[2 janvier 1598] - A l’automne, les arbres perdent leurs feuilles ; à l’hiver les écrivains perdent leurs manuscrits

Sa prochaine question te replonge dans les années folles de ta vie. Ton esprit te sert des images que tu n'avais plus vu depuis fort longtemps. Oui, tout cela était parfois utile, parfois amusant. Tu aurais alors pu te dire que finalement, même avant la dictature, rien n'était utile ET amusant. Mais c'est sans compter sur les images parfaite qui apparaissent soudainement, et qui t'étire un sourire nostalgique. Oui, tu as trouvé.

Et bien...   commences-tu

Tu réfléchis un court instant à quelle image serait mieux en premier, puis tu le lances.

Il y a ces hivers heureux dans mon village où on prenait les pelles dans la remise, et on faisait des courses tout en déblayant la neige. Finalement, ce merveilleux souvenir est à la fois utile et amusant.

Un petit silence précède la réponse à la vrai question.

Pour l'amusant et l'inutile, il y a tous les jeux que l'on faisait petits, comme descendre d'une pente sur une planche en bois, manger des champignons piétinés, faire des potions avec les mauvaises herbes, et bien d'autres.

Jusque là les yeux dans le vague, tu les lèves jusqu'à Boréalion.

Vous faisiez ce genre de truc vous aussi ?

Qu’y avait-il d’utile et amusant ? Ou même juste d’amusant ? - qu’importe que ce soit inutile au yeux du commun des mortels. Katarina plongea dans ses pensées pour ressortir un souvenir. Un sourire malicieux se glisse sur les lèvres de l’auteur. Elle reconnait donc que cela existe.

Il acquiesce sans un mot, soucieux de ne pas l’interrompre en si bon chemin alors même que les questions s’accumulent. L’esclave regarde le vide tout en énonçant les exemples qui lui viennent. Avait-il fait de telles choses ? Il hésita un instant avant de répondre :

— Les planches sur les pentes enneigées, oui, confie-t-il. Avec ma petite soeur.

A cette époque-là, Héloïse et lui s’entendaient si bien… Elle était la seule à le comprendre, la seule à ne pas le rabrouer en permanence sur l’inutilité profonde de ses occupations “de bonnes femmes”. Il n’avait pas eu de mauvais parent, mais sa petite soeur semblait être la seule vraie personne qu’il trouvait dans sa famille. La seule avec laquelle il avait pu être vraiment “Célénian”, même si “Boréalion” n’existait pas encore à l’époque. Au fond… Oui, au fond, il comprenait pourquoi elle l’avait suivi. Il comprenait ce qu’elle cherchait à reconstruire, mais c’était trop tard.

Et pour l’instant, il était à la pêche à l’inspiration et il devait rester concentré.

— Je vivais à Helienir. Au nord, sur la côte. Mon père a quelques bateaux, là-bas, on devait systématiquement aller tous au port dès qu’ils rentraient, c’était d’un ennui... J’avais deux amis. On avait un jeu - vraiment stupide maintenant que j’y pense - qui consistait à être le premier qui jetterait les deux autres à l’eau. On rentrait trempés comme des soupes, mais on en mourrait de rire.

Deux amis. Celui qui avait inspiré Itillian et un poète aujourd’hui connu sous un autre nom. Ce n’était pas tout à fait comme avec Leyria. Il y tenait moins, et il avait presque perdu le contact avec celui d’entre eux qui vivait toujours tant ils étaient tous deux occupés. Mais c’étaient tout de même de bons souvenirs. Mais ce n’était pas là qu’il voulait en venir :

— Et toi, d’où viens-tu ? s’enquit-il.

À ta légère surprise, Boréalion avait ses propres défis enfantins. Celui qu'il t'évoque te paraît vachement cool à essayer. Dommage que tu n'aies pas eu de point d'eau assez grand pour faire ça chez toi, tu es sûre que tu aurais adoré balancer Silia dans l'eau, et le petit Jago. Qu'est-ce qu'ils deviennent tous maintenant ? ça fait tellement longtemps que tu ne les a plus vu... ils te manquent tous... mais tu chasses bien vite cette mélancolie pour revenir sur la conversation.

