[Drunk Angel - 28 janvier 1598] - Aussi improbable cela puisse-t-il être

Ariste ouvrit la porte de la taverne, et sourit au marquis d'Aussevielle qui se trouvait déjà attablé. Bon, il fallait avouer qu'il avait un peu espéré l'y trouver après les derniers événements.

Il avait suivi les mouvements - ou plutôt l'immobilité - d'Éléonore toute la journée de la veille et de l'avant-veille, comprenant bien vite ce qu'elle avait en tête. Il aurait tant voulu pouvoir la rejoindre et la rassurer, pour la débarrasser du mépris qu'elle se vouait, sa merveilleuse petite sœur.

Tellement ingénieuse, et meilleure stratège et comédienne que n'importe quelle autre. Il était fasciné par tout ce qu'elle pouvait anticiper le plus naturellement du monde. Il avait sursauté avec elle quand Jean l'avait surprise. Il devait le reconnaître, il était soulagé qu'on l'accompagne. Elle était exceptionnelle, mais il ne fallait pas moins s'en montrer réaliste. Elle manquait tellement de prudence comparé à son habitude. Il aurait voulu être là pour la lui rappeler comme elle l'avait si souvent fait. Pour qu'ils se complètent encore.

Mais il fallait se rendre à l'évidence : Éléonore savait très bien super des gardes sans lui pour aller rejoindre son amant. Et rester dehors pour ne pas déranger, elle les aurait toutes faites ! Merci Jean !

Il avait assisté, ému, à leurs retrouvailles. Il avait de la chance à sa petite sœur soit si formidable, le bougre. Il fallait bien qu'il la rende heureuse pour que ses derniers mots lui soient pardonnés. Enfin, il les avait laissé dormir, soulagé de savoir Éléonore en paix. Elle dormait encore.

Ariste, quant à lui bien éveillé, gagna la table du marquis.

— Je vous souhaite le bonjour, Messire d'Aussevielle. Vous permettriez que je m'asseye ? s'enquit-il en désignant l'une des chaises. Les avez-vous vus ?

Alors comme ça Coldris était retombé fou amoureux. S’il avait cru que cela arriverait une nouvelle fois. Ce qu’il avait pu être frustré à être si loin ! C’était étrange tout de même, d’en savoir plus qu’avant et d’assister impuissant au cours de sa vie. Il aurait bien voulu le secouer comme un prunier lorsqu’il niait en bloc les sentiments qui le dévoraient déjà.

Et puis il y avait eu cette dispute, une nouvelle fois à cause de cette stupide cervelle de limace ! Pour une fois que Coldris décidait de faire acte de charité, il fallait que cela se retourne contre lui ! Il ravala le blasphème qui lui brulait les lèvres. Il n’y avait qu’à voir l’état de délabrement dans lequel il s’était retrouvé. Il n’avait pas lâché le globe depuis, inquiet qu’il ne puisse commettre une quelconque bêtise sans personne pour l’en empêcher cette fois-ci. Il en était capable, oh cela oui… Le voir ainsi lui avait déchiré le cœur et il avait quelque peu enchainé les verres d’hypocras pour atténuer son anxiété grandissante. Son ami lui manquait atrocement, mais il était hors de question de le revoir maintenant. Surement pas alors qu’il avait enfin trouvé une femme à sa hauteur, et ce n’était pas Sophie qui l’aurait contredit. Elle aussi avait suivi l’affaire avec curiosité malgré tout.

Et Alduis qui l’avait brillamment ramené à bon port. Il était si fier de lui et des efforts que chacun d’entre eux pouvait faire pour recoller les morceaux éparpillés… Enfin ce n’était pas le sujet. Elle allait bientôt se réveiller et la curiosité le dévorait. Qu’allait-il faire désormais ? Il demanda un nouveau verre lorsqu’une présence désormais connue s’invita à ses côtés. Il lui fit signe de prendre place le regard toujours rivé vers le globe.

— Monsieur de Tianidre, quel plaisir ! Venez vous donc vous installer, vous arrivez à point nommé.

Il déplaça la sphère de façon à lui offrir une meilleure vision et justement Éléonore venait de sauter au cou de Coldris. Quelle joie débordante ! C’était bien ce qui avait tant manqué dans sa vie depuis des années.

— Vous savez, je regrette de ne point pouvoir avoir son récit... fit-il dans un sourire attendri

Voir c’était bien, mais rien ne vaudrait jamais les récits enflammés de son orateur favori ni la lueur scintillante au fond de ses prunelles bleu glacier lorsque la passion s’emparait de lui.

Ariste tira sa chaise, le regard déjà happé par la scène qu'on lui présentait. Il l'avait éveillée, le bougre ! Mieux valait qu'il soit l'homme le plus désolé du monde après avoir arraché son Éléonore à un sommeil aussi paisible - songea celui qui l'avait maintes fois chassée de son lit à coup de chatouilles parce qu'il ne fallait pas qu'on l'y trouve au matin. Ah, il avait bien de la chance de lui avoir tant manqué, cet-homme-là, il aurait bien pu se prendre un coussin à la figure dans le cas contraire.

Elle était heureuse. Elle le couvrait de baisers. Ariste ne pouvait voir son regard, mais il devait être illuminé d'amour. La répartie du ministre lui arracha un sourire - touché - et le commentaire de l'ancien procureur, air rêveur.

— Et moi le sien... soupira-t-il.

Éléonore n'était peut-être pas la conteuse la plus commode, mais il n'aurait jamais manqué une seule de ses paroles. Il imaginait bien son flot d'explication, partant un peu dans tout les sens, mais qu'en âme jumelle il n'aurait pu que comprendre. Il l'imaginait bien revenir se réfugier dans ses bras, toute agitée. Se redresser, trépigner, poser de nouveau sa tête contre son épaule, se perdre dans son récit parsemé de "je l'aime tellement, tu sais ?", le serrer dans ses bras pour essayer de lui transmettre tout le bonheur qui l'animait, puis, anticipant la moindre crainte, lui rappeler que jamais cela ne changerait ce qu'elle ressentait pour lui. Oui, s'il avait été là, il n'aurait pas eu à s'en inquiéter.

Éléonore avait toujours eu quelque chose de très expressif lorsqu'elle se trouvait relativement en confiance. Une lumière vive. Une énergie émotionnelle que son Bien-nommé était heureux de la voir retrouver… même lorsqu'elle le traitait d'idiot, elle demeurait tellement pleine de tendresse qu'on aurait voulu qu'elle le répète mille fois, juste pour en savourer encore l'amour et la douceur.

Oui, il aurait préféré qu'ils restent là-dessus parce que l'entendre rappeler - à lui qui le savait - combien elle s'était sentie coupable le rendait fou. Lui qui avait tout à fait compris ce qu'elle voulait exprimer. Lui qui ne pouvait s'identifier à ses ressentis, quels qu'ils soient. Il se sentait tellement impuissant, de ce côté. Incapable de lui sortir ces idées pernicieuses de l'esprit… incapable de la soulager.

— Je ne vous le fais pas dire, marmonna-t-il quand le vicomte que c'était à lui de s'excuser.

Assister à ce qui se passait en-bas avait toujours quelque chose de très frustrant, peu importe les années qui s’étaient écoulées. D’ailleurs Ariste partagé visiblement son avis contrairement à Jules qui tentait de s’en détacher.

Ils observèrent donc Coldris se réveiller (c’est qu’il ne l’avait jamais vu paresser si longtemps dans le lit !) puis leurs retrouvailles attendrissantes suivis de leurs excuses mutuelles.

