[25 décembre 1597] Mettons-nous joyeusement dans le pétrin ! [Terminé]

Nous y voilà…

Joseph ne croyait pas encore à ce qu’il était en train de faire. Il ne connaissait ce p’tit gars que depuis une soirée… Il n’en avait rien à faire jusque-là. Oui mais voilà, ce gus avait sauvé sa sœur. Sans rien demander… Sans se plaindre…

Bon l’évasion par la suite l’avait un peu refroidie surtout que celui qui avait endormi les gars n’y étaient pas allés de main morte ! Ils ne se rappelaient pas de grand-chose et ils avaient dû aller rapidement se coucher à l’infirmerie pour cause de gros mal de tête. Il secoua la tête. Ça aurait été plus facile s’il ne leur avait pas filé entre les doigts… Mais bon, le temps qu’il le retrouve – car son frère le retrouverait, ça, il n’en doutait pas – ils pourraient organiser un peu tout ce bordel de manière à ce que cela se termine bien. Quand un Cassin avait une dette, il l’honorait, par tous les moyens.

Joseph observa un moment le domaine avec circonspection. Faisait-il bien cependant d’aller aussi loin ? Mais à qui demander d’autre ? Celui qui se réchauffait les miches dans ce château était le seul à être au-dessus de lui avec un bras long et assez de pouvoir pour l’aider. De plus, il avait entendu des choses sur lui, sur sa relation avec le prisonnier, avec une histoire amusante de gamin. Il se demandait s’il y avait vraiment un petit là-dedans ? Enfin bon, il n’avait pas à penser à ça pour le moment…

Joseph soupira en se décidant à aller se présenter. Foutu pour foutu… De toute façon, il allait être hors-la-loi. Il savait bien que le moindre écart le mettait en danger. Quoique, connaissant le roi et sa passion des infirmes, il pourrait peut-être même bien le remercier cette fois. Enfin bon… Il avait fait son choix de toute façon. Il espérait juste ne pas trop se faire taper sur les doigts par sa famille pour diverses raisons… Joseph s’avança en frissonnant un peu. Il ne se sentait pas très à l’aise là mais fallait bien la secouer un peu sa frousse. Après tout, ce n’était qu’un bonhomme avec qui il allait falloir parler affaire. Cette fois, ce serait sans doute lui qui aurait une dette à rendre, mais il était prêt à en payer le prix. C’était lui qui l’avait décidé après tout.

Joseph fit les derniers pas qui le séparaient de la porte puis alla toquer un bon coup. C’est parti…

Assis à son bureau, Coldris travaillait comme de coutume lorsque Léonilde entra avec sa discrétion quasi fantomatique pour lui annoncer que le Général Cassin demandait à être reçu. Ses sourcils se plissèrent sur ses yeux polaires. Le Général ? Venait-il se repentir pour avoir joué les bons samaritains ? Il n’avait qu’à aller se confesser à son frère pour cela ! Et s’il comptait vraiment lui offrir un présent, qu’il dépose le sorcier évadé et ligoté à ses pieds ! Seulement voilà, son intendant n’avait pas précisé qu’il était venu accompagner ou les bras chargé.

— Fais-le patienter dans l’antichambre. Je le recevrai lorsque j’aurais terminé.

Parce qu’il lui avait tout de même gâcher sa nativité avec ses bêtises. Oh, non pas qu’il accorde quelques crédits à cette fête religieuse, seulement voilà, il était toujours fort désagréable de se faire réveiller par une missive porteuse d’une telle nouvelle après avoir passé une agréable soirée.

Trahison. Complicité.

C’était les seuls mots qui lui étaient venus alors qu’il avait froissé du froide rage le billet fraichement reçu. Alors, il allait attendre. Mariner. Macérer. Fermenter. Et encore, il était de relative bonne humeur ce jour-là… et ne patienta donc qu’une vulgaire et misérable petite heure et demi avant que, grand seigneur, il ne daigne le recevoir depuis son bureau d’où il s’était levé pour l’accueillir.

