[Drunk Angel] Cette soirée du 30 juin 1597 où la terre trembla

Quand Coldris faisait livrer une cargaison d’alcool dans une église, il y avait de quoi se méfier de base. Seulement voilà, lorsqu’on mourait et que l’on se retrouvait là-haut, on voyait tout. Et comment dire… En fait, il préférait l’ignorance de son vivant à l’omniscience de sa mort. Le pire dans tout cela, c’est qu’il ne parvenait tout de même pas à fermer les yeux et s’en détourner en se concentrant sur autre chose. En fait, lorsqu’il les regardait, il avait vraiment l’impression que son monde se délitait depuis sa mort. Démétrius, Coldris, Elena… Il avait parfois envie de tendre la main pour les aider, mais il n’était qu’un courant d’air.

Il était donc là, assis à sa place habituelle, avec son verre d’hypocras habituel à observer d’un œil désabusé la scène qui se déroulait là-bas au travers de cette petite sphère. De toute façon, c’était bien simple : depuis son départ, Coldris avait retrouvé et développé ses pires travers sans rencontrer la moindre limite – ce qu'il ne manquait jamais de lui reprocher pour le faire culpabiliser–. Chose qui d’ailleurs ne s’était pas arrangée lorsqu’il avait croisé la route de ce maudit prêtre de Sodome en février dernier alors que son fils venait tout juste d’être blessé et sa femme de le rejoindre... Alors quand il savait qu’ils allaient passer la soirée ensemble dans une église, il craignait le pire. Rien qu’à voir la mise en scène blasphématoire et hérétique, il avait déjà tapé du poing sur la table au point d’en faire trembler le sol. Pourtant ce n’était rien à côté de l’arrivée de Coldris qui lui valut un nouvel avertissement (et un nouveau verre).

Évidemment il avait fallu que Coldris ressorte cette fichue prière le tout vêtu d’une aube et portant un encensoir à l’opium. Il se laissa glisser tête contre le plateau de la table. Par les entrailles du Christ pourquoi avait-il dû se souvenir de cette bêtise proférée des années plus tôt au Lupanar ? N’en disait-il pas suffisamment comme cela? Quant à ce prêtre, on ne pouvait pas dire qu’il s’était bonifié avec le temps. Comme quoi, il avait bien eu raison de ne lui accorder aucun crédit.

Une main se posa sur son épaule, il tourna machinalement la tête pour apercevoir le visage compatissant du jeune peintre. Bien sûr qu’il n’en faisait pas partie, mais il n’y en avait pas un qui n’avait pas besoin de lui là-bas. Et à cela se rajoutait ses drôles de piles de petits cailloux sur sa tombe que certains vénéraient déjà comme un Saint. Seulement… il n’était qu’un homme. La preuve: il ne parvenait à aider ni Démétrius ni Coldris. Quant à Elena, il était heureux de croiser un visage proche et rassurant ici. De son père, il avait hérité d’un sobre “finalement tu ne t’en es pas trop mal tiré”, ce qui dans sa bouche équivalait à une décoration de l’Ordre du Mérite. Il avait également rencontré Coldris-père qu’il avait gratifié d’un crochet bien senti dans la mâchoire. De toute évidence, son ami n’avait nullement noirci le portrait de son abject paternel. En revanche, sa mère (dont il tenait indubitablement l’arrogance et le charme) était une personne intéressante quoique certainement un peu fourbe par certains côtés. Toujours est-il que s’il était ravi de revoir Elena, ce n’était rien comparativement à son amitié avec Coldris et ce quand bien même il en était désolé de l’avouer autant que de le reconnaitre.

Il remerciait toutefois l’artiste pour sa sollicitude d’un sourire tandis que son visage s’inclinait doucement. Soudain, il captura son regard fuyant de curiosité vers la sphère. Il manqua de se jeter dessus pour en masquer la vue au peintre. Il ne pouvait pas voir cela. Il ne pouvait pas, c’était impossible. C’était trop… Coldris… Trop tard : il réalisa que le mal était déjà fait et soupira en entendant sa remarque. Dont le dernier mot lui arrache un regard fort sévère et tranchant. « Ca », mais enfin ! Quand bien même ses agissements étaient pitoyables et répréhensibles, il n’était pas une chose.

