[8 janvier 1598] - "Griefs of mine own lie heavy in my breast" [Terminé]
Page 1 sur 3 • 1, 2, 3
[8 janvier 1598] - "Griefs of mine own lie heavy in my breast" [Terminé]
La terre a englouti toutes mes espérances, à l’exception d’elle.
Roméo et Juliette, I-2, W. Shakespeare
Le théâtre de Braktenn se trouvait un peu à l’écart du centre de la cité, non loin du fleuve dans un étonnant écrin de verdure. Légèrement en retrait de la voie d’accès principale, il fallait s’engager entre les allées d’un délicat jardin à la française, aujourd’hui couvert de neige. Au bout, se dressait fièrement l’imposant édifice de deux étages construit sous le règne de Der Ragascorn dans une inspiration indiscutablement antique. Son marbre blanc s’accordait parfaitement avec le manteau nivéen qui recouvrait pelouse et buis. Colonnades, niche et statues antiques se succédaient à chaque étage, marquant tant la finesse des artisans monbriniens que la puissance de l’Empire monbrinien. Puissance que l’on retrouvait sur l’immense fronton orné d’un aigle aux ailes déployées tenant entre ses serres acérées la devise du pays.
Coldris gravit gravement les quelques marches qui le séparaient du perron. L’entrée se situait abritée sous une arcade. Protégeait-elle les visiteurs ou les six muses qui les accueillaient de part et d’autre ? C’était à se le demander. Sur le côté gauche, Calliope, Érato et Melpomène faisaient face à Euterpe, Terpischore et Thalie. Enveloppé dans son épaisse fourrure noire, il s’engouffra dans le passage. Dans le hall, le marbre blanc s’illuminait de dorures et de quelques touches de pourpre. Au-dessus de sa tête, une splendide fresque dans le plus pur style italien accompagnait les spectateurs jusqu’aux différentes portes ou escaliers. C’est ici qu’il s’arrêta alors qu’il percevait, étouffé par les murs, le premier coup marquant quinze heures.
On ne pouvait pas dire que cette journée avait aussi bien commencé qu’il ne l’avait espéré. Ce retour à l’hôpital général l’avait placé dans une rare fureur. Fureur mêlée de désarroi et de culpabilité. Édouard était mort par sa faute. Des hommes -et même des femmes- il en avait tués. Volontairement. Froidement. Par intérêt. Mais cette fois-ci, c’était différent. Il n’était qu’un effroyable dommage collatéral. Berlingtham avait perdu pied de terreur et ils l’avaient battu à mort. Une vague nausée s’empara de lui aux images qui l’assaillir. Il ferma les yeux et inspira profondément pour chasser le jardin des supplices de son esprit. Cette vile charogne de baise-cul pleine d’étrons irait décorer les murailles de la capitale, mais pas avant d’avoir assisté à la mise en terre de l’infirme aux Champs-Élysées quand lui irait se faire grignoter les yeux par les corbeaux. Quant à Édouard, il nourrissait de nouveaux projets pour lui et ce n’était pas seulement le doux laudanum ingurgité en quittant les lieux qui excitait sa créativité.
Au troisième et dernier écho du beffroi, il revint au moment présent. Léonilde avait fini par la rencontrer à l’Église en compagnie de Lavinia de Kergemont. Qu’étaient-elles donc venues faire ensemble là-bas ? Assurément pas prier, il en avait la certitude. Une revanche peut-être ? Dommage que Léonilde ne soit pas resté, il aurait bien aimé avoir son retour. D’autant plus qu’il savait qu’elle avait parlé à Dyonis. Et dire qu’elle lui avait fait tout un cirque pour qu’il ne s’en mêle pas ! Enfin qu’importe, cela ne le regardait pas outre mesure. Thierry récolterait ce qu’il avait semé. Il espérait toutefois qu’il n’ait pas eu la bêtise de réitérer son exploit à leur venue. Il ne comptait toujours pas l’aider à s’en tirer, mais il lui accordait le bénéfice du doute sur une éventuelle mauvaise interprétation qu’il aurait préféré d’ignorer. Il avait bien vu son attitude avec Sarkeris, et lui n’était pas homme à abuser de la gent féminine.
Il entendit sonner quinze heures pour la seconde fois, çà et là, on commençait à prendre place à l’endroit réservé. Roméo et Juliette. C’était la pièce qui serait jouée cet après-midi. On racontait qu’elle avait connu un franc succès dans son pays d’origine et que les critiques étaient excellentes. Une histoire d’amour tragique à l’antique, mêlant comédie et tragédie. Une histoire qui avait un écho tout particulier chez le ministre. Et pour cause, lui-même avait rédigé une pièce semblable quelques années plus tôt. Toute ressemblance avec son passé étant bien entendu parfaitement fortuite.
Coldris de Fromart- Ministre des Affaires étrangères - Ami du grand prêtre du Lupanar
- Fiche perso : ✶Fiche
✶PNJ
Liens et RPs : ✶ Rapport ministériel
✶ Généalogie & Relations
Bonus Dé : 5
Multi-comptes ? : Eldred Kjaersen / Kalisha de Monthoux / Bérénice d'Aussevielle
Messages : 1362
Date d'inscription : 21/07/2020
Re: [8 janvier 1598] - "Griefs of mine own lie heavy in my breast" [Terminé]
Éléonore tremblait, incapable de se lever de la banquette. Elle secoua la tête. Elle avait juste besoin de temps. Et si elle avait mal compris ? Et si... Si ce n'était pas ce jeudi... Il avait parlé de cette semaine, dans sa voiture. Mais... Ça n'avait pas de sens... Pourquoi si vite ? Précipitait-il les choses juste pour se débarrasser d'elle plus tôt ? Parce qu'elle commençait sérieusement à l'agacer, mais qu'il avait trop d'orgueil pour simplement lâcher l'affaire ? Était-ce à cause d'une chose qu'elle avait faite ? À cause... De l'intervention d'Alduis ? De sa réaction ? Était-ce pour la tester ?
Elle tendit à Jean le billet qu'elle avait rédigé. Son refus. Pour l'heure et le lieu annoncés, parce qu'il était hors de question qu'il mette son absence sur le compte de son incapacité à décrypter son message. Un billet qui l'excusait : elle avait mieux de prévu aujourd'hui. C'était faux, bien entendu… Mais elle ne pouvait tout de même pas décemment le laisser croire qu'elle se préoccupait assez de lui pour lui être toujours disponible... Surtout quand on prévenait trois jours seulement auparavant. Et encore moins avouer que les lieux publics la mettaient dans cet état.
Le cocher haussa un sourcil, interrogatif.
— Sans regret, Mademoiselle ?
Voulait-elle vraiment s'engager dans ce qui passerait pour épreuve de force ? Parce que le ministre en prendrait sa revanche si elle venait à jouer ainsi, pas vrai ? Il se douterait certainement de quelque chose et la prendrait à son propre jeu. Ils finiraient par repousser leurs retrouvailles, d'abord pour ne pas, puis tout simplement par indifférence. Non... Il ne renoncerait sans doute pas si facilement, si ? Si. Elle se donnait trop d'importance… S'il essayait déjà de précipiter la fin, il n'irait certainement pas trop insister. Au fond, c'était peut-être mieux de reporter jusqu'à ne plus même penser à se revoir que de se laisser perdre et ne plus supporter la rupture... Et puis, il y avait des gens...
Jean s'éloigna d'un pas. Puis esquissa lentement le second, comme pour lui laisser une chance de changer d'avis. Elle détourna le regard. Sa décision était prise. Coldris de Fromart n'avait pas à décider tout seul. Décider de l'ignorer pendant douze jours – quoiqu'elle n'ait pas non plus cherché à le contacter –, puis lui imposer ses horaires… Non ! Elle était plus bornée que lui. Et si ça se trouvait, il n'était peut-être même pas là... Il avait peut-être juste voulu la tester... Et elle ne pouvait pas approcher un théâtre pour rien.
Jean prit une allure normale. Il allait aller porter son message… Éléonore serra les poings. Trois jours qu'elle oscillait en trépigner d'impatience et rejeter l'invitation en bloc. Les doutes, le désir de le retrouver, l'envie de le faire attendre, la peur. Il voulait user de codes ? Qu'il déchiffre son billet. Au moins, l'angoisse refluait. Penser à lui la détournait quelques peu d'autres tourments… Quoique... Et s'il trouvait ça ridicule ? Et... Elle ne savait plus.
Elle bondit hors du véhicule, et trottina pour rattraper son messager improvisé. Tant pis. Elle n'y arriverait pas. Elle n'avait pas la force de caractère qu'il fallait. Pauvre idiote ! Mais elle voulait le revoir. Pas la semaine prochaine, pas dans douze jours, pas dans un mois : tout de suite. Alors, puisqu'il y avait tout de même une forte probabilité pour qu'il soit là, elle ne pouvait pas résister. Et puis... Elle tenta de se persuader que c'était surtout pour ne pas avoir à justifier un retour précoce devant Eltinne. Hors de question d'alimenter ses soupçons ! Et puis... De toute façon, en cas de catastrophe, elle avait une échappatoire toute choisie.
— Jean, attendez... Je... J'y vais, informa-t-elle son cocher en arrivant à sa hauteur. Et... Détruisez-moi ce mot.
— À tout à l'heure, Mademoiselle, répondit-il simplement, avec ce regard qui disait "je savais que vous changeriez d'avis".
Elle acquiesça. Elle ne parvenait pas encore à déterminer si elle pouvait vraiment lui faire confiance ou s'il faisait juste semblant d'être de son côté pour mieux pouvoir surveiller ses faits et gestes, pour les rapporter à Eltinne ou à son oncle... Que quelqu'un d'autre cherche à l'épier eut été tout bonnement insensé. Soit... Elle verrait bien. Pour le moment, dans un cas comme dans l'autre, il lui était utile : soit pour réellement la couvrir, soit pour rassurer ses proches.
Éléonore traversa rapidement le parc. Maintenant qu'elle avait décidé de venir, elle ne pouvait pas manquer le début de la pièce... Quelle pièce ? Elle avait volontairement évité de le savoir. Cela aussi, c'était ridicule mais... Elle préférait l'ignorer. Ménager cette surprise.
Elle hésitait... C'était vraiment stupide de sa part d'accepter cette invitation. C'était… de la pure inconscience. Sans doute même pire que de dîner chez lui. Il s'agissait de se montrer avec lui en public... En public ! Avait-elle à ce point perdu tout bon sens ? Elle allait ruiner sa réputation, pour sa folie... Enfin... De toute façon, personne ne pourrait la reconnaître, si ? Que ç'ait au moins un avantage de ne jamais sortir... Et puis... Et puis tant pis ! Elle n'avait pas la force de renoncer. Elle voulait trop le voir... Et son vœu fut exaucé.
Elle le vit en entrant. Elle secoua la tête. À en croire ses oreilles, elle était presque en retard. Elle était parvenue, profitant de ce que les fresques retenaient son attention, à l'atteindre sans qu'il ne la repère. Encore ces fichus tintements ! Elle prit une profonde inspiration – aussi profonde qu'elle pouvait se le permettre sans trahir sa présence. Elle passa devant lui.
— Si j'avais pensé vous revoir si vite... Un sourire taquin passa sur ses lèvres. Et avec une mauvaise foi exceptionnelle, elle ajouta : C'est à croire que vous ne savez plus vous passer de moi.
Re: [8 janvier 1598] - "Griefs of mine own lie heavy in my breast" [Terminé]
Coldris attendait. Plus ou moins patiemment. Le regard perdu dans la contemplation des plafonds. Le problème des peintres c’est qu’ils dénudaient toujours les hommes, trop rarement les femmes. Peut-être qu’Alduis apprécierait un peu plus la fresque que lui-même, quoiqu’il lui reconnût une certaine élégance dans son travail. Le beffroi sonna un premier coup. Peut-être qu’elle n’avait pas déchiffré à temps son message. Un second coup. Ou alors elle avait volontairement décliné simplement pour le plaisir de le faire attendre. Un sourire s’étira à cette idée et un troisième coup sonna en même temps qu’une délicieuse odeur de romarin familière s’invitait dans ses narines.
— Si j'avais pensé vous revoir si vite...
Joues rosées par la froidure de janvier autant que par une marche rapide comme en témoigner la chaleur qui émanait de sous son manteau. Son regard limpide glissa jusqu’à ses lèvres carminées qui l’appelaient. Il marqua un bref arrêt.
C'est à croire que vous ne savez plus vous passer de moi.
Un discret sourire s’étira tandis que son regard coulait le long de son bras jusqu’à cette main gantée.
- De toute évidence, vous non plus, puisque vous êtes là.
Il releva brièvement ses prunelles vers ses deux charmants onyx qui le fixaient. Était-ce un air de défi qui traversa son regard ? Ou simplement de désir ? Il attrapa une première main gantée pour en retirer méticuleusement l’accessoire puis une autre.
- Vous n’en aurez plus besoin ici. et il la porta à ses lèvres sans la quitter de ses yeux mutins.
Ah quel dommage d’être en public ! Ou peut-être heureusement, car cela n’en rendait que la tentation plus attrayante. Il permit à son bras rejoindre le long de son corps avec douceur. S’il ne pouvait plus se passer d’elle ? Peut-être bien après tout. Il n’était pas homme à se poser ce genre de questions. Il saisissait simplement les instants comme il le désirait sans chercher plus loin. Et puis n’avait-il pas dit qu’il irait au théâtre cette semaine ?
- Je commençais à m’impatienter, ma Luciole. Et même croire que vous ne viendriez pas. discret sourire au bord des lèvres, il ajouta avec provocation j’en étais même rendu à me demander laquelle de ces femmes j’allais bien devoir inviter à partager ma loge. Mais puisque vous êtes là… il lui offrit son bras la question ne se pose plus n’est-ce pas ? Venez, allons-nous installer.
Coldris de Fromart- Ministre des Affaires étrangères - Ami du grand prêtre du Lupanar
- Fiche perso : ✶Fiche
✶PNJ
Liens et RPs : ✶ Rapport ministériel
✶ Généalogie & Relations
Bonus Dé : 5
Multi-comptes ? : Eldred Kjaersen / Kalisha de Monthoux / Bérénice d'Aussevielle
Messages : 1362
Date d'inscription : 21/07/2020
Re: [8 janvier 1598] - "Griefs of mine own lie heavy in my breast" [Terminé]
C'est que...
— De toute évidence, vous non plus, puisque vous êtes là.
S'il savait… Elle haussa les sourcils, comme amusée. Bien sûr que non ! Elle savait très bien se passer de lui ! D'ailleurs, n'était-ce pas ce qu'elle avait parfaitement bien fait pendant douze jours ? N'était-ce pas ce qu'elle avait voulu faire ? Et si elle était finalement venue, ce n'était que pour ne pas éveiller de vilaines suspicions chez Eltinne… Et parce qu'elle n'était plus allée au théâtre depuis une éternité. Et... Elle n'en impliquerait pas plus que lui dans cette affaire. Non, c'était hors de question. Non ! Non ! Non ! Non !
Elle croisa son regard qui remontait sur elle. Captivant. Fascinant. Envoûtant. Obsédant. Elle s'efforça toutefois de ne pas s'y perdre. De maintenir, après ses propos, une relative réserve.
Elle ne fit s'empêcher de frémir, toutefois, quand ils saisit sa main. Très légèrement. Et pour dissimuler son trouble, tandis qui lui retirait son gant, son regard se fit sévère. Néanmoins, elle ne fit pas mine de résister. Elle avait toujours détesté les gants, quelle que soit la saison. C'était d'un inconfort monstrueux. Le problème était qu'en dessous, il y avait ses mains... Peut-être ne verrait-il rien si elle ne s'en préoccupait pas.
Non, elle n'en aurait sans doute plus besoin... Et son regard adopta une lueur de défi pour masquer ce que contact pourtant si simple déclenchait en elle. Juste sa main dans les siennes. Juste ses lèvres, qu'elle aurait préféré embrasser...
Mais bon... C'était grisant, certes, mais cela ne signifiait probablement rien de particulier. L'euphorie d'un premier jeu, renforcée par le contraste avec les mois précédents. Renforcée par le temps qu'il lui avait fallu pour prendre un nouveau défi. Ce n'était que ça. Ce n'avait le droit de n'être que ça maintenant qu'elle se libérait lentement – et peut-être en partie grâce à lui, s'il fallait le concéder – de la folie destructrice qui l'habitait. Maintenant que l'espoir revenait, que sa confiance en Ariste se restaurait... Elle n'était plus sûre d'avoir envie de chercher la force de lui désobéir. Et si elle lui venait… Elle pourrait au moins prétendre qu'elle s'était amusée avant.
Il commençait à s'impatienter ? Tant mieux. À défaut d'avoir vraiment su le faire attendre…
À sa provocation, elle renvoya un sourire blasé. Et alors ? Qu'est-ce que c'aurait pu lui faire si elle n'était pas venue ? Elle avait toujours su à quel genre d'homme elle avait affaire, non ? Elle ne s'était pas fait d'illusions. Il n'en avait rien à faire que ce fut elle ou n'importe quelle autre gourde de son espèce à ses côtés aujourd'hui. D'ailleurs… Il aurait peut-être préféré avoir l'occasion d'en inviter une autre qui lui aurait cédé plus rapidement. Ou qui aurait simplement été de meilleure compagnie, ce ne devait pas être bien difficile à trouver.
Elle occulta la fin de sa déclaration. Elle ne voulait pas lui donner un sens qu'elle n'avait pas. Oui, cela l'aurait frustré qu'elle décline, mais elle ne prétendait pas que ce fut par intérêt particulier pour elle. C'eût été seulement le fait en lui-même… Et l'incapacité à comprendre son message. Et rien de particulier. Au fond, c'était peut-être aussi un peu pour cela qu'elle s'était décidée à venir : décliner l'aurait frustrée plus que lui.
— Elle ne se pose plus ? s'enquit-elle avec l'indifférence qu'elle imposait à ses émotions, acceptant toutefois le bras qu'il lui tendait. Vous savez, il n'est jamais trop tard pour changer d'avis. Dites-moi… Quelles étaient les candidates ?
Elle balaya le hall du regard, curieuse. Mais son cœur se noua quand elle constata, horrifiée, qu'elle perdait absolument toute retenue. Elle ne pouvait pas dire de telles sottises devant lui. D'autant qu'elle n'était plus comme ça depuis… depuis une autre vie.