— Général Cassin, quel bon vent vous mène en mon domaine ? fit-il pour l’accueillir.

Omettant par là de s’excuser de son retard – il ne l’était pas le moins du monde – ou encore de l’inviter à s’asseoir alors même que son postérieur retrouver le confort tout relatif de sa chaise. Les généraux avaient l’habitude de passer des heures debout, non ? Coldris bascula légèrement en arrière sur son dossier et entrelaça ses doigts dans l’attente du motif qu’il espérait bien évidemment de bon augure. Il serait fâcheux d’avoir… à le fâcher et le général le savait pertinemment.

Ce fut un respectable intendant qui vint lui ouvrir. Il hocha la tête. Le bonhomme se contenta de le conduire dans une antichambre, sans un mot. Pas très causant… Joseph soupira mais se contenta de rester là où on lui disait. Il eut alors tout le loisir d’admirer le mobilier, la décoration et les moulures du plafond. Joseph se mit rapidement à tourner en rond, impatient. Vu comment il le faisait attendre, il devait être sacrément énervé. Joseph rentra un peu les épaules. D’accord, c’était en grande partie sa faute mais zut à la fin ! Le serment à son père passait avant même celui envers le roi. Sa famille le resterait, jusqu’à la fin d’un temps. Alors que les rois, cela allait et venait. Peut-être qu’en ce moment même, un complot se préparait et que, demain, ils auraient à cette heure un nouveau souverain sur le trône.

Au bout de trois bons quarts d’heure, il commença à devenir bougon. Mais après tout, c’est lui qui avait décidé de s’embarquer dans cette galère… Il n’avait qu’à s’en prendre qu’à lui… Rah, si seulement il avait été là ! Il n’aurait pas dû s’en aller, Tassin aurait su s’en occuper, il en était certain. Alors pourquoi ? Peut-être était-ce écrit… Au fond, il le savait, cette évasion lui donnait du temps supplémentaire. Mais il allait en conséquence falloir la jouer fine avec l’autre là… En parlant de ça, la porte s’ouvrit bientôt. Ah bah quand même ! Il se redressa, lissa un peu son manteau et s’engagea dans ce fameux pétrin.

Joseph plissa un peu les yeux en le voyant mais ne se démonta pas.

- Bonjour à vous aussi.

Comme il ne pouvait pas s’asseoir, il s’appuya juste sur un siège, le buste un peu vers l’avant.

- Je vais pas vous faire perdre de temps, vous savez déjà en partie pourquoi je suis là. Le prisonnier a pris la poudre d’escampette mais ne va pas tarder à être retrouvé. Je crois savoir qu’il vous intéresse, vous aussi, au moins autant qu’au roi si je ne me trompe pas. Pour ma part, j’ai une dette envers lui. Donc, je veux pas trop qu’il finisse comme une saucisse grillé. Il le mérite pas et il est innocent. Si on se met à brûler des innocents, cet Empire n’ira pas très loin. C’est pourquoi, si vous êtes d’accord, j’ai une proposition à vous faire le concernant. J’ai un moyen de le sauver.

Bon, c’était lancé. À voir s’il prenait le bateau qui risquait bien de couler ou non.

Coldris l’avait fait entrer dans son antre omettant les politesses d’usage ce dont bien évidemment son invité ne s’offusqua point puisque tous deux savaient parfaitement qui tenait les rênes de cette entrevue. Forcé de rester debout, le général prit appuie sur le dossier d’une chaise, ce que ne manqua pas de repérer le vicomte qui passé les salutations fit remarquer acidement :

— Une nuit difficile Général ? Ou bien est-ce le réveillon dont vous ne vous êtes toujours pas remis ?

