[8 janvier 1598] - "Griefs of mine own lie heavy in my breast" [Terminé]
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Re: [8 janvier 1598] - "Griefs of mine own lie heavy in my breast" [Terminé]
L’enfant était de lui, elle semblait si certaine de ce qu’elle avançait… Avait-elle seulement idée du nombre de fois où on avait essayé de le duper, parce que c’était si pratique de l’accuser ? Heureusement qu’il notait tout scrupuleusement, il aurait fini par avoir la paternité de la moitié de Braktenn à ce rythme. Il ne se donna tout de même pas la peine de contester si ce n’est d’un regard. Le débat était vain, il n’y avait qu’une seule chose qui l’intéressait là-dedans.
- Est-ce le fameux Louis ? Est-il ici ?
« Est-il en vie ? » C’était cette question qu’il avait au bord des lèvres. Il le savait, c’était loin d’être évident. Il se sentait chanceux de n’avoir perdu aucun de ses enfants, bien que la rougeole n’était pas passée loin d’emporter Bérénice à ses six ans.
— On déteste rarement sans raison. Elle a sans doute une vraie raison, de son point de vue. Cela ne veut pas dire que ce sera le vôtre ou que le sien n’est pas valable.
Qui voulait tuer un chien l’accusait de la rage. Autant dire que depuis le temps, il était immunisé contre la maladie en question. Elle n’était pas la première à le haïr et ne serait pas la dernière. Cela lui était pour ainsi dire parfaitement égal. Qu’elle s’enferme dans son aigreur si ça lui chantait, il n’avait rien à se reprocher et elle ne l’avait pas trouvé si méprisable ce jour-là -étrangement-. Et elle n’allait certainement pas le maudire pour cet enfant qu’elle n’avait pas jugé bon de présenter à son père. Si elle voulait élever seule qu’elle le fasse, mais qu’elle ne vienne pas le tenir pour responsable de sa situation. Il n’avait manqué à ses obligations lorsqu’il se retrouvait face aux conséquences de ses actes. En tout cas, Éléonore n’avait pas à s’en faire si c’était ce qui pouvait la tarauder à ce sujet, il ne la laisserait pas assumer seule. La seule chose contre laquelle il ne pouvait rien ce serait sa réputation et les rumeurs qui l’accompagneraient si elle n’était pas mariée. Mais en même temps, cela semblait si proche qu’elle n’aurait sans doute pas trop de regards suspicieux si cela venait à arriver.
Il secoua à la tête : non vraiment, elle n’avait pas à s’excuser. C’était parfaitement légitime et compréhensible. Coldris remarqua aussitôt ce sourire qui venait de naitre sur ses douces lèvres. Lui-même commençait à y faire écho, anticipant la suite qui s’annonçait divertissante.
— Attendez un peu... Mais c'est à cause de vous que j'ai dû la supporter pendant presque vingt-deux ans !
Il arqua un sourcil suspicieux
— Je n’y suis pour rien si elle est aigrie. Certains vins tournent au vinaigre , que voulez-vous. réfuta-t-il dans un haussement d’épaules nonchalant.
Mais si elle insistait pour obtenir un dédommagement… Il se pencha vers elle de façon à s’arrêter à quelques millimètres de ses lèvres.
— Vraiment ma charmante brebis? Et que préférez-vous ? Un paiement en vers ou en nature ? il quitta ses lèvres pour ses oreilles, le regard pétillant de malice dois-je vous rappeler que vous devez toujours vous acquitter de la vôtre ? Les intérêts courent toujours ma petite luciole
Son index voyagea de l’arête de son nez, au relief vallonné de ses lèvres puis emprunta l’à-pic de son cou jusqu’au relief dunaire de sa gorge d’ivoire.
— Alors ces deux tercets ? Les avez-vous trouvés demanda-t-il avec sa jovialité toute retrouvée.
En attendant qu’elle ne se décide, il poursuivait son exploration géographique des lieux. Tant pis -ou plutôt mieux- si cela l’a déconcentré, après tout il fallait bien s’occuper pour patienter non ?
Coldris de Fromart- Ministre des Affaires étrangères - Ami du grand prêtre du Lupanar
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Re: [8 janvier 1598] - "Griefs of mine own lie heavy in my breast" [Terminé]
Eléonore acquiesça lentement à sa première question. La seconde la crispa légèrement - ce qu’il dut ressentir, car il tenait toujours sa main. Elle avait fait le deuil de son frère de lait depuis fort longtemps, mais les dernières épreuves l’avaient un peu remuée, et tout était remonté - sa mère, son père, Louis, Tante Anne, et même la culpabilité qu’elle portait toujours à cause de cet empoté d’Antoine.
Quoiqu’il en soit, son interlocuteur méritait la vérité. C’était son père en dépit des circonstances, et puis, Eléonore avait elle-même abordé le sujet et lui devait d’aller au bout des choses.
— Il s’appelait Louis, oui, confirma-t-elle. Et même si le temps employé laissait peu de doute sur cet aspect de la question, elle précisa : Nous avions un peu plus de huit ans quand il est mort. Il riait beaucoup. Et il inventait des pitreries exceptionnelles. Il n’avait pas envie d’apprendre à lire, il trouvait ça ennuyeux. Il avait cassé des oeufs dans mes chaussures pour se venger, parce que je refusais d’assister à mes leçons s’il ne m’accompagnait pas et qu’on avait cédé à mon caprice. Pardonnez-moi, je m’égare. Je n’en ai plus parlé depuis longtemps, et je l’appréciais beaucoup.
Elle n’osait pas le préciser, de peur qu’il lui dise ouvertement que cela l’indifférait, mais si cela l’intéressait, il comprendrait que cet enfant avait grandi dans des conditions plus qu’acceptables. Tout comme sa mère, d’ailleurs. Eléonore avait du mal à comprendre qu’elle estime que Coldris lui ait gâché la vie… D’accord, il y avait plus prestigieux mais… Elle avait toute la confiance du comte de Tianidre, et à part surveiller sa nièce, on ne lui demandait rien.
Avait-elle été une enfant si horrible pour qu’on considère que s’occuper d’elle était “une vie gâchée” ? Pour qu’on dise cela malgré tout les privilèges qu’on lui avait octroyés ? Alors peut-être qu’elle trouvait que c’était une bonne raison de haïr Coldris de Fromart, mais Eléonore, elle, n’arrivait pas occulter l’autre aspect de la question. Elle n’était qu’un fardeau, comme d’habitude. Et manifestement, il en avait toujours été ainsi.
Alors oui, Eltinne avait peur pour elle. Elle voulait lui épargner d’avoir à subir les même conséquences qu’elle. C’était la juste inquiétude d’une mère, mais… Tout de même, elle en demeurait amère. Elle savait ce qu’elle risquait et - outre le fait qu’elle n’en ait strictement rien à faire que tout cela finisse très mal, ça ne ferait qu’une bonne raison d’en finir plus vite - elle avait l’assurance de ne pas salir son nom si elle tombait enceinte - ce qui était déjà assez peu probable, en soi. Alors si elle demeurait discrète, elle ne faisait rien de mal. Elle jouait en toute connaissance de cause, et ne reprocherait rien à son partenaire si cela lui revenait en pleine figure par la suite.
Et en parlant de jeu… Elle venait de trouver une excellente excuse pour y revenir. Il pouvait bien protester, et même avec humour cela ne changeait rien. D’ailleurs… Il comprit vite qu’il avait tout intérêt à reconnaître sa part de responsabilité.
Il se retrouvait d’un coup si proche que la jeune femme sentit son coeur s’accélérer. Démoniaque qu’il était, il parla si près de ses lèvres qu’elle eut grand peine à ne pas saisir les siennes… Quelle stupidité que l’orgueil qui la poussait à attendre. Soit, c’était aussi un peu cela de jouer. C’était également de sourire, espiègle jusque dans le fond des yeux, quand il suggéra des moyens de réparer le préjudice.
— Je crains que votre dette ne soit trop lourde pour se contenter d’un seul mode de paiement, admit-elle - la décence, ce serait pour un autre jour. Et au creux de son oreille, il rappela qu’elle-même s’était endettée.
D’ailleurs… Elle ne lui rappela pas, mais alors que son doigt accrochait sa lèvre au passage, elle se rappela qu’elle ne lui avait pas promis qu’un indice avant qu’il ne la rattrape et ne la jette dans la neige… Il s’en souviendrait certainement s’il avait besoin d’une excuse pour la revoir.
En revanche, même si elle était toute disposée à passer avec lui tout le temps qu’il voudrait - en espérant qu’il veuille d’elle assez longtemps pour qu’elle remette de l’ordre dans ses idées - et lui réciter tous les beaux vers qu’ils réclamerait… mais pour la forme… Pour la forme, elle décida d’y trouver à redire.
— Ah bon ? Deux tercets, dites-vous ? C’est amusant... elle fit mine de réfléchir, tout en essayant tant bien que mal de ne garder un minimum de contenance malgré ses gestes osés. Il me semblait que c’était vous qui me deviez deux quatrains… Alors, j’ai effectivement quelques sonnets qui me viennent à l’esprit mais je trouverais dommage de les réciter dans le désordre.
Arrêter ses mains. Ou pas tout de suite. Ou décrêter que la nuit était certainement tombées, et par ces mains-là, le tirer hors de ce théâtre. Elle entendait Ariste en rire dans ses oreilles.
Après le théâtre, vraiment ? Et vous n’avez pas su tout voir ? Je savais que j’étais ton modèle, mais je ne pensais pas que tu irais jusqu’à t’inspirer de moi pour les circonstances de ta première fois, se moquait-il gentiment.
Elle venait seulement d’y penser. Elle le savait, s’il avait été là, elle en aurait entendu parler pendant très longtemps. Elle aurait payé très cher toutes ses railleries.
Moi, au moins, je n’aurai pas planté ma cousine adorée en plein milieu de la représentation ! aurait-elle protesté. Il n’imaginait pas combien elle avait paniqué de le voir disparaître ce jour-là ! Elle avait imaginé le pire ! Et en plus, il avait omis une information incontestablement essentielle au moment de lui avouer où il était passé.
Savoir que son seul amour se serait amusé de la situation lui fit jurer qu’ils regarderaient la pièce jusqu’au bout avant qu’il ne se passe quoi que ce fut. Elle était désolée d’impliquer encore Coldris dans ses querelles de famille mais… C’était nécessaire. Hors de question de ne rien avoir à répliquer aux commentaires qu’Ariste et Gabriel ne manqueraient pas de lui faire quand ils l’apprendraient - elle en était à oublier que le premier ne saurait jamais et qu’elle n’était pas encore certaine de vouloir en parler au second.
Mais ce n’était pas parce qu’il ne pouvait rien se pousser qu’elle devait renoncer maintenant. Autant jouer encore un peu avec le feu, et elle eut tôt fait de choisir le sonnet qui lui convenait et de lui souffler la référence à l’oreille afin qu’il puisse l’entamer.
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Louis. Il s’appelait Louis. Coldris écouta les anecdotes au sujet de ce fils qu’il ne connaissait pas et qu’il ne connaitrait jamais. Il ne pouvait s’empêcher d’afficher un sourire triste, dommage qu’il n’ait pas apprécié la lecture. Il avait au moins eu la chance de ne manquer de rien et d’avoir une vie qui semblait agréable. Il caressa le dos de sa main en songeant combien cela avait dû être difficile pour la petite Éléonore de perdre celui qui avait dû être comme un frère pour elle.
- Ne vous excusez pas, vous deviez être très proches.
Il aurait pu lui poser un tas d’autres questions : de quoi était-il mort ? qu’aimait-il faire puisqu’il n’aimait pas lire ? Quel genre de pitreries inventait-il ? Est-ce qu’il lui ressemblait ?
Mais il garda toutes ses questions pour une autre fois. Il n’avait pas envie de remuer plus que de raison le couteau dans la plaie, ce n’était pas le moment. Le serait-ce seulement un jour ? Il n’en savait rien, mais il n’avait pas envie de gâcher celui-ci. Pas après avoir vu le précédent être avorté de la pire des façons. Et comme si elle partageait son opinion, elle dévia habilement la conversation, en même temps que lui-même égarait ses mains. Il lisait tout le trouble et l’envie qui voilait ses prunelles si sombres, ce qui ne fit que l’inciter à poursuivre.
- Vous m’aimez donc tant que cela ! fit faussement surpris en suspendant durant une seconde son index dans sa course.
- Je m’acquitterai avec grand plaisir de cette effroyable dette et j’irai même ma douce luciole vous réciter quelques vers dans le creux de l’oreille si cela peut vous plaire.
Mais avant cela, elle devrait elle-même s’acquitter du paiement requis -ainsi que des intérêts-. Et elle trouvait à y redire et à négocier ! Il étouffa un rire moqueur.
- Absolument pas. Néanmoins, si vous ne pouvez plus vous passer de mes déclamations, je vous les offre gracieusement. Ou presque. il leva un œil railleur à son encontre.
De son cou, son index arpenta la crête claviculaire avant d’emprunter un méridien en direction du sud, il traversa les monts enchantés jusqu’à la vaste plaine ventrale.
- Dites-moi donc vers lequel s’est porté votre choix et moyennant une maigre rétribution -je vous fais un prix d’ami, parce que je vous apprécie- je vous réciterai les deux quatrains.
Elle se pencha à son oreille et lui souffla la référence : Sonnet XXX, Les Amours de Ronsard. Il inclina la tête tout sourire et se leva pour s’appuyer contre la balustrade. Oh il s’en souvenait parfaitement, mais son regard s’égara dans le sien et il laissa planer un silence qui n’était comblé que par ce dialogue silencieux de prunelles. Finalement, il se décida à réciter suavement ce sonnet qui semblait tout désigné pour lui. Etait-ce volontaire?