Re: [8 janvier 1598] - "Griefs of mine own lie heavy in my breast" [Terminé]
Ah ce sourire qui disait « oui… comme toujours… vous pourriez vous renouveler un peu… », ce sourire, il l’aurait dévoré sur place dans d’autres circonstances. Pour l’heure, il se contenta de le lui retourner «vous savez à mon âge, on ne se refait plus ! ». C’était du moins ce qu’il lui laissait croire, car en réalité si l’on exceptait la persistance de ses addictions, il était parfaitement capable de s’adapter à la situation ainsi qu’à la personne qu’il avait face à lui. Tout l’art de la chose résidait dans la détermination de cette ligne d’indécence et de provocation qu’il fallait frôler sans jamais la dépasser. C’était un peu ce qu’il s’évertuait à faire en lui indiquant qu’il était justement en train d’envisager une remplaçante. Chose, bien entendu, complètement fausse, quoique non dénuée de sens et de réalisme.
Il guetta sa réaction qui ne se fit guère attendre. Son bras enroulé autour du sien. Il fit quelques pas avant de lui répondre.
- Vous êtes là, c’est tout ce qui compte ma charmante petite brebis.
Leurs pas résonnaient dans le hall richement décoré. Il connaissait le chemin par cœur vers l’une des meilleurs loges de ce théâtre. En hauteur, face à la scène. Le public continuait d’affluer : épais manteaux, robe colorées, cannes, feutres à plumes… chacun s’était paré de ses plus beaux atours, bourgeois comme nobles. C’était l’un de ces lieux où l’on venait autant voir qu’être vu. Coldris secoua la tête :
- Je ne change jamais d’avis voyons. Puisque vous désirez connaître mes goûts, que diriez-vous de me donner votre avis ?
Son regard balaya l’assemblée en place et s’arrêta sur une jeune femme de tout juste trente ans, cheveux châtains, yeux clairs, visage rieur derrière son éventail de plumes de paon.
- Que pensez-vous de cette jeune personne ? indiqua-t-il amusé.
Ils s’arrêtèrent un instant, le temps de commérer sur la gent féminine.
- Je serai ravie d’écouter votre proposition, soit dit en passant ajouta-t-il malicieusement.
Cela avait quelque chose d’incongrue de se livrer à ce petit jeu en sa compagnie mais c’était sans doute ce qui en faisait toute la magie. En l’espace d’un instant sa terrible matinée semblait avoir été reléguée aux oubliettes. Il en était là de ses considérations lorsque son regard ne manqua pas de se poser sur une imposante silhouette rondouillarde d’une quarantaine d’années. Oh bien sûr certaines choses ne changeaient pas : ses boucles blondes en queue de cochon serrées dans leur chignon, sa pâle carnation rehaussée de pommettes trop roses pour cacher ses rougissements intempestifs, l’amoncellement de bijoux offerts par son défunt mari qui à défaut d’en avoir de familiaux et fonctionnels avait eu un portefeuille bien rempli.
- Ma chère Ophéline ! Cela fait une éternité que je n’ai pas eu le plaisir de vous revoir.
Corset trop serré qui comprimait sa poitrine pour masquer ses rondeurs qui n’avaient d’autres excuses que celle d’une dent sucrée, jupon atrocement volumineux, vendu comme étant la dernière mode à Paris mais réellement fait pour la faire paraître plus fine. Coldris eût un sourire charmeur tandis qu’il déclara
- Vous n’avez pas changé ! Toujours aussi imposante ! Vous éclipsez définitivement toutes vos rivales.
Il inclina la tête tandis qu’elle peinait à bégayer une salutations digne de son nom qui la fit virer au rouge pivoine. Ah ! Ça non plus ça n’avait pas changé ! Il caressa la main d’Éléonore et reprit sa route.
- Une vieille connaissance commenta-t-il
Dans tous les sens du terme. Il ne pouvait jamais s’empêcher de la titiller dès qu’il la voyait. Trente ans plus tard, elle le fuyait toujours mais rêvait sans doute toujours secrètement de passer la nuit avec lui. Quant à Coldris, l’idée le répugnait toujours autant si ce n’était plus encore aujourd’hui… Il posa son regard sur sa belle luciole à la beauté ténébreuse et pourtant terriblement lumineuse. Elle, c’était bien différent. Il avait bien souvent envie de tirer sur les lacets de son corset, de remonter ses jupons en y infiltrant adroitement une main. Il aurait voulu avoir ce plaisir de s’éveiller dans un jardin de romarin, apaisé par sa simple présence. Son cœur s’emballa subitement et il regretta une nouvelle fois la présence de tous ces yeux. Si ce n’était pas pour lui -dont la réputation n’était plus à faire ou à défaire- c’était au moins pour elle qui méritait mieux que le déshonneur qui l’attendait. Et puis… Il ne voulait pas se retrouver à devoir l’épouser pour le simple fait de l’avoir déflorer. Non vraiment. Plus de vingt ans de veuvage et il s’en portait parfaitement. D’ailleurs sa vraie femme était morte depuis vingt huit ans et c’était bien la seule qui lui importait.
Coldris de Fromart- Ministre des Affaires étrangères - Ami du grand prêtre du Lupanar
- Fiche perso : ✶Fiche
✶PNJ
Liens et RPs : ✶ Rapport ministériel
✶ Généalogie & Relations
Bonus Dé : 5
Multi-comptes ? : Eldred Kjaersen / Kalisha de Monthoux / Bérénice d'Aussevielle
Messages : 1362
Date d'inscription : 21/07/2020
Re: [8 janvier 1598] - "Griefs of mine own lie heavy in my breast" [Terminé]
Elle devait atrocement l'incommoder. Elle était vraiment ridicule. Ennuyeuse à en mourir. Franchement, pourquoi s'imposait-il ça ? Juste pour pouvoir la mettre dans son lit ? Cela méritait-il vraiment qu'il supporte sa compagnie pesante si longtemps ? Il devait pourtant avoir compris que ce ne serait pas si facile... Par orgueil, peut-être ? Et comment parvenait-il à ne rien laisser paraître de l'exaspération qu'elle devait lui inspirer ?
Et comment parvenait-il à lui faire oublier de tels tourments si facilement ? À les chasser de ses priorités, même s'ils demeuraient toujours, comme toute l'horreur qui lui était tombée dessus, en toile de fond de ses pensées. Presque toujours. Sauf quand il était parvenue à véritablement les faire disparaitre.
— Vous êtes là, c’est tout ce qui compte ma charmante petite brebis.
Et comment parvenait-il à dire de telles choses avec une telle conviction que cela suffit à la rassurer ? Non... Non, si elle le dérangeait vraiment... Il aurait agi autrement. Comment, elle l'ignorait mais... Pourquoi fallait-il qu'il n'amène dans son esprit autant de questionnements que ce qu'il en faisait taire par sa présence ?
Il ne changeait jamais d'avis ? Ce devait être ça. L'orgueil donc.
Elle avançait, guidée par son bras, incapable de prêter attention à autre chose que ses doutes intempestifs, le digne maintien à conserver malgré eux et la voix de Coldris.
Une moue incrédule pinça ses lèvres. Lui donner son avis ? Ben voyons ! Parce qu'en plus, il en rajoutait ?! Soit, elle se prêterait au jeu. Elle avait davantage l'habitude de faire des commentaires sur les jeunes hommes mais... Mais pourquoi pensait-elle cela comme si c'était encore d'actualité ? Cela datait d'une autre vie, une vie qui avait un sens. Une vie où elle était d'une compagnie enrichissante, où elle avait des qualités… une vie durant laquelle elle ne se rendait même pas compte que tout cela n'était pas elle, mais l'autre partie d'un tout. Ariste. Tout ce qu'il y avait de bien en eux, c'était lui qui l'apportait. Même s'il était convaincu du contraire, seule, elle n'était rien. Rien qu'une espèce de loque à l'hygiène douteuse qui avait passé sept mois dans son lit – apathique, lasse, inutile, désespérée – parce que même mourir, elle n'en était pas capable seule...
La voix du ministre la ramena à la réalité. Ou plutôt dans ce rêve où elle pouvait se sentir moins mal. Ce rêve dans lequel ses nouveaux amis de la capitale arrivaient parfois à l'attirer. Ce rêve que Coldris arrivait à rendre des plus palpitants.
— Que pensez-vous de cette jeune personne ?
Éléonore détailla la femme indiquée. Jeune... Mais probablement plus âgée qu'elle. Après quelques secondes, elle répondit :
— Tout dépend de ce que vous voulez en faire... Elle a un sourire vraiment niais, et...
La personne en question gloussa au propos de son interlocutrice. Elles se ressemblaient assez. Sa sœur, peut-être ? Sa cousine ? Vu la ressemblance non négligeable que l'héritière de Tianidre avait avec son cousin… au fond, cela ne l'eût pas étonné. Mais ce n'était pas la question. Cette femme-là glougloutait presque. Une véritable agression pour les oreilles.
— Et à mon avis, ce n'est pas que le sourire. Si l'envie vous prenait de la séduire sans attraper une vilaine migraine, évitez les traits d'esprit. Ou évitez carrément de parler, c'est plus sûr.
Éléonore fronça un instant les sourcils, interrogatives… Elle devenait fort médisante... Elle n'était pas comme ça... Étai-ce l'hypocrisie ambiante de la capitale – dont elle avait trouvé, pourtant, les zones épargnées – qui la changeait déjà ?
Elle secoua la tête négligemment ses boucles sombres – qu'elle s'attachait jamais, hormis quand elle jouait les équilibristes – à sa suggestions suivante.
— Vous avez certainement déjà repéré toutes celles qui avaient de l'intérêt… Vous n'avez d'ailleurs certainement pas fait que les repérer.
Elle inspecta toutefois les lieux pour se prêter au jeu. Celle-là ne faisait que râler. Celle-ci regardait son époux avec bien trop d'affection pour qu'elle ne défie le vicomte de jouer les briseurs de ménages – il devait déjà faire assez de dégâts sans qu'on l'y incite. Cette autre, encore, avait une tête qui ne lui revenait pas et... Et... Aucune n'avait l'air franchement intéressante. M'enfin... Coldris ne devait pas être fort sélectif avec ses conquêtes non plus… Il suffisait de se remémorer les soupçons qu'elle portait sur Eltinne et... Et rien que le fait qu'il s'intéresse à elle prouvait a Éléonore qu'il pouvait vraiment se contenter de n'importe quoi.
Alors qu'elle ouvrait la bouche pour faire une suggestion (si elle avait décrété que, comme elle le pensait, aucune n'était vraiment digne d'intérêt, il l'aurait crue jalouse... C'était alors de question, en en plus, c'était faux), elle fut interrompue par les salutations piquantes qu'il adressait à une femme qui passait.
Il était vraiment odieux ! Mais, il fallait le lui concéder, hilarant. Éléonore mordit dans sa joue pour s'assurer de ne rien laisser paraître, et adressa un regard compatissant à cette pauvre femme submergée de malaise.
Un part d'elle regrettait amèrement d'être venue. Même si personne ne la reconnaîtrait, tout le monde saurait. Tout le monde serait lucide sur sa profonde stupidité et son effarante indécence. Et pourtant… pourtant, il suffit à Coldris de caresser sa main pour chasser cette idée. Elle regretterait plus tard. Elle voulait juste profiter de sa présence. Elle avait également oublié ce qu'elle comptait dire avant cette interruption.
— Êtes-vous aussi désagréable avec toutes les femmes qui ont eu le malheur de croiser votre route ? s'enquit-elle, amusée. Je serais presque soulagée de ne bientôt plus devoir mettre les pieds à Braktenn.
Re: [8 janvier 1598] - "Griefs of mine own lie heavy in my breast" [Terminé]
Coldris lui proposa un petit jeu puisqu’elle avait l’air si intéressée pour connaitre celle qui aurait pu prendre sa place. Autrement dit aucune, car il préférait largement passer trois heures, seul, à assister à une pièce de théâtre qu’être mal accompagné et dérangé toutes les deux minutes par des gloussements intempestifs. En revanche, il était curieux de connaitre son analyse.
— Tout dépend de ce que vous voulez en faire... Elle a un sourire vraiment niais, et...
Ce qu’il voulait en fait ? Il pencha la tête avant de laisser échapper un rire franc, suivi d’un mystérieux:
- À votre avis? son sourire s’étira puis il ajouta innocemment aller à la messe évidemment.
Mais elle n’avait pas tort : un sourire niais et un rire strident de pintade enrouée à vous percer les tympans. Il acquiesça, satisfait. Oh oui, elle avait entièrement raison, mais surtout il appréciait de la voir se laisser aller à son jeu improvisé. Coldris aurait pu ajouter qu’à la vue de l’éventail qu’elle avait choisi et à la façon qu’elle avait de l’agiter, elle faisait partie de ces précieuses qui affectionnaient les princes dévoués léchant les orteils : ce qu’il n’avait jamais été et ne serait jamais.
- C’est embêtant lorsque l’on me connait un minimum. Mais je me range à votre opinion. J’ajouterai qu’elle est de celle qui ne jure que par des serviteurs dociles la vénérant sur son piédestal. Dommage. Elle était sans doute veuve et elle avait de jolis yeux.
En disant cela, il plongea justement dans les siens, incomparablement plus captivants et attirants. À tel point que ses lèvres en fourmillaient autant que ses doigts qui se retenaient de s’égarer le long de sa joue. Ici, face à tout le monde, ce serait terriblement déplacé. Surtout pour elle. Eléonore n’était pas niaise. Elle n’attendait pas qu’on la serve. Elle avait un joli rire qui n’était rien de moins qu’un rayon de soleil. Elle pouvait discourir avec lui et…
— Vous avez certainement déjà repéré toutes celles qui avaient de l'intérêt… Vous n'avez d'ailleurs certainement pas fait que les repérer.
Heureusement qu’elle le ramena à l’instant avec cette remarque piquante à souhait. Sourire malicieux au bord des lèvres, il ne se gêna pas pour répondre.
- Toutes? Ce serait un peu prétentieux de ma part et surtout terriblement ennuyeux. Vous rendez-vous compte ? Heureusement, c’est parfaitement faux et vous en êtes la preuve vivante.
Oh oui certes, cela faisait près de quarante ans qu’il arpentait la capitale à la recherche des ses joyaux, mais d’une, la cité était vaste et se renouvelait constamment et de deux, ces dernières années -si l’on exceptait ses défis avec Thierry-, il avait passé plus de temps au lupanar qu’à la chasse, activité pour lequel il n’avait guère plus de cœur à l’ouvrage désormais. Sans Solange, sans Virgil, ce n’était plus vraiment pareil. Qui pouvait écouter ses récits en riant de ses frasques ? Personne. Qui pouvait le sermonnait sur son comportement indécent ? Personne. Chaque victoire ne lui laissait qu’un goût insipide et il avait fini par se lasser de cette activité qui avait rythmé sa vie. Il semblait pourtant que la vie soit d’une cruelle ironie. D’une part, car elle se donnait un malin plaisir à lui rappeler qu’elle n’était faite que d’exceptions et d’autre part, car elle ne trouvait rien de mieux à faire que de placer un vieux fantôme emmailloté dans du velours rose sur son chemin. Chaque fois qu’il la voyait -c’est-à-dire fort rarement et heureusement !- il ne pouvait s’empêcher de repenser à ses années d’or qui avaient enflammé sa vie puis à toutes celles bien plus noires qui avaient suivi. Le pire, c’était que chaque fois qu’il la croisait, son visage disparaissait sous les traits d’un autre, en même temps que ses pensées s’égaraient avec cette même et inlassable question qui revenait sans cesse le harceler comme le ressac : et elle, à quoi aurait-elle ressemblé aujourd’hui ?
Au moins Eléonore ne semblait pas lui en vouloir de ses sarcasmes. Alors il lui répondit sur le même ton amusé.
- Seulement deux ou trois, je vous rassure. Comme je vous le disais, c’est une connaissance de longue date. il chassa l’air de sa main avant de la reposer sur la sienne et non je n’ai jamais couché avec elle et cela n’arrivera jamais.
Ils empruntèrent un escalier en marbre qui les mena au premier étage. Quelques rares fenêtres ici, mais toujours un décor antique splendide avec ses colonnades à chapiteaux, ses fresques et ses statues. Coldris suivit le couloir jusqu’en son milieu et s’arrêta devant une porte qu’il ouvrit pour lui permettre d’entrer. Sa loge personnelle. Il referma derrière lui et empoigna son bras pour l’attirer contre la porte avant de laisser libre cours à ce désir de baiser qui le rongeait depuis de longues minutes. Cela faisait quoi ? Quatre jours qu’il l’avait quittée ? Cela lui paraissait une éternité. Et il en avait d’autant plus envie que ses pulsions étaient décuplées par cette morbide matinée qu’il tentait d’enterrer. L’opium pouvait bien embrumer son esprit, rien ne rivaliserait avec sa douce présence réconfortante qui éclipsait si bien ses ténèbres.
Coldris de Fromart- Ministre des Affaires étrangères - Ami du grand prêtre du Lupanar
- Fiche perso : ✶Fiche
✶PNJ
Liens et RPs : ✶ Rapport ministériel
✶ Généalogie & Relations
Bonus Dé : 5
Multi-comptes ? : Eldred Kjaersen / Kalisha de Monthoux / Bérénice d'Aussevielle
Messages : 1362
Date d'inscription : 21/07/2020
Re: [8 janvier 1598] - "Griefs of mine own lie heavy in my breast" [Terminé]
En tout cas, pas cette dinde qui agitait bêtement son éventail en emplissant le hall de ses gloussements ridicules…
Quoiqu'il ne devait pas être si difficile de le convaincre, songea Éléonore, s'il avait sut apprécier sa propre compagnie… Parce qu'au fond, elle pouvait bien critiquer les autres, elle savait bien qu'elle était plus bas encore. Elle cherchait toujours une excuse pour qu'il s'obstine à la séduire… Pour avoir l'habitude de passer du temps avec elle-même, elle ne pouvait que savoir ô combien c'était pénible...
Mais soit. Visiblement, Coldris approuvait son analyse. Il ajouta un commentaire, qu'elle approuva d'un léger signe de tête. Maintenant qu'il le disait... Oui, c'était l'impression que cette femme donnait.
Au moins un défaut qu'elle n'avait pas. Notons, c'eût été sans doute moins critiquable que son exceptionnelle inconséquence et son incapacité à se comporter comme une femme de son rang... Mais soit. Il n'avait pas besoin de le savoir. Il ne semblait pas avoir repéré les traces sur ses mains, et c'était tant mieux.