Sourire moqueur en coin, il écouta néanmoins ce qu’il avait eu tout le loisir de ressasser pendant qu’il l’avait fait mariner. Bien sûr qu’il savait en partie pourquoi il se trouvait face à lui, qui serait-il s’il manquait de telles informations ? Quant au prisonnier qui avait pris la poudre d’escampette, on se demandait bien qui la lui avait fournie ! Et ces idiots de gardes qui avaient accédé à sa demande comme des ânes écervelés ! Oui il l’intéressait. À titre purement personnel. Et un peu professionnel puisque de toute évidence Sa Majesté avait le béguin pour l’insolent sorcier. Quant à la dette de Joseph, il s’en fichait comme d’une guigne et il avait fait assez de remous pour que sa tête ne quitte définitivement ses épaules sans qu’il ne soit nécessaire de venir lui faire la morale sur la bonne tenue de cet empire. Ce genre de considérations se traitaient auprès de ce cul serré de gratte-dossier procédurier. Or, s’il était dans ce bureau, c’était précisément car il espérait passer outre ces obstacles, n’est-ce pas ?

C’était incontestablement un bon stratège et un bon meneur d’hommes, mais pour ce qui était de la politique et des bons mots, on repasserait. Mieux valait qu’il s’en tienne au champ de bataille.

— Mon cher Général, commença-t-il en se penchant sur ce bureau, je vous savais déjà apte à prendre des libertés face aux ordres, mais j’ignorais encore vous pouviez devenir complice d’une évasion. N’allons pas nous mentir : nous savons tous deux qui a demandé aux agents de la Prévôté de faire « déplacer » le sorcier. Devrais-je ajouter abus de pouvoir à la liste de vos crimes ? Il est évident que vous allez me retrouver ce prisonnier et dans les plus brefs délais, car il est inutile de vous dire que Sa Majesté sera fort courroucée d’apprendre vos derniers exploits.

Il laissa planer un silence de mort avant de reprendre avec détachement :

— Pour tout vous dire, qui brule - innocent ou coupable - m’importe peu. Vous êtes bien placé pour savoir que ce n’est pas ce genre de détails moraux qui m’arrête le moins du monde. Et je me garderai bien de vos conseils de gestion. Enfin soit, déclara-t-il en agitant la main, puisque vous êtes-là faites-moi donc part de cette idée formidable.

Car ce que voulait Coldris, c’était le sorcier. Vivant. Pour le feu de joie promis à la reine d’Espagne, il avait déjà sa petite idée. De celle parfaitement immorale, mais la morale c’était pour les faibles n’est-ce pas ?

Joseph se contenta de hausser un sourcil. C’était à se demander qui était le plus ronchon des deux. Il leva les yeux au ciel.

- Ouais, bon… Je vous prie de m’excuser pour le dérangement, j’avais pas vraiment prévu ce bordel… J’aurais dû, sans doute mais j’ai pas réfléchi à ça sur le coup. Vous pouvez bien me râler dessus, je l’ai mérité.

Il se râlerait lui-même dessus s’il pouvait. Matthieu lui avait suffisamment fait comprendre qu’il lui en voudrait probablement à vie. Si Pauline savait ça aussi… Oulà, le bazar… Mais bon, bref… il avait d’autres choses à penser en premier lieu.

Le ministre n’avait pas l’air très ouvert mais ça, il aurait dû s’y attendre. Joseph soupira. Il n’avait pas vraiment l’habitude des politiciens au contraire de son aîné. Mais bon, il allait falloir faire avec, après tout, Marc ne serait pas toujours derrière lui et si Bélyl épousait un noble, il allait devoir s’habituer ! Il leva les bras au ciel.

- Oui, je sais, je ne suis pas toutes les règles. Y avait urgence mais bon, c’est pas vraiment mon genre de faire de la paperasse, je suis un homme d’action, quitte à aller un peu trop vite en cassant deux trois choses au passage !