Ange divin, qui mes plaies enbâme,
Le truchement et le héraut des dieux,
De quelle porte es-tu coulé des cieux,
Pour soulager les peines de mon âme ?
Il ne put retenir un frémissement et se félicita d’être debout où il pouvait masquer plus facilement son trouble que lorsque leurs mains se touchaient. Savait-elle qu’elle avait ce pouvoir sur lui ? Avait-elle compris qu’elle embaumait ses plaies plus sûrement que le plantain ? Qu’elle ne quittait plus ses pensées et qu’il se sentit plus léger que jamais lorsqu’elle était là ?
Toi, quand la nuit par le penser m’enflamme,
Ayant pitié de mon mal soucieux,
Ore en mes bras, ore devant mes yeux,
Tu fais nager l’idole de ma Dame.
Les vers vibraient en lui plus que de raison, trouvant un écho qui l’emmenait vers un chemin qu’il reconnaissait bien. Il y a bien longtemps qu'il y avait déambulé, mais on le trainait par la main sans qu’il ne puisse résister. Comme pour appuyer ses craintes, son cœur s’enflamma et il ne savait plus bien ce qui appartenait à la récitation de ce qu’il ressentait au fond de lui-même. Elle n’y entendrait que des vers d’un sonnet. Il y avait bien plus derrière.
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Re: [8 janvier 1598] - "Griefs of mine own lie heavy in my breast" [Terminé]
Il fallait faire disparaitre de son esprit tout ce que la situation avait de dérangeant, ou même d’indécent, et en savourer la folie. Se replonger dans le jeu tel qu’il avait commencé, une brève éternité plus tôt. Se doutait-elle, le jour de leur rencontre, que cela lui apporterait la divertirait tant, et lui apporterait de surcroit un réconfort incomparable ? Non. Elle n’avait voulu flirter avec le danger que pour se détruire plus vite. Pour essayer d’abréger cette vie qui était devenue moins indésirable, ces derniers temps. Malgré la semaine atroce qui l’avait replongée dans le supplice des derniers mois.
Car il y avait des moments, comme celui-ci, où sa souffrance était chassée si loin qu’elle ne semblait plus envahir le présent. Et Coldris lui offrait mieux que n’importe qui le luxe de la légereté.
Si détachée de ses constants tourments qu’elle s’attarda pas sur cette boutade qui, si elle semblait anodine, viendrait tourment la jeune femme par la suite par cette idée d’attachement dont on ne pouvait totalement la dissocier. Un attachement qui finirait par la blesser, elle le savait, mais dont elle refusa de se soucier pour l’instant. Elle sourit, ce fut tout.
Et s’il l’appréciait assez pour se laisser enchaîner lui aussi par des dettes imaginaires, il n’oublait cependant pas qu’elle en avait également contractée auprès de lui.
Il s’offusquait de la voir négocier ? Allons, le jeu n’était pas amusant s’il était le seul à pouvoir donner son avis. Pas amusant pour elle, et certainement pas pour lui non plus. D’ailleurs, elle lui en cédait déjà bien trop. Se doutait-il qu’il était le premier dont elle n’avait pas éconduit ce genre d’initiatives bien plus tôt ? C’était sans doute lié à ce qu’il était le seul, jusqu’ici, dont les baisers avaient eu un tel effet. Même si c’était absolument incensé. Mieux valait qu’il l’ignore.
Elle l’avait écoutée nier, puis finalement céder, avec un sourire désabusé. Il avait dit qu’il dirait les quatrains, de toute façon ! Et s’il n’était pas content, elle ne rembourserait rien du tout. Que pouvait-il faire ? La garder prisonnière de ses bras jusqu’à ce qu’elle s’acquitte des deux tercets qu’elle lui “devait” ? Oh, eh bien il aurait toujours pu attendre. Elle n’aurait même pas cherché à s’évader. Oh, ça sûrement pas !
Mais s’il tenait tant à ce qu’elle paye sa récitation, il n’y avait pas de raisons qu’elle n’en profite pas pour lui voler un baiser. Peut-être abusait-elle légèrement de cette folie… Mais elle préférait cela que de la laisser lui filer entre les doigts sans en avoir profité. Quand elle quitta ses lèvres, ce fut pour dire quel poème elle avait choisi.
— Descendez sur la scène, tant que vous y êtes, le taquina-t-elle en le voyant s’éloigner.
Il l’avait contrainte à avouer qu’elle avait apprécié son baiser, soit, s’il voulait jouer ainsi, elle le forçait à lui reconnaitre une place, même si elle savait qu’elle ne l’avait pas vraiment. Dans sa voix, cela sonnait si doux, si chaud, si envoûtant que c’était à s’y perdre. S’y perdre, oui. C’était cela le plus grand paradoxe de leur relation : elle s’y perdait autant qu’elle s’y retrouvait, et s’y blesserait autant qu’elle l’avait apaisée. Au fond, c’était peut-être elle-même qui avouait quelle place il pouvait prendre… Mais non, ce n’était qu’un jeu, un simple jeu. Rien de plus, et personne ne prenait aucune place particulière, et cela n’arriverait jamais.
Elle finit par se lever fluidement, et pour résister au désir de l’étreindre, elle contourna sa chaise et s’appuya des deux mains sur le dossier pour garder ancrage dans la réalité… Sa voix lui embrumait l’esprit. Pour dédramatiser, elle tenta de se dire que si les anneaux se resseraient autour de sa gorge, c’était qu’elle ait le vertige. Mais cette image ne fit que l’inquiéter. Son charme l’avait piégée, certe, mais pas à ce point. Cela ne devait pas exister.
A défaut de pouvoir lui embrouiller les idées comme il embrouillait les siennes, elle espéra au moins que sa part de récitation lui plairait.
Demeure, Songe, arrête encore un peu !
Trompeur, attends que je me sois repu
De ce beau sein dont l’appétit me ronge
Au moins, à défaut de contrôler ses propre pensée, elle savait encore gérer sa voix. C’était un rien moins drôle quand il était si loin... Mais pour cette fois, cela valait mieux. Cette fois, cela risquait de dégénérer. Ce qui ne l’empêcha d’ailleurs pas de poursuivre :
Et de ces flancs qui me font trépasser
Sinon d’effet, souffre au moins que par songe
Toute une nuit je les puisse embrasser.
Elle avait beau avoir parlé, c’était toujours sa voix à lui qui résonnait dans ses oreilles et la déviait de toute raison. Raison. Un surnom qui ne lui convenait plus autant qu’à l’époque. On ne pouvait pas être raisonnable quand c’était à son tour de s’amuser. A son tour de ses perdre dans quelque chose de bien plus vaste qu’il était interdit de nommer.
— Nous parlions donc d’intérêts reprit-elle avant d’avoir vraiment recouvré ses esprits.
Intérêt qu’elle avait justement tout intérêt à laisser fructifier encore un peu… Mais elle voulait quand même savoir à partir de quoi. En fait, elle voulait juste qu’il parle. Qu’il dise n’importe quoi s’il voulait, mais qu’il parle.
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Elle n’avait pas répondu à sa boutade. Enfin si. D’un sourire. Ce qui n’était définitivement pas un non quoiqu’elle en dise ou en pense. Et quelque part, cela le réjouissait de le savoir. Tout comme il appréciait négocier les dettes et intérêts qui s’en suivaient.
En guise de paiement, elle déposa ses lèvres sur les siennes et il se servit langoureusement du complément, caressant au passage son visage. C’était parfaitement acceptable pour lui réciter deux quatrains, quoique parfaitement insuffisant pour juguler la vague de désir qui prenait naissance dans le creux de son ventre. A bien y réfléchir, c’était presque cruel de le mettre ainsi en appétit sans pouvoir servir le plat qui comblerait sa faim.
Il n’eut pas vraiment d’autre choix que de s’éloigner physiquement pour se plier à sa demande. C’était ça ou retourner s’abreuver à ses douces lèvres. Choix cornélien.
- Mais j’en serai capable. Je pourrais me mettre juste sous cette balustrade et jouer les Roméo pour vos beaux yeux, ma Juliette. D’ailleurs, vous n’avez pas encore eu le loisir de me voir monter sur la table pour déclamer prose ou vers !
Il ne lui fallut qu’un court instant pour retrouver les strophes qu’il devait réciter. Un sonnet qui résonnait étrangement en lui, il ne pouvait le nier. C’en était d’autant plus dérangeant que leur regard ne semblait plus pouvoir se détacher, y compris lorsqu’elle se leva pour à son tour réciter les trois fameux tercets qu’elle lui devait. Il était accroché à ses lèvres mouvantes. Et pas seulement, car il rêvait de s’en saisir. Il se laissait hypnotiser, porter par sa voix, bercer par les mots. Oh oui ! Combien de fois avait-il pesté contre ses songes trop courts qui le privaient de cette présence rassurante. Rêvait-elle de lui parfois ? Occupait-il son esprit comme elle le faisait du sien ? Toujours là quelque part. Sans s’en rendre compte, ses lèvres égrainaient silencieusement les mots en même temps qu’elle.
Toute une nuit je les puisse embrasser. Le pourrait-il ? Sa voix s’était tue. Il avait tout oublié. Les dettes, les intérêts, le théâtre. Le temps se suspendit. Il sentait son cœur battre la mesure paisiblement, mais puissamment.
— Nous parlions donc d’intérêts
Ah oui les intérêts en effet. La vérité c’était qu’il ne savait même pas quoi lui réclamer réellement. Enfin si, il avait bien une idée, mais bon. Était-ce si important au fond ?
— En effet. Les intérêts. Et ma dette ? Vous ne m’avez pas annoncé à quel point j’étais endetté
Avec tout cela, il ne s’était même pas rendu compte que les spectateurs avaient repris place et qu’on levait subitement le rideau pourpre. Quel dommage.
— Vous allez devoir patienter. La pièce reprend. À moins que vous ne comptiez m’interrompre de nouveau ? taquina-t-il en retournant à sa place.
Coldris reprit la pièce. Il était tout ouïe et bien décidé à suivre ce nouvel acte même s’il ne se faisait plus trop d’illusions, il finirait par en perdre le fil. Paris insistait pour se marier. Et cette pression… Elle ne pouvait que lui rappeler celle de l’autre maudit rat. Il chassa cependant ses pensées pour ne pas se laisser emporter dans les méandres de ses souvenirs. Juliette se confessait au Frère Laurent.
JULIETTE: Dis moi d’entrer dans une tombe fraichement creusée
Pour me cacher avec un mort sous son linceul !
Choses telles, que les entendre raconter m’a fait frémir.
Je les ferai sans craindre et sans hésiter
Pour vivre épouse intacte de mon doux aimé.
Acte IV-1
Ou plutôt recherchait une solution miraculeuse auprès du Saint-Esprit. Après tout, il avait bien ressuscité non ? Simple tour de passe-passe si l’on en jugeait la fin de la scène. Pour une fois, il ne pouvait qu’approuver Juliette. Que n’aurait-il pas fait pour sa belle ? Il aurait tout tenté même se cacher dans une tombe fraichement creusée et vraiment, rien ne le faisait plus frémir que les endroits sombres et exigus qui excitaient ses démons d’un coup de pique ou de fer rouge. Elle était courageuse et déterminée. Audacieuse aussi. Elle avait été pareille. Aurait-il dû tenter de la faire passer pour morte ? Ah si seulement, il avait eu accès à une telle fiole à ce moment donné ! Coldris tourna la tête vers Éléonore, et elle, à quoi pensait-elle en cet instant. Ou plus exactement, à qui ?
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Re: [8 janvier 1598] - "Griefs of mine own lie heavy in my breast" [Terminé]
Alors s'il s'éloignait pour réciter, c'était sans doute plus simple. Bien sûr qu'il serait capable d'aller faire le pitre sur la scène. Pour ce qui était d'utiliser sa table de salle à manger à cet escient, elle sentait bien que cela avait déjà dû lui arriver. La dernière fois qu'elle s'était retrouvée debout sur une telle table, c'était pour danser avec Ariste. Elle avait fini par se balancer d'un lustre à l'autre – sans les faire tomber ! –, et lui par écraser un verre en marchant dessus, se prendre un éclat en plein talon et pisser le sang sur la table en acajou. La tête d'oncle Eineld lorsqu'il était revenu dans la salle à manger avait eu quelque chose d'épique qui les avait fait pleurer de rire. Presque autant que celle de la fausse grossesse.
Et maintenant, elle se retrouvait captivée par une autre voix, et lui répondait dans le même langage. Visiblement, son choix ne lui avait pas déplu. Mais elle s'était égarée plus loin encore.
Rien de mieux qu'un retour aux affaires pour reprendre pied... Non, ce n'était décidément pas une devise qui lui convenait, car ces affaires-là – qui n'étaient, en somme, qu'une composante du jeu – ne faisaient que l'embrouiller encore plus. Il lui retournait sa question sans avoir répondu… Curieux. Était-ce pour se donner le temps de trouver quelque chose à lui demander ?