— Estimez-vous heureux qu’il s’excuse pour sa part de responsabilité, cela tient déjà du miracle.

Disons que Virgil aurait pu citer de mémoire toutes les fois où il l’avait entendu formuler des excuses tant cela demeurait anecdotique. Et pour tout dire – et c’était certainement là le procureur qui parlait – les torts dans cette affaire étaient partagés comme c’était bien souvent le cas dans ce genre de dispute. Pour le reste, il connaissait suffisamment son ami pour savoir dans quels tourments il pouvait se plonger lorsque les verrous de son esprit cédaient face à la panique et l’angoisse qui le submergeait.

— Je n’en reviens toujours pas qu’il ait accordé sa charité à quelqu’un… commenta-t-il pour ne pas rebondir sur les excuses dont l’issue semblait compromise.

— Et de toutes les personnes, il fallut qu’il choisisse la mauvaise ! Nom d’un chien ! Autant dire qu’il n’est désormais pas prêt de réitérer l’expérience.

Quelque part, même s’il aurait aimé lui hurler que c’était d’une bêtise sans nom, il lui reconnaissait tout de même la beauté du geste. Quant aux derniers jours, il n’avait rien manqué non plus.

— Vous auriez dû le voir face au curé de Sodome ! Il n’a rien perdu de son adresse. C’était un bon joueur de Calcio dans sa jeunesse. Encore récemment remarquez… grimaça-t-il.

Quel idiot fini… « C’est la dernière fois, Virgil, je t’assure » Allons bon ! Cinquante ans et il venait tromper la mort au milieu de la fougue de la jeunesse ! Tout cela par colère des suites de sa mort. C’était toujours étrange de dire cela ainsi… Il était mort. Comme ça, du jour au lendemain. Sans avoir pu dire au revoir à ceux qu’il aimait.

— Ce qui tient du miracle, c'est le sourire qu'il fait briller dans les yeux de mon Éléonore.

Pendant des années, il avait cherché comment lui permettre d'être heureuse même en son absence. Bon, il n'avait certes pas choisi la bonne méthode, et d'ailleurs, il n'était jamais aussi bien loin d'elle non plus. Alors même s'il savait que tout n'allait pas s'arranger en une fois, et même si une pointe de jalousie le titillait par moment, il était rassuré.

— Mais vous ne me ferez pas dire qu'il ne les lui devait pas.

Il aurait dû être là pour lui dire qu'elle n'avait rien à se reprocher. Il n'avait que trop pu constater combien elle arrivait à se monter la tête quand il n'était pas là. À se dévaloriser gratuitement quand elle n'avait rien fait de mal - de maladroit, peut-être, mais jamais de mal. Et oui, il se sentait coupable de ne pas être là pour la convaincre de tout ce qu'elle était.

Il fronça les sourcils aux nouvelles qu'il apportait. Éléonore devait se reprocher d'avoir misé juste. Pour sa part, il préférait cela : au moins, son petit lézard des murailles serait quitte de cette affaire.

Ariste acquiesça aux propos de l'ancien procureur. En effet, la charité ne lui semblait pas trop coller à la personne…

— Un autre miracle ? suggéra-t-il non sans une certaine amertume.

Parce qu'il avait clairement pioché dans les moins méritants. Mais soit, c'était chez lui que ça mettait le désordre, après tout. Ariste en déplora les conséquences d'un léger haussement d'épaules. Il cilla de dépit lorsque le concerné raconta ses exploits - quoique pour avoir tenté d’intimider et blessé sa petite soeur, l’ancien curé l’avait largement mérité.

Le commentaire de Virgil ne fut pas sans lui rappeler les nouvelles bêtises d’Eléonore. Se promener dans les bas fonds en pariant sur le temps qu’elle mettrait à se faire agresser, non mais sérieusement… Entre cela et Alduis qui n’avait pas tout à fait l’intention de revenir de bataille, il était servi !

— J’étais occupé à suivre ses préparatifs de départ. Elle est drôlement ingénieuse, une vraie perle. Quoi qu’elle ait pris bien trop de risques à mon goût. Que voulez-vous : ils sont livrés à eux-même. J’avouerais préférer qu’il s’abstienne, à l’avenir, ne fut-ce que pour Alduis et elle. Elle ne supporterait pas de le perdre aussi… bêtement.

Enfin, lui il avait bien combattu, ce qui, au fond, n’était guère plus malin. Quant aux risques… C’était qu’elle avait toujours eu raison, sa petite soeur : il fallait toujours quelqu’un pour les voir à votre place. Gabriel - qu’il connaissait trop bien pour lui tenir rigueur de son emportement contre Eléonore - devait être mort d’inquiétude. Mais il était quand même gonflé d’aller s’imaginer qu’il ne l’aurait pas soutenue.

— Enfin, il est vrai que...

Le nom d’Alduis, dont il n’avait pas su prendre de nouvelles depuis qu’il avait parlé à son neveu - à vrai dire, depuis l’arrivée d’Alexandre dans sa vie, il se faisait rare. Ce n’était pas tout à fait une question de jalousie mais… mais savoir qu’il était relativement apaisé était suffisant pour qu’il n’ait pas envie d’écouter ses minauderies. Avait-il… manqué quelque chose d’important qui… Il l’avait manipulé. Ariste referma sa poigne sur son verre. Ce n’était plus à lui de se mêler de ses affaires de cœur, d’autant qu’il se savait en proie à un grand manque d’objectivité mais… Il émit un léger grognement. Cela l’énervait, c’était tout.

Ah ça ! Mais il s’agissait de Coldris, si quelque chose était impossible vous pouviez être sûr qu’il vous prouvait le contraire l’instant d’après et cet idiot aurait rétorqué qu’il aurait pu faire briller la Voie lactée. Enfin bref…

— Miracle partagé je vous dirai, cela fait près de trente ans que je ne l’ai pas vu ainsi vous savez…

Et c’était peu dire. Nombreux étaient ceux là-bas qui ne l’avaient même jamais connu aussi heureux tant son cynisme s’était imprimé sur son épiderme.

— Loin de moi l’idée de vous le demander.

S’excuser ne coûtait pas à grand-chose excepté à sa fierté démesurée et encombrante, mais cela pouvait parfois s’avérer nécessaire et même rapporter gros en comparaison de la simplicité du geste. C’était élémentaire, c’était un effort pour lui. Il était tout de même fier de son ami qui le faisait avec un tel naturel.

Parallèlement aux évènements, Virgil lui fit part de ceux arrivés au manoir du moulin un peu plus tôt lorsque le terme de miracle ressurgit lui arrachant un grognement. Il n’allait tout de même pas s’y mettre aussi !

Il. N’était. Pas. Un. Saint.

Quand bien même ce n’était pas parfaitement là qu’il comptait en arriver. En même temps, force était de constater que Coldris faisait d’énormes efforts ces derniers mois et que cela était hautement admirable. Seulement, ce n’était pas de son fait. Il n’était qu’un observateur frustré, rien de plus.


— Il est vrai que voyager ainsi de nuit était insensé. Morbleu je n’ose imaginer tout ce qui aurait pu mal se passer durant son voyage. Il devait sans doute exister une alternative. Enfin ce qui est fait, est fait. Ne vous en faites pour le calcio, je doute qu’il ne reprenne ce genre de risque à l’avenir, il ne voudra pas lui infliger cela. Le vivre fut assez déchirant pour ne pas le lui imposer. Alduis… jusqu’à il y a peu, je ne suis pas bien sûr que cela aurait pu grandement l’affecter, néanmoins je me réjouis de les voir enfin tenter de rattraper le temps perdu. Je n’aurais jamais cru cela possible de mon vivant. Un autre miracle visiblement…

Et voilà Coldris qui n’en manquait pas une pour en profiter ! Se faire soigner, voyez-vous cela ! C’est qu’il aimait profiter des soins d’une belle infirmière. Il ne changerait décidément jamais sur ce point.