C'est loin d'être stupide ! J'adore l'idée, et d'ailleurs, si on avait eu de quoi faire ça, on s'en serait donné à coeur joie sans en douter une seconde ! Je suis sûre que j'aurais souvent gagné. J'étais bonne au défi qu'on se lançait régulièrement.

Il te demande ensuite ton origine. Oh... bon ben comme pour Leyria, tu vas simplement dire la vérité.

Je sais pas, je connais pas le nom de mon village. Je sais juste que c'est à des jours et des jours de char de Nérée.

Tu ne précises pas que Nérée est la ville dans laquelle la famille de Silia t'a accueilli après la fuite de ton village. Ils n'ont pas à le savoir, et moins ils en savent sur Ariane, plus sereine tu es. Tu ne sais pas ce dont il serait capable de le faire, quand tu sais qu'ils adorent prendre des esclaves. Ariane t'as bien sauvé la mise, tu lui dois, comme tu peux, de lui rendre la pareillle...

Célénian évoqua une part de son enfance, et même si le jeu auquel ils se livraient était d’une bêtise monumentale, son interlocutrice semblait trouver cela formidable. Aurait-elle été douée ? En tout cas, bien plus que lui : ses victoires devaient se compter sur les doigts d’une main quand il n’en avait pas assez - orteils compris - pour dénombrer ses défaites. On comprenait pourquoi il était le seul des trois à avoir soigneusement évité l’armée - malgré sa carrure, il n’aurait rien apporté à son pays de cette manière.

— Celui-ci était surtout très pratique pour se prendre une paire de gifles en rentrant trempé jusqu’aux os, avoua-t-il.

C’était qu’il était très doué pour mettre son père en colère, aussi. Maintenant qu’il y pensait, il le provoquait un tout petit peu tout de même… Mais même s’il s’était montré plus docile, ils ne se seraient pas compris. A se demander comment il était parvenu à obtenir son appui, à lui qui ne reconnaissait rien de son talent.

Parler de son enfance le mena à s’interroger sur les origines de l’esclave. Des jours et des jours de Nérée ? De quel côté ? Toujours à Monbrina ?

— Monbrinienne tout de même ? s’enquit-il, plus par curiosité qu’autre chose.

A la manière dont elle avait raconté ses bêtises, il la voyait mal être née esclave et tout cela l’intriguait.

Des giffles ? Oh tu en as reçu plus d'une étant enfant. D'un caractère aventurier et casse-cou, tu as fini plusieurs fois remplie de boue ou les habits déchirés. Alors bon tes parents étaient tolérants la plupart du temps, mais ces deux fois-ci tu avais fini avec une claque dans le museau et au lit sans souper. Sur le coup, tu étais hors de toi, mais bon, aujourd'hui, tu comprends tes parents. Si une fois tu as des enfants, tu te demandes d'ailleurs comment tu réagiras quand ils reviendront en ayant fait les mêmes conneries que toi. ça risque d'être bien drôle...

Les gifles c'est rien par rapport au plaisir que vous apporte le fait de gagner un défi. C'était le rendez-vous à ne pas manquer pour les enfants de mon âge.

Boréalion continue son enquête pour savoir où tu vis. Il deviendrait presque envahissant sur le sujet, mais bon, il a été sympas avec toi, il ne s'est pas énervé quand tu as dit ce que tu pensais de Leyria, ou encore de la lecture. Du coup, tu fais l'effort de réfléchir. Ouais Monbrina, tu as déjà entendu ce mot. C'est un coin assez grand, mais tu te représentes très mal les limites. Tu te fies alors à ton intuition et au souvenir de la longueur du voyage entre chez toi et Nérée.

Ouais j'crois...

Boréalion ne put s’empêcher de sourire des affirmations de l’esclave. Des paroles qui lui rappelaient beaucoup de gens qu’il avait beaucoup appréciés, quelque part. Un peu de lui-même, aussi, même s’il avait rarement été le premier pour de telles bêtises. Il ne s’en laissait pas moins tenter plutôt souvent.