Et le roi allait être contrarié, comme s’il le savait pas… Le pape aussi, tant qu’ils y étaient… Heureusement qu’il était loin celui-là, d’ailleurs, ou lui comme Matthieu se serait fait taper sur les doigts ! Et bien sûr qu’il s’en foutait de la différence entre innocent et coupable… Il aurait au moins tenté, ce n’était pas parce qu’il était noble qu’il était dénué de bon sens… Enfin bon, tant pis. Ça l’aurait étonné venant de ce gus là quand même…

- Ouais, ouais, ouais, effectivement, c’est pas pour vous faire la morale que je viens, je ne suis pas complètement idiot. Je ne fais que dire ce qui est, là.

Il tapa un peu le dossier de son siège avant de s’approcher un peu plus. Il pencha la tête avec un regard détaché.

- Tant qu’on en est à avouer des trucs : de toute façon, foutu pour fout, hein ? Bref ! J’ai un prisonnier personnel qui pourrait bien aller se faire griller à la place de notre sorcier d’opérette.

Il croisa les bras.

- Quand j’étais à Mornoy, alors qu’on allait partir, les villageois sont venus nous voir. Ils nous ont parlé d’un homme qui semait la terreur dans la région. Comme on avait des armes, on était les seuls à pouvoir les aider. J’ai donc menti aux supérieurs en prétextant qu’on avait des poches de résistance dans le secteur à éliminer avant de vider les lieux. J’ai profité de ce temps pour prendre des hommes de confiance et chasser le gars alors que les autres cherchaient des rebelles imaginaires.

Il était pas très fier de celle-là mais en même temps ne trouvait rien à se reprocher. Ils faisaient bien ces campagnes pour apporter la paix et la sécurité, non ? Officiellement du moins… Mais si c’était la raison brandie, alors c’était pour lui la raison à défendre. Alors il estimait avoir fait son devoir.

- C’était pas facile parce que c’était un vrai sauvage et un tueur. C’est pour ça qu’on l’a appelé le Boucher. Seulement, on a réussi à le coincer. Je l’ai planqué pendant le trajet puis emprisonné au fin fond d’une geôle de la caserne. Il y pourrit encore. Je m’en suis pas vraiment vanté et j’attendais qu’on oublie un peu la campagne pour aller le foutre sous la hache d’un bourreau. Mais peut-être que j’ai bien fait d’attendre.

Il marqua une pause avant de reprendre.

- On déplace Hyriel par une sortie secrète de la prévôté, puis on amène l’autre. On aura qu’à lui mettre ses vêtements et ses espèces de béquilles là. Puis on s’arrange pour qu’on reconnaisse pas avec son visage et on le fait cramer, ni vu ni connu. Ensuite, on aura qu’à laisser le garçon vivre sa vie pendant que l’autre aura eu ce qu’il méritait.

Il releva un peu le menton en attendant la réponse du ministre. Il n’était peut-être pas bien malin mais ça ne lui paraissait pas trop mal.

Ouais bon… Ouais bon. Ouais bon. Coldris leva les yeux au ciel en espérant arrêter son hémorragie auriculaire. C’est ce qui arrivait lorsque l’on propulsait des péquenauds à de hautes fonctions. Ses doigts pianotaient désormais nerveusement sur son bureau. Pas prévue ce bordel ? Ses poings heurtèrent violemment le plateau.

— Pas prévu ce bordel ? claqua sa voix dans un écho glacial Vous êtes en train de me dire, que vous, un Général de l’armée monbrienne, un homme qui établit des stratégies militaires, n’aviez pas prévu que le prisonnier puisse s’évader sur le trajet ! Vous avez grillé votre cervelle sous le soleil mornoïte ma parole !

Et encore… il passait sur le fait qu’il n'est ne serait-ce que songé à le sortir de sa cellule pour diable savait quel projet dont il n’avait strictement rien à faire. Bien sûr tout le monde faisait erreur, mais personne ne pouvait faire une erreur aussi grotesque que ridicule. Comment un officier de l’État-major pouvait-il en arriver à un tel niveau de bêtise ? Le ministre grogna à sa justification. Rien ne légitimait ni cette infraction ni cette faute monumentale. Lorsque l’on voulait jouer avec les règles, l'on s’assurait de se préparer. C’était l’évidence même. Il en aurait presque grincé des dents de les maintenir si serrées pour éviter de mordre.