Quant à savoir si la victime de leurs médisances avaient de jolis yeux… Éléonore perdit instinctivement les siens dans ceux de son interlocuteur. Cette cruche avait peut-être de jolis yeux, mais pas ce regard hypnotique et obsédant dans lequel Éléonore ne voulait que se noyer. Se noyer, et ne s'en détacher que pour saisir les lèvres qui...
Il fallait rester digne. Ne rien laisser paraître. Pourquoi devait-il y avoir tant de monde ? Pourquoi n'étaient-il pas seuls, libres de leur folie ?
Le théâtre grouillait de dames. Il aurait assurément pu en trouver au moins une à son goût... Et il avait sûrement déjà dû se rapprocher de certaines...
Mais... D'accord, "toutes" semblait abusif... Bien qu'en les jaugeant, la jeune femme n'en voyait aucune qui se démarque.
— … et vous en êtes la preuve vivante.
Un frisson la parcourut. Y avait-il ne fût-ce qu'un soupçon de vérité dans cette affirmation ?
Le passage de cette fameuse "vieille connaissance" lui offrit heureusement une diversion. Juste le temps qu'il lui fallait pour remettre ses idées dans l'ordre. Il n'avait dit cela que pour la flatter, c'était évident. Comme tout le reste. Parce que, même si son ton n'appelait pas d'objection, c'était trop insensé pour être vrai. À moins qu'elle n'ait vraiment réussi à le tromper sur la qualité de sa compagnie…
— Seulement deux ou trois, je vous rassure.
Parce que ce devait être rassurant ? Soit, s'il le disait. Quant à son autre précision, Éléonore ne put s'empêcher d'y hausser les épaules. Elle n'aurait certainement pas été la pire de ses conquêtes. Mais... Il n'allait tout de même pas se sentir obligé de lui dire ce qu'il en était de sa relation avec chaque Braktennoise, si ?
— Eh bien... Entre celles que vous tourmentez parce qu'elles ne vous ont pas cédé et celles qui font de vous la cause de tous leurs malheurs... C'est à se demander comment les Braktennoises osent encore sortir de chez elles, commenta-t-elle alors qu'ils s'engageaient dans l'escalier.
Sotte, tellement sotte ! Et ridicule ! Et niaise. Et incapable de limiter les âneries qu'elle débitait. N'importe quoi ! Elle disait vraiment n'importe quoi. Pour le plaisir d'une bonne conversation, n'est-ce pas ? Que ne fallait-il pas entendre comme profondes absurdités...
Pas étonnant qu'il précipite les évènements. Pas étonnant qu'il veuille la quitter au plus vite. Elle était tellement stupide ! Et d'une faiblesse de caractère pitoyable. Et inutile. Et ennuyeuse. Et ignorante. Une gamine attardée, irresponsable et... Et...
La porte s'ouvrit tandis que la jeune femme trouvait de nouveaux qualificatifs. Les mêmes que d'habitude. Ceux qui l'a définissaient le mieux. Elle fit deux pas à l'intérieur.
Elle n'était rien, vraiment rien sans Ariste. Il était le seul qui avait vraiment pu s'intéresser à elle. Le seul qui l'avait rendue intéressante pendant toutes ces années… Il l'avait rendue courageuse, altruiste, drôle, belle, inventive, forte... Et il ne restait plus rien de tout ça. Juste lâche, lassante, égoïste, lassante…
Coldris la rattrapa par le bras, la tira contre la porte. Ses lèvres réduirent ses tourments à une voix lointaine, très lointaine. Indistincte et négligeable. Cela pouvait-il être le baiser d'un homme lassé ? Qui cherchait une prompte rupture ? Cela pouvait-il être la pure hypocrisie d'un homme qui s'obstinait seulement par orgueil ? Non, c'était impossible. C'était trop passionné, trop intense, trop avide de rattraper leurs longs jours de séparation pour cela. Il l'appréciait. Il la désirait. Tout a coup, la question ne se posait plus. Le contraire était on non-sens.
Éléonore s'abandonna à l'ivresse de ce baiser. À sa passion, à son intensité, à ce besoin qu'elle avait, elle aussi, de combler cette éternité de solitude.
Ses mains remontaient lentement le long de son torse, d'abord pour cacher qu'elle ne savait fichtrement pas quoi en faire puis... Ses doigts s'arrêtèrent sur les agrafes de son manteau. Encombrant. Elle les défit pour l'en débarrasser. C'était comme ses gants… Pas nécessaire. Et... Et il fallut un effort de volonté considérable pour se rappeler où ils étaient. Pour ne pas chercher à aller plus loin. Son cœur s'emballait, mais ce n'était ni le moment, ni l'endroit.
Elle quitta les lèvres de Coldris pour amener les siennes jusque dans son cou désormais dégagé. Puis, posant un instant sa tête contre son épaule, elle s'imagina se réveiller dans ses bras. Légère et comblée. Enfin... Comblée... Sans doute à peu près comme elle l'était de ce baiser : juste assez pour vouloir y retourner. Mais légère, tellement légère, comme elle ne l'avait été qu'avec lui depuis qu'elle avait perdu Ariste.
— Ça va commencer… déplora-t-elle presque, mais sans chercher à fuir, bien qu'elle fut toujours piégée entre la porte et le vicomte.
Et après la représentation… Il pourrait proposer de la ramener et se tromper malencontreusement de chemin. Elle ferait mine de ne rien avoir remarqué avant d'arriver chez lui. Elle le suivrait sans réfléchir davantage. Elle s'abandonnerait dans ses bras. Elle ne voulait plus rien d'autre.
Et peut-être, avec de la chance, continueraient-ils de se voir ensuite. Il serait toujours temps de regretter plus tard.
Re: [8 janvier 1598] - "Griefs of mine own lie heavy in my breast" [Terminé]
Un petit regard en coin l’informa de son haussement d’épaules au sujet de sa relation avec Ophéline.
- Dois-je en conclure que je vous tourmente ? s’enquit-il sur le ton de la plaisanterie alors qu’il s’engageait dans l’escalier d’un pas alerte.
Ce n’est qu’une fois la porte refermée sur eux, à l’abri des regards indiscrets qu’il laissa libre court au désir qui le consumait depuis qu’il l’avait revue sans pouvoir la saluer comme il l’aurait voulu : d’un baiser intense. D’un baiser qui lui faisait tourner la tête, oublier les lieux et enterrer ses tourments. Ses mains remontèrent le long de sa cape en fourrure jusqu’à rencontrer l’attache qu’elle s’empressa de dégrafer pour l’en délester. Elle glissa fluidement jusque sur le sol. S’il était étonné de son geste, il n’en montra rien. D’une main, il fit de même avec la sienne, dévoilant une robe en velours de soie d’un rouge profond avant de poursuivre jusqu’à atteindre sa joue, puis sa nuque. Comment un simple manteau à terre pouvait-il attiser à ce point les braises jusqu’à déclencher un brasier qui lui faisait perdre la raison ? Les doigts de sa luciole tournaient toujours autour des boutons de son pourpoint qu’elle semblait déterminer à retirer lorsqu’elle quitta subitement ses lèvres. Son cœur s’emballait et en redemandait. Il plongea un instant dans ses yeux d’encre pour y trouver la force de calmer cette respiration précipitée qui soulevait toujours sa poitrine à intervalle rapproché. Son regard se baissa alors vers cette petite main d'ivoire qui jouait distraitement avec le premier bouton, hésitant à céder à la tentation. Il esquissa un sourire et s’en voulut instantanément de ne pas être chez lui. Il ne l’en appréciait que plus lorsqu’elle prenait de telles initiatives. Sa main recouvrit la sienne alors que ses lèvres tièdes venaient se poser dans son cou qui pulsait toujours au rythme saccadé de son cœur. Il ferma les paupières un court instant, le temps de laisser le frémissement qui le parcourait s'évanouir. Etaient-ils obligés d’assister à la représentation ? Ils n’auraient qu’à revenir ultérieurement. C’était la conclusion à laquelle il était parvenu lorsqu’elle annonça presque à regret le début de la pièce.
- Vous voulez dire que c’est l’entracte corrigea-t-il avec malice.
Restez à savoir ce qui devait commencer réellement ou reprendre. Il embrassa furtivement ses lèvres avant de se baisser pour ramasser leurs deux manteaux qu’il posa sur leur chaise respective. De fait, le rideau se leva alors qu’il venait tout juste de s’asseoir. Il aurait préféré voir la pièce en anglais mais ce n’était pas une langue des plus parlée à Monbrina. Il lirait donc la pièce après coup dans sa langue d’origine.
- Je ne vous ai jamais demandé : vous parlez d’autres langues ? murmura-t-il en approchant sa tête de son oreille.
Tybalt, I-1
Il esquissa un sourire. Après toutes ces années, il pouvait en rire d’avoir été pris pour un cerf. Était-ce de sa faute si les biches se promenaient sous le nez du cerf ? Concurrence déloyale avait-on invoqué. Mais dans la nature, le plus fort gagnait. Il n’y avait pas de petits arrangements « entre amis ». Cela se soldait toujours par un affrontement et c’était ainsi que l’affaire avait fini par être réglée.
Purifié, c’est un feu dans les yeux des amants,
Agité, une mer nourrie des larmes des amants ;
Et quoi encor ? La folie la plus sage
Le fiel qui nous étouffe, la douceur qui nous sauve.
Roméo, I-1
Qui avait-il de plus à dire là-dessus ? La folie n’était pas des plus sages, pas lorsque l’on s’appelait Coldris du moins. Quant à la douceur… Il posa son regard sur Eléonore, absorbé par la représentation. Pouvait-il encore être sauvé ? Il s’était noyé depuis si longtemps…
Fouetté, tourmenté et…- Bonsoir mon garçon.
Roméo, I-2
Coldris frissonna. Elles étaient là toutes proches, les griffes crissantes le long du bois vermoulu des malles. Leur cri strident et plaintif qui invoquait des images jamais oubliées. Les pierres sombres. Le mortier gratté aux ongles. Le froid. La solitude. L’infini. Les portes de la folie. Il déglutit péniblement et passa une main dans ses cheveux courts en s’efforçant de se concentrer sur la suite, mais les images de l’hôpital général se superposèrent à ses propres souvenirs. Edouard agonisant, Berlingtham dont il avait souhaité fracasser la tête contre le mur dans un accès de rage, les rats, le courant d’air glacial, l’odeur de chaux dont il ne savait plus s’il s’agissait d’une création de son esprit ou de la réalité, la faim qui le tenaillait, l’intense brulure des lacérations qui l’empêchait de fermer l’œil… Un glacial frémissant remonta le long de sa colonne vertébrale. Il inspira profondément et se força à tout mettre sous clé. Pas maintenant. Il n’en était pas question. Ce soir. Quand il serait seul.
Coldris de Fromart- Ministre des Affaires étrangères - Ami du grand prêtre du Lupanar
- Fiche perso : ✶Fiche
✶PNJ
Liens et RPs : ✶ Rapport ministériel
✶ Généalogie & Relations
Bonus Dé : 5
Multi-comptes ? : Eldred Kjaersen / Kalisha de Monthoux / Bérénice d'Aussevielle
Messages : 1362
Date d'inscription : 21/07/2020
Re: [8 janvier 1598] - "Griefs of mine own lie heavy in my breast" [Terminé]
Non, vraiment ? Que pouvait-il faire ? La mettre enceinte ? Personne n'aurait jamais besoin de savoir qu'il était le père. Se montrer humiliant s'ils venaient à se croiser ? De toute façon, il ne lui restait plus que deux mois à la capitale, ça ne l'affecterait pas longtemps ? Lui donner une bonne raison de mettre fin à ses jours ? La faire assassiner ? Que de miséricorde !
En fait, c'était la seule chose qui n'avait pas changé sans Ariste. Elle pouvait prendre n'importe quel risque. Avant, c'était parce que tant que son tout la soutenait, rien n'aurait pu arriver. Aujourd'hui, parce que plus aucun malheur ne pouvait personnellement. Pas le sien. Elle pouvait tout mettre en jeu, même sa vie, cela ne revêtait plus la moindre importance. Elle cesserait de représenter un fardeau pour son oncle, elle n'aurait pas le temps de nuire davantage à ceux qui l'appréciaient ici.
Mais si c'était si simple, pourquoi son cœur se se nouait-il ainsi ? Pourquoi s'accablait-elle d'autant de reproches sincères ? Pourquoi se souvenait-elle maintenant qu'elle était tellement minable qu'elle ne méritait probablement pas l'évasion que Coldris lui offrait ? Trop lâche même pour le lui avouer. Trop égoïste. Elle se détestait tellement.
Haine et doutes qui se dissipèrent momentanément. Chassés par l'afflux de sensations, par l'intensité d'un baiser. Chassés en même temps que sa raison. Emportée par une passion insensée, et sur laquelle elle ne tenait pas à s'interroger pour l'instant.
Un manteau tomba. Puis un second. N'avait-elle pas toujours recommandé une prudence inconditionnelle lorsqu'il s'agissait de relations réprouvées ? N'avait-elle pas passé son adolescence à répéter que ce ne devait pas être si compliqué de se contenir ? Bon, d'accord, elle avait sous-estimé l'ivresse, sous estimé l'ardeur de certaines pulsions dans sa candide ignorance qui croyait que quelques pâles simulacres d'amourettes lui permettaient de savoir. Comme croire qu'une bruine pouvait préparer au déluge. C'en était risible.
Mais ce n'était ni le lieu, noble moment. Et, même si ses doigts ne parvenaient pas encore à lâcher le bouton sur lequel ils s'étaient arrêtés, elle revenait à la raison. Puis... Si les autres arguments ne suffisaient pas, il lui suffisait de se rappeler qu'elle ne pouvait pas le laisser gagner si vite. La tête appuyée contre l'épaule de Coldris, elle leva les yeux en espérant croiser les siens. Le contact de leurs mains l'apaisa. Elle voulait le garder encore un peu. Chaque fois qu'elle le voyait, la perspective de le quitter devenait plus cruelle. Encore un peu de cette tendresse, de cette folie. Encore un peu de lui. Encore un peu de ses yeux bleus. Il fallait attendre pour prolonger cela. Ne pas céder tout de suite.
Heureusement – ou malheureusement, sans doute, elle ne savait plus –, la pièce commençait. Elle le signala, sans oser se dégager.
La jeune femme roula des yeux à sa remarque. "Incorrigible, vraiment !" Mais son sourire en coin la trahissait. Sourire en coin chassé par un baiser furtif qui la laissa sur sa faim.
Elle fut légèrement troublée quand il ramassa son manteau en plus de sien. Elle aimait se débrouiller seule. D'autant plus après ces mois assistée... Enfin soit, elle ne releva pas.
Ils s'installèrent juste à temps. Éléonore s'efforçait de suivre la pièce sans se concentrer sur celui qu'elle savait si proche. Elle défendit à son regard de quitter ne fût-ce qu'une fois les acteurs. Même quand – son souffle était trop proche – il l'interrogea, elle s'efforça de ne pas laisser à son attention le loisir de dévier.
— J'en comprends plusieurs, répondit-elle, laconique.
De là à prétendre qu'elle les parlait...
Soit. Elle revint à la pièce, et s'y tint – ou du moins sa mauvaise foi le lui laissa-t-elle croire, car elle suivait à peine. Elle s'y tint jusqu'à ce qu'un mauvais pressentiment ne l'a force à jeter un œil à sa droite.
Le coeur d'Éléonore se serra, sa gorge se noua. Il n'allait pas bien. Et pour que cela se remarque – même si la jeune femme devait se reconnaître une certaine aisance à percevoir le trouble chez ses semblables – ce devait être plus. Ces troubles qui la gagnaient si facilement, comme si les siens ne suffisaient pas.
Elle regarda sa main, qu'il ramenait sur l'accoudoir. Non... Non, en fait, elle aurait préféré pouvoir tout prendre sur elle. Elle ne supportait pas l'idée que quelqu'un souffre.
Elle s'efforça de ne rien laisser paraître. Il n'aurait pas compris. Elle ne voulait pas qu'il la rejette en voyant sa faiblesse. Elle ne voulait pas percevoir chez lui cette faille, cette fragilité qu'il trahissait. Peu auraient déduit autant de si peu, mais Éléonore avait toujours souffert d'une empathie trop envahissante. Elle n'avait besoin ni de comprendre, ni de savoir. Elle ressentait, c'était tout.
Elle en aurait pleuré. Alors c'était cela qu'il cachait ? De la souffrance. Et elle ne pouvait rien faire. S'il savait qu'elle l'avait vu, comment réagirait-il ? Il ne l'a laisserait pas l'aider. Jamais. De toute façon, elle n'aurait rien pu faire. Elle se détestait. Elle se détestait tellement. Pourquoi Ariste n'était-il pas là ? Pour Coldris, il n'aurait rien pu faire mais... Pour les autres… Pour Lavinia, pour Alduis... Pour tous ceux qu'elle ne parviendrait jamais à aider parce qu'elle était un horrible boulet.
Une part de son esprit, en parallèle, cherchait ce qui avait bien pu le trahir maintenant… Vainement.
D'instinct, elle couvrit de sa main celle de Coldris, crispée sur l'accoudoir. C'avait été plus fort qu'elle. Beaucoup plus fort qu'elle. Tant pis s'il la rejetait. Tant pis s'il la trouvait ridicule. Elle ne pouvait vraiment pas faire autrement.
Re: [8 janvier 1598] - "Griefs of mine own lie heavy in my breast" [Terminé]
Il y avait maintes et maintes façons de tourmenter quelqu’un. De la plus déplaisante à la plus entêtante, celle-là même qui, obsédante, vous empêchez de dormir, manger ou même penser, car elle était toujours là, dans un coin de votre esprit, prête à se rappeler à votre bon souvenir.
- De toute évidence, l’humilité est également un défaut dont vous semblez vous défaire. ironisa-t-il en guise de conclusion.
Qu’à cela ne tienne, il était fort ravi de savoir qu’il ne pourrait jamais la tourmenter. Que ce soit en lui proposant d’innocents jeux ou en partageant l’ivresse d’un instant dénué de toute raison, dans sa loge tout juste close.