— « Ca » est un homme et mon ami, monsieur, déclara-t-il. Il n’a pas été toujours ainsi. Incroyant et provocant, certes, mais pas au point de s’adonner à ce genre d’agissements en pleine conscience. Pas à ce point tout du moins.

Pas comme ce curé qui aurait baisé un autre type de courgette si Coldris avait eu le bon ton de l’y obliger. Ah mieux valait arrêter de penser avant qu’il ne lui suggère cette idée. Quand il pensait qu’il était le père de ce malheureux enfant de chœur. D’ailleurs, il aurait dû le remarquer à l’époque, comment avait-il pu passer à côté tant cela lui semblait désormais évident ?

Virgil acquiesça la tête, compréhensif face à sa réaction. Il lui pardonnait et l’aurait presque compris s’il n’avait pas s’agit là de son meilleur ami, celui qui tenait une place quasi fraternelle dans son cœur.

— Il y a de quoi, en effet. Moi-même je n’apprécie guère cela.

Toutefois, il pouvait également appréhender le point de vue de Coldris pour connaitre une bonne partie de sa vie qui n’avait rien à avoir avec la sienne. Il s’était souvent demandé s’il en aurait été de même pour lui si l’on avait égorgé sa sœur (qui ironie du sort portait le même nom) sous ses yeux.

Il pencha la tête à la remarque de Jules. Il n’avait pas foncièrement tort, au fond si cela pouvait les aider… Seulement, il ne trouvait pas cela mérité. C’était comme une espèce d’arnaque dont il se sentait quelque peu responsable.

— Vu comme cela vous n’avez pas tort, mais n’y a-t-il pas assez de Saints pour les aider ? demanda-t-il perplexe en remarquant soudainement les alignements de statuettes en arrière-plan.

Si seulement cela pouvait fonctionner sur Coldris et Démétrius. Ah ! Que ne leur donnerait-il pas sa force pour traverser leurs épreuves respectives !

— Il s’agit de Thierry d’Anjou déclara-t-il en observant Coldris le bénir.

Il soupira profondément, roula des yeux et se signa dans un murmure

— Seigneur pardonnez-le, je vous en conjure…

Il se tourna ensuite vers l’artiste pour répondre à cette vaste question.

— Lui non plus n’était pas comme cela avant. Figurez-vous que fut un temps je prenais plaisir à fréquenter sa paroisse une fois par mois. C’était un bon prêtre – oui j’ai conscience qu’on peine à le croire désormais, c’est pourtant la plus pure vérité – et puis un jour je l’ai découvert au lupanar à forniquer. Et finalement plusieurs mois après, c’est à l’église que se sont reproduits ses méfaits. Coldris n’a pas besoin d’être influencé. Seulement qu’on lui présente des portes à pénétrer ou enfoncer, fit-il maussade. C’est ce qui arrive lorsqu’on laisse se faire dévorer par ses démons et qu’il n’y a personne pour incarner sa morale et le remettre sur le droit chemin. Ce n’est pas un mauvais garçon contrairement à ce curé ! Oui au fond vous n’avez pas tort, il est le combustible de son esprit débridé

Et il grogna sourdement, reportant son attention sur la pyramide de calices.

— En tout état de cause, Coldris a bien raison ! Cet idiot de curé n’a que quarante mois ! Quelle honte à son sang ! Non mais regardez-le !

Ses mains heurtèrent de toutes leurs puissances le plateau de la table qui vibra jusque dans l'autre monde.

Etre un saint. C’est une chose – quelque peu malaisante il fallait l’avouer – que de se l’entendre dire de son vivant ; c’en était une autre que de le voir en étant mort. Tous ces petits cailloux, ces inconnus qui venaient lui demander de l’aider à les extraire de situations improbables, ces prières de gens du peuple. Il n’avait jamais réalisé avoir autant inspiré « les vivants ». Et qu’en pensait le Très-Haut ? Il n’avait rien d’un martyr ou d’un faiseur de miracles. Il ignorait même d’où venait cette idée étrange. Sa vie était loin d’être indemne de tout péché… C’était… De toute évidence, il allait devoir s’y faire. Qu’en penserait Démétrius de tout cela ? La remarque taquine de Jules lui fit avaler sa salive de travers et le marquis toussa violemment. Saint Virgil ? En portrait ? Avec une auréole ? Il toussa de nouveau sans pouvoir calmer ce chat qu’il semblait avoir élu domicile dans le fond de sa gorge. Il leva une main distraite afin de se faire resservir un verre qu’il vida d’une traite. Non, vraiment un portrait, c’était… Que pensait donc Leur Seigneur ?

De fil en aiguille, il en arriva à lui présenter le curé dont le nom le fit réagir violemment : visiblement les deux hommes se connaissaient. De nom au moins. Par une relation interposée visiblement.

— J’en suis navré. Parfois les hommes déposent leur cervelle lorsqu’ils paniquent et font des choses idiotes. Cet homme est assurément un embarrassant benêt sans parole cependant je le crois sincèrement repentant au sujet de votre sœur. Certaines personnes ne sont pas faites pour être prêtres. Ce n’est que du gâchis. Il aurait pu être heureux.

Il tourna également son regard vers la Vierge tout en poursuivant :

— Coldris est certes plein de défauts, mais on ne pas lui retirer sa détermination et son sens des responsabilités, c’est certain.

Tous deux explosèrent en réalisant ce qu’il se passait dans l’autre monde et la terre trembla sous leur colère réciproque.

— Je ne la connais que de nom. Il s’agit du comté d’Anjou. Une noblesse d’épée désargentée dont le grand-père a fini par vendre ses titres. Le déclin s’est poursuivi jusqu’à la ruine complète de sa famille. Il avait une sœur, mais l’on ignore ce qu’il est advenu d’elle quant à sa mère et son frère, ils ont préféré se suicider.

Il se signa devant cette fin qu’il n’aurait jamais pu envisager. A choisir, il se serait retiré dans un monastère ou une abbaye. Coldris venait quant à lui de croquer dans le fruit défendu de la Vierge. Allons bon. Disons que… C’était pour rétablir l’ordre.

Passer trente ans avec cet idiot de Coldris avait indubitablement aiguisé son sens de l’observation et de la déduction et ce qu’il lisait en ce moment sur le visage du peintre, c’était bien qu’il ne comptait pas en restait là avec cette affaire de portrait. Allons bon… Si seulement l’idée pouvait s’enterrer aussi profondément que son propre corps ce serait certainement pour le mieux.

En tout cas, il n’avait pas enterré son sens de la justice. C’était plus fort que lui. Même lorsqu’il s’agissait de ce maudit curé dépravé fils de Pan, il ne pouvait s’empêcher de rétablir les faits et même de jouer l’avocat du diable. Il fallait croire qu’il n’aurait jamais pu embrasser d’autres carrières que celle-ci. Sans doute Louise avait-elle raison : Dieu l’avait guidé sur cette voie pour établir un peu plus de justice, aussi maigre fût-elle.

— Allons mon cher, n’était-ce pas vous qui disiez un peu plus tôt qu’il fallait délaisser notre vie terrestre ?

Quand sa remarque pleine de naïveté, il plissa ses grands yeux gris. Ah si seulement ! Qu’il dise donc cela à son père ou celui de Coldris et de tant d’autres.

— Vous devez avoir bien de la chance si vous avez pu choisir votre voie. Nous autre noble ne disposons guère d’une telle liberté. Il est commun que l’ainé reprenne le domaine, que le second entre dans l’armée et que le troisième fils serve notre Seigneur. Bien sûr, il est possible de refuser, mais cela ne va pas sans heurt. Voyez-vous, j’aurais dû être militaire et si je n’avais pas – par malheur – hérité du marquisat, je doute que mon père ne m’aurait adressé de nouveau la parole après l’affront que je lui avais fait.

Ils auraient sans doute mieux fait de s’abstenir de poser les yeux sur cette scène révoltante qui se déroulait un peu plus bas. Juste de quoi faire trembler la terre de leur mécontentement réciproque. Et dire que la soirée ne faisait que débuter… Virgil se redressa finalement pour répondre à ses questions sur la vie de cet homme. Il était on ne peut plus d’accord avec ces suicides auxquelles il n’adhérait pas : la vie est un cadeau de Dieu qu’il fallait chérir qu’importe le prix qui en découlait. Mettre fin à ses jours était une honte doublée d’une effroyable lâcheté face à l’adversité. Se tuer était si facile, alors que croire en l’avenir et se battre démontrait une réelle force de caractère.

— Pas exactement. En fait… Il a été vendu par son père à un monastère lorsqu’il avait quinze ans. Il pensait passer du temps avec son géniteur quand en réalité celui-ci avait une tout autre idée. On noie les chiots, on remet ses enfants entre les mains de Dieu… Il a tenté de s’enfuir, de se faire exclure… Rendez-vous compte : il rêvait de devenir soldat ! Virgil souffla de rire en secouant la tête tant cela était ridicule. Finalement, épuisés de ses frasques, il lui fut proposé de devenir prêtre afin de lui offrir une plus grande liberté. Et aussi étrange que cela puisse paraitre, il fut un bon prêtre, dévoué à sa paroisse et aux nécessiteux… jusqu’à ce que son naturel ne le rattrape en la personne de votre sœur.

Oui, au fond, si elle ne l’avait pas tenté et presque provoqué même, peut-être serait-il toujours encore à lire ses messes paisiblement et non à jouer avec Coldris à…

— Par tous les diables ! tonna-t-il, comment ose-t-il ? Comment ose-t-il ! Une statue de saint ! Virgil attrapa la sphère pour la porter au plus près de son visage, furieux : tu n’as pas intérêt à t’adonner à ce genre de jeu impie, tu m’entends ! Tes maudites messes blasphématoires passent encore, mais cela… Certainement pas !

Ah ça ! Il était toujours plus facile de professer que d’appliquer, ce n’était pas lui qui dirait le contraire. Jules évoqua son enfance bien loin de la sienne. Sa sœur Rose lui rappela Bérénice, la seule faille de Coldris. Quoi qu’il dise lui aussi avait bien du mal à lui résister toutefois il ne lui aurait jamais laissé tout passer non plus. Quant à se jouer de ses enfants, c’était parfaitement abjecte et mesquin, Virgil ne pouvait que l’approuver silencieusement. La lâcheté coulait visiblement dans le sang d’Anjou…

— Et encore, il aurait trouvé le moyen de se blesser et de se faire plaindre !

Ils évoquèrent ensuite la genèse de la débauche du curé. Pauvre Jules qui avait assisté à cela. Sa propre sœur ! Il n’osait imaginer que Sybil puisse s’adonner à ce genre de pratiques luxurieuse. Un écart pouvait arriver, mais avec un homme de Dieu ! Quelle honte !

— Si ce n’était pas elle, cela aurait sûrement était une autre. Je suis certain qu’elle rachètera son péché.

Ce fut à cet instant que Thierry présenta un nouveau jeu des plus infectes ! Casser des statues de saints ? Vraiment ! Il était hors de question que Coldris en pulvérise ne serait-ce qu’une, il pouvait en être certain ! Virgil y veillerait en personne. Lorsqu’arriva son tour, l’ancien procureur fit dévier la balle lancée par son ami qui pesta violemment.

Ahhh fâcheux n’est-ce pas ? songea Virgil avec un sourire satisfait.

De ce qu’il avait entendu, son mari n’avait jamais été des plus tendres. Et ce bien avant qu’elle ne se décide à pêcher. Pour le reste, il ne la connaissait guère assez pour juger et s’en remettait à la justice de Dieu, considérant pour sa part  que ce n’était pas ainsi qu’elle pourrait racheter son affront. Enfin, il préféra garder cela pour lui et hocha  distraitement la tête. Il approuva bien plus en revanche cette idée de se retirer dans un couvent.

— Voilà qui serait pour le mieux. Mieux vaut ne pas compter sur ce curé de malheur pour avouer quoi que ce soit, il aura fui à la nage d’ici là…

Peu après, Virgil aida Coldris à échouer son lancer. Quel dommage. Et à le voir chercher l’origine de ce courant d’air, il ne pouvait qu’en rire de ses grands yeux gris. Que dire de la suggestion de l’artiste ? Il n’aurait pas dû faire une telle chose. C’était mal. Mais il était mort désormais, non ?


— Oh non, Coldris déteste perdre et pire que tout, il ne supporte pas de ne rien maitriser. Je parie qu’au prochain coup raté, il l’accuse de triche. Qui plus est vue l’énergumène cela n’aurait rien d’étonnant, n’est-ce pas ?

Sur ce, Thierry visa le Saint le plus proche (il n’allait tout de même pas chercher la difficulté) et réussit à lui arracher un nouveau grognement réprobateur. Bon certes… C’était mal et il n’était pas censé intervenir, seulement… C’était un cas de force majeur, non ?

— Nous pourrions, oui. Simplement pour écourter ce jeu parfaitement idiot, bien entendu…

Il ne put retenir un souffle de rire à sa remarque sur Thierry. Certes, il n’avait pas forcément bien choisi, disons qu’il l’imaginait partir loin, loin, loin de tout cela. Toutefois, les dizaines d’années passées en compagnie de Coldris ne lui permettait pas de s’avouer vaincu si facilement.

— Oh les rats nagent parfaitement bien, vous savez Julez. Optons pour… une limace dans ce cas

Il ne put s’empêcher une pensée désolée pour son filleul dont ces petites créatures visqueuses représentaient une peur plus grande encore que celle que l’on rencontrait sur les champs de bataille.

Quant à ce jeu, Virgil eut tôt fait d’empêcher Coldris de détruire la moindre idole. L’idée faisant son chemin, il accepta la suggestion du peintre. Pour la bonne cause. Uniquement pour la bonne cause.

— Ah vous voyez ! Je ne peux donc être un saint. Je n’ai jamais eu ce genre de sens du sacrifice, bien au contraire.

Ce fut de nouveau au tour de son meilleur ami qui, oh étonnement, échoua dans son lancer au point d’invoquer comme prévu la tricherie

Nom de Dieu, Coldris, tu es si prévisible parfois, tu le sais ?

Et le curé qui essayait de se justifiait en lançant cinq balles qu’ils furent obligés de dévier pour qu’elles touchent les statuettes. Jules avait beau dire, les voir se faire pulvériser de la sorte lui fendait le cœur tout de même. C’était comme piétiner la vie de ces hommes et femmes exemplaires et tout ce qu’ils pouvaient représenter. Maigre consolation, son cher vicomte était fou de rage ce qui signa la fin de ce jeu ignoble.

C’était sans compter la maladresse de ce maudit prêtre de Sodome qui renversa toutes les autres statuettes… Virgil en resta pantois. Sidéré du spectacle de chacune de ces effigies qui tombaient l’une après l’autre sans qu’il ne puisse faire quoi que ce soit pour les arrêter. C’était….

— Mais… quel… boulet… historique… Jusqu’à la fin ! Il le fait exprès n’est-ce pas ? Dites-moi qu’il le fait exprès, Jules. Ce n’est pas possible d’être à ce point idiot et maladroit tout de même !

Jules pouffa de la correction apportée par le marquis d'Aussevieille. Une limace ? Voilà affectivement la meilleure des formes pour ce curé débauché qui ne faisait que ramper devant ceux qui manifestaient un minimum d'autorité. Néanmoins leur conversation s'arrêta vite, interrompue par la mise en avant dans le monde terrestre d'un jeu répugnant. Passé le moment de l'indignation, ils s'allièrent pour transmettre leur énergie afin d'empêcher le ministre de détruire la moindre statut mais favorisèrent, à contrecœur, les cibles visées par le prêtre. Même quand celui-ci souhaitait démontrer qu'il allait rater. C'était là encore plus important pour persuader Coldris d'une triche potentielle. S'ils savaient, les pauvres ! Malgré les actes terribles, Jules s'amusait beaucoup de la scène, presque comme quand il était enfant et que Rosina et lui jouaient à déverser des pots de chambre sur la tête de passants depuis la fenêtre de leur chambre. Le marquis en profita pour renchérir que son absence du sens de sacrifice prouvait qu'il n'était pas un sens. Jules sourit, refusant d'abandonner ce débat.

"Il y a une différence entre eux et vous, messires. Ils appartiennent à une époque, les débuts du christianismes, où le sacrifice était finalement dans les mœurs. Or, vous, vous avez été époque à une époque plus moderne, avec des valeurs bien différentes des leurs. Néanmoins, cela ne change au rien que vous en soyez un. Désolé."

Il termina son analyse en prononçant ce petit mot d'excuse d'un sourire moqueur, satisfait de redonner un nouvel argument de sa théorie. Il songea en même temps à ce superbe portrait. Alexandre aurait décidément beaucoup de travail cet été.

Pendant ce temps, Coldris s'énervait et le prêtre tentait de protester lorsque celui-ci s'avança et glissa sur une pierre en réussissant alors l'exploit de détruire en une fois toutes les reliques. Devant une telle performance, qui soit aussi improbable statiquement, Jules aurait bien applaudi si les conséquences n'étaient pas aussi terribles. Il soupira à la question du marquis.

"Non, messire, une telle... réussite, c'est bien trop improbable. Si on voulait réellement provoquer cela, il y aurait quelques statues pour survivre. On dirait..."

Il releva la tête, hésitant.

"Et si c'était la volonté divine pour nous punir d'avoir joué nous aussi ? ou alors... Finalement, Il cautionnerait les jeux de ces deux idiots ?"

Sur ces paroles, Jules se signa.

Les deux hommes rirent de concert, imaginant le curé ramper comme une limace baveuse sur le parvis de l’église pour venir cirer les souliers de son soi-disant ami Coldris de Fromart. Jusqu’où irait son amitié ? Il ne savait rien de l’amitié. Rien. Rien. Rien. Ce n’était qu’une crapule puante et lâche. Depuis quand Coldris était-il tombé si bas ? Oh il avait la réponse et n’y pouvait malheureusement rien si ce n’était tenter de l’apaiser comme il le pouvait. Il aurait dû mourir après lui. Veiller sur lui, le protéger contre lui-même, comme le frère qu’il était et serait toujours dans son cœur, et ce qu’importaient les obstacles et les difficultés. L’amitié la plus pure était ainsi faite et ce… misérable ramassis d’étrons puants n’en serait jamais capable. Si seulement il avait pu secouer Coldris comme il l’avait tant fait ! Si seulement il pouvait être là pour le soutenir… Alors, il ne se serait jamais adonné à ceci.

— Vous ne lâcherez pas l’affaire, n’est-ce pas ? souffla-t-il dans un sourire amusé.

Un Saint… Non vraiment, il ne s’y ferait pas. Il ne pouvait pas se considérer comme d’une moralité exemplaire. Il avait succombé comme tout un chacun aux écarts et à l’attrait des différents péchés à un moment ou un autre.
Pendant ce temps, Coldris s’emportait comme il savait si bien le faire suite aux statues qui venaient de finir pulvériser.

Pense au résultat, Virgil. Pense au résultat. C’était nécessaire.

Et là, cet idiot fini envoya toutes les statues s’écraser au sol dans un tintamarre qui lui brisa le cœur. Comment…était-ce…possible ? L’ancien procureur se tourna lentement vers l’artiste. Une…volonté…divine ? Il se rassit soudainement, se laissant tomber sur sa chaise en bois, le visage blême. Qu’avait-il fait ? Pourquoi était-il intervenu là-bas… Il venait de céder à l’usage de sa position pour jouer au Dieu. C’était…

Seigneur, pardonnez mon offense, je vous en supplie humblement. J’ai abusé de mon pouvoir en espérant faire le bien, tentant de régner brièvement sur un royaume qui n’était pas le mien et je m’en repends sincèrement, cela ne se reproduira plus.

Remis de ses émotions et bien décidé à ne plus intervenir par principe de précaution, Virgil suivait ce nouveau jeu instiguait par Coldris. Il devait avouer que cela était somme toute plus plaisant que le précédent. Les deux premiers tours s’effectuèrent avec une réussite de chaque côté. Pour tout dire, il reconnaissait bien là son ami : un jeu simple mais non dénué d’épice.

Arf ! Il rata le suivant?

— Je t’ai connu plus en forme, mon vieux quand même ! railla-t-il avant de manquer de s’étouffer en entendant le gage.

Dessiner sur les vitraux ?! Il blémit et croisa le regard de Jules.


— Seigneur… Coldris… Tu ne peux pas faire cela et… Tu ne vas tout de même pas t'abaisser aux bêtises de ce curé?

Ses yeux suivirent les mains de son ami saisissant le charbon avec toute l’impuissance qui était la sienne en cet instant. Qu’était-il… Oh non… Oh non non non….

— Coldris ! Tu ne perds rien pour attendre, crois-moi!

Virgil secoua la tête de désapprobation. Il ne connaissait pas Coldris. Qui le connaissait réellement ? Même lui qui était son plus proche ami en découvrait toujours sur son compte, c’était certainement l’un des aspects qui le fascinait le plus chez lui.

— Vous vous méprenez, Coldris a beau ne pas être d’une piété irréprochable, – c’était le moins que l’on puisse dire – cela dépassait rarement ses paroles. Il ne se serait jamais adonné à ceci auparavant.

Cette… chose… qu’il… gribouillait… avec ce… sourire. Non il ne pouvait rien faire à part prier pour qu’il ne rencontre quelqu’un qui le canaliserait dans sa folie.

— On ne peut pas dire qu’il ait votre talent, décréta-t-il encore un brin bileux dans son humour.

La suite lui apporta plus de réjouissances lorsque le curé rata son lancer. Tiens qu’est-ce que Coldris aller choisir ? On pouvait compter sur son sens de l’imagination dans ce genre de moment. Non vraiment il n’enviait pas la place du prêtre en cet instant. Il ne le connaissait que trop bien et le verdict tomba. Virgil éclata de rire.

— Merveilleux Coldris ! Je te reconnais bien là bougre d’idiot ! Regardons donc comment il va s’en tirer, qu’en dites-vous ?

C’est qu’il ne s’en tirait pas si mal… À tel point que Virgil eut craint l’espace de quelques instants qu’il ne puisse sortir victorieux. Heureusement, il se retrouva bientôt dégoulinant comme un corniaud sous la pluie battante pour avoir trébuché sur… un tesson de Saint… Nouvel éclat de rire, tandis qu’il commentait amusé :

— La justice divine, on dirait. Oh c’était si beau ! Si ce n’est pas le propre des Saints de pouvoir agir même réduit en miettes…

Virgil opina du chef, acceptant d’office ses excuses : il savait pertinemment ce que l’on pouvait penser de Coldris et cet idiot s’ennorgueillait des on-dit au point de prendre un malin plaisir à en rajouter et si cela faisait enrager son ami, alors il prenait un malin plaisir à redoubler d’efforts.