Toujours est-il qu’il n’était pas au bout de ses surprises puisque son idée fabuleuse – dont il commençait à désormais plus que douter au vu de la réussite de la précédente – reposait sur un… prisonnier personnel. Depuis quand avait-on des prisonniers personnels ? Il devait nager en plein délire opiacé… C’est ce qu’il aurait cru si les moulures du plafond ne s’étaient pas révélées obstinément fixes. Non, tout allait bien c’était la réalité. Enfin bien… Ses prunelles s’écarquillèrent subitement.

— Je vous demande pardon ! tonna-t-il en se redressant subitement, Vous avez détourné des ressources pour jouer les justiciers. Vous vous êtes opposé aux ordres pour votre petite morale personnelle. Devenez donc agent du guet si vous aimez tant chasser les malandrins, il recrute !

Nom d’un chien ! C’est que sa désobéissance aller finir par devenir chronique. Entre les libertés qu’il prenait – certes discrètement – et cela. Peut-être serait-il nécessaire d’envisager un petit nettoyage des têtes – sensément – pensantes de l’armée.
Mais la suite du récit l’acheva, au point qu’il se laissa retomber lourdement dans son fauteuil tout en passant une main ahurie sur son front.

— Si je comprends bien, l’empire a nourri, logé et blanchi votre clébard enragé à ses frais et son insu. Tout cela pourquoi ? Pour… un sentiment de justice ? il secoua la tête en soufflant un ricanement amer lorsque l’on a encore ses couilles, Général, on assume jusqu’au bout. On le saigne et on le laisse en guise de festin aux corbeaux. siffla-t-il

Alors c’était cela l’idée. On prenait le déchet, on l’incinérait et on récupérait le sorcier par magie.

Évidemment. Et c’était bien une idée similaire qu’il avait eu en tête jusqu’à ce qu’il ne prenne la poudre d’escampette. Il fronça les sourcils.

— Il n’y a qu’un léger détail que vous avez visiblement également encore oublié : pourquoi devrais-je vous aider et me porter complice de vos crimes alors que je meurs d’envie de vous faire limoger sur le champ ?

Les enchères étaient ouvertes. S’il était là, c’est qu’il attendait une quelconque négociation. Il n’était tout de même pas si idiot ?

— Je pourrais bien prendre n’importe lequel de ses détritus croupissant en geôle pour allumer le feu de joie de Notre Roi.

Feu qui n’était rien d’autre qu’un cadeau purement diplomatique soit dit en passant.

Le gros soupir qui sortit de son poitrail aurait fait frémir n’importe lequel de ses hommes. Cependant, face à un homme comme l’autre là, ça ne le ferait pas moucheter. Son regard dévia sur le côté.

- Non, je l’avais pas prévu, là. Et mon cerveau a pas cramé, j’ai juste sous-estimé l’ennemi. Je vous accorde que c’est pas bien malin mais c’est arrivé, on peut rien y changer.

Il n’allait pas continuer à s’excuser, qu’est-ce que ça changeait ? Et des gus énervés, il en avait vu d’autres. Il avait connu Clarence quand même, il en fallait plus pour le faire trembler. La suite le fit froncer des sourcils. Il croisa les bras, bien campé sur sa position.

- !Je vous en ai économisé, des ressources ! Vous savez ce qu’il nous a dit, ce forcené ? Qu’on avait bien fait de le choper ! Qu’il aurait bien poussé jusqu’à Braktenn pour égorger d’autres gamins. Vous vous voyez gérer un fichu acrobate qui vous glisse entre les doigts ici ? Et s’il avait décidé d’aller découper votre petit-fils en petits morceaux, vous m’auriez rétrogradé aussi ? Parce que je vous le garantis, il aurait bien pu le faire !