Il ne pouvait s’empêcher de jeter de temps à autre des regards furtifs en sa direction. Elle était si concentrée sur la scène qu’il aurait juré qu’elle était toujours consumée par ce désir inassouvi quelques minutes plus tôt, et cela -il fallait bien l'admettre-, lui étira un discret sourire avant qu’il ne reporte son attention sur Tybalt qui faisait des siennes, rapière à la main. Il ne reçut qu'une réponse laconique à sa question et se promit de l'approfondir à l’entracte, si elle ne fuyait pas sa compagnie de peur de s’y perdre. N’avait-elle pas dit qu’il ne pouvait pas la tourmenter ?
Ce qui n’était clairement pas son cas et admettre l'inverse aurait été un mensonge éhonté. Il était possédé de mille et un démons qui n’attendaient qu’un simple mot pour étendre leurs ombres dans son esprit et invoquer ses pires cauchemars. Les années avaient beau s’écouler une à une, rien ne semblait pouvoir les affaiblir. Enfermé. Prison. Faim. Fouetté. Des mots clés qui faisaient sauter une à une chaque serrure les emprisonnant. Tout cela ajouté à cette matinée épouvantable… La pièce qui se jouait devant ses yeux n’était désormais plus qu’un bruit de fond reléguée à l'arrière-plan. Toute son attention était concentrée à conserver la maitrise de cet esprit qui tentait de lui faire perdre pied. Il ne pouvait pas. Pas ici. Pas devant elle.
Il inspira profondément et sursauta en sentant sa main se déposer sur la sienne, comme un rappel à la réalité environnante. La bulle feutrée dans laquelle il se trouvait jusqu’à présent éclatant soudainement, faisant revenir le volume sonore à la normale. Il y avait cette main tiède sur la sienne. Cette main qui ne demandait rien. Cette main qui le maintenait à terre. Elle était douce, chaude, réconfortante, apaisante. Une onde décrispa son bras jusqu’à ses dernières phalanges qu’il souleva légèrement pour laisser ses doigts s’y glisser.
Il récupéra tant bien que mal le fil de la pièce en cours. Le décor avait changé pour une chambre avec une nourrice à la langue décidément bien pendue. Sage Juliette qui préférait voir par elle-même. Après quelques minutes, il avait retrouvé son calme habituel. Sa main, elle, n’avait pas bougé du lieu où elle s’était déposée.
ROMEO : Non, croyez-moi ; vous avez des souliers de danse
Aux semelles légères ;
Moi j’ai l’âme de plomb qui m’attache à la terre,
Je ne saurais jamais bouger
Acte I-4
Coldris se tourna vers Eléonore et se pencha pour lui murmurer cette nouvelle question qui venait de s’inviter :
- Vous dansez? après un temps Venez donc avec moi au bal du charivari. Vous ne pouvez pas me refuser cela, n’est-ce pas ?
Un sourire malicieux s’étira alors qu’il embrassait le dos de cette main toujours attachée à la sienne. Il participait rarement à cet évènement, mais après tout pourquoi pas ? S’il avait le plaisir de pouvoir la faire tournoyer au milieu de cette joyeuse pagaille en se perdant dans son regard d’encre... Le spectacle avait beau se poursuivre, implacable comme la machinerie du destin mise en branle, son imagination débordante s'affairer à peupler son esprit d’images plus réjouissantes les unes que les autres. Il peinait à se concentrer sur les dialogues, et ce ne fut qu’au changement de scène qu’il put reprendre le fil de l’intrigue.
Tandis que je prendrai le fruit de mes prières.
Ainsi le péché de mes lèvres
Par tes lèvres est effacé.
-Il l'embrasse-
JULIETTE : Et mes lèvres ont ainsi reçu le péché.
ROMEO : Le péché de mes lèvres ? O faute doucement reproché au pécheur.
Rends-moi donc mon péché.
Acte I-5
Il resserra ses doigts autour des siens et tira doucement sur son bras pour l’attirer à lui et l’embrasser tendrement. Ses yeux pétillants, il confessa :
- Vous pouvez dire que je suis incorrigible pêcheur. Qui plus est, je n’ai aucune volonté lorsqu’il s’agit de résister à la tentation de votre délicieuse bouche carmin.
Il se garda bien de lui dire que, de l’autre côté de l’océan, on embrassait aisément une dame pour la saluer ou la quitter. Et que c’était là une toute autre signification que celle qui faisait tressaillir la pulpe de ses lèvres lorsqu’il posait son regard sur sa gorge.
Acte I-5
Et le rideau se baissa, sonnant la fin du premier acte de la pièce. Coldris se tourna vers sa petite luciole.
- Tous les spectateurs sont partis. fit-il en écho Bien. Où en étions-nous ? demanda-t-il pour lui laisser l’initiative de ce qu’elle souhaitait reprendre.
D’ailleurs, il ne pouvait cacher qu’il était curieux de découvrir ce qu’elle choisirait…
Coldris de Fromart- Ministre des Affaires étrangères - Ami du grand prêtre du Lupanar
- Fiche perso : ✶Fiche
✶PNJ
Liens et RPs : ✶ Rapport ministériel
✶ Généalogie & Relations
Bonus Dé : 5
Multi-comptes ? : Eldred Kjaersen / Kalisha de Monthoux / Bérénice d'Aussevielle
Messages : 1362
Date d'inscription : 21/07/2020
Re: [8 janvier 1598] - "Griefs of mine own lie heavy in my breast" [Terminé]
Elle s’efforça de maintenir son attention vers les acteurs, vers ce vain débat qui les mènerait forcément à cette réception. Elle simulait de ne pas s’interroger sur les tourments de l’homme assis à ses côtés. Elle ne voulait pas qu’il l'en sache avisée, qu’il l’imagine préjuger de quoi que ce fut, qu’il ne craigne d’elle une vicieuse indiscrétion. Elle refusait de se voir rejetée pour ne pas avoir su tenir sa langue dans un moment critique, même si, se connaissant, elle savait qu’elle n’avait pas fini de se tromper.
Son regard ne déviait plus, elle se fiait à la crispation de cette main sous la sienne. Aux pulsations qu’elle y percevait, aussi. Elle ne voulait plus rien, sinon que Coldris s’apaise, car le voir ainsi malmené en lui-même était insupportable.
Quels cauchemars le hantaient ? Au fond d’elle-même, elle ne pouvait fuir cette question. Mais la réponse ne valait pas qu’il la repousse. Autant même qu’il croie que leurs mains s’étaient rencontrées fortuitement.
Une inquiétude naquit soudain aux creux de son ventre. Etait-il encore vraiment là ? Ou bien s’était-il à ce point laissé surbmerger qu’il avait perdu le contact avec la réalité ? Souffrait-il de crises semblables à celles d’Alduis ?
Elle l’ignorait, mais ce qu’elle ne pouvait nier, c’était que quelque chose le rongeait. Et que ce quelque chose avait un moment repris le dessus. Parfois, cela devenait trop violent pour être chassé… Parfois, il suffisait de peu pour qu’une vague destructrice abbatte toutes vos barrières. Elle se souvenait de sa propre attitude lorsqu’Alduis lui avait précisé les circonstances de la mort d’Ariste… Elle s’était perdue. Perdue plus loin que d’habitude. Perdue à tel point qu’elle n’avait même plus su se soucier de ce qui l’entourait et s’était monstrueusement comportée.
Elle cherchait, inlassable, ce qui avait pu ranimer le trouble de Coldris. Ses réponses lacunaires ? Son apparent détachement ? Quelque chose de la pièce ? Ou bien s’était-il juste égaré seul dans ses pensées comme elle-même le faisait parfois ?
Comme elle sentait sa main se décrisper, elle replia ses doigts entre les siens. Heureusement, il semblait s'apaiser. Heureusement, car elle n'aurait rien pu faire pour l'y aider. Elle était inutile, tellement inutile. Tellement incompétente, égoïste, lâche, sotte et méprisable. D'une ridicule faiblesse. Elle pria pour que le ministre n'associe pas son propre égarement et le geste qu'elle n'avait pu retenir. Tellement inutile qu'elle était !
Et tellement aveugle, aussi. Comment n'avait-elle pas compris plus tôt ? Elle avait cru sentir quelque chose, pourtant… Juste trop égocentrique pour s'en préoccuper ! Elle se détestait ! Dieu, mais combien pouvait-elle se détester encore ?! Trop lâche pour désobéir à cette dernière volonté qui lui imposait la vie, trop faible pour ne pas être un poids pour tout un chacun...
Et Coldris ? Lorsqu'ils avaient dîné ensemble, il avait si bien percé à jour la cruelle sincérité de ses propos. Une sincérité trempée par l'ironie du sort ! Si ce n'était pas paradoxal. Mais elle l'avait su, à ce moment, qu'il n'aurait jamais pu comprendre sans avoir été le jouet de la souffrance.
Elle qui s'était persuadée qu'il était invulnérable à ses caprices. Qu'elle ne pourrait jamais le blesser, quoi qu'elle fasse... Elle qui avait chéri cet argument comme celui qui lui permettait de laisser libre cours au jeu : elle ne pouvait nuire à personne – hormis à elle-même, et cela ne comptait pas. Oh, ce n'était probablement pas elle, cette fois, qui l'avait plongé dans la tourmente – elle se raccrochait à cet espoir pour ne pas trop culpabiliser de son impuissance. Non... Mais s'il pouvait être atteint, eut égard aux maladresses que la demoiselle accumulait, elle pourrait très bien finir par lui faire du mal... Non ! Non ! Non ! Non ! C'était trop injuste ! Finalement, elle avait parlé trop vite : il était tout à fait capable de la tourmenter. Étant aussi humain que n'importe qui, il lui suffisait de souffrir pour qu'Éléonore se sente mal.
Elle aurait voulu, à cet instant, se blottir dans ses bras. Toutes ses pensées se bousculaient si vite dans son esprit, se fracassant les unes les autres, que les acteurs semblaient jouer au ralenti.
Oh, oui, ce qu'elle voulait se serrer contre lui. Le prendre dans ses bras et le réconforter. Lui assurer qu'elle ne le jugerait jamais sur les maux de son coeur. Qu'elle ne voyait pas, dans cette faille qu'il lui avait laissée entrevoir, la moindre preuve de faiblesse, bien au contraire. Qu'elle aurait voulu porter avec lui l'horreur de ses cauchemars, si c'avait pu l'en soulager rien qu'un peu.
Mais c'était ridicule. Elle n'était qu'une pauvre gourde inutile qu'il trimballait au théâtre. S'il avait voulu quelqu'un – non pour le plaindre mais – pour le soutenir, ce n'aurait pas été vers elle qu'il se serait tourné. D'ailleurs… S'il savait combien elle était faible, ennuyeuse, inutile, stupide et pathétique, même pour un tel rôle, il ne voudrait plus d'elle.
Il ne fallait pas qu'elle oublie ce qu'était leur relation : une diversion pour ses – leurs – lourdes pensées. Il ne fallait pas qu'elle y implique davantage. Menteuse qu'elle était… Oui, il la tourmentait. Évidemment ! Parce que – et entre autres grâce à lui, cruelle ironie – elle avait compris qu'il y avait de l'espoir. Une toute petite étincelle d'espoir qui pétillait au loin, mais là preuve qu'Ariste avait raison. Qu'elle n'avait pas le droit de lui désobéir.
— Vous dansez ?
Il allait mieux. Oui, il avait vraiment chassé ses démons. Une part d'elle, de soulagement, se serait jetée à son cou. Elle ne put résister à l'envie de se plonger dans son regard. Un regard envoûtant qui lui aurait presque fait oublier combien elle se détestait.
— Mieux que je ne monte à cheval, moins bien que je n'escalade les murs, répondit-elle avec un sourire énigmatique.
Elle se rendit compte qu'elle venait encore de dire une sottise. Elle était définitivement irrécupérable. Pourvu qu'il ne prenne pas ces âneries aux sérieux.
Elle n'eut pas le temps de s'en préoccuper qu'il lançait sa proposition. Les entrailles remuées par une inexplicable joie, elle s'efforça de ne pas s'emporter. C'était dans longtemps… Alors... Alors il croyait vraiment la garder jusque là ? Ce serait presque son retour à Tianidre... Elle aurait presque réussi à le garder jusqu'au bout. Elle sourit.
Mais c'était furieusement déraisonnable ! Et puis… Il était hors de question qu’elle se laisse bercer de mensonges et de fausses promesses. Ce n’était pas ce qu’elle cherchait. Et cette dernière phrase…
— Bien sûr que je peux vous...
Elle mordit dans sa joue pour ne pas ne laisser distraire par le frissons que ses lèvres lancèrent, depuis le dos de sa mains et qui se propagèrent dans tout son être. Décidément, il suffisait maintenant d’un rien pour la déstabiliser.
— … le refuser, acheva-t-elle tout de même. Quand ai-je perdu mon libre arbitre, dites-moi ?
Elle le défiait du regard. Ce n’était pas un refus, mais elle n’acceptait pas non plus. Qu’il la charme, la convainque. Cela n’avait pas d’intérêt si elle lui cédait même les moyens de la séduire. Oui, c’était cela, elle ne devait pas le laisser gagner trop vite.
Elle se replongea dans la pièce, rassurée de ne plus voir Coldris se tourmenter. Plus assez, en tout cas, pour que ce fut manifeste. Elle s’en assura une fois, d’un coup d’oeil furtif, et elle ne le vit que… rêvassant, vraiment ?
Eléonore n’eut pourtant pas une fois envie de récupérer sa main. Un peu égoïstement, peut-être, elle s’en servait comme d’une ancre qui lui interdisait de dériver dans la douleur revenue. Qui l’avait même ramenée à l’arrière plan, à défaut de pouvoir l’emporter vraiment. Comme il y était pourtant lui seul déjà parvenu.
Et cet ancre, alors qu’elle se laissait captiver par la représentation, l’en arracha. Elle l’attira vers les bras cajoleurs qu’elle n’aurait pu vouloir fuir, contre des lèvres qui embrassèrent tendrement les siennes.
Ô, le flatteur ! C’était donc ainsi qu’il comptait se disculper ?
— “Je suis plein d’imperfections, mais le manque de volonté n’en fait pas partie”, je ne fais que vous citer, rappela-t-elle à son oreille.
Elle lui adressa un regard plein d’espièglerie, en se redressant. Ce n’était pas qu’un accoudoir enfoncé dans ses côtes devenait douloureux mais… Un peu quand même.
Un peu, mais pas assez pour que le désagrément persiste. Quand le rideau tomba, elle ne se souvenait déjà plus que de la douceur de son baiser.
— Où en étions-nous ?
Elle se tourna vers Coldris, pour se noyer dans son regard. Elle se pencha ensuite contre son oreille et, au risque de le décevoir, elle murmura :
— Nous en étions à déplorer que ce ne fut ni le lieu, ni le moment adéquat.
Et cela n’avait malheureusement pas changé.
— Dites-moi… La pièce… L’avez-vous lue ? demanda-t-elle innocemment, pour détourner quelque peu la conversation.
Re: [8 janvier 1598] - "Griefs of mine own lie heavy in my breast" [Terminé]
Au détour de cette question triviale, il croisa son regard d’un doux velours qui suspendait momentanément l’éternelle course du sablier du temps. Escalader les murs ? Il arqua malgré lui un sourcil interrogatif en même temps qu’un sourire amusé se dessinait face à ce curieux passe-temps pour une demoiselle. Il se rappelait lui-même avoir escaladé quelques murs pour atteindre certaines fenêtres… Ce n’était malheureusement pas le moment d’approfondir ce sujet, mais il se promit de profiter des entractes pour cela. Éléonore était pleine de surprises. Plus il apprenait à la connaitre, plus il avait envie de découvrir le reste. Elle commençait peu à peu à s’ouvrir à lui et à révéler celle qu’elle était vraiment. Cela ne faisait pas un mois qu’elle avait échoué dans son salon du domaine de Fromart, que déjà, elle n’avait plus rien à avoir avec le timide petit agneau d’une curiosité quasi suicidaire qu'il avait rencontré.
Chaque jour qui passait, il ne l’en appréciait que davantage. Comment avait-elle pu prendre une telle place dans son esprit en si peu de temps ? Elle était toujours là, quelque part, à flotter dans ses méandres mentaux. Comme la veille, lorsque Thierry avait prononcé son prénom. Et chaque jour qui passait, il se maudissait un peu plus de cet attachement déraisonnable qui se nouait. C’était idiot, profondément idiot même. Elle n’avait rien à faire avec lui, si ce n’était pour le plaisir de jouer et de profiter des plaisirs de la vie avant son mariage. Pourtant malgré tout, il s’obstinait à passer du temps avec elle, car il n’y avait que dans ces rares moments qu’il se sentait pleinement apaisé. Un jour elle retournerait à sa vie et lui à la sienne, mais pour l’heure, il n’y avait que son sourire à sa proposition qui comptait.
- Quand ai-je perdu mon libre arbitre, dites-moi ?
Ses yeux clairs se mirent à miroiter alors qu’il déclarait non sans provocation :
- Sans doute depuis que vous m’avez rencontré !
Sa commissure retroussée moqueusement, il compléta sa pensée sur le ton de la confidence.
- Quoi que vous disiez, vous avez déjà accepté. Votre sourire et votre regard ne trompent personne, ma jolie luciole... il nota son regard de défi et se pencha pour lui murmurer la suite dans un souffle … mais vous pouvez toujours vous faire désirer si le cœur vous en dit. acheva-t-il en embrassant la base de son oreille.
Satisfait, il reprit place, gardant soigneusement en otage cette main qui s’était invitée sur la sienne, jusqu’à la fin de la représentation, où, profitant du contexte théâtral en cours, il l’attira contre lui pour gouter ses lèvres. Doux présent qu’on lui reprocha moqueusement avant qu’il ne retourne à sa place.
- Je me souviens parfaitement, mais il semblerait que je vous fasse tant tourner la tête que vous n’écoutiez que la moitié de mes propos. J’ai bien précisé que mon manque de volonté ne s’appliquait qu’à vos attirantes en lèvres… Je pourrais même compléter: et au reste de votre peau d’ivoire.
Il coupa subitement le contact visuel pour admirer le splendide faux ciel peint au plafond. Il suffisait de quelques mots et d’un regard pour l’embraser et emballer son cœur de concert. Heureusement, le rideau tomba bien assez rapidement pour le libérer de ses égarements -ou presque- car lorsqu’il croisa ses yeux d’ébènes, il en oublia toute autre considération.