— Votre dette ? Elle fit mine de réfléchir… vingt-deux ans à avoir Eltinne sur le dos, cela coûtait effroyablement cher. Mmmm je vous apprécie aussi, Coldris, mais les affaires sont les affaires, vous comprendrez, initia-t-elle par la même phrase par laquelle il l'avait enchaînée à de frauduleux intérêts. Alors - soyons raisonnable – il y aura cette nuit, déjà. Et il faudra m'héberger, que j'aie au moins jusqu'au lever du soleil pour inventer une excuse crédible. Vous m'aiderez, vous me devez bien ça. Oh, et vous m'avez parlé de chasse, aussi. J'en veux une. Et comme convenu, vous m'aiderez à m'y préparer, donc il nous faudra... Disons... Au moins quatre promenades. Plutôt cinq, pour être certains que je ne ferai pas de mauvaise chute – vous ne voulez pas que je fasse de mauvaise chute, n'est-ce pas ? Et quand vous m'avez proposé du théâtre, vous m'avez promis une tragédie grecque. Celle-ci est anglaise, ça ne compte pas, nous devrons revenir. Bien sûr, vous aurez fait installer un canapé pour que je puisse suivre la représentation depuis vos bras – je peux même le payer, si vous y tenez, mais je ne ferai pas l'affront de proposer.
Même si là, elle venait quand même de le proposer. C'était juste pour dire que ce qu'elle voulait, c'était surtout ses bras pour regarder la pièce.
— Même si je n'accepte pas encore votre invitation au bal, je crois pouvoir vous accorder une danse. Mais pour cela, il faudra que j'ai pu estimer vos compétences de danseurs avant. Et...
Une lueur de défi toute particulière s'alluma dans son regard. La première chose qu'elle avait voulu de lui – hormis qu'il la laisse tranquille et qu'Alduis se décide très vite à descendre – c'était de voir son esprit fonctionner contre autre chose qu'un petit agneau sans défense. Et il y avait un domaine où elle savait utiliser le sien sans se mettre à angoisser, parce que cela aussi avait l'avantage de "n'être qu'un jeu".
— Vous devez bien posséder un jeu d'échecs ? question rhétorique, elle ne lui laissa pas le temps de répondre avant d'enchaîner. De toute façon, il était parfaitement inconcevable qu'un homme comme lui ne sache pas jouer. Cela fait une éternité que je n'ai pas eu un véritable adversaire et j'ai comme l'impression que vous pourriez au moins m'empêcher de m'endormir sur le plateau. Je veux vous affronter. En trois parties gagnantes.
Elle prit une grande inspiration. Voilà ses exigences. D'accord, elle avait légèrement exagéré… Risquait-il de la prendre pour une petite princesse capricieuse d'en demander autant ? Au fond, tout ce qu'elle voulait, c'était passer du temps avec lui. Elle se sentait stupide de ne pas avoir réussi à arrêter de parler. Tant pis, elle devrait faire avec. Mais s'il protestait un peu, il ne semblait pas si opposé que ça.
— Si c'est abusif, nous n'avons qu'à commencer par les échecs. Et si vous gagnez, nous inverserons la dette. Ce sera moi qui vous le devrai, qu'en dites-vous ?
Ainsi elle lui laissait une chance de reprendre l'initiative si c'était ça qu'il voulait. Elle n'aurait pas pu être plus tributaire de son bon vouloir qu'elle ne l'était déjà.
Ses yeux glissèrent vers la salle qui se remplissait de nouveau. Puis, derrière lui, le rideau se leva déjà, et il sembla enfin le remarquer. Il revint s’asseoir, et elle fit de même. Après tout, elle ne pouvait pas rester derrière sa chaise indéfiniment.
Qu’en dire ? La situation était toujours aussi charmante. Mais bon, puisque la fin devait être telle qu’annoncée, rien de plus normal à ce que les difficultés persistent.
De charmantes images données pour illustrer tout ce que Juliette eut été capable de faire. Mais il y avait quelque chose de sot dans ce qu’elle disait. Oh, elle ne doutait pas qu’on eu pu faire tout cela par amour. Qu’aurait-elle fait, elle, par amour ? Pour son grand-frère, son Ariste, celui auquel elle tenait par dessus tout, elle aurait accepté les pires supplices. Parce qu’il était la plus grande partie d’elle-même, la plus importante, celle qu’il aurait fallu sauver s’il fallait en choisir une. Elle aurait enduré les pires supplices aussi longtemps qu’on aurait pu les lui infliger, affronté la mort, obéi à n’importe quoi… N’importe quoi pourvu qu’il soit épargné, et le double, même, pour qu’il n’en sache jamais rien. La seule petite fiole qu’elle aurait espéré trouver, elle, eut contenu de l’eau d’un certain fleuve infernal. Pour lui. Pour que jamais il ne souffre jamais de l’avoir perdue, ni de la savoir blessée pour son bonheur, car il ne l’aurait jamais admis. Pour que lui aussi puisse exister. C’était cela, aimer : être prêt à tout sacrifier, même soi, même son souvenir, même l’affection qu’il lui vouait si cela pouvait le sauver.
FRERE LAURENT : Il viendra jusqu’ici. Et lui et moi épierons ton réveil ; et la même nuit, Roméo t’emportera loin d’ici, à Mantoue
Acte IV-1
Bon… D’accord, Eléonore reconnaissait qu’elle avait pensé trop vite, le plan avait un sens. Morte, Juliette ne serait pas recherchée… Elle aurait dû réfléchir un peu avant de se demander pourquoi elle ne s’enfuyait pas simplement. Heureusement qu’elle avait mordu dans sa joue avant d’émettre un importun commentaire.
Quelle chance, tout de même que de pouvoir simplement simuler la mort pour retrouver celui qu’on aimait… Eléonore avait cru qu’à elle, il suffirait de l’attendre, de le laisser prendre du recul sur ce qui était arrivé, et de se contenter de ses lettres pour survivre jusqu’à son retour…
Mais pour ce qui était de la pièce, elle visualisait désormais parfaitement où se situerait le problème. Voilà ce à quoi elle avait échappé : elle n’avait jamais été oppressée par cette fatalité. Elle n’aurait jamais cru Ariste capable de périr, l’idée ne lui avait même jamais effleuré l’esprit. Tout lui était tombé dessus en une fois. En une fois, elle s’était rendue compte qu’elle n’était plus rien, et qu’on l’avait amputée d’elle-même. Seule. Vide. Inutile. Elle se demandait encore comment elle était parvenue à se relever. Quelle force soudaine l’avait jetée hors de sa chambre pour lui faire réclamer ce séjour en ville. C’était amusant : encore une fois, elle imitait Ariste. Elle s’éloignait de Tianidre en croyant que cela pouvait apaiser son coeur.
Coldris était toujours à côté d’elle. Epuisée par ses pensées, faisant fi de l’accoudoir, elle ramena en silence sa tête sur son épaule, et sa main sur son coeur. Là, tout de suite, sa présence était la seule chose qui l’empêchait de sombrer dans une nouvelle crise de larmes. Autant parce qu’elle ne pouvait pas se permettre de montrer l’étendue de sa faiblesse que parce qu’avec lui, elle se sentait moins vide.
Re: [8 janvier 1598] - "Griefs of mine own lie heavy in my breast" [Terminé]
Rien de mieux que de parler affaire pour retrouver tous ses esprits. Ou presque. Parce que cela aurait été trop beau pour être vrai et clairement trop simple. Il esquiva habilement la question de sa dette : dommage la pièce voulait reprendre, mais il daignait parfaitement entendre ses longues doléances qui avaient de quoi remplir un registre entier de paysan vindicatif. Il haussa les sourcils, un peu plus à chaque nouvelle énumération. Pour la forme seulement.
Soyons honnête : la nuit ensemble, c’était visiblement bien engagé, et comment dire? Il n’était pas en mesure de le refuser. L’aider à trouver une excuse, oh et bien… Oui, il l’aiderait. Elle n’avait pas précisé comment après tout. La chasse et l’équitation: c’était prévu également. Il lui prêterait même l’un des siens. Et puis comme il avait le loisir de lui dire quelque temps plutôt, l’équitation revêtait d’autres facettes qu’il aurait grand plaisir à lui faire découvrir. Là non plus, elle n’avait pas précisé. On ne se faisait pas bien mal en chutant d’un lit. Il esquissa un sourire amusé à l’idée. Quant au théâtre… Elle avait raison. Mais une pièce de Shakespeare ça ne se refusait pas, les tragédies grecques, il s’en jouait tout le temps. Et dans un canapé. Oui, il avait bien compris qu’elle voulait rester dans ses bras. Avait-elle conscience qu’elle ne suivrait pas grand-chose ? Il pouvait s’avérer terriblement perturbateur quand il s’y mettait. Encore plus lorsqu’il avait déjà vu la pièce en question et que ses mains cherchaient à s’occuper.
C’était tout ? Visiblement pas. Il pinça les lèvres dans un sourire en coin, sans rien répondre et écouta docilement la suite. Elle voulait bien lui accorder une danse. Mais, attendez, ce n’était pas lui qui était censé payer ? Grand seigneur, il se garda bien de lui faire remarquer. Maintenant des échecs. Allons bon. Il acquiesça. Il en avait un dans chacune de ses demeures, en effet. Il adorait les échecs et avait passé bon nombre d’heures à jouer avec Bérénice lorsqu’elle était toujours à Fromart. Si elle voulait l’affronter, ce n’était pas bien cher payé au fond. Trois parties gagnantes. Ce qui pouvait donc en faire un total de cinq dans le meilleur des cas. Si par meilleur on entendait « passer du temps ensemble » bien évidemment. Sourcils arqués, bras croisés, il retint sa respiration avant d’expirer tout l’air contenu.
- Et ce sera tout, ma petite princesse-luciole ? Vous savez si vous voulez passer votre vie avec moi, vous n’avez qu’à m’épouser. Vous aurez tout le loisir de jouer aux échecs en ma compagnie. Je vais vraiment finir par croire que vous ne pouvez plus vous passer de moi.
Il n’avait même pas commencé à négocier une remise de peine qu’elle lui offrait déjà une alternative toute trouvée ! Le genre même qu’il aurait proposé s’il avait voulu l’amadouer et être sûr d’obtenir ce qu’il avait demandé. Il ne put retenir un petit rire et prit son menton entre son pouce et son index. Oh oui c’était bien pour cela qu’il l’a…ppréciait autant. Et il embrassa furtivement ses lèvres.
- Nous commencerons par la nuit. Je peux quand même choisir l’ordre, non ? Et nous finirons par les échecs. Je suis joueur, vous savez : si vous gagnez, je vous accorderai une nouvelle dette astronomique. En passant, je suis excellent joueur, ma petite banquière.
Il lui adressa un sourire entendu et retourna s’installer dans sa chaise. Il était prêt à suivre. Même s’il comptait les minutes jusqu’à la fin. Non pas que ce soit ennuyeux, mais il avait mieux à faire que de rester assis dans cette chaise à accoudoir. Oh oui, un canapé, c’était une excellente idée. Et non, elle ne paierait pas. Quelle idée saugrenue !
Pour l’instant, il ne loupait presque aucune réplique, et heureusement, car l’on arrivait au point clé de l’intrigue : la demande de Juliette. Un faux poison pour se faire passer pour morte. Ah! pourquoi diable n’avait-il pas eu cette idée ? Le problème c’est qu’ils auraient quand même dû fuir et que c’était exclu… Éléonore laissa tomber sa tête contre son épaule. Il baissa ses yeux si bleus sur la main qui venait de s’arrimer à son cœur. Il allait finir par se laisser trahir, si elle restait là. Qu’importe. Il passa son bras autour de ses épaules et baisa le sommet de son crâne. Il ne savait pas pourquoi, mais il pouvait sentir qu’elle aussi se laissa gagner par ses ombres. Il ignorait pourquoi et au fond cela ne le regardait pas, elle avait parfaitement le droit de conserver ses blessures loin des yeux inquisiteurs. Il était bien placé pour le savoir. Il voulait simplement qu’elle sache qu’il était là et qu’elle n’était pas seule. Sa main frotta tendrement son bras dans l’espoir de la réconforter modestement, car il savait pertinemment qu’il était très mauvais pour cela. Elle pouvait bien avoir ses failles, cela ne la rendait pas moins admirable pour autant. Bien au contraire, c’était comme ça qu’il l’aimait avec ses fragilités et sa force. Sans doute parce que quelque part il ne pouvait que la comprendre et même s’y reconnaitre. Sa main arrêta subitement ses va-et-vient lorsqu’il réalisa ce que venait dire sa propre voix dans son esprit. C’était un mot comme un autre après tout et que l’on employait tous les jours. Il ne pouvait pas le blesser pour le simple fait de l’avoir pensé.
JULIETTE: Et si quand je serai couchée dans le tombeau
Je m’éveillais avant le temps où Roméo
Viendra me délivrer ? C’est une horrible idée.
Ne vais-je pas être étouffée dedans la tombe
Dont la hideuse bouche ne respire jamais d’air sain
Et là mourir suffoquée
Avant que ne vienne mon Roméo ?
Acte IV-3
Coldris ne put retenir un profond frissonnement qui le secoua de ses entrailles à sa tête. Le noir. L’obscurité. Un endroit clos. Exigu. Seul. Sans personne. L’air qui refusait de pénétrer ses poumons. Les ongles qui grattaient les parois de bois et les pierres scellées. Tout son corps s’était crispé. Pourquoi les murs semblaient-ils se rapprocher de plus en plus. Non, non, non ce n’était que son imagination. Il était au théâtre. Dans sa loge. Il y avait de l’espace. Il n’y avait pas de grille. Il pouvait sortir quand il voulait. Il était au théâtre. Ce n’était que le fruit de son imagination qui se mêlait à ses souvenirs. Il n’était plus le petit garçon séquestré dans son cachot. C’était fini. Les souvenirs ne pouvaient pas le blesser. Il inspira profondément, tétanisé.