Il leva les yeux au ciel.

- Eh ben soit ! Virez-moi si ça vous amuse, j’irai postuler chez eux ! Il parait qu’il y a des gars sympas ! Ce sera toujours mieux que d’aller brûler des villages pour apporter la paix et la sécurité à l’Empire, hein ?

Bon sang, qu’est-ce que ça l’agaçait cette morale à géométrie variable ! Pour eux, ça n’avait peut-être pas d’importance mais pour ceux qui étaient en-dessous ? Qu’est-ce qu’il se serait passé s’il avait dit non ? S’il avait laissé ces pauvres paysans se faire tuer ? Ah, elle aurait été belle l’image de l’Empire. Il estimait avoir fait son travail, zut à la fin…

Il secoua la tête.

- Oh ça va, vous me pensez si idiot que ça ? On n’a fait que lui donner les restes qu’on allait jeter puis on lui repasse pas ses chemise, il a gardé la même depuis son arrivé. Quant à la prison, elle sert jamais, alors c’est pas non plus une perte d’espace…

Il s’approcha en fronçant les sourcils.

- Tout ça pour qu’on y croit à vos histoire d’Empire protecteur. Vous pensez qu’ils vous auraient accepté comme souverains vos nouveaux citoyens si on était partis en brûlant leur maison, en prenant des esclaves et en leur laissant sur les bras un meurtrier ? Ah elle aurait pas fait long feu votre main-d’œuvre si ce fou furieux l’avait réduit de moitié ! Quant à la justice que vous n’y croyiez pas passe encore mais moi et mes gars, on en a besoin. Et soyez honnête, si je l’avais saigné, vous m’auriez tout autant crié dessus.

La suite le laissa blasé. Non mais sérieusement… Il étendit les bras.

- Ben allez-y, allez écumer toutes les prisons de l’Empire pour trouver quelqu’un qui ressemble autant à votre gars, je ne vous retiens pas ! Moi, tout ce que je viens vous donner, c’est une chance de ne pas laisser cramer quelqu’un qui pourrait être intéressant pour vous comme pour le Roi, tout en ayant votre bûcher. Après, vous aurez qu’à faire ce que vous voulez de lui, tant que vous le laissez en vie mais bon, pour ça, je m’en fais pas trop. Je vous donne juste une occasion, sans rien demander d’autre, même pas de vous taire sur mes bêtises. Si vous avez pas envie, faites votre machination de votre côté et envoyez-moi au guet, ça me fera des vacances.

Et très honnêtement, il était sincère. Si c’était ça, ce qu’il devait servir, autant arrêter les frais maintenant. Il espérait juste que Pauline n’irait pas trop lui taper sur les doigts…

avertissement -  allusion à acte de barbarie et torture:

Sous-estimer l’ennemi ou oublier une évidence, peu importe. Le résultat était le même. Ce n’était pas parce qu’on enrobait une merde d’une soierie qu’elle disparaissait comme par miracle. C’est une erreur. Une impardonnable erreur lorsque l’on se permettait de défier les lois. C’était précisément dans ce genre de circonstances au contraire que l’on se devait d’être minutieux pour ne pas laisser à cette garce de Fortuna l’opportunité de se gausser allègrement. Toujours était-il que le sorcier se promenait désormais dans la nature…

—Vous avez intérêt à remettre la main dessus pour la seconde audience. trancha-t-il pour clore le sujet.

Et l’on passa donc à plus réjouissant - ou pas – en la présence de cette solution proposée qui ne faisait que mettre en lumière la suite d’erreurs et de manquements du Général Cassin. Un dossier qui commençait à peser sérieusement pour un membre de l’Etat-Major, et visiblement il n’avait pas fini d’en noircir les pages et d’alimenter la fureur du ministre. Qu’est-ce qu’il ne fallait pas entendre.