- Quel dommage, regretta-t-il sans masquer sa déception vous n’avez pas idée de tout ce que l’on peut faire durant un entracte.
Éléonore changea aussitôt de sujet, ce qui n’était sans doute pas plus mal pour tenter de prendre le contrôle de ses pensées qui galopaient en harde à travers son esprit.
- Je la lirai en anglais après l’avoir vue. Et vous ? D’ailleurs, vous ne m’avez pas vraiment répondu tout à l’heure : quelles sont les langues que vous avez apprises ? À part le latin, bien entendu.
Car ça, il avait déjà eu l'occasion de le vérifier précédemment.
Coldris de Fromart- Ministre des Affaires étrangères - Ami du grand prêtre du Lupanar
- Fiche perso : ✶Fiche
✶PNJ
Liens et RPs : ✶ Rapport ministériel
✶ Généalogie & Relations
Bonus Dé : 5
Multi-comptes ? : Eldred Kjaersen / Kalisha de Monthoux / Bérénice d'Aussevielle
Messages : 1362
Date d'inscription : 21/07/2020
Re: [8 janvier 1598] - "Griefs of mine own lie heavy in my breast" [Terminé]
D’un ton légèrement arrogant pour masquer l’ennui que cela lui inspirait, elle répondit :
— Oh mais j’ai déjà accepté d’y aller. Mais pas avec vous.
Ce n’était pas tout à fait vrai… Mais ce n’était pas tout à fait faux non plus. D’après les dernières nouvelles parvenues de Tianidre, Gabriel viendrait avec elle passer son dernier mois à la capitale. Si elle ignorait son opinion quant à ses récents écarts, elle savait d’avance qu’il ne la soutiendrait pas sur ce coup-là. Il était devenu… Responsable. Il refuserait de la laisser jouer avec sa réputation. Alors si quelqu’un l’accompagnait à un bal…
Son coeur se serra. Elle masquait son trouble, regardait la pièce mais… Mais elle avait de la peine. Et pourtant, il fallait bien qu’elle le lui rappelle : elle ne serait qu’une de ses nombreuses maitresses, elle ne s’impliquerait pas plus que lui. Elle ne se soucierait pas plus de lui qu’il ne se souciait d’elle. Elle ne pouvait pas le laisser gagner une telle emprise sur elle. Il valait peut-être même mieux qu’il la rejette immédiatemment plutôt que de le laisser prendre une telle place. Il en prenait déjà bien plus qu’il n’était raisonnable.
Mais cette affaire enterrée, en écho à la scène, il la tira vers lui lui pour l’embrasser. Ô douce torture que cette tendresse inespérée. Que ce regard qui la noyait. Elle rit gentillement de cette justification parfaitement vaine qu’il lui servait, lui rappelant ses propres paroles.
— J’avais parfaitement entendu, très cher… Mais si la volonté vous déserte dès que vous vous retrouvez en présence d’une femme, elle est fort démissionaire.
Quant à elle, si elle était d’une faiblesse de caractère exceptionnelle et d’un accablant manque de volonté que seul Ariste aurait pu compenser, elle ne céderait tout de même pas si aisément.
— Vous n’avez pas idée de tout ce que l’on peut faire durant un entracte.
Elle eut un léger rire. Etait-ce vraiment ce qu’il croyait ? Ce qu’elle savait surtout, c’était que la pièce ne nous attendait pas pour reprendre, et que sans une bonne âme pour résumer ce que vous aviez manqué, il était délicat de reprendre le cours de la pièce. N’en avait-elle pas assez perdu le fil au cours de ce premier acte ?
Retenant les énormes bêtises qu’elle avait failli dire, elle souffla un ”Ce serait bien trop facile” puis lui demanda s’il avait lu cette pièce qu’il l’emmenait voir. Peut-être était-ce grâce à cela qu’il ne craignait pas de voir filer l’intrigue sans lui…
Mais non, il ne l’avait pas encore lue. Pas plus qu’elle. Elle hocha d’ailleurs négativements la tête, puis, d’un cillement, confirma qu’elle la lirait probablement aussi. Et le voici qui revenait sur la question des langues ! Quelle plaie… et elle qui n’avait rien à en dire.
— Parce que sur la compréhension d’une citation, vous pouvez déduire que je connais le latin ?
Elle soupira.
— S’il faut considérer que je connais le latin, on pourrait aussi considérer que je comprends le grec, le français, l’anglais… Et aussi un peu d'italien et d’espagnol. Mais encore faudrait-il se figurer que je connais le latin.
Et puis… Prétendre connaître tant de langues à son âge n’était qu’affirmer qu’elle ne faisait absolument rien de sa vie. Elle ne voulait pas non plus qu’il se mette en tête de la tester. Elle comprenait un peu, c’était tout. Et elle ne comprenait certainement plus rien du tout grâce aux huits mois qu’elle avait passé sans les entretenir et sans lire rien d’autre que des lettres qui étaient majoritairement rédigées en monbrinien. Elle l’avait bien vu : il lui fallait un temps fou pour déchiffrer, maintenant. Bref : elle était stupide, ennuyeuse, et ne servait à rien.
— En revanche, je me débrouille assez bien en monbrinien, commenta-t-elle avant qu’il n’ait eu le temps de répondre, avec une pointe d’autodérision, en espérant que cela lui ferait oublier ce qu’elle venait de dire.
Re: [8 janvier 1598] - "Griefs of mine own lie heavy in my breast" [Terminé]
Ah! Cette fierté à vouloir s’estimer libre de ses choix quand ils étaient de toute évidence déjà faits. Il avait bien vu son regard s’illuminer à sa proposition, de même que ce sourire. Elle s’y voyait déjà… Alors pourquoi ne pouvait-elle pas répondre simplement par l’affirmative si elle ne parvenait pas à masquer son intérêt ? C’est d’un ton parfaitement arrogant qu’elle lui offrit la réponse. Elle comptait y aller avec un autre.
- Grand bien vous en fasse. répondit-il plus froidement qu’il ne l’aurait voulu.
Il plongea son regard vers le faux ciel d’azur qui sembla s’assombrir subitement d’imposants nuages gris. Après tout qu’est-ce que ça pouvait bien lui faire qu’elle y aille déjà avec quelqu’un d’autre ? Ce n’était pas comme s’ils entretenaient une quelconque relation. Et puis de toute façon, elle était bien libre de faire ce qu'il lui chantait. C’était surement son fiancé. Coldris se raidit sur sa chaise. Quelle importance alors qu’il l’avouait lui-même, que ce n’était qu’un jeu ? Et surtout : cela devait le rester. Il n’était pas question qu’il en soit autrement. Il ne voulait pas d’autre chose. Elle allait partir, se marier et tout serait terminé. Et à cette idée, son cœur se serra malgré lui. Pourquoi revoyait-il son sourire sincère faire écho à ces paroles qui ne collaient pas ? Aurait-elle dit cela uniquement dans le but de l’agacer ? Il jeta un coup d’œil discret. Elle n’avait pas complètement menti, il en était intimement persuadé. Alors quoi ? Elle ne voulait pas être vue en sa compagnie ? Elle ne voulait pas être la nouvelle maitresse du ministre des Affaires Etrangères ? Il soupira et tenta de se concentrer sur le spectacle qui se déroulait sous ses yeux. Pourquoi entendait-il encore et toujours cette phrase ? Irrité, il l’enferma dans une malle avec les autres. L’affaire était close.
Il profita de la fin de la scène pour l’embrasser. Il tenta de se justifier, mais n’eut qu’un rire en guise de retour. Pour la peine, il posa un index sur l’arête de son nez puis traça un chemin jusqu’à ses lèvres.
- Vous voyez bien que vous n’écoutez pas. sermonna-t-il J’ai bien dit de vos lèvres. Et c’est là, toute la subtilité, ma charmante brebis.
Quel dommage qu’elle ne cède pas à la tentation de cet entracte ! Ceci dit… La pièce comportait cinq actes. Ce qui faisait donc quatre entractes. Il avait toujours le temps de la convaincre d’ici la fin. Il esquissa un petit sourire annonçant clairement qu’il ne s’avouait pas vaincu. Il en profita donc pour approfondir la question linguistique. Elle soupira, mais lui offrit une vraie réponse. Il caressa le dos de sa main.
- N’y voyez pas un interrogatoire ou quelconque jugement de ma part. Ce n’est qu’une curiosité nourrie par mon amour des lettres. Dans l’éventualité où j’aurais envie de vous prêter certaines œuvres. Par exemple.
Et d’y glisser quelques mots entre les lignes ou les pages. Mais ce n’était qu’un exemple, parmi d’autres, bien évidemment.
- Je pourrais toujours compléter votre enseignement du toscan si vous le désirez. C'est une des langues que je maitrise le mieux après le latin. À moins que vous ne soyez trop occupée à faire le mur. fit-il remarquer taquin.
- C’est un passe-temps curieux tout de même, d’où vous est donc venue cette idée ? Ou peut-être devrais-je dire nécessité ?
Escalader les murs c’était bon pour venir voir ses maitresses au nez et à la barbe de leur cerbère pendant que Virgil faisait le guet. Enfin… À condition de ne pas se tromper de fenêtre, mais ça, ce n’était arrivé qu’une seule et unique fois.
Coldris de Fromart- Ministre des Affaires étrangères - Ami du grand prêtre du Lupanar
- Fiche perso : ✶Fiche
✶PNJ
Liens et RPs : ✶ Rapport ministériel
✶ Généalogie & Relations
Bonus Dé : 5
Multi-comptes ? : Eldred Kjaersen / Kalisha de Monthoux / Bérénice d'Aussevielle
Messages : 1362
Date d'inscription : 21/07/2020
Re: [8 janvier 1598] - "Griefs of mine own lie heavy in my breast" [Terminé]
Elle ne prit pas la peine de répondre. Il n’y avait rien à ajouter. Rien et surtout pas les phrases ridicules qui se bousculaient à ses lèvres.
Vous êtes jaloux peut-être ?
Mais oui, ça me convient fort bien, que croyez-vous.
Ma vie ne peut pas tourner autour de votre personne, au cas où cela vous aurait échappé.
Vous… Vous n’êtes pas fâché, n’est-ce pas ?
Mais… Mais vous savez, si cela vous tient vraiment à coeur, je peux toujours m’arranger…
Oh, je vous en supplie, ne m’en voulez pas...
Pour sa main, il avait juste dû oublier. Il ne voudrait plus la voir, c’était trop tard. Elle avait dit une chose trop stupide. Et maintenant… Maintenant il se taisait et ne voulait probablement plus l’entendre. Et après, il ne voudrait tout simplement plus la voir. Il devait être en train de se souvenir de combien elle était insupportable, elle en était sûre. Il devait réaliser, maintenant, à quel point sa compagnie était déplaisante. A quel point ça n’en valait pas la peine.
De toute façon, il fallait bien que ça arrive à un moment ou un autre ! C’était un homme intelligent -- qui dégageait une aura fascinante mais ce n’était pas la question --, il n’aurait pas pu rester aveugle bien longtemps… Sans doute qu’il ne l’avait jamais été. Il l’avait déjà vue proche de perdre ses moyens. Non… Il l’avait déjà vu perdre ses moyens tout court, elle lui avait juste épagné la crise d’angoisse.
Elle était exaspérante depuis leur première rencontre. Elle ne se souvenait que trop qu’il n’avait fait que chercher une excuse pour la mettre à la porte. Elle avait déjà retourné la question dans son esprit des milliers de fois depuis ce jour-là -- presque autant qu’elle ne s’était demandée comment Alduis avait bien pu lui pardonner -- et elle n’en revenait qu’à une réponse qui avait un tant soi peu de sens : l’orgueil.
Et pourtant… Pourtant une part d’elle n’acceptait pas cette seule réponse. Sans doute le déni. Sans doute parce qu’elle était trop lâche pour accepter que ce fut purement et simplement ça. C’était trop dur. Alduis l’acceptait parce qu’elle était la cousine d’Ariste, Lavinia pour une reconnaissance infondée, Alex et Eldred pour ne pas froisser Alduis, sa famille par devoir… Et Coldris par orgueil. Il n’y avait qu’Ariste pour qui sa disparition eut été une vraie perte.
Ariste, son Ariste. Son tout, son coeur, son âme, sa seule raison de vivre, celui qui la rendait si formidable. Elle aurait tant voulu qu’il soit là. Pourquoi ne l’attendait-il pas à la sortie pour l’écouter tout raconter ? Pour rire avec elle de toutes ses gaffes, parce qu’avec lui elle eut pu en rire. Parce que s’il était resté, elle serait restée formidable. Il était bien assez formidable pour eux deux. Il était parfait. On aurait pu accabler Eléonore de tous les défauts du monde, il aurait toujours été assez parfait pour les compenser. Ariste… “Le bien-nommé”, comme disait Gabriel. Mais quel euphémisme : sans lui, elle n’était plus rien. Sans lui l’existence était un non-sens. Pourquoi alors la contraindre de vivre ?
Et pourquoi n’avait-elle pas emporté son poignard, ni son pendentif ? Orgueil dérisoire, maintenant elle était seule, vraiment seule. Peut-être aurait-elle dû partir immédiatement, après tout ? Personne ne méritait de la supporter. Elle ne se supportait pas elle-même, c’était bien trop égoïste d’infliger ça à quiconque d’autre juste pour être un moment soulagée. D’autant que l’homme n’attendait sans doute que ça : qu’elle parte. Pour ne pas avoir besoin de la chasser lui-même.
Ses tourments revenaient à l’avant-plan. Elle s’était trop habituée, ces derniers temps, à les chasser en bruit de fond. Après huit mois à n’entendre que cela, c’était agréable de savoir les éloigner un peu, rien qu’un peu. Etait-elle lâche de les fuir ? Oh, elle était lâche, assurément, mais ceci entrait-il en ligne de compte ?
Elle s’efforçait de s’accrocher à la scène qui se jouait devant elle et parvint à les canaliser assez pour qu’ils ne la trahissent pas. Même sans ses talismans. C’était probablement un coup de chance… Ou le contact avec la main de Coldris. Lui aussi était déjà parvenu à l’apaiser. Il était même parvenu à tout faire disparaitre un moment. En dépit de tous les qualificatifs peu glorieux que certains ne se seraient pas privés de lui trouver, il était juste quelqu’un d’exceptionnel.
Oh, non, pitié, qu’il ne l’abandonne pas tout de suite. Elle voulait pouvoir goûter encore un peu à cette légerté que le sort avait chassée. Elle voulait qu’il lui négocie de nouvelles trèves, et qu’il lui fasse encore oublier combien elle se détestait.
Ce baiser ne suffirait pas à tout éclipser. Pourtant, il la ramenait de si loin qu’elle se sentit bien. Elle noya les doutes trop oppressants dans ses prunelles et se laissa rire de ses vaines excuses. Douces chamailleries incrédules. En fin de compte, elle n’avait peut-être pas tout gâché. Ses lèvres suffisaient encore à compenser ses trop nombreuses lacunes. Pourtant, cela n’expliquait rien. Même les femmes d’agréable compagnie avaient des lèvres à embrasser, non ? Et celles-là aussi auraient pu le laisser toucher leur visage.
— J’ai bien dit de vos lèvres.
Et celles-là seraient sûrement assez bien entrées dans son jeu pour ne pas arborer ce ridicule sourire désabusé, ni pouffer de rire à ses mots. Elles auraient su comment rester digne sans paraitre niaise. Tout le monde devait forcément savoir faire ça.
— Evidemment, évidemment... approuva-t-elle, faussement convaincue, en prenant refermant délicatement le poing de Coldris entre ses deux mains. Les miennes et rien que les miennes. A combien le dites-vous ?
Une part d’elle rechignait à exposer cette pure vérité, comme affectée par de… Non, c’était absurde.
Elle se plongea dans ses yeux. Oui, elle aurait voulu y croire. Croire qu’elle était différente et toutes ces âneries-là. Et, effectivement, elle se démarquait à sa manière : elle était certainement la femme la plus pénible dont il avait dut endurer la compagnie, et celle dont il rêvait le plus de se débarrasser. Elle le comprenait : elle se serait aussi débarrassée d’elle-même si Ariste ne le lui avait pas interdit.
Elle appuyait sa tête contre son poing toujours prisonnier. Elle devait avoir l’air stupide avec une attitude et un discours si dépareillés. Pour le reste… Non, elle ne prétendait pas chercher l’exclusivité et ça n’avait jamais été le cas. C’était un jeu, rien qu’un jeu. Et puis… Maintenant que ce point était clair, elle pouvait toujours faire semblant de le croire.
L’acte s’acheva ensuite bien vite, et… Et non, ce n’était pas plus le moment que quand il avait commencé. Mais peut-être aurait-ce dû l’être pour lui épargner ces questions auxquelles elle n’avait rien à répondre.
Pour pouvoir lui prêter des livres ? Elle avait rarement entendu si piètre excuse. Comme si elle ne pouvait pas se procurer seule les ouvrages dont elle avait besoin ! D’accord, sa famille avait considérablement perdu en influence depuis… Eh bien depuis sa naissance. Mais les moyens, ils les avaient encore ! Non mais !
— Par exemple, dit-elle simplement pour confirmer qu’elle l’écoutait.
Quant à la suite…
— Dites-moi… Mon éducation vous déplait-elle à ce point que vous voulez tout y changer ? D’abord les crocs qu’il me manquerait, puis l’équitation, les ouvrages que je devrais lire, maintenant mes compétences linguisitiques… Et mes autres occupations. Vous trouvez vraiment à redire sur tout, répondit-elle sur ce même ton taquin qu’il avait employé, et qui dissimulait somme toute assez bien sa honte d’être si peu adaptée. Avec, sur son visage, le sourire d’une sincère autodérision : comment pouvait-on être à ce point ratée ?
Tout cela pour qu’il revienne justement sur un certain passe-temps dont elle admettait volontier qu’il était peu conventionnel, et particulièrement pour une demoiselle. Soit, elle n’avait qu’à raconter. Ce toute manière, c’était tellement absurde qu’il n’en croirait probablement rien.
— Curieux, vous pouvez le dire. On me l'a reproché en termes bien plus francs, mais que voulez-vous : c'est la passion. Et pourtant... Pourtant c’'est dans mon sang. Fut une époque où les souverains tidriens n'accédaient pas au pouvoir sans avoir triomphé de la falaise de Miorèle. Les premiers comtes eux-mêmes avaient dû s'y soumettre. Alors, que vous dire ? Même si cela s'est perdu depuis des générations, je descends d'une lignée de grimpeurs.