Coldris de Fromart- Ministre des Affaires étrangères - Ami du grand prêtre du Lupanar
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Re: [8 janvier 1598] - "Griefs of mine own lie heavy in my breast" [Terminé]
Princesse-luciole, rien que ça ! Elle ne réagit pas davantage que par un clignement d’yeux lorsqu’il plaisanta encore avec l’éventualité d’un mariage. Ne savait-elle plus se passer de lui ? Cela lui semblait de plus en plus compliqué à chaque fois qu’elle le voyait. D’occasion de s’amuser un peu - ce dont elle ne culpabilisait pas parce qu’elle savait ne pas représenter davantage pour lui - il était passé personne la plus apte à la réconforter. Il était les premiers rayons que l’on voyait poindre à l’aurore, ceux-là même qui rappelaient que le jour pouvait encore se lever. Un soleil d’une douce chaleur après une longue nuit d’errance hivernale. Et le temps qu’elle passerait avec lui, ce temps avant de le quitter à jamais, ce serait ce nouveau jour qu’il illuminerait. Ce dernier jour, peut-être, car elle n’en voyait plus d’autres sans lui. Parce qu’elle aussi, même après seulement huit mois, était lasse de se battre. Lasse si elle devait se battre seule. Ariste comprendrait. Elle aurait pu exister, selon cette dernière volonté, et il lui donnerait le droit de mourir.
Cela avait un bref instant troublé son regard avant que, tout sourire retrouvé - un sourire plein d’astuce - elle ne suggère une alternative. Après tout, quelle importance de savoir qui le “devait” à qui s’ils passaient du temps ensemble… Quoiqu’elle savait bien que lorsqu’il ne voudrait plus la voir, ce n’était pas cette histoire de dettes qui le retiendrait…
Vile qu’il était, pour la punir d’avoir essayé de l’influencer, il l’embrassa si fugacement qu’il ne fit que renforcer ce besoin qui la rongeait. Il savait qu’il la tenait. Seulement voilà, quand on y réfléchissait bien, elle le tenait tout autant, pour l’instant. Il ne gagnait pas plus qu’elle.
Commencer par la nuit, n’est-ce pas ? C’était amusant, un autre choix l’aurait fort surprise… De toute manière, il devenait de plus en plus évident qu’elle devrait annuler sa soirée lecture avec Eltinne. Quel dommage !
Pour l’ordre, elle le lui laissait aussi. Il pouvait même se figurer qu’ils faisaient la promenade numéro quatre avant la numéro deux si cela lui faisait plaisir. Elle, ce qu’elle voulait, c’était passer plus de temps avec lui.
— Je suppose que moi aussi, je devrai accepter de m’endetter si vous gagnez… Mais nous avons encore le temps, je crois.
De retour sur sa chaise, Eléonore suivit cette fois assez bien le déroulé des évènements. Assez bien jusqu’à être happée par le deuil. Jusqu’à avoir besoin de retrouver la présence réconfortante d’une certaine personne qui se trouvait opportunément juste à côté d’elle. Quelle importance alors que l’accoudoir s’enfonce juste sous ses côtes. Elle n’avait pas mal, pas pour cela. C’était un maigre inconfort, en réalité. Surtout quand l’homme qui soulageait votre coeur mieux que quiconque vous entourait de ses bras et déposait un baiser dans vos cheveux. Quand vous pouviez presque vous laisser croire qu'il comprennait vos blessures, qu'il saurait les apaiser.
Enfin… Éléonore ne se berçait pas d'illusions. Elle savait fort bien que pour lui, ce ne demeurerait qu'un simple jeu et qu'il se lasserait bien vite de la consoler. Il avait mieux à faire. Elle ne savait même pas comment il avait pu tolérer cela jusqu'à présent. Comment il avait pu lui faire confiance pour partager ses tourments. Car cela, elle n'en doutait pas : c'étaient de vrais maux qu'il avait avoués. Elle voyait trop bien quand quelqu'un manquait de sincérité, elle savait qu'il était vraiment blessé, et qu'il l'avait confié sincèrement. Ce qui lui échappait, c'était qu'il ait cru bon de le lui dire à elle.
Elle se rendit compte qu'il friction ait son bras quand sa main s'immobilisa. Elle posa sa propre main par dessus la sienne pour qui ne l'a retire pas. L'autre n'avait pas quitté son coeur.
C'était amusant de voir Juliette imaginer toutes les entourloupes qu'il y aurait pu y avoir derrière cette histoire de flacon. Parce qu'Éléonore se reconnaissait bien dans ces divagations. Même si cela l'empêchait rarement d'agir finalement à sa guise et…
Coldris tressaillit. Quels fantômes ressurgissaient donc de ces répliques ? À moins que ce ne fut qu'un malheureux courant d'air ? Non, elle sentait sa main crispée sur son bras, et son cœur affecté sous la sienne. Tout en serrant doucement sa main – se détournant par la même occasion de ce qui se disait sur scène et ne l'a réjouissait pas spécialement – elle réfléchit à ce qui avait pu le perturber ainsi. Ce n'était pas la première fois… Et si c'était lié à la pièce la dernière aussi…
De quoi parlait-on alors ? D'amour ? De ce que causait l'amour ? Non ! Enfermé. C'était à ce mot-là qu'il s'était crispé. Quel rapport cela avait-il avec ce qu'il lui avait déjà confié ? A priori aucun, quoiqu'on aurait toujours pu les relier… Mais cela ne faisait que confirmer qu'il portait bien plus de blessures qu'il n'en avait déjà dévoilées. Bien plus de cicatrices. De… Elle chassa l'idée que le léger relief sous ses doigts ait pu être autre chose que son imagination. Elle s'astreignit à ne pas chercher davantage. Ce n'étaient pas ses affaires. Elle n'avait certainement pas envie qu'elle sache, alors elle ne voulait pas savoir non plus.
Elle s'était juste un peu plus blottie contre lui. Elle était là. Elle n'était pas la personne dont il avait besoin, c'était vrai, mais elle était là. Elle espérait, de toute la sincérité de son cœur, qu'il trouve quelqu'un qui puisse porter tout cela avec lui. Il le méritait. Plus qu'elle, d'ailleurs. Il se battait depuis bien plus longtemps, avait bien plus de force.
Elle avait beau réfléchir, elle n'osait rien dire de peur d'accentuer ses tourments. Elle était là, c'était tout. Elle était là, c'était tout ce qu'elle pouvait faire.
Re: [8 janvier 1598] - "Griefs of mine own lie heavy in my breast" [Terminé]
Question innocente ou réelle investigation ? Toujours est-il qu’il prit bien soin de noter sa réaction troublée. Bien plus que lorsque la réponse était un « non » catégorique. D’ailleurs, elle ne répondit pas réellement, préférant éviter le sujet pour lui proposer cette alternative, ce qui le fit sourire.
Bien évidemment, il n’était pas envisageable de lui laisser la main. Quand bien même la voir proposer ce genre de marché la rendait plus séduisante que jamais, comme si elle devinait instinctivement ce qu’il aurait fait à sa place.
- Je vois que vous avez parfaitement saisi les règles de notre jeu. Le croyez-vous vraiment ?
Coldris pouvait parfois se montrer imprévisible. Il aimait déstabiliser et il n’était pas dit qu’il ne vienne pas un jour la cueillir au saut de lit pour lui annoncer qu’il voulait jouer aux échecs maintenant. Ou même au milieu de la nuit. Après tout, les journées étaient bien longues lorsque l’on ne fermait l’œil que quelques heures par jour. Enfin, cela, il se garda bien de lui dire. Elle en aurait la surprise. Et ce n’était que l’une de celles qu’il fallait s’apprêter à subir lorsqu’on voulait le côtoyer régulièrement comme elle ne cessait de l’affirmer à demi-mots, chose qui était bien loin de lui déplaire, bien au contraire.
La pièce avait repris et l’obscurité semblait étendre son voile aussi bien hors de ses murs que sur la scène et dans leurs cœurs respectifs. Ce fut tout d’abord elle qui se laissa emporter il ne savait où. Où n’avait pas tant d’importance, car Coldris comprenait le comment. Il ne savait que trop bien ce qu’elle pouvait ressentir et tout ce qu’il pouvait faire c’était lui offrir son soutien avant que ses propres démons ne le rattrapent. Il avait froid. Froid de cette terreur sournoise qui s’emparait de lui, qui remontait chacune de ses vertèbres, une à une dans un frisson glacé. Il sursauta au contact de sa main si chaude qui contrastait avec l’atmosphère glaciale qui l’étouffait. Sous son bras, il perçut son corps se rapprocher du sien et resserra son étreinte autour de son épaule. Sa présence calme l’apaisait, il pouvait puiser dedans la force de se retrouver.
Il pivota et l’enlaça complètement jusqu’à s’enivrer du romarin. Tant pis. Tant pis. Il s’en fichait éperdument. C’était trop tard de toute façon. Elle le savait déjà. Elle avait déjà compris. Elle ignorait juste à quel point il était gangréné.
Et quand on avait les mêmes alors ? Lorsqu’il n’y avait que deux flacons fêlés sur une étagère que faisait-on ? Était-il encore possible de les entrechoquer sans les briser davantage ? Pourrait-il tinter de leur son cristallin ou ne resterait-il que de multiples débris ? La seule chose dont il était certain c’était que la prochaine blessure lui serait fatale. Il arrivait un moment où l’on ne pouvait plus se relever ni même ramper indéfiniment, il fallait juste achever la bête.
Sa main caressait son dos dans l’espoir de se bercer. Les yeux clos, il n’écoutait plus ce qu’il se passait aux alentours, toute sa concentration, il la dédiait à elle : la chaleur de son cou, les battements de son cœur, l’odeur de romarin, la douceur de sa peau, le réconfort de ses bras. Il était si bien que le bourdonnement s’estompa finalement pour laisser place au dialogue des comédiens. Brièvement.
Reviens à toi, ouvre tes yeux, ou je vais mourir avec toi.
Au secours, au secours ! appelez au secours !
CAPULET : De grâce, amenez Juliette ; son seigneur est là.
LA NOURRICE : Elle est morte, décédée, morte, jour de malheur !
DAME CAPULET: Jour de malheur, elle est morte, elle est morte, elle est morte !
CAPULET : Ho ! Laissez-moi la voir. C’est fini. Elle est froide.
Acte IV-5
Morte.
Morte.
Morte.
Elle était morte.
Il s’enfonça un peu plus encore dans son cou. si tant est que cela soit possible. Il ne pouvait plus disparaitre plus loin.
Morte.
Morte.
Morte.
Combien de fois pouvaient-ils répéter ce mot? N’était-ce pas suffisamment clair ? A chaque nouvelle occurrence, son cœur se comprimait d'autant, ses entrailles se nouaient à lui en donnait la nausée et l’écho… L’écho retentissait comme le glas, grave, glacial, inéluctable. Il se sentait perdre pied sous cette vague de réminiscences qui l’assaillit et le noya. Sa sœur. La gorge aussi rougeoyante que ses cheveux. Son regard vide qui regardait par-delà son corps. Et Aurélia qu’il n’avait pas revue. Morte trop loin de lui.
Non plus ma vie, mais l’amour dans la mort
Acte IV-5
Et mon fils ? Il…
Ses bras se tétanisèrent. Ses narines avaient beau s’ouvrir pour capter l’air, il n’avait pas l’impression que le moindre filet parvint jusqu’à ses poumons comprimés, écrasés. Autour de lui, le décor se mit à vaciller, les mots s’entremêlèrent et il ne distinguait plus la réalité de son imagination. Ce chaos assourdissant martelait son crâne comme on sonnait les cloches.
Il voulait le silence,
il voulait la paix.
Il voulait oublier.
Il voulait se noyer dans le Léthée puisqu’il ne pouvait pas franchir le Styx pour négocier.
Elle était toujours là. Elle l’habitait, elle l’habiterait toujours. Présence qu’il chérissait plus que n’importe quelle autre. Il aurait juste… Il aurait juste voulu la voir une dernière fois. Lui dire au revoir. Même de ses adieux, on l’avait privé. Ses yeux le brulaient. Mais il ne pouvait pas.
Du romarin. Du romarin. Il retrouva subitement le contact avec la réalité et aspirer l’air profondément. Il ne pouvait pas. Il ne pouvait pas. Il recula d’un coup. Il fallait sortir. Il fallait qu’il se calme. Elle ne devait pas savoir. Pas tout. Pas maintenant.
D’un bond, il se leva.
- Je reviens. Je vais prendre l’air. expliqua-t-il avec toute l’assurance qu’il pouvait rassembler.
Il quitta la loge d’un pas aussi lent que possible sans pour autant réussir à ne pas tituber. Sous ses pieds, le sol lui paraissait mouvant, prêt à se désagréger avec le reste du décor qui ressemblait à une mauvaise peinture à l’huile. Passé la porte qu’il referma calmement, il se mit à courir dans le couloir, dévala l’escalier sans prêter la moindre attention à Valmar et se dirigea droit vers les jardins qu’il traversa aussi vite que possible. Il faisait déjà nuit. Il aurait dû s’en réjouir. Il ne réalisa même pas. Il fila vers le kiosque, les lieux étaient déserts. Le vent lui fouettait le visage et s’engouffrait dans ses cheveux : il ne sentit rien de tout cela. Il n’avait qu’une idée en tête: s’échapper. Au niveau des colonnes de marbre blanc, il déposa son dos, le souffle court, les membres tremblants. A chaque expiration, des volutes de fumée s’échappaient de ses lèvres comme autant de fantômes. Coldris était terrifié. Terrifié de la laisser entrevoir la vaste brèche qu’il était. Terrifié de l’aimer et de la perdre. Une larme rebelle s’échappa de ses prunelles bleu glacier et roula lentement le long de sa joue tandis que sa main farfouillait sa poche à la rechercher de sa douce amie. Il déboucha le flacon et en vida le contenu d’une traite. Il n’avait désormais plus qu’une envie, se laisser glisser le long de la colonne et pleurer tout son saoul. Mais il ne pouvait pas. Pas ici.
Coldris de Fromart- Ministre des Affaires étrangères - Ami du grand prêtre du Lupanar
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Re: [8 janvier 1598] - "Griefs of mine own lie heavy in my breast" [Terminé]
Elle secoua doucement la tête à sa dernière question.
— Qu'en sais-je ? Vous ferez à votre guise, après tout. Nous saurons quand cela arrivera.
Il se pouvait même qu'ils se voient pour la dernière fois. Que demain matin, ou même ce soir, il décrète qu'il en avait assez d'elle et que tout soit terminé. Ou bien qu'il ne dise rien mais ne la recontacte jamais, et lui exprime plus clairement son rejet si elle venait vers lui.
Il se lasserait vite d'elle. Surtout si elle continuait de se montrer si fragile devant lui. Elle ne jugeait jamais, mais les autres… Les autres avaient bien assez à se soucier dans leur vie pour la subir elle. Elle ne leur en voulait pas, elle était faible et inutile, voilà tout. Elle n'avait pas le droit de le leur reprocher. Elle pouvait seulement être reconnaissante quand on tolérait – même temporairement - son attitude pitoyable. Quand on cherchait à la réconforter. Reconnaissante… Et un peu honteuse tout de même de leur imposer cela.
Alors, quand ce fut à lui d'être affecté, elle se sentit encore plus obligée de le soutenir qu'elle ne l'eût été avec n'importe qui d'autre. Certes, elle ne servait pas à grand-chose mais… mais si elle pouvait l'aider au moins un peu, même si elle devait se sacrifier toute entière pour fournir ce maigre réconfort, elle se devait d'essayer. Parce qu'elle ne comptait pas. Parce que si elle pouvait l'apaiser au moins un peu, elle aurait été au moins un peu utile. Elle compensait alors au moins un peu le fait d'être un fardeau pour tous ceux qui la côtoyaient, même si tous ne s'en rendaient pas compte.
Il ressera son étreinte, elle ne protesta pas le moins du monde. Elle ressentait tout le mal qui l'habitait. Si seulement elle avait pu le lui prendre. Si seulement elle avait pu absorber toutes ses souffrances, si insoutenables fussent-elles, et qu'il en soit à jamais libéré. Si c'avait été possible, elle l'aurait fait. Elle se serait même raccrochée à la vie si c'était indispensable pour qu'il ne les récupère pas. Elle se serait accrochée jusqu'à ce qu'il trouve sa belle mort, après avoir vécu légèrement toutes les années qui lui restaient. Elle aurait tenu le coup, elle le savait, parce qu'elle aurait eu une bonne raison de le faire. Parce qu'alors, sa vie aurait été utile. Et alors, elle aurait porté cette souffrance courageusement, sans jamais s'en plaindre. Pour lui.
Mais tout cela n'était que des extrapolations ridicules, puisque la chose n'était pas réalisable. Là, elle ne servait à rien. Elle savait si peu de ses blessures – hormis la souffrance qu'elles engendraient – qu'elle n'osait rien dire, de peur de rouvrir une cicatrice supplémentaire. Elle était tellement inutile, tellement faible. Elle se détestait tellement. Elle se méprisait et méprisait son impuissance. Mais elle n'en laissa rien transparaître, elle n'avait pas le droit. Si elle montrait sa souffrance, si elle le laissait voir comment ses tourments à lui se répercutaient en elle, comment elle ressentait tout, cela ne ferait qu'aggraver son état. Peut-être même la fuirait-il ?
Non, mieux valait qu'il l'enlace carrément comme il venait de le faire, et qu'elle lutte avec toute la force que la nécessité créait pour demeurer sereine, pour être là.
Elle libéra ses bras pour les passer autour de lui.
Tout va bien. Tout va bien, je suis là. Je suis là, d'accord ? Vous savez quoi ? On va sortir. On s'en va maintenant, d'accord ? Vous avez besoin de sortir. On va sortir et ça ira mieux. Faites-moi confiance, je reste avec vous.
Elle voulait me rassurer. Dire quelque chose, n'importe quoi. Elle n'y parvint pas. Parce qu'elle n'avait justement pas cette confiance. Rien n'allait bien. Elle ne savait rien faire pour lui. Elle ne faisait que détruire les gens autour d'elle. Les blesser encore et encore. Il n'y avait qu'une personne qui lui permettait d'être quelqu'un de bien, avant… Non, elle ne pouvait pas demander à Coldris de se fier à elle alors qu'elle savait pertinemment qu'elle ne pouvait rien pour lui. Elle ne pouvait pas dire "je suis là" comme si elle était quelqu'un d'important pour lui, quelqu'un qu'il attendait, quelqu'un qui aurait pu le soutenir.
Le mieux qu'elle pouvait faire pour l'instant, c'était de cacher tous ses doutes pernicieux net de se concentrer sur lui. Elle imprima à leurs bustes un mouvement de balancier presque imperceptible. Elle le laissa enfouir son visage dans son cou, et frictionner son dos. Elle ne protesta pas quand il s'y appuya presque douleureusement. Il fallait qu'elle reste calme.
Sa respiration était lente et régulière. Sa cage thoracique se soulevait contre la sienne, comme pour tempérer ses mouvements chaotiques.
Elle savait bien que tout cela ne suffisait pas. Elle était tellement nulle ! Tellement minable. Tellement inutile. Mais si elle se laissait emporter par le flot de ses émotions ou lui refusait cette étreinte, elle ne ferait qu'empirer les choses.
Elle déglutit en le sentant se crisper. Le temps semblait s'écouler au ralenti. Elle parvint enfin à assurer sa voix, et se sentit prête à tenter une parole. À tenter le pari de suivre cet instinct trompeur. Cette intuition. Ces voix.
— Coldris. Ne les écoutez pas. Je suis là. Ne les écoutez pas. Tout va bien, d'accord.
Si elle se fourvoyait, il pourrait toujours estimer qu'elle parlait des comédiens, et cela était tout aussi valable pour eux.
Être sereine. Elle devait rester sereine. Elle en était obligée. Rien n'avait le droit de la détourner. Il fallait l'apaiser, il fallait. Et si par la suite, il trouvait qu'elle n'était qu'une gamine stupide et ridicule incapable de se mêler de ses affaires, eh bien soit, ce serait comme ça. Il était en détresse, et elle ne pouvait pas lutter contre. D'autant qu'elle… qu'elle… lui portait une grande affection et énormément d'estime. Ce n'était pas ce petit dérapage de rien du tout qui changerait ça.
Mais soudain, il se dégagea, il se leva promptement. Elle en était sûre, maintenant, il avait bien trop honte de ce qu'il lui avait montré. Il avait compris qu'elle ne méritait pas sa confiance. Il ne voulait plus d'elle. Plus jamais.
Il revenait ? Non, bien sûr que non, il ne reviendrait pas. Il pouvait bien s'enfermer dans son attitude digne, elle voyait bien qu'il était trop dépassé pour cela. Mais le message était là : il ne voulait plus qu'elle sache. Elle n'incarnerait désormais plus que cette faiblesse passagère. Il ne voudrait plus la voir de peur de se la remémorer. Peut-être même qu'il ne pourrait pas tolérer qu'une telle personne arpenté ce monde et… cela n'avait pas d'importance. Pas pour l'instant, en tout cas. Il allait mal et quel qu'en soit le prix, elle n'avait pas le droit de l'abandonner. Elle était incapable de résister à la détresse.
Elle eut tout de même un temps d'hésitation. Assez bref. Elle vit que, dans la précipitation, il avait oublié sans manteau. Alors elle s'en saisit, et engouffra vers la sortie en ne récupérant évidemment pas le sien : elle n'avait pas le temps pour ça.
Elle le vit courir au bout du couloir, et se mit à courir elle aussi pour le rejoindre. Elle ignorait si l'acte était terminé, mais en tout cas, les couloirs étaient vides. Enfin, presque. Déjà, il y avait cet homme qui les suivait tout à l'heure, ce qui confirma toutes les hypothèses qu'elle avait alors faites. Elle manqua d'ailleurs de le bousculer en passant.
Il n'y avait personne d'autre encore. Personne pour la voir glisser, se prendre les pieds dans ses effroyables jupons et se vautrer lamentablement. Elle tomba sur ses avant-bras, en triangle pour protéger sa tête. Tête qu'elle releva aussitôt pour évaluer la position de Coldris, et la direction qu'il empruntait. Son épaule droite avait encore encaissé, alors, ce fut davantage de son bras gauche qu'elle se remit sur pieds. Elle avait un peu mal, mais ce n'était rien du tout. Et même si c'avait été quelques chose, cela ne l'aurait pas empêchée de se relever, pas empêchée de continuer. Elle ne comptait pas, et sa douleur non-plus.
Elle se précipita du côté où l'homme venait de disparaître. Il faisait déjà sombre et on n'y voyait plus grand chose, là où ils étaient. Mais elle le repéra tout de même assez vite, près du kiosque. Il portait quelque chose à ses lèvres. Il s'écroulait.
Elle se jeta à genoux à côté de lui. Qu'était-ce que cette fiole vide qui venait de tomber ? Devait-elle s'inquiéter ?
— Tout va bien. Tout va bien, je suis là. Mettez ça, vous allez attraper froid, dit-elle en décollant d'autorité son dos de la colonne pour envelopper dans son manteau.
Elle aussi avait déjà froid, mais ça ne comptait pas. C'était même la moindre de ses préoccupations. Elle prit son visage entre ses mains, et lut tout le trouble du monde dans son regard.
Elle l'entoura d'un bras, et enfouit la main opposée dans la neige pour récupérer le contenant échoué dedans. Évidemment, il avait fallu qu'il tombe là où la couche était épaisse ! C'était malin !
Elle l'agita devant lui un instant pour illustrer son propos.
— Qu'est-ce que c'est ? Qu'y avait-il dedans ? Coldris, ce n'est que moi, dites-moi ce qu'il y avait dedans.
Puis, toujours agenouillée dans la neige, elle passa son deuxième bras autour de lui. Une main dans son dos, l'autre derrière sa tête pour l'attirer contre elle. Ce n'était pas négociable. Elle était plus haute que lui, d'ailleurs, et put presser ses lèvres sur son front avant d'éponger les quelques larmes qu'il n'avait pas su retenir.
— Ce n'est pas grave, je suis là. Je suis là.
"Là", c'était bien tout ce qu'elle était de positif. À part ça, elle était inutile, ridicule, stupide, lâche, faible, inconsciente, égoïste et… et frigorifiée, aussi, mais ce n'était pas important.
Re: [8 janvier 1598] - "Griefs of mine own lie heavy in my breast" [Terminé]
Il n’en faisait toujours qu’à sa tête. On le décrivait têtu. Il préférait obstiné. Alors oui, elle avait raison, il déciderait de ce qu’il adviendrait de sa dette. La dernière chose qu’il avait pourtant envisagée c’était de finir terrorisé par quelques mots lointains en provenance de la scène. Pour être tout à fait honnête, c’était bien parce que c’était elle qu’il ne se donnait pas tant de peine que cela pour masquer son trouble. Avec n’importe qui d’autre, il serait sorti un temps, aurait pris du laudanum comme à son habitude et serait retourné s’asseoir l’air de rien quelques minutes plus tard, l’esprit doucement engourdi par la drogue. Juste assez pour l’empêcher de le tourmenter, pas assez pour lui faire perdre tout bon sens. A bien y réfléchir, c’était sans doute ce qu’il aurait dû faire. Elle n’avait pas à découvrir à quel point le séducteur arrogant et sûr de lui était en réalité un funambule aveugle balayé par les vents au-dessus d’un précipice. Ce n’était pas parce qu’il se sentait enfin apaisé en sa compagnie qu’il devait laisser ses démons s’exprimer lorsqu’elle était là. Cela ne pouvait mener qu’à des situations catastrophiques. Il aurait dû penser à tout cela et pourtant, il semblait avoir perdu tout discernement sans la moindre goutte de teinture d’opium.
Il était là, à se blottir contre elle, à enfouir son nez dans son cou alors qu’il aurait suffi de quelques gouttes pour avoir la paix. C’était complètement idiot et il ne s’en rendait pas compte. Et pourquoi ? Simplement, car cela faisait des dizaines d’années qu’il n’avait pas eu assez confiance en quelqu’un pour s’appuyer au sens propre comme figuré sur son épaule. Parce que toutes les drogues du monde ne vaudraient jamais le réconfort de bras sincèrement compatissants.
Elle demeurait silencieuse et cela n’avait aucune importance, il lui suffisait de sentir sa respiration lente et profonde au travers de ses épaules qui se soulevaient à intervalle régulier. Comme le reflux régulier de la mer qui caressait la plage de son écume.
— Coldris. Ne les écoutez pas. Je suis là. Ne les écoutez pas. Tout va bien, d'accord.
Il secoua la tête sans un bruit. Ce n’était pas les voix le problème. Il était parfaitement capable de les faire taire. Il avait appris vivre avec depuis bien longtemps. Non, le problème, c’était le reste : les images qui affluaient et les sensations qui s’insinuaient dans son corps. Cela, quoi qu’il fasse, il ne pouvait pas s’en couper. Il n’entendait pas ses souvenirs, il les vivait. Il pouvait encore sentir l’odeur ferreuse du sang qui s’écoulait de la gorge d’Isis. Il pouvait encore ressentir son cœur s’arrêter et se pulvériser à l’annonce de la mort de sa femme. Il étouffait toujours autant, son sang se pétrifier avec la même intensité et ses entrailles se tordaient avec la même véhémence que ce fameux jour d’août 1569.
