[le 23 nov 1597] - Le sourire de l'ange hante le démon [Terminé]

Alduis n'avait jamais rien vécu de plus humiliant que cela. Vomir. Vomir de la bile, à genoux aux pieds de quelqu'un. Non, vraiment, il crevait de honte et de mépris pour lui-même. Il haletait encore quand la main d'Alexandre se posa sur son épaule. Sous le coup de la surprise, tout son corps se crispa, par reflexe. Avant de se détendre à nouveau, quand il prit conscience qu'il n'y avait aucun danger.

Il remercia le jeune homme de ne pas parler de ce qu'il venait de se passer. Du moins, par directement. Ils savaient tous les deux qu'il n'avait pas fait d'indigestion. C'était là juste le résultat pitoyables de deux nuits blanches suivies et d'une trop grande pression à évacuer. Les vents contraires qui agitaient son esprit s'étaient enfin un peu tus. Un peu de silence. C'était reposant.

L'idée de se relever ne lui serait même pas venu à l'esprit si Alexandre ne l'avait pas soulevé – enfin, soulevé... c'était un grand mot – pour le ramener laborieusement vers le lit. En fait, il n'était plus capable de penser à rien de concret tant la fatigue et le désespoir brouillaient ses pensées. Les haut-le-coeur avaient fini par faire s'envoler les dernières apparences. Il ne pouvait plus cacher son air perdu ou épuisé.

- Allez, il faut te coucher.

La voix d'Alexandre était pleine de douceur et d'amour. Comment Alduis aurait-il pu ne pas obéir ? Revenant après avoir rempli un verre d'eau, il le lui tendit. Il ne la lâcha pas vraiment et en temps normal, Alduis aurait détesté qu'on le fasse boire – même s'il tenait le verre aussi. Aujourd'hui, cependant, c'était autre chose. Il n'avait peut-être pas la force de trouver cela dégradant... mais cela avait au moins le mérite de lui éviter de se ridiculiser davantage en s'en mettant partout. Il avait les mains qui tremblaient encore beaucoup trop sous l'effet des nerfs qui relâchaient enfin pour pouvoir boire proprement.

Il fallait boire beaucoup quand on était malade. Mais il doutait que cela puisse guérir sa maladie. En fait, il n'était même pas totalement certain de vouloir en guérir. Il était malade de désir. C'était à la fois la maladie la plus détestable et la plus douce de toutes.

Finalement, Alexandre reprit le verre et le posa sur la table de nuit. Alduis le laissa le border. Il eut beau chercher dans sa mémoire, personne ne l'avait bordé depuis la mort de sa mère. Soit plus de vingt ans auparavant. Il devait se reposer, oui. Mais de peur qu'Alexandre ne parte maintenant, alors qu'il ne dormait pas encore, il enroula ses bras autour de sa taille pour le retenir. Et il appuya sa tête contre lui. Il gardait les yeux ouverts mais perdus dans il ne savait quel lointain passé, sans pouvoir se laisser totalement aller au sommeil. Soudain, il demanda sans réfléchir :

- Raconte-moi une histoire, s'il te plaît. Ma mère m'en racontait quand j'étais petit, pour m'endormir.

Alduis se laissait faire comme s'il était redevenu un petit enfant. Alexandre en éprouva un pincement au coeur de le sentir aussi malheureux pour être dans son état. Et si c'était à cause de son départ ? Peut-être. Mais il ne pouvait rien y faire. S'il ne rentrait pas, tôt ou trad, il aurait la prévôté sur le dos. Irène ne le signalerait, il le savait, mais des voisins malveillants ou encore son cher adoptif, là, c'était beaucoup moins incertain. Il devait rentrer. C'était ainsi.