Mais ce n’était évidemment pas cela qui l’y avait poussée. Ses ancêtres escaladaient des falaises, pas des tours… Et ça ne se faisait plus depuis fort longtemps.
— Quant à moi… Je n’ai jamais résisté à l’attrait d’un défi. Une tour qui me semblait un peu trop haute, et dont j’ai décrété que j’arriverais en haut.
En réalité, c’était Louis qui lui en avait lancé le défi le premier. Qui avait dit qu’ils l’escaladeraient ensemble lorsqu’ils seraient grands. Avec Ariste, aussi. Ariste qui avait remis ça sur le tapis pour l’aider à affronter leur deuil.
Louis voulait qu’on arrive en haut, non ? Ce n’est pas parce qu’il ne peut pas le faire avec nous que tu dois te décourager. On va le faire pour lui, tu vas voir !
Mais elle ne voulait surtout pas penser à Louis maintenant. Penser à Louis, c’était se rappeler qu’elle était certainement en train de parler à son père. Et l’idée qu’il soit le père de Louis était encore plus dérangeante que celle qu’il soit celui d’Alduis.
— C’était sans doute parfaitement ridicule, mais je l’ai fait.
Evidemment, personne n’était au courant. Hormis Ariste et Gabriel - qui avait décrété qu’il ne la couvrirait plus. On l’aurait enfermée avec des barreaux à ses fenêtre si on la savait prête à de telles folies. Pourtant, à l’époque où elle s’y livrait, cela n’avait rien de dangereux : Ariste la soutenait, qu’aurait-il pu lui arriver ?
— J’en ai récolté des mains absolument affreuses… Et quelques autres cicatrices. Mais vous n’imaginez pas combien tout cela semble dérisoire quand on arrive en haut pour la première et qu’on se penche pour voir quel chemin on a parcouru.
Elle retourna ses mains sur l’accoudoir. Les avait-il déjà remarqués, ces traits blancs dans ses paumes ? Oh, elle ne s’attendait pas à ce qu’il comprenne. Ni même à de qu’il la croie. Avec sa faiblesse de caractère, il était tout bonnement ahurissant qu’elle y soit parvenue. Mais avec Ariste, tout lui aurait été accessible, surtout ses rêves les plus fous.
Re: [8 janvier 1598] - "Griefs of mine own lie heavy in my breast" [Terminé]
Elle avait beau arborer ce sourire sur ses lèvres, cela ne l’empêchait pas de remettre en doute ses paroles. Coldris fit mine de réfléchir, bien que sa réponse soit toute trouvée avant de déclarer parfaitement sincère :
- À aucune autre ces temps-ci. Et je n’ai dit une phrase vaguement similaire qu’à une seule autre femme, mais c’était dans une autre vie.
Il pouvait l’entendre souffler de rire à ses propos dans son dos. Peut-être même que ce courant d’air sur sa nuque n’était rien d’autre que son esprit qui venait de passer ses bras autour de ses épaules pour y murmurer, moqueusement « Tu es un idiot Coldris, mais je t’aime quand même. ». Il y avait des choses qui ne changeaient jamais. Et celle-ci en faisait partie. Il se demandait souvent ce qu’elle aurait dit, si elle avait été là. Parfois, il préférait pourtant ne pas y penser tant il savait qu’elle n’aurait pas approuvé certaines de ses décisions peu morales. Il savait bien que ce n’était rien d’autre qu’une création de son esprit, mais il ne pouvait s’empêcher de s’y rattacher. Comme il se rattachait aux conseils de Virgil ou de Solange. Solange, qui l’aurait sans doute trouvé épouvantablement stupide ce soir. « Et c’est tout ce que vous avez trouvé à lui répondre, Coldris ? Je vous ai connu plus loquace ». Et par loquace, il fallait bien entendu comprendre qu’il n’avait rien dit de bien intelligent. Et bien tant pis ! Elle n’aurait qu’à se retourner dans sa tombe en sirotant le whisky hors de prix qui devait s’écouler des racines de pissenlits !
D’ailleurs, il n’avait guère dû faire mieux en l’interrogeant sur les langues qu’elle pratiquait. Il ne l’avait pas envisagé de la sorte, mais elle avait raison, c’était sans doute son côté perfectionniste qui ressortait. À toujours vouloir faire mieux, à toujours vouloir plus, si bien qu’il était incapable de se satisfaire de ce qu’il avait. Il était un ogre, un ogre constamment tenaillé par la faim qui n’avait de cesse d’engloutir tout ce qui se trouvait à sa portée. Au fond, c’était sans doute mieux qu’elle reste à distance de lui et se marie prochainement. Quand on voyait comment finissaient ceux auxquels, il tenait… Il soupira légèrement.
- Je vais finir par croire que vous vous obstinez à fuir ma compagnie.
Après tout c’était peut-être ce qu’elle essayait de faire ? Le bal. Les lectures. Elle trouvait à redire à chacune de ses propositions, mais en même temps, elle était toujours présente au rendez-vous. Il ne savait même pas comment son esprit pouvait perdre à ce point en lucidité. Lui qui était plutôt de nature clairvoyante n’arrivait pas à cerner ses intentions. Pas plus que ses envies. Lorsqu’il pensait avoir mis le doigt sur quelque chose, il avait, l’instant d’après l’impression de se leurrer. C’en était déroutant. Déstabilisant. Terriblement attrayant...
Il en était là de ses considérations lorsqu’il l’interrogea sur son étonnant passe-temps. Il l’écouta avidement, tout en caressant ses mains qu’il tenait toujours entre les siennes.
— Quant à moi… Je n’ai jamais résisté à l’attrait d’un défi. Une tour qui me semblait un peu trop haute, et dont j’ai décrété que j’arriverais en haut.
Ses lèvres s’ornèrent. Gravir des tours ? Résister à l’attrait un défi ? C’était des choses qui lui parlaient. Il avait passé des années à escalader la tour de diamant que constituer le Palais Royal. Des années à l’observer, d’abord lointaine figure fantomatique de son ambitieuse imagination puis silhouette imposante, objet de désir et de pouvoir. Ses grilles d’or, ses lustres imposants, son luxe: il en avait rêvé jour et nuit.
- C’était sans doute parfaitement ridicule, mais je l’ai fait.
Ses yeux étincelaient sous les lueurs des candélabres. Pour certains, c’était ridicule. Pour d’autres, c’était le rêve de toute une vie. Ironie du sort, lorsqu’il était enfin devenu ministre à l’aube de ses trente ans, ce fameux garde était toujours en poste. Il avait fait arrêter la voiture à la grande surprise de son cocher, était descendu lentement pour se placer face à lui, jusqu’à obtenir les fameuses salutations d’usage bégayées maladroitement. Satisfait, il s’en était retourné. Se souvenait-il du tout jeune homme qu’il avait odieusement chassé des grilles dorées ? Sans doute pas, mais Coldris avait imprimé son visage dans sa mémoire. Ses pouces caressaient toujours le dos de ses mains alors qu’elle poursuivait sans qu’il ne puisse quitter les deux sombres puits qui l’appelaient et l’hypnotisaient.
- J’en ai récolté des mains absolument affreuses…
Il retourna ses mains pour les inspecter. Il avait quelques lignes supplémentaires, comme autant de nouvelles vies qui s’offraient à elle.
-Je ne les trouve pas affreuses… interrompit-il
En même temps, comparées à celles d’Alduis, elles étaient indemnes. C’est vrai qu’elles n’avaient rien de mains d’une jeune fille adepte de broderie, mais c’était pour cela qu’il l’… l’appréciait autant. Dans les profondeurs de son esprit, un petit éclat de rire cristallin résonna. Il l'ignora. De jolies poupées de salon, il pouvait en avoir autant qu’il le désirait, mais aucune n’était aussi lumineuse que sa luciole. Qui pouvait se targuer de le perdre dans l’obscurité de son regard pour en éclairer son âme ainsi ?
… Au contraire, elles vous rendent exceptionnelle. avoua-t-il spontanément en les portant à ses lèvres.
Il ne se rendit compte qu’une fraction de seconde trop tard de ce qu’il venait de dire. Comme le disait si bien Horace :
Un mot lâché ne saurait revenir.
Art poétique, v390, Horace
Qu’avait-elle bien pu comprendre ? C’était terriblement grotesque. Et puis il y avait ce rire qui de nouveau résonnait dans son esprit. Ce rire délicieusement moqueur qui lui rappelait à quel point il pouvait être idiot. Comme s’il se fourvoyait, sans vraiment savoir pourquoi ni de quoi, ce qui lui donnait le sentiment d’être encore plus nigaud.
,Mais vous n’imaginez pas combien tout cela semble dérisoire quand on arrive en haut pour la première et qu’on se penche pour voir quel chemin on a parcouru.
- Détrompez-vous. Je connais parfaitement ce sentiment. Vous n’êtes pas la seule à pratiquer l’escalade.
Un petit sourire en coin, taquin se dessinait. Certes, ce n’était pas tout à fait le même genre de discipline, pourtant la finalité était la même : arriver au sommet.
- Imaginez Éléonore… commença-t-il mystérieusement, Dans les profondeurs de la campagne, se trouvait un petit garçon parfaitement insignifiant qui ne valait guère plus qu’un rat vivant dans les décombres, harcelé par le groupe parce qu’il était bien trop faible pour se battre contre eux pour un vulgaire bout de pain rassis jeté aux chiens. C’était un petit garçon parfaitement ordinaire, promis à un avenir misérable, mais… terriblement rêveur. Il ne rêvait que d’une chose : gravir la tour de diamant. La plus grande tour du pays. Étincelante. Flamboyante. Immense. Si grande, que l’on disait qu’elle surplombait les nuages de toute sa grandeur. Je vous l’accorde, on peine à croire qu’un tel endroit existe n’est-ce pas ? Un jour, il décida de réaliser son rêve et quitta, à la faveur de la nuit, sa demeure délabrée. Partout sur son chemin, il ne cessait de demander aux voyageurs la direction de cette fameuse tour, lorsqu’enfin il la discerna au loin. Plus belle que tout ce que votre esprit pourrait concevoir. Il en resta fasciné des heures durant. Il lui semblait même qu’elle l’appelait dans un souffle continu, comme un murmure qui s’infiltrait dans la moindre de ses pensées. Elle était si grande, que même en l’apercevant, il lui resta bon nombre de lieues à parcourir avant d’arriver son pied. Il dut duper les gardes pour s’y infiltrer et gravir, une à une, les innombrables marches qui devaient le mener jusqu’au sommet. L’ascension dura des années et des années, et des années. Comme vous, il en récolta quelques blessures sur le chemin au gré des portes qui s’ouvraient et se fermaient sous son nez, et comme vous, il continua jusqu’à atteindre le sommet une quinzaine d’années plus tard. De là-haut, s’étendait à perte de vue une mer de nuages. L’air frais de la liberté lui fouettait le visage. Un air plein de fierté. Mais de là où il était, il voyait surtout que le monde était bien plus vaste qu’il ne l’avait envisagé.
Coldris de Fromart- Ministre des Affaires étrangères - Ami du grand prêtre du Lupanar
- Fiche perso : ✶Fiche
✶PNJ
Liens et RPs : ✶ Rapport ministériel
✶ Généalogie & Relations
Bonus Dé : 5
Multi-comptes ? : Eldred Kjaersen / Kalisha de Monthoux / Bérénice d'Aussevielle
Messages : 1362
Date d'inscription : 21/07/2020
Re: [8 janvier 1598] - "Griefs of mine own lie heavy in my breast" [Terminé]
Certes, dès le début, elle avait eu des difficulté à lire ses émotions. Mais ce qu’elle repérait toujours, c’était sa retenue. On ne savait pas simuler la sincérité. Pas devant elle. Quand on cachait quelque chose, bien qu’elle ne puisse pas toujours deviner ce dont il s’agissait, elle s’en rendait compte tout de même… Elle le ressentait.
Soit. Elle fit mine de reporter son attention sur la scène. Que cette seconde affirmation soit vraie n’empêchait heureusement pas la première d’être fausse. Eléonore ne comprenait juste pas pourquoi il se donnait la peine le la couvrir d’éloges mensongères s’il ne le faisait pas en général. Le désespérait-elle donc tant ?
Mais la pièce s’acheva bien vite, et n’ayant plus aucune excuse, elle dut reprendre la conversation sur un terrain qu’elle n’appréciait guère. Qui la mettait mal à l’aise et qu’elle tenta de détourner. Etait-elle si inadaptée à ce qui lui convenait pour qu’il se sente obligé de tout revoir ? Oui… Mais si elle lui convenait si peu, pourquoi ne pas simplement en chercher une autre qui soit de meilleure compagnie ? Décidément, elle ne le comprenait pas.
— Je vais finir par croire que vous vous obstinez à fuir ma compagnie.
— M’avez-vous entendu refuser ?
Non, évidemment, puisque ce n’était pas le cas. Et elle espérait bien que l’offre tienne toujours, et qu’il en trouve même d’autres. N’importe quoi pourvu qu’elle puisse passer du temps avec lui. Mais c’était seulement parce qu’il était capable de chasser ses idées noires, rien d’autre.
N’importe quoi, même avouer ses activités les moins conventionnelles. L’un de ses secrets les mieux gardés, d’ailleurs. Mais après tout, la seule raison de les taire était de ne pas perdre la possibilité de pratiquer… Et ce n’était certainement pas Coldris de Fromart qui irait la dénoncer auprès de son oncle ou d’Eltinne. L’imaginer lui étira un sourire tandis qu’elle racontait. Oui, c’eut vraiment été absurde.
— Je ne les trouve pas affreuses...
Bien sûr que si, elles étaient affreuses ! Même oncle Eineld le disait. Et Eltinne manquait rarement l’occasion de le lui rappeler. A chaque fois qu’elle la voyait sans gants, même seule, même en été, elle soupirait. Et encore, elle devait s’estimer heureuse qu’elles ne fussent pas calleuses. Enfin… Pas assez pour que les autres le remarquent, parce que l’idée lui trottait en tête si souvent qu’elle en finissait par ne plus savoir.
Même si elle ne résistait pas, elle aurait voulu pouvoir les cacher à nouveau. Qu’il ne les voie pas, ne les touche pas. Qu’il n’y fasse jamais attention. Au fond, Eltinne avait raison : même si porter des gants était bigrement incommodant, c’était préférable. Plus pour elle que pour n’importe quelle autre jeune femme qui aurait fait attention à les garder indemnes.
— ...au contraire, elles vous rendent exceptionnelles.
Eléonore déglutit, et resta un instant interdite, déconcertée par cette affirmation tant que par son geste. Pourquoi n’éloignait-il pas de lui ces mains plus abîmées qu’il n’était convenable pour une femme de son rang au lieu de dire des bêtises ?
Ne sachant vraiment pas ce qu’elle aurait pu répondre à cela, ni ce qu’elle était censée en penser, elle poursuivit ses explications. C’était encore le plus raisonnable qu’elle puisse faire.
Il ne jugeait pas. Il ne lâchait pas non plus ses mains. Pas plus qu’elle ne comptait les lui reprendre. Car ce contact avait quelque chose de trop apaisant pour qu’elle s’en défît.
Elle écouta son récit avec une attention non feinte. Il se décortiquait tout seul dans un coin de son esprit. C’était comme la dernière fois. Les mots avec lesquels il l’exprimait, où mêmes le déroulement précis qu’il invoquait étaient secondaires. De cette partie, Eléonore n’aurait su différencier ce qui faisait écho à la réalité de ce qui était ajouté uniquement pour que l’histoire sonne bien.
Cela n’avait fichtrement aucune importance. Elle se plongeait dans ses yeux, et elle savait. Elle savait que l’intention de ce récit était vraie. Elle se sentait ridicule avec sa petite vie facile et ses exploits puérils. Encore plus ridicule que d’habitude.
Il y avait bien cette petite voix qui jouait à ternir ses paroles. Celle de son oncle, qui lui rappelait que l’on n’arrivait pas à un tel poste avec de bons sentiments. Et que même quand on y était, on ne cherchait que toujours plus d’influence, et qu’on ne faisait plus que détruire.
— … il voyait surtout que le monde était bien plus vaste qu’il l’avait envisagé.
Et même détruire au delà des frontières si cela pouvait accroitre son pouvoir. Se rendre responsable des pires maux de l’humanité par pur égoïsme. Pourquoi ne pouvait-elle s’empêcher de penser à cela ? De penser comme cela.
Elle chassa ces préoccupations pernicieuses. Cela, il n’aurait vraiment pas pu le comprendre. Sur ce point, quoi qu’il advienne, ils ne sauraient jamais s’entendre. Il fallait juste qu’elle n’y pense pas. Et puis… Si son père, et surtout Ariste, s’étaient engagés pour les conquêtes, c’était qu’il ne fallait pas juger quelqu’un par ces arguments-là.
Puis, de toute façon, ça n’avait pas d’importance qu’il ait ce genre de défauts. Ils se fréquentaient pour le plaisir, ce n’était pas comme s’ils devaient se marier. Tout ce qui comptait, c’était le temps qu’ils passaient ensemble maintenant.
Et, sotte qu’elle était, elle ne savait pas quoi dire. Ariste aurait su, lui. Elle était toujours noyée dans ses yeux, fascinée.
— Dites-moi… Qu’y a-t-il alors de plus fort ? La satisfaction de l’accomplissement, l’annonce de défis plus grands encore, ou, quand ils s’épuisent, la peur de l’ennui ?
Elle-même ne savait plus ce qu’elle avait ressenti. Avec Ariste, elle aurait pu éternellement s’en contenter. Même se contenter de rester éternellement à sa place, sans faire de vagues. Avec lui, elle aurait aussi pu accomplir n’importe quel exploit.
Maintenant qu’il n’était plus là, elle était à la fois lasse et avide. Une part d’elle se disait que tout cela n’avait plus le moindre sens, l’autre que sans lui, elle ne saurait plus jamais s’en satisfaire, et qu’il n’y aurait plus la moindre raison. Sans lui sa vie n’avait plus de sens. Sans lui elle n’était plus rien, ne valait plus rien. Sans lui, elle ne savait plus ni ce qu’elle voulait, ni ce qu’elle était, ni ce qu’elle était censée être. Sans lui, de toute façon, il n’y avait plus personne pour se soucier de son avis, personne pour la rendre forte, personne pour réaliser ses rêves. Elle pouvait bien se noyer dans de vaines consolations autant qu’elle le voulait, sans lui, elle ne se sentirait plus jamais entière.
Re: [8 janvier 1598] - "Griefs of mine own lie heavy in my breast" [Terminé]
Coldris lui adressa un sourire à sa répartie. C’était exactement ce qu’il voulait entendre. Plein d’arrogance il déclara :
- Vous voyez que j’ai raison. Vous avez déjà accepté au fond.
Il était ainsi : à toujours vouloir obtenir le dernier mot. Oh bien sûr avec quelqu’un d’aussi têtu que lui, cela pouvait durait… Éternellement. Mais, il trouvait toujours un moyen de parvenir à ses fins. Surtout lorsqu’elles promettaient d’être aussi agréables… Qu’importe les activités, il l’aurait suivi à peu près n’importe où.
Excepté sans doute l’escalade. Il avait passé l’âge d’escalader les murs. C’était une activité hors norme pour une jeune femme, mais pourquoi pas après tout ? Qu’importe ses cicatrices sur ses mains, c’était toujours mieux que de finir avec le bout des doigts insensible à force de se piquer en brodant. Qu’importe les lignes blanches qui traversaient ses paumes… Cela n’avait rien d’affreux, bien au contraire, c'était ce qui la rendait unique. C’était beau, inspirant, plein de force et d’audace. Si bien que les mots lui échappèrent sans qu’il ne s’en rende compte. Il plongea aussitôt son regard dans le sien pour sonder ce qu’elle avait compris. Rien. Il retint un léger soupir de soulagement. Il n’aurait plus manqué que sa maladresse soit mal interprétée ! Qu’elle s’imagine des choses qui n’avaient pas lieu d’être, car tout cela n’était qu’un jeu, qu’une représentation, qui, comme cette pièce verrait un jour le rideau tomber, alors vraiment, il ne voyait pas pourquoi son esprit s’embrumait à ce point ce soir.
Il lui fut reconnaissant de reprendre le cours de son récit avant qu’il ne se perde définitivement dans ce brouillard mental, qui lentement s'amasser dans son esprit. Il en profita pour lui raconter un nouveau conte mêlant habilement histoire personnelle et éléments fantastiques. À elle de démêler le vrai du faux et d’en déduire ce qu’elle voudrait. C’était toujours un plaisir de jouer les conteurs, face à ce regard hypnotisé et ses oreilles attentives. Plus d’une fois, il eut envie de le suspendre pour embrasser ses lèvres qui semblaient invoquer ses baisers.
— Dites-moi… Qu’y a-t-il alors de plus fort ? La satisfaction de l’accomplissement, l’annonce de défis plus grands encore, ou, quand ils s’épuisent, la peur de l’ennui ?
La question le laissa songeur un moment, d’autant plus que, captivé par son profond regard, les idées s’assemblaient au ralenti dans cet esprit d’ordinaire si prompt à la réaction.
- C’est une excellente question… À laquelle, je dois vous avouer que je n’ai pas de réponse satisfaisante à vous apporter… Je pourrais vous parler de la sensation grisante d’un nouveau défi plein de dangers et d’embuches, qui semblable à une brise vivifiante emplie vos poumons de vie… Je pourrais aussi vous parler de l’euphorie qui vous gagne lorsque vous réussissez quelque chose que tous jugeaient impossible, ce feu de joie qui s’écoule dans vos veines, vous faisant rire aux larmes et oublier instantanément toutes les difficultés rencontrées… Je pourrais aussi vous avouer que la chute n’en est que plus interminable, sombre et profonde, lorsque vous réalisez ne plus pouvoir faire plus. Je pourrais vous parler de ce vide qui vous grignote, de ce besoin vital de recommencer, du manque cruel dont les spores se répandent dans chacun de vos organes jusqu’à vous plonger dans cette étouffante obscurité…. Mais choisir ? Comment pourrais-je vous dire laquelle de ces sensations est la plus forte ?
Coldris quitta son regard pour observer la salle en contrebas : les spectateurs retournaient peu à peu à leurs sièges, signant la fin de l’entracte.
- En vérité… On trouve toujours de nouveaux défis. Du moins je l’espère.
Dire qu’il s’apprêtait à soutenir une réforme religieuse simplement pour combler l’ennui qui s’était installé dans sa vie… Il en venait à chercher de l’amusement et du plaisir là où il le pouvait, mais aucun n’était aussi grisant que l’exercice du pouvoir. C’était peu dire que ces dernières années il avait repoussé les limites, puisque très justement, il n’y avait plus personne pour les lui rappeler. Notant que tout le monde s’était rassis, il annonça dans un sourire :
- Nous avons une pièce à poursuivre, ma douce luciole. et il se réinstalla dans sa chaise aussi confortablement que possible.
Lorsque le rideau se leva, il réalisa à quel point il était en train de perdre pied. L’inactivité physique couplée à sa présence déstabilisante et à cette matinée désastreuse était en train de ravager peu à peu son esprit. La brume s’épaississait faisant naitre de fantomatiques souvenirs, démons vaporeux qui se dandinaient sous ses yeux, prêts à lacérer son restant de conscience. Il serra sa main un peu plus fort pour s’arrimer dans la réalité, le temps du second acte.
À la vision de Roméo sous son balcon, il retrouva instantanément sa bonne humeur et un large sourire trahissait quelques joyeuses réminiscences.
- Vous ne croyez pas qu’il aurait pu escalader ce mur pour venir la retrouver? De toute évidence, il ne doit pas posséder votre talent pour ces choses. murmura-t-il avec malice en se penchant légèrement.
Ni l’audace des siennes. Il se revoyait grimper le long de cet imposant lierre pour atteindre la seule fenêtre ouverte. Du moins, c’est ce qu’il croyait avant qu’il ne découvre Solange en chemise de nuit, les sourcils froncés sévèrement. Enfin… Ça n’avait pas duré, passé un sermon bien mérité sur son incompétence, ils avaient bien ri et il avait fini par la retrouver, sa belle Psyché.
Mais là où la jeunesse encor non meurtrie, au cerveau non rempli de choses,
Etend ses membres, là doit régner le sommeil d’or.
Acte II-3
C’était sans doute pour cela que les insomnies ne l’avaient jamais laissé en paix. La jeunesse non meurtrie ? Il pourrait toujours la rêver et l’envier chez les autres. Il pourrait en faire profiter autant que possible ceux qu’il pouvait désormais protéger : Adéis, par exemple. Lui ne connaitrait jamais la faim, pas plus que la moindre maltraitance. Cela ne l’empêcherait pas d’avoir ses peines et ses regrets, mais il espérait que jamais, il n’aurait à subir ses incessants cauchemars, cette peur viscérale de l’obscurité et des lieux exigus. Quoi qu’en dise Alduis et quoi qu’il ait fait de terrible et regrettable avec lui, il n’avait pas expérimenté un centième de son enfance. En fait, c’était simple. Alduis n’y aurait sans doute jamais survécu, tant il était trop sensible.
Une part de lui-même était restée dans ce cachot, quarante-trois ans plus tôt. Elle était morte et s’était cristallisée avant de renaitre, plus forte que jamais, solide comme un diamant.
Coldris de Fromart- Ministre des Affaires étrangères - Ami du grand prêtre du Lupanar
- Fiche perso : ✶Fiche
✶PNJ
Liens et RPs : ✶ Rapport ministériel
✶ Généalogie & Relations
Bonus Dé : 5
Multi-comptes ? : Eldred Kjaersen / Kalisha de Monthoux / Bérénice d'Aussevielle
Messages : 1362
Date d'inscription : 21/07/2020
Re: [8 janvier 1598] - "Griefs of mine own lie heavy in my breast" [Terminé]
Mais converser avec lui avait quelque chose de magique. Lui laisser tenir ses mains -- même si elles n’étaient pas aussi délicates que des mains de demoiselles auraient dû l’être -- et l’écouter conter… Oui, c’aurait pu durer des heures qu’elle ne s’en serait pas lassée. Elle avait l’impression qu’il aurait pu raconter n’importe quoi et que c’aurait toujours été passionnant. Etait-ce normal, dans une relation comme la leur ou… Non, ce n’était rien. Elle avait toujours aimé écouter les autres, et lui avait un certain talent. Cela s’arrêtait là.
Et comme il s’arrêtait, comme elle ignorait comment le relancer et refusait qu’il se taise, elle laissa échapper -- d’une voix étonnamment maitrisée -- la première question qui lui venait à l’esprit. Elle parvint même à ne pas se reprendre, ni bafouiller. Il ne l’angoissait plus du tout, et elle le remarquait seulement maintenant.
Il resta un instant muet, comme s’il cherchait dans ses yeux la réponse qui lui conviendrait le mieux. Elle aurait aimé lui signaler qu’il trouverait plus facilement s’il ne la regardait pas, mais elle aurait été fort sotte de le pousser à détourner les yeux.
Dans toutes les pistes de réponses qu’il évoqua ensuite, elle reconnut étrangement une part de ce qui l’avait un jour composée. Dans la suite, c’était surtout ce qui la hantait aujourd’hui. Elle s’accrocha désespérément aux prunelles de Coldris pour ne pas en trembler. Il ne devait rien voir. D’autant plus qu’il était évident qu’il parlait en connaissance de cause, et surtout pour la dernière partie. Elle ne lui souhaitait qu’une chose : qu’il parvienne à apaiser ce vide dévastateur. Pas par des folies qui n’apportaient qu’un soulagement éphémère, mais par… Par… Elle ne savait même pas comment on pouvait apaiser de tels maux, ignorante et inutile qu’elle était !
— En vérité… On trouve toujours de nouveaux défis. Du moins je l’espère.
Ô, ce qu’elle l’espérait, elle aussi. Mais le défi, cela ne suffisait pas à tout combler. Elle… Elle, c’était la présence d’Ariste qui aurait pu lui suffir éternellement. Le bonheur simple et inconditionnel qu’elle ressentait en sa présence. Elle ne s’était jamais rendue compte de combien sa simple existence la rendait heureuse. Le défi, c’était une euphorie instable et pleine de frustration. On ne se sentait pas tout à fait complet tant qu’on ne l’avait pas rempli… et une fois rempli, on se rendait compte que cela ne suffisait pas. Il y avait une chose que cela n’apporterait jamais : la complétude. Et en même temps… Oui, le défi c’était bien, elle n’aurait pu le nier, mais c’était insuffisant.
— Il n’y a rien à remettre à l’espoir, Coldris. Quand il n’y en aura plus, lancez-vous le défi d’en trouver d’autres. Ainsi, quoi qu’il arrive, vous ne tomberez jamais à court.
Ce serait un cycle infini qui s’ouvrirait à lui. Eléonore, pour sa part, savait qu’elle ne s’en satisferait jamais. Pas plus que lui, d’ailleurs. Car tout cela ne pouvait être qu’une pâle compensation de ce qui lui manquait. Est-ce qu’Ariste aurait accepté qu’elle défie la folie juste pour ne pas y sombrer ? Ariste, lui, aurait su ce qu’elle devait faire pour se sentir mieux. Et au fond d’elle, elle le savait déjà.
Soit. Son prochain défi serait de devenir quelqu’un d’utile. Elle en avait bigrement assez d’être un poids pour tout le monde et de n’apporter que du malheur autour d’elle. Elle le leur devait à tous, cet effort. A Alduis et Lavinia, par exemple. Elle aurait tellement aimé être en mesure de les soutenir quand ils en avaient besoin. Elle, justement, avait besoin de cesser d’être impuissante face à leur malheur. Ca la rongeait trop.
Et si elle atteignait cette victoire-là, même si - égoïste qu’elle était - elle ne pourrait pas éternellement s’en contenter, elle aurait au moins l’apaisante satisfaction de savoir que cela profitait à quelqu’un.
Soit. Les spectateurs revenaient s’installer, et la pièce allait reprendre. Elle acquiesça lorsque Coldris le lui signala, et s’installa, espérant pouvoir mieux suivre ce deuxième acte que le premier.
En réalité, ce fut à peine le cas. Le vicomte serrait sa main si fort que c’en était presque douloureux. Mais elle ne le lui reprocha pas : il ne s’en rendait probablement pas compte. D’ailleurs, elle mit tout en oeuvre pour qu’il n’en remarque rien. Elle pouvait le supporter, si cela lui permettait de garder prise sur la réalité. S’il se sentait mal, il ne fallait surtout pas qu’il la lâche. C’eut été odieux de la part de la jeune femme de l’abandonner maintenant.
Il se braquerait sans doute s’il savait son trouble repéré. Il risquait de s’y enfoncer tout seul, et cela, elle ne pouvait le tolérer. Puisqu’il lui était impossible de l’aider, le mieux qu’elle pouvait faire, c’était le laisser serrer sa main - ou même la broyer si cela lui chantait -, et ne pas laisser ses traits la trahir. Elle s’efforçait donc de se concentrer sur la pièce, et de sourire comme elle l’aurait fait en général. Elle n’avait même pas besoin de simuler, à vrai dire, car la certitude que ce contact l’empêchait de sombrer compensait largement les insignifiantes protestations de sa main endolorie.
Les répliques de Juliette lui firent rouler les des yeux. Alors toutes ne se souciaient vraiment que de mariages… De mariage… Pour ce que ça lui apporterait, à elle, le mariage… Elle aurait soupiré par profonde lassitude si elle avait été seule. Gabriel lui en voudrait certainement de ne pas avoir fait le moindre effort. Lui qui savait pourtant qu’elle en était incapable.
Tant pis, il lui pardonnerait d’être encore une fois un fardeau pour lui. Elle ferait même tout pour qu’il oublie combien elle était inutile et pesante. Elle ferait en sorte que, sinon leur statut, rien ne change entre eux. Elle couvrirait ses aventures autant qu’avant si elle pouvait en conserver son amitié, et s’efforcerait, comme il le souhaitait, de devenir responsable. Elle cesserait de faire n’importe quoi et se conduirait convenablement. Oui, elle ferait tout cela pour lui. Pour ne pas tout gâcher. Elle espérait seulement qu’il ne soit pas nécessaire pour lui qu’elle abandonne ses nouveaux amis. Elle ne voulait pas se voir confrontée à ce genre de dilemme, c’eut été trop dur… Quoi que si cela l’affectait vraiment, il prendrait certainement la décision pour elle et elle n’aurait plus qu’à s’y plier. Gabriel n’était pas Ariste.
Tu existes, Eléonore. Tu dois exister. Promets-moi de faire un effort.
Tu es formidable, petite soeur, n’oublie jamais ça.
Elle n’oubliait pas. Quand Ariste était avec elle, il la rendait formidable. Elle savait qu’il voulait qu’elle puisse l’être par elle-même. Elle essayait, pourtant, elle essayait vraiment, mais force était de constater qu’elle ne serait plus jamais rien sans lui. Elle ne savait pas exister sans lui. Alors sans doute que quand elle rentrerait, à défaut d’être formidable, elle pourrait essayer d’être acceptable…
Acte II-2
Voilà ! C’était parfaitement ça !
Quand Coldris la relâcha un peu, Eléonore hésita entre soulagement et inquiétude. S’était-il repris, ou bien avait-il tout à fait perdu pied ? Son commentaire la rassura, et elle ne put réprimer un léger rire. Il ne la laisserait décidément plus jamais tranquille avec ça… Tant pis, tant mieux !
— C’est un exercice périlleux. C’eut été dommage qu’il se rompe le cou maintenant. Notez... Sans falaise en contrebas, c'est une moindre folie.
Mais soit… La pièce, donc. Précipiter un mariage, donc. Que la folie n’entrainait-elle pas ? Pour le coup, elle se rangeait du côté de la raison : c’était le fruit purement irréfléchi de l’inconstance. Et même si c’avait été réfléchi, c’était stupide. Autant elle se noyait aisément dans l’empathie dans sur de véritables maux, autant les histoires l’affectaient rarement, car ce n’étaient pas les mots qui la touchaient, mais d’être confrontée au sentiment réel. Celui qui la prenait à la gorge sans qu’elle ne put lutter. C’était fort différent, à n’en point douter.
Re: [8 janvier 1598] - "Griefs of mine own lie heavy in my breast" [Terminé]
Coldris lui avait transmis sa vision du défi. Attirante, addictive, euphorisante, comme la présence d’une certaine personne à bien y réfléchir. Il chassa pourtant cette remarque bien loin de son esprit, telle une bourrasque qui emporta bien loin ce charmant papillon virevoltant. Sa remarque lui étira un large sourire : bien sûr, elle avait tout compris. C’était exactement cela ! Djerdan, la réforme, voilà de nouveaux défis qu’il suffisait de provoquer quelque peu ! Il ne pouvait plus monter plus haut, mais il pouvait toujours s’occuper et s’amuser, il suffisait de bien chercher. Son regard pétillant consistait à lui seul la réponse à son allégation.
La pièce reprit avec plus de légèreté cette fois-ci. Il parvenait à peu près à en suivre le contenu. Rien de bien original pour l’heure. Sa vie sentimentale avait été somme toute bien plus mouvementée qu’une simple déclaration au pied d’un balcon la nuit. Rester au pied du mur ? Lui ? Jamais de la vie. L’inactivité le rendait fou et ce n’était pas ce qui l’aurait arrêté.
- Lorsqu’on aime, on ne s’arrête pas au premier obstacle rencontré ma luciole. Qu’est-ce que quelques mètres pour avoir le plaisir de se trouver à quelques centimètres l’un de l’autre ? Le tout est de ne pas se tromper de fenêtre.
Il avait bien noté sa remarque sur les falaises et ce n’était sans doute pas dû au hasard. Il préféra pourtant ne pas relever. Qui savait ce que cela pouvait cacher ? Il aurait été bien maladroit de déterrer de douloureux souvenirs maintenant, alors qu’il passait un bon moment ensemble - du moins l’espérait-il -.
ROMEO: Consentez à nous marier aujourd’hui
Acte II-3
Une phrase qu’il avait quasiment prononcée à quelque chose près. Une phrase qui avait remis en question tous ces principes. Parce que l’amour ne connaissait, aucune limite pas même celle de l’orgueil. Il aurait tout échangé contre sa vie. Tout, sans exception.