Il devait partir avant qu’il ne soit trop tard. La situation lui échappait totalement. Elle n’y était pour rien, bien au contraire. Il se serait sans doute noyé depuis plusieurs minutes sans sa présence, seulement c’était trop. La mort de Virgil l’avait rendu friable. Il suffisait désormais d’un rien pour que toutes les autres morts violentes auxquelles il avait été confronté ne reviennent le hanter.
Coldris s’excusa et fila en direction des jardins jusqu’à la rotonde. Il n’avait pas pris son manteau et il s’en fichait éperdument, la seule chose qui l’intéressait c’était cette petite fiole dont il vida le contenu avant de la lâcher et que ses jambes ne cèdent totalement. Sa tête disparue entre ses mains. Il la sentit se jeter à genoux à ses côtés, mais conserva son visage enfoui. Il se sentait écartelé. Quel esprit malin s’amusait donc à tirer sur les quatre coins de son âme, faisant des paris pour savoir quand celle-ci finirait par céder ? Il en avait assez. Il en avait assez d’être sans cesse balloté ou de nager à contre-courant. Il ne tenta même pas de résister lorsqu’elle le poussa pour le draper de son chaud manteau. Ses mains se saisirent de son visage et il n’eut d’autre choix que de croiser son regard.
Vide. Il se sentait vide.
Ou bien trop plein au point de déborder. Comment savoir au fond quand il faisait si noir ?
Il avait beau observer ses prunelles sombres, il ne la regardait pas vraiment, perdu qu’il était, quelque part, sans trop savoir où.
— Qu'est-ce que c'est ? Qu'y avait-il dedans ? Coldris, ce n'est que moi, dites-moi ce qu'il y avait dedans.
Il lui arracha des mains sans ménagement.
- Rendez-moi ça. réussit-il à articuler d’une voix rauque sans même répondre à sa question.
Qu’est-ce que cela pouvait faire au fond, ce qu’il y avait dedans ? Que craignait-elle ? Qu’il meurt comme Juliette ? Et alors? Ce n’était pas comme s’il restait encore grand monde pour le pleurer. Son regard se fit plus dur alors que se hérissait son habituelle carapace autour de lui. Elle aurait dû fuir. Elle aurait dû. Pourquoi était-elle toujours là ?
- Laissez-m...
Son injonction fut interrompue par ses bras qui l’attirèrent sans contestation possible contre elle.
- Restez... s’il vous plait se corrigea-t-il hésitant Ne me laissez pas...
Il ne pouvait pas la blesser -si tant est que ce ne soit pas déjà fait-. Il ne pouvait pas la rejeter et risquer de perdre le peu qu’il possédait -si on pouvait appeler cela ainsi-. La dernière fois, il avait fait bien trop de dégâts avec sa fierté mal placée. Et en même temps, une petite voix ne cessait de lui rappeler qu’il ne la connaissait pas vraiment et certainement pas assez pour lui faire confiance. En vérité, il n’avait pas envie de l’écouter, tout simplement parce que malgré la tempête qui l’agitait, il parvenait à y trouver un abri au cœur de cette étreinte. Après une courte hésitation, Coldris passa lui aussi ses bras dans son dos. Il soupira.
- Du laudanum.
Il sentait le velours brocardé sous ses doigts. Comme dans la loge. Les mêmes motifs fleuris. Il recula subitement pour constater qu’elle était effectivement sortie sans se couvrir.
- Votre manteau?
Elle devait avoir si froid. Pourquoi était-ce lui qui était toujours parcouru de frisson ? En réalité, si c’était grave : elle venait de découvrir l’une de ses pires facettes. Et elle savait désormais qu’il s’oubliait dans l’opium. Elle était là, mais elle ne resterait pas. N’importe qui de censé fuirait. La panique l’habitait toujours, mais il sentait son esprit s’engourdir peu à peu. Il se releva en prenant appui sur la colonne. Le décor avait toujours cette fâcheuse manie de se mouvoir. Il secoua la tête, mais les vertiges persistaient. Qu’allait-elle penser ? Non aucune importance. C’était trop tard de toute façon. Ils auraient dû rentrer à Cervigny. Ils auraient dû.
Coldris de Fromart- Ministre des Affaires étrangères - Ami du grand prêtre du Lupanar
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Re: [8 janvier 1598] - "Griefs of mine own lie heavy in my breast" [Terminé]
Que quelqu’un, déjà, lui rende immédiatemment son manteau, même si ce n’était qu’un prétexte. Il allait finir par attraper la mort s’il restait si peu couvert.
Non, il n’allait pas bien. Et croiser son regard le lui confirma. Troublé, voilé… Enfin, ce n’était pas pire que quand Alduis avait eu besoin de retracer les contours de son visage avec ses mains pour revenir à la réalité. Mais elle était là. Et même si elle n’était pas la personne qu’il lui fallait, elle ne le laisserait pas seul. Pas dans cet état.
Alors il pouvait bien lui arracher la fiole vide des mains et se montrer désagréable. Oui, elle savait qu’il ne voulait plus d’elle. Et elle ne viendrait plus jamais le déranger puisque c’était ce qu’il voulait. Mais elle ne le laisserait pas tout seul dans cet état. Cela, c’était hors de question.
Il le lui ordonna - ou du moins il tenta de le faire, mais elle le serra dans ses bras sans en tenir compte. Et pourtant, elle avait tout à fait intégré sa demande. Il ne voulait plus d’elle. Elle s’y tiendrait. Elle n’avait pas l’intention de lui parasiter davantage l’existence.
Sa demande changeait, mais… Mais cela ne changeait rien. La première avait été plus spontanée. La première était celle à laquelle il se tiendrait par la suite, et elle respecterait sa volonté. Il avait juste dû comprendre que pour ce soir, il n’avait plus rien à perdre. Et qu’il ne pouvait pas rester seul avec ses fantômes, que cela ne lui apporterait rien.
— Je reste. Je reste avec vous, c’est promis. Autant que vous en aurez besoin. Tout va bien.
Coldris passa à son tour ses bras autour d’elle. C’était bien, il avait besoin d’accepter de ne pas être seul. Elle ne pouvait pas faire grand chose, mais elle savait que l’abandonner à ses démons était mauvais. Il répondit alors à une question qu’elle avait presque oubliée. Le contenu de la fiole.
— D’accord. Cela va passer, alors. Tout cela va vous laisser tranquille bientôt. Et en attendant, je suis là.
C’était le plus important, même si la méthode était contestable. Elle hésita à lui recommander de faire attention tout de même. En abuser n’était vraiment pas productif. Mais il devait déjà savoir tout cela, et connaître cela bien mieux qu’elle. Tout ce qu’elle pouvait faire, c’était être là.
Au fond, cela ne l’étonnait même pas qu’il se déplace avec ce genre de produits. Quand on portait tant de blessures, il fallait parfois de l’aide pour les porter. Enfin… Les occulter, en l’occurence. Elle ne jugeait pas. Qu’avait-elle de mieux à proposer, de toute manière, s’il n’avait personne pour le soutenir ? De rester à pleurnicher tout seul dans son lit comme elle-même le faisait ? Non, vraiment, elle ne pouvait pas lui reprocher ses imperfections.
Il se dégagea soudainement, et elle craignit que ce ne fut simplement pour la fuir. L’idée que même dans cet état, il n’accepte pas son soutien lui faisait mal… Mais ce n’était pas cela :
— Votre manteau ?
Elle secoua la tête. Cela n’avait pas d’importance.
— Ne vous souciez pas de cela, vous me le ferez envoyer plus tard.
Et ses gants, aussi. Ou bien elle irait les rechercher. Mais ce n’était pas important. Si elle n’avait pas clairement compris ses messages précédents, elle aurait sans doute dit “vous me le rendrez la prochaine fois”. Mais il n’y aurait pas de prochaine fois, il ne voudrait plus la voir. Et elle n’allait pas insister, elle. Si ça n’avait pas été elle, il ne se serait probablement pas retrouvé dans cet état. C’était un peu fanfaron de se dire que c’était différent d’avec une autre… Et d’ailleurs cela ne voulait rien dire de particulier. Rien dire de bon. Juste qu’elle était tellement minable que même les plus résistants, elle perçait involontairement leurs défense et les blessait. Que même ceux-là, elle ne pouvait pas se permettre de les fréquenter. De toute manière, il n’avait qu’Ariste qui était assez parfait pour ne pas se détruire si proche d’elle. Alors, c’était aussi lui qui l’avait empêchée de détruire son entourage pendant toutes ces années ? Comment quelqu’un d’aussi parfait avait-il pu l’aimer ? Malgré Antoine, malgré tout le reste, malgré elle-même.
Elle avait froid, mais elle n’avait pas le temps pour des préoccupations si futiles. Le voilà déjà qui essayait de se lever. Non ! Elle ne savait pas ce qu’il restait dans cette fiole, ni ce que ce genre de dosages devait occasioner… Mais elle voyait bien qu’il n’était pas prêt à se lever ni à marcher seul.
— Attendez.
Elle se leva précipitamment et passa le bras de Coldris autour de son épaule et le sien dans son dos pour essayer de le stabiliser Il ne devait pas être plus lourd que Gabriel. Elle, en revanche, avait perdu beaucoup en restant si longtemps enfermée dans sa chambre… Alors s’il s’écroulait, elle n’était pas sûre de le maintenir sur ses jambes.
— Vous ne protestez pas et vous me laissez vous aider. Cela non plus n’était pas négociable. En plus, comme ça, elle profitait un peu de son manteau.Dites moi juste où il faut aller. Je suis là.
Elle espérait seulement que personne ne le verrait dans cet état. Que personne ne le reconnaitrait dans cet état. Ce n’était vraiment pas nécessaire. Quoique dans le noir, si quelqu’un voyait quelque chose, voulait comprendre quelque chose, ce ne serait certainement pas ça.
Re: [8 janvier 1598] - "Griefs of mine own lie heavy in my breast" [Terminé]
Non, tout n’allait pas bien. Loin de là. Il n’aurait jamais dû se trouver ridiculement avachi le long de cette colonne à retenir ses larmes tandis que son diaphragme semblait vouloir pousser ses entrailles hors de sa cage thoracique et empêcher tout air dit trouver son chemin. Non, rien n’allait. Rien n’allait ou il n’aurait pas eu besoin de se jeter comme un fauve sur ce minuscule flacon de paradis liquéfié. Pourtant elle était là et sans qu’il ne puisse se l’expliquer, il y trouva autant de réconfort que de tourment. Parce que sa présence l’apaisait, parce qu’il avait envie de s’abandonner dans ses bras, ici ou ailleurs, tant et si bien qu’il en oubliait où il se trouvait. Le théâtre, il était au théâtre. Sous la rotonde. Mais ce sentiment de plénitude qui se déversait et s’installait dans son être était contrebalancé par cette crainte sournoise tapie au fond de lui qui n’attendait que de pouvoir s’exprimer pour se mettre à hurler de tout son saoul. Cet inaudible murmure qui lui disait que tout serait bientôt fini, ces égratignures qui lui rappelaient les lacérations qui s’en suivraient s’il cédait.
Il avait peur de lui céder du terrain. A cette impression de béate ivresse qui s’emparait de lui comme à ses bras qui le maintenaient. S’il cédait, s’il cédait, tout le château s’effondrerait. Ce n’était pas une forteresse de pierre. Ce n’était qu’un vulgaire château de cartes que le premier souffle balayerait. Elles allaient toutes tomber, les unes après les autres.
Il ne serait jamais tranquille. Il ne l’était jamais réellement. Ce n’était qu’un fugace répit, un creux entre deux vagues. Cela ne se calmait que pour mieux reprendre ensuite. C’était un cycle sans fin que seul le laudanum parvenait à anesthésier le temps de quelques heures. Dans un bref moment de lucidité, il réalisa qu’il devait rentrer. Rentrer à Cervigny avant de s’écrouler définitivement sur place sans pouvoir se relever. Il remarqua même qu’elle n’avait pas son manteau et non… Non, non, il n’allait pas lui renvoyer, il fallait les récupérer maintenant. Il faisait si froid. Il avait si froid, même avec son manteau. Il frissonnait toujours par moment. Coldris allait ouvrir la bouche, mais elle était déjà en train de passer son bras autour de ses épaules. Bras qu’il retira aussitôt malgré son injonction.
- Laissez-moi. lâcha-t-il plus sèchement qu’il ne le voulait vraiment s’il vous plait.
Il pouvait marcher. Il pouvait, c’était aussi mouvant que le pont d’un navire et tout était flou autour de lui, mais il pouvait marcher. Il avait juste besoin qu’on le guide parce qu’il était incapable de discerner l’entrée de la sortie dans ce monde désormais éthéré. Il allait avouer qu’il n’en savait rien -ou peut-être l’avait-il seulement pensé- lorsque Valmar apparut subitement dans son champ de vision. Comment pouvait-il avoir sa houppelande ? Aucune importance.
- Vous devriez vous couvrir, Mademoiselle chanta la voix ensoleillée de Valmar qui lui paraissait terriblement nébuleuse.
Il sentit sa présence ombreuse se glisser dans son dos comme il en avait si souvent l’habitude tandis qu’il devait sans doute lui déposer la chaude laine autour des épaules.
- Suivez-moi.
Coldris chancelait à chaque pas, mais il parvenait à se concentrer sur la silhouette familière de son garde du corps. C’était comme cette fois où il était parti à la recherche de Sarkeris et que la houle faisait rouler le pont du navire. C’était désagréable, ça donnait une franche nausée, mais on finissait par s’habituer. Le kiosque. Ils étaient partis du kiosque. Où se trouve le kiosque qui était bien moins élégant que celui du Manoir du Moulin ? Il faudrait qu’il y retourne. Il aurait dû y retourner.
