[Drunk Angel] Cette soirée du 30 juin 1597 où la terre trembla

Le respect… Comment dire. Ce mot ne devait sans doute même pas faire partie de son vocabulaire. Et dire qu’il avait fréquenté sa paroisse ! Quelle honte ! Le propre de l’homme était de s’élever spirituellement, n’était-ce pas pour se rapprocher du ciel que l’homme se déplaçait sur deux jambes ? Lui, ce rat, ne faisait que se rabougrir au fil des ans. Il finirait rampant dans le caniveau. Il ne pouvait guère en être autrement.

Puis lorsque Coldris se dévêtit, ce fut au tour de l’artiste de rester pantois sur son ami au point de lui faire monter le rouge aux joues à sa remarque. Virgil laissa échapper un petit rire amusé avant d’en profiter un peu pour le taquiner. Ah ! Pour une fois qu’il pouvait, il n’allait pas s’en priver ! Après toutes ces histoires de prétendu Saint !

— Si vous le dessinez faites-moi voir, il a toujours été si austère dans ses portraits !

Et voilà le curé qui se retournait pour faire le poirier la soutane qui lui tomba sur la tête laissant une vision fort virile.

— Mieux valait sans doute le torse de Coldris, je vous l’accorde. Quoique dites-moi donc ce qu’en pense l’artiste ?

Passé la remarque qu'il s'était malencontreusement permise sur le physique avantageux du ministre, Jules rougit fortement de la répartie du marquis et ne sut plus où se mettre. C'était pour le moins plus qu'embarrassant. