[29 janvier 1598] - Un ami à ne surtout pas oublier

Éléonore était rassurée : le petit Adéis semblait l'apprécier. Ils s'étaient bien amusés. Mais leur exploration du jardin Nouveau Monde terminée, elle se rappela qu'elle avait une autre personne à aller voir. Quelqu'un pour qui elle avait déjà trop tardé. Et pourtant, elle craignait de le déranger. Enfin… la dernière fois, il avait eu l'air de dire que ce n'était pas bien grave et ne pas venir le voir, c'était comme dire qu'elle ne se souciait pas de lui. 

Elle alla vérifier sa présence à la salle d'armes. Non, dommage, cela semblait une bonne piste. Bon, écuries, alors. Où elle eut la surprise de reconnaître celui de Jean. Alors, on ne l'avait pas ramené à la maison ? Bon, elle demanderait à Jean ce qu'il convenait d'en faire. Mais il n'était pas là, pas plus qu'Alduis. Courage bien, ce qui laissait au moins une chance qu'il soit dans les parages. 

— Ce n'est pas toi qui me diras où il est, évidemment... soupira-t-elle. 

Elle monta frapper à la porte de sa chambre, savait-on jamais. Mais soit il n'y était pas, soit il avait encore décidé de dormir et elle n'allait pas le forcer à venir. De retour au rez-de-chaussée, prenant son courage à deux mains, elles renseigna auprès d'un domestique qui lui indiqua la cuisine. S'il y avait bien un endroit où elle n'aurait pas pensé à le chercher… elle s'y rendit néanmoins et le trouva là, devant ses tartines. Il mangeait, tant mieux !

Elle secoua doucement la tête, se retenant à grand peine de fuir lorsque quelqu'un lui demanda si elle avait besoin de quelque chose et s'approcha doucement de son ami. Elle n'aimait pas tout ce monde, mais tant pis.

— Hmmm, Alduis ? hésita-t-elle. Tu... aurais un instant à m'accorder ?,

Une fois n’était pas coutume, Alduis avait eu faim. A n’importe quelle heure, comme d’habitude, mais son corps avait réclamé quelque chose à se mettre dans le ventre. Alors il avait rejoint les cuisines pour manger un peu. Des tartines beurrées, pour changer.

Il s’était assis sur un banc et avait croqué dans la première sans attendre, après les avoir préparé lui-même. Ce n’était pas les domestiques qui avaient protesté : ils avaient l’habitude. Hormis le saluer quand il arrivait, ils ne lui prêtaient pas réellement attention et lui non plus. Pourtant, leur présence agitée avait quelque chose d’agréable. Elle faisait respirer les cuisines d’une vie grouillante et joyeuse.

Au-delà du mariage entre le pain et le beurre, c’était aussi pour cela qu’il aimait descendre ici parfois. Pour l’animation qui y régnait.

Il ne se rendit pas tout de suite compte de la présence dans l’encadrement de la porte. Du moins jusqu’à ce que l’un des domestiques intervienne. Alors, il releva la tête vers Eléonore qui, dès lors, s’avança vers lui. Elle ne semblait pas vraiment à l’aise, ici, et ce n’était pas lui qui savait comment détendre quelqu’un.

Il ne tarda pas à hocher la tête lorsqu’elle l’interrogea sur son temps. Pour une amie, il en avait toujours. De toute manière, dire qu’il était occupé aurait été de très mauvais goût quand ses journées se composaient majoritairement des mêmes activités.

Il avisa la foule des domestiques, puis revint vers elle. Peut-être n’avait-elle pas envie de parler devant tout ce monde… Sans attendre davantage, il fourra la fin de la tartine dans sa bouche, attrapa celles qui restaient puis se leva, pour sortir.

Une fois qu’ils furent un peu éloignés, il lui adressa un nouveau hochement de tête, pour lui dire qu’il l’écoutait. Il demanda néanmoins avant qu’elle ne présente les faits de sa venue, en indiquant les tartines qu’il avait dans les mains :

— Tu en veux une ?

Lorsqu'elle engagea la conversation avec Alduis, Éléonore fut rassurée de voir qu'il acceptait. Elle ne sut pas si elle était soulagée ou très ennuyée qu'il décide de se déplacer pour parler. Quelque part, elle préférait pouvoir parler plus librement mais elle n'avait pas voulu le déranger. 

Elle le suivit. Et… s'étonna. Alduis. Les tartines. Alduis. À vrai dire, cette proposition la prenait un peu au dépourvu et elle ne savait pas trop quoi dire. D'une part, elle n'avait pas envie de le décevoir en déclinant, d'autre part, elle ne voulait surtout pas interrompre une si bonne initiative pour un que celle de se nourrir - ni lui donner d'excuse pour se défiler. C'était qu'il n'avait pas vraiment de quoi tenir sur ses réserves. 

— Je… Si tu veux, c'est gentil. Mais ne te sens pas obligé de proposer.

Après tout, elle mangerait peut-être avec Coldris ce soir. Soit. Elle sourit. Bon, comment introduire cela…

— Il… y a une chose que je ne t'ai pas dite la dernière fois. Ce n'était pas pour te mentir, je t'assure, c'est seulement… j'avais promis à ton père que je le laisserais te l'annoncer en premier, tu comprends ? C'était important pour lui.

Elle soupira. 

— Mais même si j'aime ton père… je… il y a une chose qui est toujours vraie, c'est que cela ne change rien pour nous. Je veux dire : c'est vrai, j'avais tort la dernière fois : il compte énormément pour moi. Plus à chaque instant, tu n'imagines même pas… mais ce sont deux choses différentes. Cela n'a même plus rien à voir depuis qu'il a dépassé le stade d'être seulement ton père pour moi. Tu comprends ? Il... ça ne compte pas. On est toujours amis comme avant, n'est-ce pas ?