— Il est vrai que ? questionna-t-il en écoutant les remarques de Coldris.

Il approuvait son discours entièrement, Alduis… Il n’aurait jamais cru qu’il puisse connaitre aussi bien son fils. Il venait de taper en plein dans le mille.


— J’ai connu Alexandre autrefois, je ne sais guère que penser, il est vrai que le garçon a changé depuis sans doute les épreuves de la vie et sa rencontre avec Coldris ? Il faut être solide pour fréquenter cet homme capable du meilleur comme du pire, mais dont la fascination finit souvent par vous hypnotiser. Je vous ai vu avec mon filleul, vous savez…

Trente ans… Aurait-il supporté de voir son Éléonore dépérir pendant trente ans d'ici sans rien pouvoir faire ? Certainement pas. Mais il l'avait laissée seule pendant des années. Des lettres, ce n'était pas assez. Enfin, soit : tant mieux si finalement, la rencontre de ces deux impossibles contentait tout le monde, non ? Et puisque le ministre prenait même la peine de s'excuser, tout allait pour le mieux.

Ariste préféra ne pas en rajouter sur le mécontentement de feu le marquis. Il ne pouvait tout de même pas lui reprocher d'utiliser le terme à tort et à travers quand il l'employait lui-même pour de simples excuses - aussi improbable puissent-elles être, la charité venant de cet-homme-là ne devait pas l'être moins.

Soit, peu importait, au fond. Et oui, sa sœur avait été imprudente. Ce qu'elle n'était jamais lorsqu'il y avait d'autres paramètres que ses aptitudes physiques. Quel risque ne prenait-on pas par amour ? Quoique selon ses propres principes, il n'aurait rien pu lui arriver : il n'avait jamais douté d'elle.

Bon, il s'efforcerait de ne pas s'inquiéter des vieilles occupations du vicomte. Il espérait juste qu'il n'ait pas le mauvais goût de lui arracher un douloureux serment. Alduis ? Il avait mentionné… Fichtre ! Mais lui aussi était plutôt content de les voir se rapprocher. Il fallait qu'Alduis soit entouré et soutenu. C'était le lot des meilleurs.

Il entama une phrase censée détourner la conversation avant de refermer la bouche, les yeux rivés sur le globe et les oreilles bien ouvertes - trop concentré pour se soucier qu'on le relance.

Peur. Abuser de sa sensibilité. Blesser irrémédiablement. La réponse d'Éléonore, toute fidèle à elle-même. Qu'aurait-elle pu prôner d'autre que confiance et soutien en bienfait absolu - sinon que les verrous n'avaient pas été placés aux portes pour les chats et que la discrétion n'était pas un concept réservé aux souris ? Et que personne ne lui arrivait à la cheville, évidemment.

Il comprenait aussi que son père soit sceptique - quoi que quelque part, leurs deux visions des faits soient assez semblables. Et ce qui lui était rapporté sur le nouvel amant d'Alduis le hérissait - quant avait-il manqué cela ? Quant à la question du partage… Oh, quand on était assez idiot pour ne pas admettre ses sentiments, on s'en sortait plutôt bien à cet égard. Il fallait juste être prêt à se contenter de quatre nuits en plus de deux ans...

Il leva le nez vers le marquis quand il évoqua Alexandre. À vrai dire, lui-même était la personne la plus mal située pour l'évaluer. Il savait qu'Alduis y trouvait du bonheur et ne pouvait pas penser grand chose de plus sans tomber dans une grande subjectivité. Être solide pour fréquenter Coldris ; y avait-il là un avertissement caché ? Il l'ignora - il n'aurait rien pu faire pour la seule qui comptait et tout ce qui comptait, justement, c'était qu'elle aille mieux. Quoi qu'il se passe, il serait de ce côté pour l'en consoler dès qu'elle passerait. Confiance et soutien par dessus tout.

— Je vous ai vu avec mon filleul, vous savez...

Ariste pinça les lèvres, mal à l'aise. Vu pouvait vouloir dire beaucoup de choses… C'était qu'il n'avait pas réellement pensé à ce qu'il pouvait savoir de cette histoire…

— Ah… Hmmm… Oui.

Oh, si seulement il s'était contenté de s'asseoir une fois sur un appui de fenêtre…

— J'ai… fait ce que j'ai pu.

Pas pour résister, cela faisait trop longtemps qu'il était passé outre cette idée. Mais pour le soutenir quand il en avait eu l'occasion. Pour le relever après le typhus. En les écoutant, Éléonore et lui, il se demandait parfois s'il avait fait le bon choix.

Virgil se rangeait à l’avis de Coldris, comment pourrait-il en être autrement après ce qui s’était passé sur cette fenêtre. Il avait cru les revoir prochainement tous les deux. Il avait senti jusqu’à la terreur qui avait broyé les entrailles de son ami. Comment, dans ces conditions, n’aurait-il pas pu être terrifié de ce qui pourrait être l’ultime tentative ? Ce que disait cette jeune personne est adorable et non dénué de vérité, seulement tout était bien plus complexe, et dans la réalité, et dans la relation qu’ils entretenaient. Ce qui s’appliquait ailleurs ne s’appliquait pas forcément chez eux.

Ariste… il le connaissait avant son arrivée ici. Il n’aurait jamais cru le voir si tôt quoi la guerre fauche la jeunesse  comme les blés. Après Alduis, c’était lui qui avait attrapé cette saloperie de typhus. Aurait-ce été le sort réservé à son fils s’il n’était pas rentré à temps ? Vu d’ici et quoi qu’il en pense, cela ressemblait presque à une bénédiction ou, à défaut, un moindre mal. Il parviendrait à passer outre et à réaliser sa chance un jour, et ce malgré tout ce qu’il pouvait éprouver en ce moment.

Oui, il avait jeté un œil sur les deux amants, enfin si l’on pouvait appeler ça ainsi. C’est qu’Alduis n’avait pas franchement hérité de la séduction de son père. Parbleu, s’il avait s’agit de femmes, songea-t-il, son père n’en aurait sans doute pas moins été désespéré, quoique l’on puisse lui laisser le bénéfice de la première fois. Oh il ne comprenait toujours pas plus que son père ce genre d’attirance étrange, mais c’était ainsi et il fallait de toute évidence faire avec puisque toutes ses prières n’y avaient rien changé. Ariste était un bon garçon que même cet idiot de Coldris aurait pu apprécier.

Et puis, sans lui, Alduis serait peut-être ici même en ce moment et il n’aurait jamais pu entamer le tissage de cette relation avec son père.

— Merci, se contenta de répondre le marquis en ignorant le malaise évident qui planait.

C’était drôle tout de même d’entendre Coldris parler de paternité. Pas vraiment le genre de choses qu’il aurait espéré voir de son vivant. Comme quoi, cela finissait par rentrer dans sa petite cervelle de piaf à force de le marteler.

— Elle n’a pas l’air d’être enthousiasmée par l’idée, commenta-t-il sans une once de jugement.

