisseraient pas dormir plus longtemps sous ce prétexte. 

Lorsqu'elle se leva pour s'occuper d'Elbore et Léandra - son père, son vrai père aurait tellement tenu à avoir une fille de ce nom - elle remarqua avec agacement qu'il était toujours absent. La seconde fois, il y était bien. Tant mieux pour lui, tant pis pour elle : elle dormait mieux seule avec ses bébés qu'en entendant ses ronflements d'ivrogne.

Elle se leva tôt, comme toujours. Salua sa belle-mère qui supportait de moins en moins "le déplorable individu que ce bon prêtre était devenu". Oui, alors il y avait une chose qui ne passait pas, en revanche : il aurait déjà dû se réveiller pour aller au travail. Si elle était incroyablement impatiente de retrouver le sien, elle ne pouvait comprendre qu'il traîne ainsi au lit. Elle essaya une fois vainement de l'éveiller en douceur. Non ? Elle alla chercher un verre d'eau qu'elle lui jeta à la figure.

— J'ai dit debout ! se justifia-t-elle. Et s'il n'était pas content, il n'avait qu'à pas traîner dans ses pattes.

Lucinde toisa son époux d'un air agacé lorsqu'il crut bon de faire de l'humour. Enfin, au moins était-il éveillé. 

— Tu le saurais certainement si tu étais rentrée m à une heure décente, fit-elle remarquer à propos des filles. Tu pourrais essayer ce soir, par exemple, mais là il est franchement tant que tu ailles travailler. Bonne journée.

Si c'était vraiment tout ce qu'on lui demandait, qu'il le fasse au moins correctement et quand il fallait.