Valmar était monté à côté du cocher. Coldris s’était hissé tant bien que mal sur les marchettes de la voiture avant de se jeter lourdement sur la banquette. Sa tête cogna le capitonnage et les roues grincèrent. Il essayait d’attraper ses pensées, mais ces espiègles petits papillon s’échappaient chaque fois un peu plus en avant. L’implacable logique se déliter entre ses doigts sans qu’il ne parvienne à la retenir. Il essayait de se retracer le fil des évènements, mais il ne se souvenait de rien excepté de leurs baisers, de leurs étreintes, de la paix qu’il avait ressentie, du chaos qui l’agitait, de cette sourde sensation de déjà-vu, de cet effroyable sentiment d’avoir encore tout gâché. Mais gâcher quoi ? Il l’avait dit lui-même que ce n’était rien de plus qu’un jeu, alors pourquoi était-ce si douloureux ? Pourquoi ce petit rongeur prenait-il un malin plaisir à le grignoter. Pourquoi n’était-il pas juste rentré pour continuer à profiter, car c’était la seule chose dont il arrivait à se souvenir : il n’aurait pas dû rester. Comme toujours, il avait fait l’idiot. Il se laissa basculer, tête contre ses genoux, comme il l’avait fait si souvent avec Solange et Aurélia.
- Je suis désolé murmura-t-il alors que ses yeux s’embuaient de nouveau.
Il se sentait lourd et épuisé, mais il refusait de fermer les yeux. Il ne voulait pas abandonner. Il ne voulait pas l’abandonner, parce quand il les ouvrirait enfin, elle ne serait plus là et tout serait terminé. Bien malgré lui, ses paupières s’abaissèrent signant la fin de cette tragédie. Elle ne saurait jamais à quel point, elle hantait son esprit.
Au fond, je dois bien admettre que je crois je vous aime, Éléonore de Tianidre. Je vous aime vraiment, mais vous ne me croiriez pas et demain vous serez partie. Je veux juste vous sachiez que je ne vous en tiendrai pas rigueur et que je ne vous remercierai jamais assez d’avoir illuminé ces quelques journées passées en votre compagnie, ma petite luciole. Vous méritez d’être heureuse, vous savez ? Parce que vous êtes quelqu’un de formidable et j’ose dire que vous allez terriblement me manquer...
Sa respiration lente et profonde trahissait l’épais sommeil dans lequel il venait de s’enfoncer pour de longues heures. Un sommeil doux et léger, entouré de ceux qu’il aimait. Un sommeil doux et léger qui n’en rendrait que plus amer le réveil.
Coldris de Fromart- Ministre des Affaires étrangères - Ami du grand prêtre du Lupanar
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Re: [8 janvier 1598] - "Griefs of mine own lie heavy in my breast" [Terminé]
Elle aurait dû le laisser, elle aurait dû. Tout cela ne la concernait pas, après tout. Mais de toute façon, il ne voulait plus jamais la voir. Alors qu’elle s’obstine un peu plus ou un peu moins. Et ce n’était pas parce qu’il ajoutait un “s’il vous plait” quelque peu adouci qu’elle en oubliait l’essence du message. Il la rejetait sans autre forme de procès. Catégoriquement. C’était terminé. Ses yeux s’en embuaient sans qu’elle ne puisse les en empêcher, et elle mordait si fort dans sa joue pour ne pas perdre contenance qu’elle sentait le sang en couler.
— Je vais vous laisser, assura-t-elle avec une bienveillance désolée. Et vous n’entendrez plus jamais parler de moi, ne vous inquiétez pas. Mais il est hors de question que je vous abandonne dans cet état !
Il titubait horriblement. Non, vraiment, il n’était pas question qu’elle le laisse. Surtout pas lui. Il pouvait la détester, elle s’en moquait éperdument. Elle aussi, elle se détestait. Elle avait tout gâché. Ce n’était qu’un jeu, elle le savait mais… Elle aurait tellement voulu que ça dure un peu plus ! Elle n’aurait pas moins peur si le lendemain matin, après avoir éveillé le monde de quelques rayons d’espoir, le soleil retombait dans l’Est. Elle n’aurait pas moins peur, parce qu’elle le vivait déjà. Parce que le jour qu’elle avait cru voir venir avait renoncé à se lever. Ariste se trompait. Elle ne savait pas vivre sans lui. Sans lui, elle se perdait. Sans lui, elle ne savait faire que se blesser encore et encore. Et quand elle sentait son coeur s’apaiser enfin, ce n’était que pour mieux le sentir imploser. Se déchiqueter. Et ce alors même qu’elle avait fait tout son possible pour ne pas l’impliquer.
— Vous devriez vous couvrir, Mademoiselle.
Elle acquiesça sans la moindre conviction. C’était pourtant si doux de mourir de froid. Bien plus doux que de se sentir déchirée par les évènements. Mais il fallait qu’elle cesse d’agir bêtement. Il n’avait pas besoin de savoir. Elle se l’était promis. Il l’avait appréciée, alors peut-être… Peut-être que cela le dérangerait qu’elle meurt ainsi. Cela faisait tache. Et puis… Et puis, si elle finissait par délirer et qu’Eltinne apprenait ce qu’il s’était passé, si son oncle ou Gabriel recevait aussi l’information, ça créerait des conflits et cela finirait avec au moins deux morts. Non, elle ne pouvait pas. Alors en attendant, elle accepta d’enfiler son manteau sans discuter.
Coldris tenait à peine debout, et l’ignorait royalement. Tant mieux : cela lui permit de le rattraper trois fois sans qu’il n’y fasse attention. Elle ne savait même pas pourquoi elle s’obstinait à rester alors que son garde avait pris la relève. Elle se posa la question jusqu’à atteindre la voiture, où elle ne put résister au besoin de le suivre. C’était sans doute par égoïsme, comme toujours. Pour grappiller rien qu’un peu de temps avec lui, même si… Même si ce n’était pas dans les meilleures conditions.
Elle ne savait plus parler. Elle serrait seulement les dents pour ne pas éclater en sanglots. Elle dut l’empêcher une fois de basculer en avant. Comment les choses avaient-elles pu dégénerer à ce point ? Elle cherchait dans ses traits affligés une réponse à cette question incensée. Ariste aurait su, lui. Il aurait su quoi faire.
Je savais tellement quoi faire qu’il m’a fallu plus d’un an pour comprendre ce qu’il m’arrivait, et que j’ai attendu d’être mourrant et fiévreux pour lui avouer...
Elle secoua la tête en même temps que Coldris laissait tomber la sienne sur ses genoux. Non, cela n’avait rien à voir. Cela ne pouvait pas être cela. Surtout pas maintenant qu’il ne voulait plus la voir. Cela ne pouvait juste pas.
— Je suis désolé.
Elle secoua encore une fois la tête, et caressa tendrement sa joue d'une main tandis que l'autre s'attardait dans ses cheveux.
— Non, vous ne devez pas. Je ne vous reproche rien.
Désolé de quoi, d’ailleurs ? Il n’avait rien fait de mal. Désolé de la rejeter ? Allons, les règles étaient claires depuis le début. Elle ne s’était rien imaginé. Désolé d’avoir été désagréable ? Non, cela non plus, ce n’était pas grave. C’était de sa faute : elle ne faisait jamais rien correctement. Elle ne le dérangerait plus, c’était promis.
Il s’endormait. Son sommeil semblait paisible. C’est, du moins, ce qu’elle s’efforça de penser. Elle ne le quittait plus des yeux. Savait-il que même dans cet état, son charme n’était pas amoindri ? Juste… Différent. Plus touchant encore.
— Vous êtes un homme exceptionnel, Coldris de Fromart, murmura-t-elle. Elle pouvait bien dire ce qu'elle voulait, après tout, puisque personne ne pouvait l'entendre. J'ignore ce que vous avez pu faire pour m'envoûter ainsi. J'ai toujours su que j'aurais du mal à vous oublier mais… Je ne pensais pas que cela ferait si mal. Je… Si j'étais aussi forte et obstinée que vous, j'insisterais sans doute. Seulement je ne suis rien de tout ça, et vous m'avez déjà apporté plus de réconfort que n'importe qui d'autre depuis des mois. Je ne peux pas vous en demander davantage. Je ne peux pas vous demander de supporter plus longtemps quelqu'un comme moi. Vous voulez que je vous laisse en paix, et je respecterai votre volonté. Vous valez tellement mieux que l'ennui que je dois vous inspirer.
Elle ravala les larmes qui lui piquaient les yeux. Elle ne pouvait pas pleurer maintenant. Hors de question qu'il sache qu'elle était partie le visage noyé de larmes. Hors de question de lui inspirer de la pitié.
— Il serait furieux de m'entendre dire ça, vous savez ? Mais si j'avais la moindre chance de voir un jour mon cœur s'apaiser. S'apaiser autant qu'il l'a été avec vous, alors je vous la laisse. Vous la méritez bien plus que moi et…
Non. Cela, elle ne parvint pas à mettre de mots dessus. Pas de mots acceptables, en tout cas.
Elle se tut, son regard attendri rivé sur lui durant tout ce trajet qui n'était que trop bref pour le dernier moment qu'ils passeraient ensemble. Elle continuait de caresser son visage, puisant le plus de réconfort possible dans l'idée qu'au moins il ne soit pas en train de se faire torturer par d'horribles souvenirs.
— Il s'est endormi, annonça-t-elle quand elle entendit la porte s'ouvrir. Elle se pencha pour poser un baiser sur son front avant qu'on ne veuille le lui arracher. Bonne nuit, mon doux phénix. Et adieu.
Aurait-il seulement pu comprendre comment elle s'était attachée à lui et combien elle souffrait de le perdre ? Elle ne savait même pas ce qu'il aurait bien pu penser de cette stupidité profonde, de cette écrasante faiblesse de caractère qui l'avait empêchée de s'en tenir à cette vérité pourtant si simple : ce n'était qu'un jeu. Et manifestement, elle avait perdu.
Re: [8 janvier 1598] - "Griefs of mine own lie heavy in my breast" [Terminé]
Léonilde, 61 ans
Léonilde n’attendait pas la voiture du vicomte de si tôt. Quoi que. Le connaissant, si la soirée avait été avortée c’était qu’il comptait la finir différemment et que la pièce était subitement passée au second plan. C’était la seule explication possible. Oh bien entendu, il aurait également pu se fâcher ou la trouver terriblement mauvaise, mais c’était somme toute extrêmement peu probable.
C’était la conclusion à laquelle en était arrivé Léonilde alors qu’il surveillait l’entrée de l’attelage dans la cour pavée de Cervigny. Il appréciait la jeune Éléonore de Tianidre à la fois douce et espiègle. Si pure et par certains aspects si sombres qu’elle en faisait un miroir parfait de Coldris, comme si leurs blessures respectives se répondaient en écho. Par-dessus tout, il ne pouvait que lui en être reconnaissant de parvenir à refaire rire son maitre avec une telle légèreté.
Il fronça légèrement les sourcils lorsqu’il vit Valmar ordonner au cochet de se garer parallèlement aux marches, ce qui n’annonçait rien de bon. Avait-il été blessé ? Il frissonna soudainement en imaginant le pire. Ce ne serait pas la première fois qu’on le ramènerait entre la vie et la mort après tout. L’Iswylan aurait tout fait pour le protéger, mais il ne pouvait pas être partout et certainement pas quand Coldris exigeait sa liberté. Il descendit fébrilement les marches fraichement balayées de l’après-midi et ouvrit la portière alors que le garde sautait à terre. Il était allongé sur ses genoux. Instinctivement, il chercha du sang, mais n’en trouva pas et soupira profondément de soulagement.
Endormi ? Comment s’était-il « endormi » ? Oh non… Ses lèvres se pincèrent. Il n’y avait qu’une seule chose susceptible de le plonger dans un tel état et c’était ce maudit laudanum qu’il trimballait partout avec lui comme un élixir de vie. Depuis sa blessure à l’épaule, il ne s’en était jamais plus séparé. La question qui restait cependant en suspend était « pourquoi ». Quel que soit sa relation fusionnelle avec son vin d’opium, il demeurait fort rare désormais de le voir sujet à prendre une telle dose qui plus est en public. Elle embrassa son front et la suite le laissa pour le moins perplexe. S’il ne put cacher un sourire attendri à ce surnom qui lui allait ma foi fort bien, le « adieu » l’étonna. Et l’étonna d’autant plus qu’il crut percevoir derrière le caractère inéluctable de la chose de même qu’une pointe de regret. Mais que s’était-il donc passé ? Pour l’heure, la priorité était de le faire porter dans sa chambre.
- Bonsoir Mademoiselle de Tianidre. Je suis navré que la soirée se soit achevée dans ces… Conditions… Nous allons le monter dans sa chambre, venez.
Il entra, suivi par le garde nettement plus apte à le porter et tous deux redescendirent, supportant le vicomte profondément assoupi. Heureusement que Valmar était là… Il avait passé l’âge de trainer cette éponge à opium sur sa vieille carcasse souffreteuse. Pourtant, il ne laissait rien paraitre. La dernière chose qu’il voulait était bien qu’on le juge inutile et qu’on l’incite à prendre sa retraite. Coldris avait bien essayé et s’il savait qu’il n’y avait rien d’autre qu’une profonde reconnaissance derrière, cela ne l’en avait pas moins blessé qu’il puisse imaginer un seul instant pouvoir se passer de lui. Après l’avoir délesté de ses vêtements autant que possible, le vicomte fut déposé dans son lit, celui-là même qui n’avait jamais vu qu’une seule femme. Il rabattit la couverture sur ses épaules comme on bordait un enfant et entreprit d’allumer les bougies à disposition.