Éléonore l'aurait charriée avec ce moment de gêne si elle l'avait vu. Il le lui aurait rendu. Le fait était qu'il ne savait pas à quelle partie l'ancien procureur faisait référence. Après tout, quelque part, il était un peu responsable des derniers tourments de son filleul. Quoiqu'apparemment, tout ne monde ne doutait pas du caractère sacré de la vie une fois passé de ce côté. Ariste hocha humblement la tête avant de reporter son attention sur sa petite sœur.

Aaaaah, les parents. Éléonore savait combien ils pouvaient être protecteurs même lorsque ce n'était pas utile. Son frère pinça les lèvres quand le ministre évoqua le jour où elle en aurait elle-même - les leurs ? C'était qu'Éléonore était un peu un homme à cet égard : au delà de l'acte qui les produisait ou d'une conséquence théorique, elle ne réalisait pas vraiment ce dont il s'agissait. Elle se refusait à y songer avec les risques que cela impliquait. Il connaissait ce visage, il le connaissait par cœur. Elle ne se pensait pas à la hauteur.

— Elle a peur, répondit-il. Elle a perdu sa mère ainsi.

Et vu la sienne enchaîner les fausses couches. Et dieu savait que cela l'avait rongée par empathie.

— Et elle ne s'en sent pas capable. Elle aura besoin de son soutien, si cela advient.

Reporté sur la conversation, il tendit l'oreille à cette question si importante… pour se laisser décevoir par cette affaire de serpents.

— Vraiment ? s'indigna-t-il presque en écho aux exclamations de sa petite sœur.

Coldris évoqua les conséquences inévitables de leurs jeux : un jour sans doute, si Dieu le voulait, elle porterait un enfant du vicomte de Fromart. Il était bien trop zélé à la tâche pour que cela n’arrive pas un jour, il en aurait mis sa main au feu. Enfin quand il en avait encore réellement une.

Ariste l’éclaira et se fut à Virgil de grimacer dans un grognement. Morbleu ! Voilà qui ne les arrangerait pas le moins du monde pour cette affaire ! Comment feraient-ils l’un et l’autre si la nervosité les rongeait ? Il ferma brièvement ses paupières, passa une main sur son visage puis secoua la tête en soupirant.

— Il prendra sur lui. Il sera terrifié, mais il le fera. Pour elle. Et nous, nous n’avons plus qu’à prier… La première femme qu’il a aimée… Sophie de Farnende… Elle est ici. Morte en couche également. Je ne vous fais pas un dessin du reste.

Il ne lui referait pas le coup de fois n’est-ce pas ? Certes ce n’était pas le plus dévot de ses fidèles, mais tout de même ! Ce sera là si cruel… Non, c’était impossible, Il ne pouvait croire en une pareille malédiction.

Coldris annonça soudainement avoir quelque chose à demander avant de se raviser subitement de l’une de ses questions idiotes. Virgil roula des yeux avant d’entrelacer ses doigts de manière à y déposer son menton.

— Attendez donc un peu, Monsieur de Tianidre… Je connais parfaitement ce genre d’attitude. Ce n’est qu’une dérobade, mais il ne refuse jamais bien longtemps un obstacle.

Virgil écrasant une souris avec un registre judiciaire en l’insultant de « créature de Sodome » ? Mais ! L’ancien procureur ne put retenir un éclat de rire.

— Ah cela mon vieil ami, j’aurais dû le faire depuis bien longtemps !

Mais quel idiot ! Il ne s’en remettrait pas tant la scène était absurde. Ce qu’il manquait en revanche c’était bien les détails que Coldris n’aurait jamais manqué de préciser en temps normal dans l’un de ses récits animés.

Tout de même, il était curieux de savoir ce qu’il avait réellement à dire… Il ne pouvait tout de même pas ? Non c’était absurde. Et en même temps… À mieux y réfléchir… Il plissa les yeux et demanda curieux :

— Alors, à votre avis, que doit-il dire ?

Ariste eut un froncement de sourcil devant la grimace de son interlocuteur. Il ne pouvait tout de même pas lui reprocher de craindre une chose dangereuse ou des responsabilités qu'elle ignorait comment tenir. Bien sûr qu'elle finirait par y arriver, mais…

Ah… d'accord, pas de reproche. Juste une difficulté supplémentaire. Il voyait assez bien le problème, oui. Le fait était que pour prier, ce n'était plus sur eux en bas qu'il fallait compter. Entre le vicomte qui n'était certainement pas plus pieu que son fils et Éléonore qui avait complètement perdu la foi depuis qu'ils étaient séparés...

— Je comprends… Mais tout se passera bien, il le faut. Elle et courageuse, vous savez. Ce qu'elle craindrait le plus, ce serait de le blesser. Ou de perdre l'enfant et qu'il la déteste pour cela.

Ce serait du moins ce qu'elle craindrait. Enfin, actuellement, le plus gros risque était de s'étouffer de rire devant les bêtises rappelées par le ministre. Sérieusement ? Dérobade de… il interrogea le marquis du regard. Où voulait-il en venir ?

Il suivit leur débat sur les échelles de serpents - évidemment qu'Éléonore était ingénieuse, en avait-il un jour douté ? Seigneur, quelle place bête prenait-on dans les rêves de ses amis depuis ce côté.

— Je vous aurais pensé plus soigneu avec vos registres, commenta-t-il innocemment.

Enfin, disons que dans la version littérale de tout ça, l'écrabouillage de souris de laissait pas forcément du matériel propre.

Quant à ce qu'il devait dire… Ariste secoua la tête. Il ne devinait guère d'annonces vraisemblables. Ce devait être lié à un autre de ces événements manqués pendant qu'il veillait sur sa petite sœur.

— Avec mes connaissances, rien qui ne oit plausible...

Il manqua néanmoins de s'étouffer à la demande de Coldris. Que… que… quoi ? Heureusement qu'Éléonore s'était trouvée allongée et non debout.

— Excusez-moi… Avons-nous bien entendu la même chose ?

Il le fallait oui. C’était exactement cela. Il ne pouvait pas en être autrement à moins de souhaiter les revoir tous les deux ici aussi sec.

— Il préfèrerait cent fois perdre l’enfant que de la perdre elle, vous pouvez en être assuré. Et comme il sait être plus impérialiste que le roi, il souhaitera avoir les deux à la fois cette fois-ci plutôt qu’aucun des deux…

Il était quelque peu amer il est vrai. Quant à savoir si c’était au sujet de l’Empire ou des drames familiaux de son ami, il n’aurait su lui-même le dire avec certitude tant il lui était impossible d’émettre la moindre critique ouverte y compris en pensée de son gouvernement, loyauté indéfectible oblige.

Il préférait de loin suivre le petit jeu de Coldris et s’amuser de la mine interloquée du jeune comte de Tianidre qui ne semblait pas voir où il venait en venir : eh bien, il verrait bien répondit-il d’un éclat du regard. En tout cas, il déblatérait toujours autant d’idioties lorsqu’il prenait de l’opium, voilà bien une chose qui n’avait guère changé.

— Croyez bien que je me serai abstenu d’écraser ce genre de vermine avec l’un de mes précieux ouvrages rétorqua-t-il avec une pointe d’humour songeant qu’il aurait certainement dû le faire sur le crâne du curé lorsqu’il en avait eu l’occasion

Quant à trouver une hypothèse à la surprenante annonce que devait faire Coldris, son compagnon de tablée et de visionnage le déçu quelque peu. On ne pouvait pas dire qu’il se mouillait. Dommage ! Qu’importe, le ministre était de toute façon trop imprévisible pour des esprits sains. Ils n’avaient donc plus qu’à se laisser porter par le flot de paroles attendant que la déferlante ne s’abatte sur leurs oreilles. Virgil cligna plusieurs fois des yeux. Avait-il ?