Cela le conduisit à s’interroger sur les origines de son interlocutrice, qui semblait un peu réticente à lui répondre. Certaines personnes se faisaient parler plus facilement que d’autres. Certaines, même, étaient incapables de la boucler, et c’était tout aussi pénible. Soit, ces difficultés faisaient partie du métier.

Une autre question, sans doute moins indiscrète, le titillait encore :

— Qu’espérais-tu en le ramassant ? s’enquit-il en désignant son manuscrit.

Sa question te surprend un peu. Elle est tout à fait logique et s'insère totalement dans la raison de votre rencontre, mais vous avez tellement voyagé d'un sujet à l'autre, que tu en as oublié que si tu es devant lui maintenant, c'est parce-que tu as fait la curieuse. Pourquoi ? Pour combattre l'esclavage simplement... pour te tirer d'ici au plus vite, être libre, et dans l'idéal, tirer de ce pétrin tous ceux qui sont dans le même cas que toi, à commencer par Gisella, avec qui tu as déjà bien sympathisé.

Oui, mais tu ne peux pas lui dire ça comme ça de but en blanc. Il a beau être sympas, ça reste un pote à tes propriétaire, et même si tu n'as jamais utilisé ces termes, tu ressens bien que les amis de tes ennemies sont tes ennemies. Et puis en fait, ton action n'a mené à rien. Tu sais pas lire, alors bon tu as ouvert ce livre, mais il ne t'a rien appris. Zut, et tes principes à la noix de jamais mentir aussi... ça t'aurait bien arrangé de balancer un gros bobard là... mais tu t'es jurée de ne jamais être comme Akida... donc de ne pas mentir...

Je sais pas... je sais même pas lire en fait, du coup c'était pas très utile... mais comme je vois beaucoup de monde se balader avec, je me suis dit qu'il devait y avoir des trucs intéressants dedans...

Tu n'as pas menti... tu n'as juste pas tout dit... Cela suffira...

Célénian acquiesça à la réponse de l’esclave. Oui, c’était une bonne raison pour s’intéresser à un manuscrit, après tout. En pensant cela, il avait récupéré le sien, l’avait distraitement feuilleté et… Non, tout cela était à revoir. Il ne pouvait pas le montrer à Leyria dans cet état. Oubliant complètement qu’il était accompagné, trop pressé d’aller apporter les modifications qui lui tournaient dans la tête, il se leva d’un coup et sortit précipitamment du salon. A qui l’interrogea en chemin, il répondit qu’il ne pouvait pas attendre Leyria et qu’il devait absolument corriger son travail tout de suite. Il reviendrait… une prochaine fois.

Un silence un peu gênant se place entre vous. Tu as beaucoup de peine à savoir ce qu'il pense. Quel effet a eu ta réponse sur lui ? En le voyant feuilleter, tu te demande ce qui lui prend de tout à coup lire son livre. Avait-il oublié ce qu'il y était écrit ? Pourtant, il doit s'en souvenir, apparemment c'est lui qui l'a écrit... recherchait-il un passage pour te le montrer ? Mais à quoi bon... ça va te faire une belle jambe... Non décidément, tu ne comprends pas sa réaction. Tu attends juste qu'il t'en explique un peu la raison, en silence, intriguée.

Mais contre toute attente, il finit par se barrer comme un voleur après son action. Par réflexe, tu lâche un.

Hey !

Tu te lèves et tu me mets à le suivre, en l'appelant, mais il a l'air de ne plus te voir.

Hey attends, on a pas fini !

Tu arrives au seuil de la porte, mais rien n'y fait, il ne t'entend plus. Tu comptes le suivre davantage mais tu te fais interrompre par Venric qui met brutalement un terme à l'agréable pause que tu viens d'avoir. Tu manques de peu de l'insulter, mais tu croises le regard de Gisella qui te fais signe de pas faire d'émule. Fin énervée de t'être pris un tel vent, tu finis par abdiquer.

Putain de merde...

Tu prends sans délicatesse le sceau que l'autre blaireau te tend et tu reprends ou tu en étais il y a une demie-heure environ.

Saloperie de noble à la con... songes-tu