L’ancien procureur préféra faire preuve de dérision en notant la médiocre performance du vicomte qu’il savait pourtant doté d’un bien meilleur talent que cela lorsqu’il le voulait.

— J’aimerai autant qu’il cesse de s’exercer pour tout vous dire.

Et il préféra suivre le parcours du maudit curé avec toute l’attention qu’il partageait avec l'artiste, les cornées collaient au globe qui retransmettait les images jusqu’à ce qu’il ne trébuche et que tous deux ricanent moqueusement. Tomber sur les Saints qu’il avait honteusement massacré, quelle ironie ! Virgil partagea aussitôt ses pensées avec l’artiste qui ne manqua pas l’occasion d’en rajouter une couche.

Il. N’avait. Rien. D’un. Saint.

Le marquis grommela dans sa barbe tout en suivant l’échec de Coldris. Morbleu ! Qu’allait-il lui demander de faire ?!

— Non mais je rêve ! Quel est donc ce gage idiot ! s’exclama-t-il de concert avec son ami qui faisait remarquer le manque de créativité.

Ah cela ! Il avait bien raison ! Parbleu, ce défi était d’une médiocrité sans nom ! Mais… ses prunelles acier s’écarquillèrent : pourquoi se mettait-il nu ? Il n’allait tout de même pas lui… C’était impossible… Il poussa un soupir en réalisant que c’était simplement sa profonde coquetterie qui était en cause.

Non, non, non Jules, faisait fausse route. Ce n’était pas qu’une question d’intelligence. Oh non ce serait si simple.

— Oh non, c’est sa paresse étouffante qui bride sa créativité. Croyez-moi, il sait l’être lorsque bon lui semble. Tenez, je l’ai vu offrir un collier de chien avec une sonnaille à l’intendant de Coldris il y a quelques semaines. Évidemment, le présent était sans expéditeur. Vous voulez que je vous dise ? Plus le temps passe, moins je suis apte à lui trouver la moindre qualité. Vous voyez mon ami, là… L’on pourrait dérouler un parchemin jusqu’au bas monde rien qu’avec l’étendue de ses vices, pourtant je pourrais certainement vous trouver une qualité pour chacun de ses défauts.

Pendant ce temps, Coldris se dévêtit pour revêtir l’aube et effectuer son gage. S’il n’avait plus le corps de ses vingt ans, il restait tout de même fort athlétique, bien loin des rondouillards aristocrates qui ne passaient leur temps qu’à s’empiffrer en commentant le dernier salon tenu par untel. Il arqua un sourcil à la tête de l’artiste.

— On jurerait que vous venez de voir un esprit, plaisanta-t-il Ces dames profitent rarement de son corps en réalité. Il déteste se dévétir.

Aller Coldris ! Triomphe donc ! Oh ce qu’il aurait voulu l’aider juste pour se régaler de la mine déconfite de cet imbécile de prêtre ! Suspendu au globe, Virgil suivait avec attention chaque saut de son ami jusqu’à ce que la coupe ne vacille tombe sans qu’il ne parvienne à la rattrapa. Il laissa échapper un grognement de frustration avant de passer une main sur son visage : il… se… rinçait… dans le bénitier. Dans le… bénitier.
Etait-ce pire que d’uriner dedans ? Certes pas, mais l’effet était toujours similaire sur lui.
« Virgil, ce n’est que de l’eau tout aussi nauséabonde que celle des puits, rien de plus. Je suis certain que si tu la bois, tu chies tes tripes à en voir Dieu et ses Saints. ». C’était plus ou moins ce qu’il lui avait dit un jour où, il ne savait plus bien comment, la question était tombée dans le fil de la discussion.

Et puisque la limace libidineuse venait d’échouer son lancer, il disposait donc d’une chance supplémentaire de le voir se ridiculiser.