— Il semblerait déclara-t-il en réponse sans parvenir à quitter la scène du regard.

Était-il tombé sur la tête ? Non pas qu’il ne soit pas heureux de le voir envisager de vivre une relation comme tout homme normalement constitué le devrait, à savoir dans le cadre sacré du mariage, seulement, il s’agissait de Coldris de Fromart…

— Parbleu… Il est toujours aussi maladroit, voilà bien une chose qui ne changera jamais…

Ariste acquiesça. Bien sûr, son petit lézard des murailles valait mille fois plus qu'un hypothétique enfant. Et - passons l'analogie - bien sûr que le mieux était que tous deux survivent, seulement…

— Je le leur souhaite… Seulement, s'il y avait le moindre problème pour le bébé, la culpabilité…

S'il n'avait jamais vu sa Raison s'inventer autant de torts que depuis qu'il était ici, il n'en était pas moins conscient qu'elle avait toujours eu tendance à s'accuser. Il le compensait assez aisément, voilà tout. Il ne restait qu'à prier pour que Coldris en soit capable également - un homme comme celui-là, ce devait avoir assez de confiance et de barrières contre les remords pour deux, non ?

— Je n'en attendais pas moins de votre part, fit-il mine de se rassurer à la réponse du marquis quant aux registres.

À défaut de trouver une hypothèse vraisemblable, il se trouva confronté à une proposition qu'il eût du mal à croire. Et pourtant, il n'était pas le seul à l'avoir entendue. Seigneur, s'il s'était attendu à cela… A vrai dire, il ignorait qu'en penser. Après tout, lui non plus n'avait jamais été tout à fait partisan d'un amour bien rangé. Les instants volés avaient toujours eu une saveur plus délectable que ce qu'il pouvait imaginer d'un ménage. Enfin, après, ce n'était pas comme si ses goûts lui avaient laissé le choix.

— Pour être maladroit...

Quoique la réponse de sa petite sœur l'obligea à admettre une chose :

— Quoiqu'il ne soit manifestement pas le seul.

Éléonore… Comment son cœur ne pouvait-il pas se serrer en la voyant en proie à la détresse. Il aurait dû être là pour la rattraper, pour lui dire toutes les vérités qu'il y avait besoin de lui rappeler, pour… Il la connaissait assez pour deviner tout ce qu'elle devait penser - et tout ce qui la chiffonnait sans qu'elle ne puisse encore l'identifier. Quant à ce qu'elle disait… bien sûr que non : elle était parfaite et son fameux phénix aurait été le pire des idiots d'en douter.

— Oh, c'est bon, ce n'est pas comme s'il risquait d'arriver quoi que ce soit ! pesta-t-il lorsque le ministre évoqua la place de Gabriel dans son choix.

Quoiqu'il n'approuve pas son attitude des derniers jours et qu'il déplore leur éloignement, il n'envisageait pas un seul instant qu'il puisse vraiment s'en prendre à elle. Il ne pouvait pas décemment le laisser dire de telles choses.

La culpabilité de perdre l’enfant, Virgil connaissait cela… Il l’avait vu chez sa femme jusqu’à ce qu’il ne se résolve à abandonner l’idée d’avoir un second enfant afin de la préserver. Elle ne méritait pas de se torturer ainsi pour ne pas parvenir à lui donner un second fils. Ou même une fille. Et puis Layla était entré de leur vie et si elle s’était montrée quelque peu dubitative au début, force était de constater que cela lui avait permis de tourner la page. Il acquiesça donc d’un hochement de tête. Coldris saurait faire face à cette situation, il en était persuadé, ce n’était rien à côté de tout ce qu’il avait traversé.

S’il s’était attendu à cette demande sortie de nulle part, cependant ! Et ce n’était pas son acolyte qui aurait pu dire le contraire alors qu’il semblait encore plus estomaqué que lui-même. Au fond ce qui était étonnant, c’était surtout qu’il lui propose cette solution lorsqu’il aurait pu se contenter d’une autre. Après tout, c’était bien la seule femme à accepter bien volontiers d’être sa maitresse ! Et dire que c’était là ce qu’il avait escompté d’Aurélia avant de se rendre compte qu’il ne pouvait que l’épouser…

— Oh que oui… Mais vous n’imaginez pas à quel point il tient à elle pour lui faire une telle proposition, alors même qu’il sait pertinemment qu’il pourrait s’en passer !

Hmm oui, elle n’était pas dénuée de maladresse.

— Eh bien c’est qu’ils sont faits pour être ensemble semblerait-il. Le mieux serait tout de même qu’elle puise une partie de l’arrogance de Coldris pour leur propre bien. C’est que… quoi qu’en ait l’air spontanée cette demande, il la murit certainement depuis des jours entiers. Je pense qu’au contraire, il en est très fier.

Ce qu’il ne tarda pas à confier. Il arqua un sourcil à la mention de Gabriel. C’est que le jeune comte de Tianidre – avec tout le respect qu’il lui devait – ne pourrait sans doute jamais comprendre les angoisses bien réelles à ce sujet.

— Vous m’excuserez, mais leur relation était quelque peu houleuse lorsqu’ils ont évoqué mon ami. Et à voir cela, j’ai bien du mal à ne pas accorder de crédit à ses suspicions. Vous me trouvez sans doute dur, mais il a retrouvé Sophie couverte de bleues pour le simple fait de ne pouvoir renier son amour… Et tout cela s’est achevé en duel.

Ah ça… Un mari rêvé… Ce n’était sûrement pas Asoana qui le clamerait haut et fort, ça… C’était tout de même fou de l’entendre rappeler son amour de jeunesse et en tirer enfin des leçons. Parbleu, il aurait fallu que Solange voie cela, elle n’en aurait pas cru ses oreilles. « Et vous êtes toujours un incommensurable idiot, Coldris ! » aurait-elle sans doute rajouté. Virgil eut bien du mal à ne pas retenir un sourire à cette idée.

Ariste ne contestait pas les sentiments sincères qu'il devait y avoir derrière ses maladresses. Oh, oui, il aurait pu s'en passer, de cette demande, et sans même rendre Éléonore malheureuse, surtout. Et même si elle avait voulu l'épouser, il l'a connaissait assez pour savoir que par amour, elle n'aurait jamais rien exigé de tel de sa part. Il la connaissait aussi assez pour savoir qu'elle ne saurait pas le lui refuser malgré ses rêves d'aventures interdites.

Pourtant, il n'aurait rien attendu de moins de sa part que ces protestations maladroites. Elle se sentait perdue et il avait beau croire en elle de tout son cœur, il avait du mal à accepter l'idée de ne pouvoir la soutenir. Bien sûr, il n'aurait pas été là à ce moment précis mais… bref.

Le marquis affirma que cette demande était préméditée et Ariste voulait bien le croire. À vrai dire, ce n'était pas vraiment ce genre de question qui l'avait occupées, mais à bien y penser, le vicomte de Fromart semblait avoir même préparé le terrain. Raison de plus pour s'offusquer de le voir ramener Gabriel en tyran dans la conversation.

— Je peux tout à fait concevoir qu'il s'inquiète pour la femme qu'il aime et que son expérience ne l'apaise pas. En revanche, avec tout le respect que je vous dois, je ne peux vous laisser accuser mon ami de la sorte. Vous jugez sur un coup de colère et d'inquiétude, comme s'il n'y avait là que des caprices de jalousie. Oui, il doit y avoir quelque chose de ce goût là, mais rien qui ne soit compréhensible. Et rien qui ne puisse le pousser à la violence. Si votre ami s'inquiète, lui, il est terrifié. Peut-être que leur relation n'est plus aussi complice qu'autrefois et c'est certainement de ma faute. Ils ont certainement besoin de prendre du recul pour leur bien à tous les deux, mais je ne vous permet pas de juger. Gabriel… J’ai honte quand je vois tout ce qu’il a pu faire pour elle quand c’était mon rôle de la veiller. Vous savez combien de nuit il l’a veillée ? Combien de repas il lui a donné à la cuillière parce qu’aucun domestique ne savait la convaincre de manger ? Combien de jour il a passé à essayer de la ramener en se heurtant à un mur de silence alors que lui-même était en deuil ? A s’en rendre malade ? Elle dit que c’est ma lettre qui l’a maintenue en vie et quelque part c’est vrai, mais s’il n’avait pas été là, elle n’aurait quand même pas tenu le coup. Personne ne croit en elle plus que moi et je sais qu’elle n’aurait pas tenu le coup.

Il en avait les larmes aux yeux. De culpabilité. Parce qu’après tout, tout cela, ils ne le devaient qu’à lui. Qu’à sa relation avec Antoine, qu’à sa lubie de s’engager, qu’à sa mort passablement stupide. Qu’à tout le reste.

— Allez savoir comment, après avoir vu ça, il croit encore au caractère sacré de la vie. Ils savent tous les deux que quand ça se terminera avec votre ami, elle ne tiendra pas, elle n’essayera même pas. Vous l’avez entendu comme moi. Imaginez un peu ce que cela peut faire d’entendre une chose pareille après toute l’énergie qu’il lui a consacrée… Je serai toujours inconditionnellement du côté d’Eléonore quoi qu’elle puisse vouloir, et elle si c’est vraiment ce qu’elle préfère, je n’envisage même pas de m’y opposer, mais c’est bien facile pour moi, de ce côté, je ne risque plus de la perdre. C’est bien facile pour moi qui ai pu constater de mes propres yeux la sincérité de son beau phénix. Non, vraiment, je ne vous permet pas de juger.

Là dessus, il avait à peine compris ce qui se disait en bas. Eléonore en revenait à Gabriel, qui ne la couvrirait plus. Et s’il trouvait dommage qu’ils en arrivent là, il n’aurait pas pu le reprocher à cet homme qu’il avait aimé, qui avait fait tout son possible pour pallier à son absence et qui n’aurait jamais autant de reconnaissance qu’il ne l’aurait mérité simplement parce qu’il n’était pas lui.

— S’il y a un fautif dans l’histoire, c’est l’imbécile qui conserve ses lauriers après les avoir lâchement abandonnés.

Virgil comprenait fort bien que ses paroles lui déplaisent. Il était naturel de vouloir défendre son ami et c’était ce que lui-même faisait en cet instant. Il n’aurait de toute façon pas pu s’en empêcher. Déformation d’homme de robe et dévotion absolue à son amitié autant qu’à sa famille.
Pour tout dire, si Coldris paraissait « inquiet », l’ancien marquis savait qu’il était en réalité lui-même terrifié tant il laissait si peu filtrer toute l’agitation qui le malmenait. Il secoua la tête, se souvenant de ses errances ces dernières nuits. Il avait tout de même craint le pire.

— Ne vous fiez pas à ce qu’il accepte de divulguer, ce n’est que l’arbre qui cache la forêt. Alduis l’a retrouvé à errer dans les bois de Fromart en pleine crise d’angoisse… Je puis vous assurer qu’il n’est pas simplement inquiet et que cela le ronge réellement. Quant à votre ami, c’est tout ce que je souhaite, malheureusement mon expérience juridique prouve qu’il existe des raisons établies de se méfier comme le fait Coldris. Pour le reste… il posa une main bienveillante sur son épaule : vous n’êtes pas plus responsable que moi de ce qu’il est advenu à notre départ. C’est ainsi et nous n’y pouvons rien. Ne laissez pas cela vous ronger, c’est certainement la dernière chose qu’elle aurait souhaitée.

Et il ne lui parlerait pas de tout ce qu’il avait surveillé lui aussi depuis son départ et de cette même culpabilité qu’il pouvait éprouver et dont il priait d’être délivré. Le jeune comte pouvait au moins se dire qu’il n’avait pas emmené son épouse dans sa mort ni son fils dans un accident qui aurait pu lui couter la vie. Et il ne parlait pas de Coldris toujours miraculeusement vivant, comme si on ne voulait pas de lui ici. Ce n’était pourtant pas faute de tenter la grande faucheuse. Le calcio, l’alcool, l’opium, les insomnies, les angoisses… Il ne comprenait toujours pas comment il pouvait encore tenir debout. Il l’avait observé pendant tout ce temps se détruire.

— J’ai fait bien mieux que d’imaginer, je l’ai vécu. Lui, n’entend rien au caractère sacré de la vie. Il en a assez vu pour en douter. J’ai fini par l’attacher à son lit comme un dément. Vous savez, rien n’est joué, elle pourrait bien lui survivre si elle trouvait d’autres raisons de vivre.

Si elle avait un enfant de Coldris par exemple. Il se souvenait encore fort bien de l’étincelle de vie qui avait jailli lorsqu’il lui avait annoncé avoir retrouvé la piste de Sarkeris et celle encore plus débordante quinze ans plus tard, lorsque ses exploits lui étaient revenus aux oreilles. Il lui avait littéralement fait décoller les pieds du sol en le serrant dans ses bras. Il représentait ce lien tangible avec elle, tout comme Démétrius représentait désormais celui qu’ils partageaient. Il ne pourrait jamais le remercier assez de veiller sur lui en ces temps difficiles. Même les grands garçons avaient parfois d’aide.

— Il est inutile de chercher un fautif. Ce n’est pas un crime de mourir, c’est ce qui fait de la vie un cadeau à chérir. Tout ce qui compte désormais, c’est de regarder vers l’avant, et puisque le ciel est clair, profitons de sa lumière.

Finalement, toutes les leçons finissaient par rentrer dans sa tête de mule d’ami. Lui non plus n’aurait jamais douté de ce conseil de Solange (celui-ci plus que d’autres que sa moralité réprouvait à accepter). Il souffla de rire à la mention de sa tante qu’il comptait morigéner si elle l’avait flouée. De toute façon, ils en prendraient tous pour leur grade dès qu’il arriverait. Lui le premier pour avoir osé partir comme un voleur sans lui dire au revoir. Il écouta avec curiosité ce qui s’en suivrait. Des conditions ? En voilà une drôle de réponse à cette proposition qui se transformait en négociation. Coldris avait raison : c’était la meilleure solution (y compris considération sociale et religieuse mise à part).

Bien sûr, le vicomte de Fromart se faisait sincèrement du souci, il voulait bien le croire… Seulement… seulement voilà, Gabriel aussi et il avait toutes les raisons du monde de s'en faire. Quant à l'expérience juridique… cela ne voulait rien dire. Et si, bien sûr qu'il était responsable de ce qui était arrivé après sa mort. Et elle lui en avait voulu. Elle l'avait même dit. Et il était le seul parfait idiot qui lui ait imposé cela. 

Il acquiesça respectueusement à la réponse suivante. Il l'avait vécu. Qu'y avait-il à répliquer à cela ? Quelque part, lui aussi avait dû empêcher quelqu'un de commettre l'irréparable. Et même si ses efforts n'étaient comparables ni à ceux de Gabriel, il comprenait qu'avoir l'impression que quelqu'un allait démolir tous ses efforts soit difficilement supportable. 