— Assez! tonna sa voix dans un éclat glacial Ne venez pas me justifier vos actes par des hypothèses foireuses ! Avec des « si » je vous mets Braktenn en bouteille si l'envie m'en prend. Qu’est-ce qu’il croyait ? Que le taré était une espace d’oie migratrice qui revenait nicher à la capitale ? Ridicule !

Et parce qu’en plus il se permettait de critiquer ouvertement les ordres et l’Empire. Comme cela. Devant son ministre référent. Le plus proche du roi. Il fallait être complètement con ou suicidaire à ce niveau.

— Ah mais mon cher Général, avec un niveau d’insolence pareil et des paroles digne d’un traitre à sa patrie, c’est le bourreau que vous allez finir par saluer. Vous me direz si vous l’avez trouvé sympa lorsque votre tête aura roulé aux pieds de vos filles et de votre soeur. (une pause) Enfin si l’on vous accorde la grâce d’une mort respectable. Alors je vous conseille de mesurer vos paroles désormais, car ma patience et ma miséricorde sont depuis longtemps éteintes.

Et pour ce qui était de sa question du prisonnier : oui, il le croyait si idiot. Parce que pour oublier la possibilité d’une évasion et oser dire de telles choses… Qui plus est, Coldris n’était pas du genre à s’embarrasser du superflu. Ce qui était certain en tout cas c’est qu’il devait certainement y avoir du laxisme dans la caserne si la prison ne servait jamais… Coldris eut un rire amer et froid et s’approcha à son tour :

— Parce que vous pensez qu’avoir capturé un loup a sauvé le troupeau de brebis et fait de vous un héros et un homme meilleur ? Votre naïveté est désespérante. Je suis de fait certain qu’un autre a déjà repris à sa place. Vous savez ce que l’on dit : la nature a horreur du vide, alors gardez donc vos foutaises idéalistes et morales. Je n’ai pas besoin de la gratitude de quatre villageois quand je peux avoir le pays entier, siffla-t-il avant de poursuivre, Et que les choses soient claires: je m’en branle de ce que vous auriez fait de ce mornoïte. Vous auriez pu l’écorcher vif et laisser sa peau flotter au vent en guise de fanion si ça vous chantait ou le crucifier à la romaine en face d’une oasis. Là, au moins, vous auriez donné un bon exemple à ses successeurs.

D’ailleurs si le bucher était en ce moment même compromis c’était entièrement de sa faute. Des prisonniers ressemblants, il en trouverait facilement. La nuit tous les chats étaient gris n’est-ce pas ? Les tas de cendres aussi. De même que les suppliciés. C’était quoi un homme à part une tête, deux bras et deux jambes – en général - ? Enfin après tout, pourquoi ne pas utiliser celui-ci. D’autant plus que c’était l’occasion rêvée de s’en servir. Il se renfonça dans sa chaise étirant un sourire.

— Donc vous voulez que je prenne votre prisonnier. Au fond pourquoi pas. Puisqu'il s'agit de notre présent à Sa Majesté et moi-même, je me chargerai d'aller le récupérer et d'en faire ce que bon nous semblera. (un temps) Il y a juste un menu détail : voyez-vous compte tenu qu’il s’agit de votre prisonnier, celui que vous avez trimballé illégalement à Braktenn, je vais vous laisser le plaisir de le bichonner pour son grand jour, car je doute qu’il ne soit son sosie. Langue coupée, jambes brisées. Tête rasée. Vous pourrez tout de même laisser au bourreau le déplaisir de lui bruler sa face de chien enragé.

Parce qu'après tout, il fallait assumer ses idées et ses faits jusqu'au bout. Laisser quelqu'un faire le sale boulot était si facile... Sur ce, il congédia la mouche du coche d’un geste agacé. Enfin... il n’en avait pas tout à fait terminé avec lui. À mi-chemin, il l’interpella soudainement :

— Oh! Et j’allais oublier : tâchez de vous souvenir que les prisonniers peuvent s’évader cette fois-ci.