- Vous savez, j’ai souvent regretté que l’on soit obligé de se marier. On devrait être libre de faire comme bon nous semble. Et vous Éléonore ? avoua-t-il
Après tout, elle allait visiblement bientôt se marier, elle devait avoir un avis sur la question ? Le connaissait-elle ? Aurait-elle préféré y échapper ? Sans doute. C’était ce que lui-même aurait voulu faire à sa place, mais le mariage rattrapait tout le monde. De sa main libre, il remit avec douceur l’une de ses belles mèches brunes en place. À écouter cette pièce, il avait l’impression de revoir ces lointaines années sous ses yeux. Il s’était souvent demandé ce qu’il aurait pu faire de plus ou de mieux pour éviter l’inévitable fin. Quant à la relation entre Mercutio et Roméo, elle lui rappelait inévitablement ses propres chamailleries avec Virgil. Diable ce qu’il avait pu être patient et compréhensif toutes ces années ! Qu’aurait-il dit aujourd’hui d’ailleurs ? « Tu ne vas tout de même pas recommencer, Coldris, rassure-moi… » Un sourire amusé éclaira son visage bien souvent trop sévère.
Coldris de Fromart- Ministre des Affaires étrangères - Ami du grand prêtre du Lupanar
- Fiche perso : ✶Fiche
✶PNJ
Liens et RPs : ✶ Rapport ministériel
✶ Généalogie & Relations
Bonus Dé : 5
Multi-comptes ? : Eldred Kjaersen / Kalisha de Monthoux / Bérénice d'Aussevielle
Messages : 1362
Date d'inscription : 21/07/2020
Re: [8 janvier 1598] - "Griefs of mine own lie heavy in my breast" [Terminé]
— Lorsqu’on aime, on ne s’arrête pas au premier obstacle rencontré, ma luciole.
Cela, la jeune Tianidre ne le savait que trop bien. Que n’aurait-elle pas fait pour Ariste ? Rien que cela : elle acceptait de lui survivre et ce uniquement parce qu’il s’agissait de sa dernière volonté. Ce n’était certes pas le même amour mais… Evidemment qu’elle aurait tout fait pour lui, rien que pour le ramener, si c’était ce qu’il avait voulu. Elle aurait accepté n’importe quoi. Aucun supplice n’aurait pu l’amener à le trahir, aucun amour ne l’aurait jamais détournée de lui.
Grimper quelques mètres ? Oui, c’était dérisoire. Elle aurait escaladé maintenant la falaise de Miorèle, et même n’importe quelle autre si elle avait pu le retrouver en haut. Elle s’en serait également jetée pour le rejoindre si seulement il ne le lui avait pas interdit. Et ce dernier mois, elle constatait avec une pointe de culpabilité qu’il avait peut-être eu raison de l’obliger à vivre…
— Vous n’avez tout de même pas fait quelque chose d’aussi stupide ? s’eclaffa-t-elle. Il pouvait bien nier, son ton trahissait le vécu à des kilomètres à la ronde. Quoique certains entrent par la bonne fenêtre et manquent de se faire tuer pour ne pas s’être annoncés, j’ignore ce qui est le pire.
Vint alors la question du mariage qui, évoquée dans la pièce, lui fit lever plusieurs fois les yeux sur le faux ciel. Le mariage… Elle était si bien entourée de personnes parfaitement convaincue que c’était l’accomplissement d’une vie - Alduis, Gabriel et Lavinia en tête de liste - qu’elle ne parvenait pas à imaginer que ce puisse avoir vraiment de l’intérêt… hormis comme excuse que son oncle et elles se donnaient pour qu’elle puisse séjourner à la capitale.
— J’ai presque vingt-deux ans. Pensez-vous que je ne porte nulle alliance parce que je suis trop laide ou trop pauvre ?
Parce que pauvre, elle ne l’était pas. Et laide… Bah, elle ressemblait à Ariste. Beaucoup. Quand on ressemblait à l’incarnation de la perfection, même si on n’avait aucune chance de l’égaler, ce devait être passable. Par contre, elle commençait à se faire vieille. Mais cela, c’était une autre histoire.
Coldris déplaça une mèche de ses cheveux tandis qu’elle reprenait :
— Je ne suis pas une femme… comme il faut. De celles qui n’attendent que cela. Je ne suis pas non plus assez sotte pour croire en la perspective d’un mariage d’amour. En fait… Je longtemps espéré pouvoir ne pas me marier du tout.
Parce que cela, c’eut été à Ariste de le faire. Certes, il n’était pas ravi par cette perspective, mais cela ne l’affectait pas outre-mesure non plus… D’autant que si c’était lui qui se mariait, ils n’auraient jamais eu besoin de se séparer. Et de toute manière, Oncle Eineld ne leur demandait pas leur avis.
— Et j’avoue que maintenant que cela semble de plus en plus concret, je m’en tire à bon compte… Je regrette que ça n’ait pas été votre cas.
Re: [8 janvier 1598] - "Griefs of mine own lie heavy in my breast" [Terminé]
Son anecdote ne manqua évidemment pas de la faire rire. Lui-même en gardait un discret sourire en coin compensé par ses prunelles de glace rieuses. Il se souvenait parfaitement de l’absurdité de ce jour où il avait passé en revue tous les évènements afin de chercher son erreur, sans parvenir à comprendre comment il avait pu se faire avoir. Ce n’est que plus tard dans la soirée qu’on lui apporta l’explication : elle avait temporairement fermé sa fenêtre à la demande de sa mère qui passait.
- Les erreurs apportent parfois leur lot de bonnes surprises, vous savez.
Et quelle surprise ! Il n’avait pas moins rencontré que sa mère spirituelle en la personne de Solange. Il pencha subitement la tête intriguée par sa remarque:
- Ah oui ? Avez-vous donc tenté de tuer bon nombre de Roméo ainsi?
S’annoncer ? Il ne l’avait jamais fait. Parce qu’il n’y avait rien de plus beau que l’effet de surprise qu’engendrait pareille entrée. Ses sourcils qui se rehaussaient en même temps que ses yeux qui s’agrandissaient, la peur suivie du soulagement qui se transformait rapidement en joie intense. Le plaisir de jouer avec l’interdit… Non, vraiment, lui qui aimait plus que tout contrôler chaque portion de sa vie, n’aurait jamais eu l’idée de se présenter à l’une de ses visites. C’était incontestablement un paradoxe. Tout comme celui du mariage qu’il réprouvait, mais qu’il avait endossé de bon cœur pour espérer vivre avec ses côtés.
- Ou parce que vous êtes chanceuse. rétorqua-t-il à peine sa question posée.
Elle n’était pas pauvre et elle était bien loin d’être laide. Il n’avait qu'à remettre cette mèche en place pour dégager son visage de porcelaine aux traits fins pour s’en persuader : de longs sourcils bruns qui surplombaient deux délicats onyx aussi étincelants que pénétrants, un petit nez tout en finesse, une bouche rosée parfaitement dessinée et pour le reste… Ses yeux coulèrent le long de son élégant cou jusqu’à cette gorge à peine découverte, puis le long de sa taille svelte. Il ne doutait pas un seul instant que ses lourds jupons dissimulaient de charmantes jambes fuselées. Qui aurait pu la trouver laide ?
- Vous êtes une femme lucide, Éléonore. entama-t-il , mais vous avez tort. On se marie parfois par amour. Parce que c’est là, le seul moyen de vivre et de protéger la personne que l’on aime. C’est idiot, mais c’est la vérité, quand bien même cela resterait insuffisant pour tordre le cou au destin.
S’en tirer à bon compte ? Etait-ce suffisant ? Il l’avait cru pendant de longs mois. Ce n’était rien de plus qu’un papier après tout. Il l’avait cru, jusqu’à tomber amoureux. Jusqu’à devoir choisir. Jusqu’à réaliser combien il s’était fait duper. Dans son cœur, il n’y avait qu’une seule et unique femme : la première qu’il ait épousée. La seconde n’était que la mère d’Alduis. Toujours était-il qu’il reprit tant bien que mal le fil de la pièce au moment où Mercutio plaisantait sur cette vieille morue de Nourrice...
ROMEO : Oui, Nourrice, pourquoi ça ? Tous les deux par un R.
NOURRICE : (…)Elle a fait les plus jolies histoires là-dessus sur vous et le romarin, que vous auriez plaisir à les entendre.
Acte II-4
Il inspira profondément, fermant un court instant ses paupières. Il pouvait sentir les effluves de romarin lui chatouiller les narines, comme une promenade dans un jardin méditerranéen. Une douceur ensoleillée qui réchauffait son cœur, comme un délicat soleil d’hiver. Le romarin. Une plante que les Romains portaient en couronne lors des cérémonies de mariage, comme un porte-bonheur symbole de fidélité. En y réfléchissant d’un peu plus près, il y avait comme une certaine ironie à avoir choisi ce parfum. Il esquissa un petit sourire, gardant ses réflexions pour lui-même.
Coldris de Fromart- Ministre des Affaires étrangères - Ami du grand prêtre du Lupanar
- Fiche perso : ✶Fiche
✶PNJ
Liens et RPs : ✶ Rapport ministériel
✶ Généalogie & Relations
Bonus Dé : 5
Multi-comptes ? : Eldred Kjaersen / Kalisha de Monthoux / Bérénice d'Aussevielle
Messages : 1362
Date d'inscription : 21/07/2020
Re: [8 janvier 1598] - "Griefs of mine own lie heavy in my breast" [Terminé]
Eléonore voulait bien le croire, bien qu’aucun exemple ne lui vienne spontanément. Quelques évènements s’en rapprochaient, et auraient parfaitement correspondu si l’on avait vraiment pu taxer leur cause d’erreur. Mais une imprudence volontaire pouvait-elle être ainsi considérée ?
Coldris rebondit très vite sur ce commentaire qu’elle n’avait pu réprimer. Elle esquissa une petite moue innocente malgré qu’elle en eut.
— Seulement deux, je vous rassure.
Pourquoi racontait-elle de telles âneries en sachant pertinnement l’interprétation que l’on pourrait en avoir ? Elle était stupide, vraiment stupide, mais elle se retint de revenir sur ses déclarations, cela n’aurait rien arrangé.
A défaut d’être laide et pauvre, être stupide eut été un bon prétexte pour que personne ne veuille d’elle. Stupide et tout le reste, bien que ce n’ait pas toujours été le cas.
Mais Coldris, charmeur qu’il était, n’aurait mentionné ni sa bêtise, ni son inconvenance, ni son inutilité, ni sa lâcheté, ni rien de tout cela pour justifier cette alliance manquante. Non sans un fond de vrai, il remit cela à la chance. Oui, elle avait eu le la chance d’avoir Ariste. Et le sort l’en avait sûrement trouvée bien trop chanceuse pour le lui laisser.
Et cette chance-là tournant, au fond, le mariage ne changeait plus grand chose. Si Ariste ne revenait plus à Tianidre, même se marier à l’autre bout du pays n’aurait plus changé grand chose… Elle serait simplement restée seule et perdue. Et inutile et…
Lucide. Oui, on lui avait au moins accordé cela. Toutefois...
— Je n’ai pas prétendu que cela n’arrivait jamais ! Juste que je n’avais pas nourri cet espoir. Celui que j’aime n’avait pas besoin de m’épouser pour me protéger. D’autant que leur amour n’était pas de ce type-là. A une époque, elle aurait ajouté qu’il avait seulement besoin de vivre, mais finalement, même de sa tombe, il retenait encore son plus grand ennemi : elle-même. Et à bien y penser, je me marie par amour... Juste pas l’amour que l’on aurait associé à un mariage, celui-là qu’elle ne connaitrait sans doute jamais… Il fallait qu’elle se raccroche à cette idée.
Le pièce se poursuivait, et Eléonore en riait. Ce que l’amour pouvait rendre sot !
...
Acte II-5
C’était sans doute le genre de questions que l’on ne se posait pas lorsque l’on cherchait soi-même. Il suffisait de sortir et de… Eléonore se gourmanda à part elle : une fille convenable ne faisait pas ça. Il allait vraiment falloir qu’elle finisse par se le mettre en tête. Incapable de se tenir en société, incapable de s’en tenir à une attitude décente, incapable d’agir, et pourtant incapable de laisser les autres faire quand il aurait fallu… Elle était vraiment désespérante.
— Que n’aurais-je pas donné pour avoir une complice à la place d’un cerbère... soupira Eléonore. Notez, ce serait peut-être moins drôle de n’avoir point d’obstacle.
Enfin… C’était fort aisé à dire. Car séparée de son cœur, son Ariste, elle préférait que rien ne les distance. Pas d'obstacle. Et certainement pas la mort. Mais avec Coldris, c’était fort différent. Il n'y avait rien entre eux, et cela devait rester ainsi. Alors quitte à jouer...
Re: [8 janvier 1598] - "Griefs of mine own lie heavy in my breast" [Terminé]
Alors que Roméo faisait sa cour au pied d’un balcon, Éléonore lui avoua qu’elle avait failli en tuer deux. Ou bien à deux reprises. Il n’était pas vraiment sûr de l’interprétation à donner, mais il imaginait parfaitement la scène, ce qui lui arracha un sourire. Il y avait sans doute là quelques anecdotes réjouissantes à creuser pour alimenter les diners futurs, quand bien même il n’était jamais à court de discussion -ou d’activités-.
Et puisque de la séduction au mariage il n’y avait qu’un pas dans la littérature comme dans les mœurs, c’est ainsi que le sujet se porta tout naturellement sur ce point. Elle pouvait certainement s’estimer chanceuse d’avoir profité de sa liberté si longtemps, ce n’était pas le cas de toutes les demoiselles, loin de là. Quant à se marier par amour, si lui-même l’avait fait alors tout le monde pouvait le faire. Pourtant sa répartie le laissa interdit. Qu’elle ne nourrisse pas l’espoir de se marier par amour, c’était parfaitement logique, et même lucide tant c’était rarement le cas. Déjà fallait-il tomber amoureux, ce qui n’était pas une mince affaire, puis ensuite pouvoir se marier avec cette personne. Et là… Là, les choses se compliquaient drastiquement. Dame Fortuna, savait être une maitresse tant capricieuse que vicieuse. En revanche qu’il n’ait pas besoin de l’épouser pour la protéger… Là vraiment, il ne comprenait pas. Elle n’était pas assez naïve pour avaler les belles paroles du premier venu, il en était sûr, c’était donc sincèrement, qu’elle croyait pouvoir jouir de son amour sans contrat. Coldris avait beau tourner et retourner le problème dans tous les sens, il ne voyait pas comment il était possible de parvenir à une telle conclusion. Ou alors… Il fixa intensément son regard pénétrant, ou alors, il ne s’agissait que d’un amour platonique. Quelqu’un d’inaccessible. Charnellement, en tout cas. Mais qui pouvait la protéger. Quelqu’un de proche d’elle. Il repensa à Alan. Un membre de sa famille peut-être ? Ou bien… Et cette fois-ci, il songea à Alduis, ou bien il n’aimait pas les femmes et c’était donc à sens unique. Par contre, il ne comprenait pas comment, elle pouvait se marier par amour dans ce cas ? Était-ce une injonction ? Il détestait plus que tout ne pas comprendre. Ce n’était pas logique. Elle n’avait pas l’air enthousiaste de son mariage. Tout cela n’avait pas de sens...
La pièce se poursuivait et entendre le rire cristallin d’Éléonore était tout bonnement délicieux. Qu’importe si elle se mariait. Si elle pouvait au moins profiter de ces dernières semaines autant que lui-même, alors il n’avait rien à redire de plus.
- De mon expérience, on rencontre plus de cerbères que de complice, mais parfois, on peut avoir la chance d’obtenir les deux. Toujours était-il que les obstacles finissent toujours par se dresser à un moment ou à un autre. La vie et les relations humaines sont rarement un long fleuve tranquille
En plus de trente ans de conquêtes, il pouvait en témoigner. Il avait souvent rencontré des difficultés, mais c’était là qu’était le jeu après tout.
De la représentation, il nota surtout que cette chère nourrice était de bien moins bonne compagnie que Solange. Que n’avait-elle pas fait excepté râler encore et encore ? Ce n’était surement pas avec elle qu’il aurait pu discuter littérature grivoise et ragots épicés…
Acte II-6
Hmm, oui, il s’était vaguement dit cela ce jour-là. Quoiqu’il ne soit pas homme à provoquer la mort, bien que cela lui ait effleuré l’esprit à l’apparition des déplaisants invités surprises qui avaient éteint en quelques secondes la lueur salvatrice qui s’était allumée. La Mort gagnait toujours. Il fallait être idiot pour ne pas le voir. Il fronça les sourcils sévèrement.
Frère Laurence avait tort. Il aurait pu lui donner tort durant toutes ces années, il en était persuadé, car il savait que Solange avait raison désormais : il aimait à la folie, comme un brasier dévorant qui produisait son propre bois pour se consumer éternellement. Que pouvait bien y comprendre ce pauvre religieux ayant fait vœu de chasteté ? On aurait dû les laisser en paix. Ils auraient dû fuir, n’importe où. Il avait réussi une fois, il aurait réussi une autre fois. Il aurait dû l’emmener à Florence, loin de tous ses poisons qui l’avaient achevée.
Le rideau se baissa et il expira toute sa rancune.
- Je vais prendre l’air. Voulez-vous m’accompagner, Éléonore ?
Sur ce, il se leva et drapa ses épaules de son manteau en fourrure, lorsqu’il quitta sa loge, il repéra instantanément la silhouette de Valmar admirant avec un intérêt parfaitement feint une sculpture dans son habit de noble. C’était grâce à cet homme qu’il pouvait jouir de cette pièce sans se soucier des risques encourus. Lui et la poignée d’autres, disséminés un peu partout dans le théâtre. Coldris emprunta l’escalier et la silhouette le suivit discrètement à quelques pas, comme si lui aussi avait subitement décidé de visiter les jardins pendant l’entracte.
Coldris de Fromart- Ministre des Affaires étrangères - Ami du grand prêtre du Lupanar
- Fiche perso : ✶Fiche
✶PNJ
Liens et RPs : ✶ Rapport ministériel
✶ Généalogie & Relations
Bonus Dé : 5
Multi-comptes ? : Eldred Kjaersen / Kalisha de Monthoux / Bérénice d'Aussevielle
Messages : 1362
Date d'inscription : 21/07/2020
Page 1 sur 3 • 1, 2, 3
» [21 - 30 janvier 1598] Au bout de l'errance [Terminé]
» [4 janvier 1598] - Requiescat in pace [Terminé]
» [19 janvier 1598] - Légitimité d'existence [Terminé]
» [21 Janvier 1598] Du bichon au lapin [Terminé]