Quant à penser qu'Éleonore pourrait avoir à traverser à nouveau un tel deuil… 

— Je ne pense pas. Je… préfère ne pas l'espérer, avoua-t-il avant de s'accuser de la situation. 

Il secoua la tête lorsque le marquis le contredit. 

— Je ne demandais pas à être démenti. Je les ai abandonnés en renonçant à me battre, et aussi bien avant ça. Ce qu'il y a de pire, c'est que je crois que j'ai toujours su, au fond de moi, que ce que je faisais n'avait pas de sens. Prendre du recul quand elle était tout ce qui aurait pu me consoler, chercher à nous rendre indépendants contre notre nature et contre mon âme. Et penser que je savais mieux qu'elle, voilà ma plus grande erreur. Et ça s'est enchaîné : j'ai trahi mon père, j'ai manqué les derniers instants de ma mère, j'ai laissé mon meilleur ami porter tout à ma place, et j'ai imposé la pire épreuve à la personne à qui je tenais le plus... C'est un fait. Et à défaut de vivre, je reste avec ça.

Il se recentra sur la demande au moment où Éléonore s'enquerrait des conditions. Il le sentait mal. Il le sentait mal parce qu'il la connaissait trop bien pour ne pas voir qu'elle passait sur la défensive… Oui, il fallait bien passer par là, mais pas à chaud… à vrai dire, il n'était pas certain que le ministre soit capable de prendre ses paroles avec le recul nécessaire. Il ne l'a connaissait pas assez, pas encore...

Le marquis, enfin ancien marquis, préféra ne pas rebondir sur les paroles du jeune Ariste. À vrai dire, il sentait bien que quoi qu’il puisse lui dire, rien ne l’aiderait à faire son propre deuil, alors mieux valait pour l’heure le laisser. Il ne put toutefois s’empêcher de songer à son fils qui à bien des égards portait des regrets similaires. Pourtant ni l’un ni l’autre n’avait à se sentir coupable de la situation.

Après un regard, ils se recentrèrent tous deux sur les deux tourtereaux. Il fronça les sourcils à la mention des… conditions ? Quelle drôle d’idée tout de même ! Un mariage était un mariage, ce n’était pas une quelconque négociation de trêve militaire… En tout cas la chose ne sembla étonner son meilleur ami qui répondit dans la foulée. Ah c’est qu’il était toujours hanté par son expérience… Etait-ce si probable que cela ? Il avait tout de même un talent incontestable pour se placer dans des situations inextricables… Virgil soupira.

Il annonça ensuite le mariage clandestin, ce qui devenait pour ainsi dire une habitude pour Coldris dès lors qu’il s’agissait d’amour. Il souffla d’ailleurs un petit rire avant d’acquiescer : c’était une opportunité rêvée pour la couronne, sans parler du fait que Coldris et der Ragascorn étaient copains (aurait-il dû dire « coquins » ?) comme cochons…

Coldris énuméra ensuite les conditions. Loyauté : le minimum requis pour une épouse et plus encore de ministre. Il était évident que Coldris ne laisserait rien passer. Il n’y avait vraiment que lui pour accepter de laisser à son épouse la possibilité de courir les chausses. Sacré Coldris… Quant aux affaires cela avait toujours été une règle d’or chez lui : le silence absolu. Même ivre, il n’avait jamais rien laissé sortir à qui que ce soit y compris face à lui-même c’était dire. Respecter ses enfants : un point capital pour le vicomte, mais comme il le soulignait, il ne voyait pas pourquoi cela pourrait poser le moindre problème. Il avait tout de même hâte de le voir avec un bébé entre les bras… Déjà à la naissance d’Adéis, il en était si attendri qu’il avait fini par le rendre maladroitement à Bérénice avant de briser définitivement son image austère… Virgil en avait ri sous cape avant de subir les grogneries de son ami. Il contint en revanche difficilement sa stupéfaction à l’évocation des avantages qu’elle en retirerait : légitimation des bâtards, douaire (en admettant qu’elle lui survive), séparation des biens. Il reconnaissait bien là son côté pragmatique. Il avait sans doute dû envisager les pires scénarii possibles...

— Voilà qui me parait parfaitement raisonnable, je dois dire, commenta-t-il en se tournant vers le jeune comte.

En même temps, il s’agissait de Coldris, il ne se mariait pas pour les mêmes raisons que le commun des mortels et sa façon de penser était et bien… à son image. Rien que pour en arriver à une telle demande, cela constituait déjà en une belle entorse à ses principes…

Il fallait dire que les libertés librement concédées par le vicomte avaient quelque chose d'impressionnant. Il attendait avec impatience ce moment où elle se réconcilierait avec Gabriel et pourrait se vanter d'avoir trouvé un époux qui lui offrait les mêmes avantages que lui, service à domicile en plus. Il savait au plus profond de lui-même qu'elle trouverait le moyen de la caser quand tout cela se serait tassé. Il imaginait déjà les grimaces de mauvaises foi de son ami lorsqu'elle en irait de son petit commentaire qualitatif et le genre de débat puéril à souhait qu'ils pourraient avoir sur la question. Ah, sa petite Éléonore… Il aura néanmoins serré les dents à son exigence… Le mot à ne pas employer… il sentait de plus en plus mal cette conversation. 

— Si vous trouvez raisonnable d'encourager votre femme à avoir un amant différent chaque soir, répondit-il à l'ancien marquis. 

Oui, bon, il savait que ce n'était pas exactement ce que le vicomte avait dit, tout comme il savait qu'Éléonore ne le ferait pas, seulement… Il fallait dire que même pour quelqu'un comme lui, c'avait de quoi surprendre. 

— Pour le reste, en effet… Le fait est que je connais Éléonore et que ce n'était pas du tout le moment de...

Il étouffa un juron alors que Coldris lui demandait les siennes. 

— …faire cela. Il ne va rien comprendre et...

Il soupira en entendant sa petite Raison engager. Voilà pourquoi elle n'aurait jamais dû se marier. Pourquoi il aurait toujours dû être là pour veiller sur elle. Oh, personne n'avait davantage confiance en elle que lui, mais il connaissait ses failles et la seule mention du mot mariage était une catastrophe. Un homme ne pouvait certainement pas comprendre cela, et lui-même ne le comprenait que par son biais. Parce que tout ce qui touchait l'un touchait l'autre, que c'était ainsi depuis toujours. 

— La réaction de Gabriel, nota-t-il à mi-voix pour ce qui était de l'autorité. Les secrets de mon père sur sa naissance, précisa-t-il lorsqu'elle évoqua le mensonge. La dernière fois... soupira-t-il quant aux affaires de manipulation. Chaque idée générale renvoyait en réalité a un problème précis qui l'aurait atteinte. 

Ariste acquiesça doucement lorsqu'elle précisa que c'était ce qu'il fallait pour qu'elle ne soit pas blessée. Bien sûr que c'était cela. Mais elle était déjà embrouillée et il craignait que le vicomte ne puisse pas aussi bien que lui comprendre ce qu'elle essayait de dire. Enfin… personne ne lirait jamais mieux d'elle qu'il n'avait appris à le faire, il le savait… Après tout, ils n'étaient qu'un. Quant à ne pas avoir besoin de passer le mois à préciser, ils savaient tous deux qu'elle-même aurait eu besoin qu'il se montre plus clair sur ce qu'elle pouvait faire ou non sur ce qu'elle appelait "son territoire". Il l'a connaissait assez pour savoir que dans le doute, elle préférait ne pas bouger. 