Alexandre s'occupa de le faire boire avec tendresse, sans chercher à l'infantiliser. Il posa à la fin un baiser sur son front, rempli de tendresse, puis remit le verre sur la table de chevet. Il borda son amant allongé =dans le lit quand celui-ci enlaça son taille, comme un noyé qui cherchait une planche pour se retenir hors de l'eau. Il lui inspirait pitié. Alduis l'implorait pour entendre une histoire et rappelait que sa maman lui en disait toujours une. Alexandre sourit, touché.

"Maman aussi faisait ça. Chaque soir."

Il se pencha et embrassa à nouveau le front de Alduis, comme sa mère le faisait avec lui pour l'apaiser. Le garçon se mit ensuite à conter de sa voix mélodieuse d'une des légendes de la table ronde. Il choisit de parler de la naissance de Merlin, sa mère célibataire abusée par le Démon, du prodige de ce bébé à peiné né qui parlait... de ses premiers miracles jusqu'à al naissance d'Arthur puis raconta les aventures d'un Arthur adolescent avec son frère de lait Keu. Son imagination formidable comblait les lacunes que les légendes ne disaient pas et inventaient des histoires du quotidien entre les deux frères, toujours très mignonnes et qui mettaient à chaque en valeur un beau couple que formait le chevalier Antor et sa femme qui élevait les deux garçons.

Tout en racontant, Alexandre caressait le visage de son amant et attendait de le voir dormir. Peu à peu, il ne saurait lutter face au pouvoir magique des histoires.

Alduis respirait moins vite et ses pensées ne s'agitaient plus autant. Un calme relatif s'était installé en lui. Mais non pas un calme réellement apaisant comme on aurait pu le croire. Non, c'était le calme de quelqu'un qui n'avait tout simplement plus la force de faire autre chose. Même plus assez de force pour pleurer. Il n'avait plus qu'à rester les yeux dans le vide et à se laisser faire. Comme un enfant.

Il savait que c'était temporaire. Bientôt, la haine et la colère reviendraient pour lui rappeler la réalité. Mais pour le moment, elles avaient disparu. Les braises du feu s'étaient éteintes. Elles étaient toujours là, simplement, elles manquaient de bois pour pouvoir brûler. Il suffisait simplement de leur redonner de la matière pour les faire flamber une nouvelle fois.

En attendant, il s'était accroché à Alexandre comme s'il était le seul moyen qu'il avait de se maintenir à la surface. Une bouée. Il avait peur de s'endormir. Peur de savoir ce qu'il pourrait trouver dans ses rêves. Le jeune homme se pencha soudainement par dessus lui pour déposer un baiser sur son front. Alduis ne broncha pas.

Il n'était même pas sûr de savoir où il se trouvait. Ici, dans ce lit, bercé par la voix et l'histoire d'Alexandre ? ou vingt-cinq ans plus tôt, dans un lit d'enfant, avec sa mère qui lui caressait les cheveux en attendant qu'il retrouve le sommeil ? Dans ses souvenirs, les images étaient floues. Il aurait aimé pouvoir se souvenir des traits de sa mère, mais tout ce dont il se rappelait, c'étaient de ses longs cheveux bouclés et de la douceur de sa voix quand elle lui chantait une berceuse. Ainsi que son parfum. Son parfum de lavande.

Il ne comprenait même pas vraiment l'histoire d'Alexandre. Plus que le sens en lui-même, c'était la mélodie des mots qu'il écoutait. Comment les lettres formaient des phrases. Comment sa voix les modulaient pour invoquer quelques émotions. Comment, quelques fois, il faisait des pauses pour reprendre sa respiration.

Il notait aussi la manière dont ses doigts passaient et rapassaient sur son visage, si légèrement, à la manière de quelque plume très douce. Il ne sentait même pas ses paupières se fermer ni le sommeil gagner enfin le combat permanent que son esprit avait mené ces deux dernières nuits.

Il n'aurait su dire combien de temps l'histoire avait duré, ni à quel moment il s'endormit effectivement - certainement avant la fin -, les bras toujours autour de la taille du jeune homme. Mais quoi qu'il en soit, il ne sentit pas Alexandre se dégager, ni quitter la pièce.