- Ne vous sentez pas obligée de rester, Mademoiselle. Il va sans doute dormir jusque tard demain.
Coldris détestait l’obscurité qui attisait ses tourments. Il n’ouvrirait sans doute pas l’œil avant la mi-journée ou plus, mais cela ne l’empêchait pas de faire comme chaque soir. Une fois cela fait, il fouilla sa poche à la recherche de la fameuse fiole pour voir ce qu’il pouvait bien ou non rester dedans. Autrement dit : quelques gouttes seulement. Il soupira en rangeant le flacon vide à son emplacement. Comment avait-il pu se mettre dans un tel état ?
- Dites-moi, que s'est-il passé là-bas ?
Coldris de Fromart- Ministre des Affaires étrangères - Ami du grand prêtre du Lupanar
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Re: [8 janvier 1598] - "Griefs of mine own lie heavy in my breast" [Terminé]
Comme on le lui avait demandé, bien que surprise, elle les suivit. Elle n’était pas certaine que Coldris eut approuvé, et cela la mettait mal à l’aise. Les endroits dans lesquels elle n’était pas censée être avaient cet effet-là.
En chemin, quelque chose tomba d’une poche de Coldris. Les deux autres ne semblaient pas l’avoir remarqué, et de toute façon, ils étaient déjà occupés. Tant pis, elle ramassa elle-même le médaillon semé dans le couloir. Le restituer serait une bonne excuse pour s’approcher un peu. Et puis… Et puis de toute façon, elle n’allait pas le laisser par terre en attendant que quelqu’un d’autre le voie, c’était stupide.
Elle s’efforçait de ne rien montrer des tourments qui l’agitaient. De toutes les pensées désordonnées qui tourbillonnaient anarchiquement dans son esprit, pour y saccager le peu de joie qui q’y accrochait. Mais c’était comme ça, elle le savait déjà. Terminé. Tout allait revenir à la normale. Parce qu’une vie sans Ariste était un non-sens, et que cette légère accalmie, qui avait sonné comme le plus grand des bonheurs, n’aurait jamais pu durer. Ce n’était qu’un jeu, rien qu’un jeu. Toutes les bonnes choses avaient une fin. Cela ne servait à rien de penser à soi. Elle ne serait plus jamais bien.
Elle resta dans l’encadrement de la porte, et retourna le médaillon entre ses doigts sans se permettre de l’ouvrir tandis qu’on retirait le surplus de vêtements de son propriétaire. Elle n’y prêta pas plus d’attention que ça, ni ne s’efforça de surtout regarder ailleurs. Ce n’était vraiment pas comme si voir un homme peu couvert pouvait la choquer. D’autant que si tout n’avait pas complètement dérapé… Enfin, de toute façon, ça n’arriverait plus, et elle ne le verrait plus du tout.
Quand Coldris fut installé dans son lit et bordé, la jeune femme s’avança dans la pièce, comme si de rien n’était. Elle ne se sentait pas invitée, et cela la mettait mal à l’aise, mais ce n’était pas grave. Léonilde, qui allumait des bougies, l’informa qu’elle ne devait pas se sentir obligée de rester. Ce qui n’était probablement qu’une formule polie pour lui signaler qu’elle n’était pas - ou du moins plus - la bienvenue.
— Je n’en avais pas l’intention, ne vous inquiétez pas, assura-t-elle. Non, elle ne s’imposerait pas bein davantage mais… Il a laissé tomber ceci, je voulais juste le lui rendre, se justifia-t-elle. Ce disant, elle avait montré le médaillon qu’elle tenait toujours, puis l’avait précautionneusement déposé sur la table de chevet.
Elle savait qu’elle aurait dû partir dans les environs de “immédiatemment” et qu’elle prenait des permissions dont elle aurait dû s’abstenir, seulement, elle ne parvenait pas tout à fait à le quitter. Elle s’assit sur le bord du lit, et laissa glisser le revers de sa main contre la joue de celui qui lui avait apporté tant de paix. Elle le couvait d’un regard plein d’affection. Ce qu’il pouvait être difficile de ne pas le serrer dans ses bras une dernière fois… Mais c’eut été abuser de la situation.
Elle hésita une seconde avant de répondre à Léonilde. Mais après tout, Coldris avait plusieurs fois laissé entendre qu’il connaissait tous ses secrets, alors, cela ne venait pas au peu qu’elle en dirait.
— La pièce a réveillé ses fantômes, expliqua-t-elle simplement. Il a essayé de les chasser en me serrant dans ses bras, mais cela n’a pas suffi. Il a manifestement trouvé quelque chose de plus efficace.
Elle se tourna vers Léonilde, le regard désolé.
— Il m’a dit… certaines choses. Sur lui. Et il y a d’autres choses que j’ai pu remarquer mais… Si vous devez lui transmettre un message de ma part, dites-lui qu’il ne doit pas s’inquiéter pour tout cela. Ils seront bien gardés. Et...
Elle baissa les yeux sur l’homme endormi, sans poursuivre sa phrase. Elle se pencha pour embrasser encore une fois son front.
— Vous me manquez déjà... mumura-t-elle assez bas pour qu’absolument personne ne l’entende.
Elle caressa encore une fois sa joue - il était si difficile de le quitter - puis se leva du lit, et lissa à deux mains le tissus qu’elle avait froissé. Elle se dirigea rapidement vers la porte, pour ne pas perdre pieds, pour ne pas faire demi-tour et s’accrocher désespérément à lui. Tant pis si elle avait l’air malpolie. Elle quitta la chambre sans un regard en arrière pour vérifier qu’on la suivait.
Quand Léonilde l’eut rejointe dans le couloir, elle ouvrit la bouche pour ajouter quelque chose. Quelque chose comme “s’il venait à changer d’avis, qu’il n’hésite surtout pas à me le faire savoir”. Mais c’eut été franchement ridicule. Coldris de Fromart n’attendait pas son opinion pour savoir si oui ou non il avait le droit d’en changer lui-même. Elle trouva alors rapidement autre chose à dire. Quelque chose de tout aussi stupide, mais qui ne trahissait pas combien elle s’était déraisonnablement attachée à lui :
— J’ignore ce qu’il a bien pu faire de mes gants. Si vous les retrouviez, il serait aimable de me les faire parvenir.
Re: [8 janvier 1598] - "Griefs of mine own lie heavy in my breast" [Terminé]
Léonilde, 61 ans
Léonilde venait de terminer de border Coldris lorsque la jeune femme osa franchir le seuil de la porte. Il valida son initiative d’un discret signe de la tête. Elle avait beau tout faire pour le dissimuler, il vit bien que son regard était bien trop brillant pour que ce ne fût que le simple fait des bougies. Si la première partie de sa remarque n’avait rien d’original, la suite l’étonna. Ne pas s’inquiéter ? Mais allons bon ! Ce n’était pas ce qu’il avait voulu dire, il n’avait fait qu’énoncer les faits, si elle souhaitait attendre son réveil, libre à elle de demeurer à Cervigny. Enfin, sans doute avait-elle d’autres impératifs, sans parler du fait que découcher lorsque l’on était une jeune femme de son rang n’était pas sans conséquence. Quant au médaillon, il le reconnut aussitôt. C’était le portrait de sœur. L’un des premiers secrets que Coldris lui avait confié lorsqu’il l’avait pris à son service alors qu’il venait tout juste de le faire peindre. Sur le moment, il n’avait pas réalisé à quel point cette information anodine revêtait un caractère particulier pour lui. Après tout, qu’y avait-il d’étonnant à avoir une sœur ? Lui-même en avait eu deux ainsi qu’un frère plus jeune que lui. L’avait-elle vu ? En tout cas, elle le déposa précautionneusement sur la table de nuit et seuls les maillons de la chaine s’entrechoquèrent légèrement lorsqu’ils s’enroulèrent sur eux-mêmes comme un serpent endormi. Lorsqu’il serait seul, Léonilde le glisserait dans la veste de son pourpoint. Là où il se trouvait d’ordinaire. S’il constatait sa présence sur la petite table, le vicomte pourrait se mettre à paniquer.
- Soyez libre de demeurer, si vous le désirez. répondit-il simplement après avoir hoché la tête en guise de remerciement
Il reprit sa tournée des bougies, les allumant une à une à l’aide d’un autre cierge tandis qu’elle lui expliquait ce qu’il s’était passé. Ses fantômes, oh oui c’était évident, il n’y avait guère que cela pour qu’il se jette sur ce maudit laudanum. Il masqua cependant difficilement l’étonnement qui peignit son visage lorsqu’elle évoqua comment il avait tenté de les contrôler. C’était pour le moins… Inhabituel. Et encore plus qu’il ne soit pas parti avant de perdre pied définitivement. Que s’était-il passé pour qu’il en arrive à cette extrémité ? Léonilde croisa son regard désolé et lui en rendit un compatissant et reconnaissant à la fois. Savoir qu’il s’était confié spontanément à cette jeune personne était d’autant plus curieux qu’il avait d’ordinaire tendance à dissimuler son passé aux yeux de tous.
- C’est inutile. Je pense qu’il vous fait suffisamment confiance pour cela.
Il l’observa se pencher sur son front pour l’embrasser avec une profonde affection. Quelle tristesse que la soirée se fut avortée ainsi. Il en avait de la peine pour cette jeune femme pleine de douceur qui avait su lui redonner le sourire. Cela se voyait qu’elle tenait à lui. Rien qu’à la façon dont elle caressait sa joue. Et pourtant… Et pourtant, il ne pouvait s’ôter une drôle d’impression de la tête, comme si un élément n’avait rien à faire dans ce tableau idyllique, comme un grain de sable qui menaçait d’enrayer la machine. Elle aurait dû être heureuse, alors pourquoi paraissait-elle si affligée comme si… C’était la fin ? Elle quitta la chambre ou plutôt la fuit sans se retourner. Par respect, il lui laissa quelques minutes seul, prétextant vérifier que tout était en ordre. Avant de partir, il jeta un dernier œil à son convalescent :
Avez-vous seulement conscience de tout l’amour qu’elle vous porte ?
Après cette ultime interrogation silencieuse, il s’en détourna et partit retrouver Eléonore qui l’attendait dans le couloir, elle ravala des paroles qu’il n’entendrait jamais. Léonilde lui adressa un discret sourire entendu ;
- Bien entendu, je n’y manquerai pas.
Oh il n’était pas dupe. On avait jamais vu qui que ce soit de son rang pleurer une paire de gants. En revanche, gant pouvait rimer avec amant. Et de amant à amour, il n’y avait que quelques lettres.
- Puisque vous désirez rentrer, notre cocher et Valmar vous raccompagneront. Je vous ferai porter un billet dès qu’il sera rétabli. Bonne soirée, Mademoiselle de Tianidre.
Même si « bonne » n’était certainement pas le qualificatif approprié. Il n’en voyait pas d’autres pour ne pas paraitre impoli ou rude. Il s’inclina profondément.
Coldris de Fromart- Ministre des Affaires étrangères - Ami du grand prêtre du Lupanar
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Re: [8 janvier 1598] - "Griefs of mine own lie heavy in my breast" [Terminé]
Pourtant, il lui fut fort malaisé de quitter la chambre. À chaque pas, elle luttait contre l'envie de faire demi-tour pour aller serrer contre son cœur l'homme qui avait su l'apaiser. Le serrer contre son cœur, lui dire des mots insensés et éclater en sanglots. Mais elle ne pouvait pas. Pas ici. Chez elle, elle pourrait. De toute façon, tout le monde avait l'habitude, maintenant. Elle n'était qu'une sale petite pleurnicharde ingrate et ridicule. Elle se détestait tellement.
Elle manqua même de se trahir devant Léonilde. Idiote, tellement idiote. Pas étonnant qu'on ne veuille plus d'elle. Enfin soit. Elle se rattrapa avec cette histoire de gants. Des paires de gants, avec l'état de ses mains, c'était bien ce qu'elle avait le plus. Enfin, soit, c'était la seule chose qu'elle avait trouvée à dire. Et cet espèce de demi-sourire que le domestique arborait, elle l'ignora. Il comprendrait demain, quand Coldris serait éveillé. Croiraient-ils alors qu'elle avait essayé de les berner avec une fausse gentillesse ? Se mettraient-ils à la détester franchement ?
Elle acquiesça avec reconnaissance. En revanche, ce serait au théâtre qu'il faudrait la ramener... C'était là que Jean l'attendrait... Si ce n'était pas lui qui la ramenait, Eltinne soupçonnerait quelque chose. Oh, pour elle-même, elle s'en moquait. De toute façon… De toute façon, elle s'en fichait. On la ramènerait à Tianidre, c'était mieux ainsi. Alduis, Lavinia... Ils seraient tous débarrassés de sa présence néfaste sans avoir besoin de savoir. Et puis, à Tianidre, elle avait ses falaises... Non, l'ennui, c'était que si elle rentrait seule, elle causerait des ennuis à son cocher. Ce n'était pas ainsi qu'on remerciait quelqu'un qui risquait probablement son poste pour vous. Elle était déjà assez égoïste sans avoir à en rajouter. Et inutile. Et lâche. Et stupide. Et méprisable. Et... Horriblement lasse.
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» [21 - 30 janvier 1598] Au bout de l'errance [Terminé]
» [4 janvier 1598] - Requiescat in pace [Terminé]
» [19 janvier 1598] - Légitimité d'existence [Terminé]
» [21 Janvier 1598] Du bichon au lapin [Terminé]