— C'est là qu'il se trompe totalement, bougonna-t-il presque lorsque Coldris prétendit qu'il s'agissait d'exigences de la part d'Éléonore. 

Parce qu'au fond, il ne savait pas à quel point elle pouvait devenir vulnérable dès lors que les dernières barrières de sa confiance étaient tombées. Au fond, lui-même aurait préféré que cela n'arrive jamais. Il ne lui faisait pas assez confiance pour cela. Pas assez pour juger raisonnable qu'elle lui en accorde autant alors qu'il n'était même pas là pour contrebalancer. Il se surprit à prier de tout son être pour que ce ne soit pas ce qu'il pensait. Les meilleures intentions du monde aujourd'hui ne suffisaient pas.

Virgil souffla dans un sourire en coin à sa remarque tout en secouant la tête. Sa femme, certes non ! Il n’aurait jamais encouragé son épouse dans de telles… pratiques. Outre leur serment de mariage, il n’avait pas particulièrement envie de donner son nom aux bâtards de sa femme. Il n’avait déjà pu s’y résigner avec Layla qui le méritait infiniment plus, alors non, vraiment il n’aurait jamais fait une telle chose.

— Ce serait oublier que je me prénomme Virgil d’Aussevielle et non Coldris de Fromart.

Car en revanche de la part de son ami, il n’y voyait rien d’extravagant. À vrai dire cela correspondait parfaitement à sa vision quelque peu… déroutante de l’amour. Il avait beau prétendre le contraire à longueur de temps, il avait malgré tout des principes. Simplement, ils n’appartenaient qu’à lui…

Ce n’était pas le moment de ? Il l’interrogea du regard, mais n’obtint aucune réponse. De toute évidence, il le découvrirait bien assez tôt. Il inclina légèrement la tête. Oui, il venait bien de lui demander ses conditions. Coldris dans toute sa splendeur, n’est-ce pas ? Alors qu’elles étaient donc ses conditions à la petite luciole ? Il se pencha pour ne pas en manquer une miette. Retirer ses exigences ? Elle était tout de même culottée ! Il ne demandait pas la mer à boire non plus ! Encore plus en regard de tout ce qu’il concédait déjà ! Virgil grogna. À leur donner la main, elles finissaient par vous dévorer le bras… Il secoua la tête devant ce comportement parfaitement puéril. Non cela ne concernait pas qu’elle et c’était bien le cœur du problème. Il prit une gorgée d’hypocras. Coldris oublier les ordres ? Il eut un souffle ironique. C’était mal à le connaitre à son humble avis. Il était né pour gouverner et ordonner. Il aurait fait un bon chef de guerre s’il n’avait pas eu cette aversion marquée pour les armes… Réaction de Gabriel ou non, il la trouvait quelque peu véhémente.

— Il n’a pas pour habitude d’être un grand bavard et sa vie consiste déjà en un secret permanent, défendit-il par pure habitude.

Il ne put retenir un petit souffle à la mention des failles à chercher. À l’heure qu’il était, Coldris l’avait déjà certainement fait instinctivement. C’était aussi naturel chez lui que de respirer. Il pouvait déceler chaque petite brèche d’un discours verbal ou non. La seule différence résidait dans le fait qu’il ne s’en servirait pas.

— Il déteste les ordres. Il va se braquer. Surtout après avoir fait preuve d’une telle diplomatie. C’est insensé de lui répondre de manière aussi agressive…

Pour ce qui était de ne pas se blesser mutuellement, il roula des yeux. Autant dire que c’était raté avec ses deux imbéciles qui discutaient en faisant des moulinets lame au clair… Ariste se servit un verre et il compléta le sien d’hypocras.

— Ma foi, cela en a tout l’air. Qui plus est dit sur ce ton. Je ne peux pas lui donner tort en l’état.

Il reconnaissait bien le langage acéré de son ami. Il est vrai qu’elle ne pouvait tout de même pas lui en vouloir d’appeler un chat, un chat si elle demandait en contrepartie qu’il soit parfaitement sincère. Les mots… Coldris les maitrisait mieux encore que lui-même. C’était son arme la plus tranchante. Tout ce qu’il pouvait faire c’était de présenter les choses telles qu’elles étaient. Il était d’ailleurs étonnamment calme. Virgil valida chacun de ses arguments. Il n’aurait pas dit mieux. Il devait même avouer qu’il était impressionné de sa maitrise de lui.

— Je ne sais si elle réalise à quel point il est en train de prendre sur lui. À faire plier, il va céder et le retour de bâton risque d’être terrible.

Les mensonges en question, il savait parfaitement de quoi il retournait.

— C’est une promesse qu’il m’a faite au sujet de sa précédente femme. Je sais qu’il ne la briserait jamais y compris sous la torture.

Ce que cet idiot pouvait être touchant tout de même lorsqu’il s’y mettait tout de même. Devait-elle se montrer aussi pénible alors qu’il faisait tout cela pour elle – et pour lui – ? Ce mariage… C’était déjà inespéré venant de quelqu’un comme lui. Il l’observa fuir à la fenêtre, parfaitement conscient de ce qui était en train de se passer pour y avoir déjà assisté à de multiple reprise. Il secoua la tête.

— Il arrive au bout de sa patience. Je ne le vois pas supporter un nouvel échange de la sorte sans sortir en claquant la porte à ce rythme.

C'était une catastrophe. Il le sentait jusque dans la voix de sa petite Raison adorée. 

— C'est... commença-t-il à expliquer alors que Virgil en rajoutait, avant de reporter son attention sur la voix de sa sœur. Il reprendrait les choses dans l'ordre quand elle aurait terminé. 

L'ancien procureur n'étant manifestement pas le seul à tout interpréter de travers. Il ne pouvait pas lui donner tort ?

— Pour ma part, je le peut, répondit-il sans acrimonie. 

Quand à savoir si le vicomte prenait sur lui… Il voulait bien le croire, seulement il n'en aurait pas eu besoin s'il avait vraiment su l'écouter. Quant aux promesses qu'il avait pu faire… Il acquiesça distraitement, ce n'était pas le problème. Il eut néanmoins un léger sourire…

— Ce n'est pas flagrant comme cela, mais elle aussi prend sur elle. Plus que cela : elle essaie de communiquer. Il est bien étonnant qu'elle n'ait pas encore... 

— Voilà qui règle la question.

— …complètement rejeté l'idée, soupira-t-il en écho. Il avait vraiment fallu qu'il le dise pour que cela advienne…

Il eut un léger sourire. Il voyait bien que Coldris était sincère dans sa démarche. Ariste retint sur ses lèvres la réponse trop tranchée qu'il estimait la bonne, et secoua la tête lorsqu'Éléonore s'accusa d'injustice. Non, c'était déjà tellement inférieur à ce qu'elle se devait que ce qu'elle avait tenté d'exprimer, et c'était là tout le problème. Il aurait dû être là. Il serra les dents à la réaction de ministre qui n'avait manifestement rien compris. Et probablement pas davantage écouté.

— Comme vous disiez, finit-il par soupirer. — Mais il me semble évident, d'après vos réactions que ni vous ni lui n'avez correctement écouté ce qu'elle essayait de dire. Du moins, pas compris. Vous direz autant que vous voulez qu'elle n'en cède finalement pas plus qu'une femme le devrait. Seulement, moi qui me soucie d'abord d'elle, je trouve qu'elle lui accorde bien trop.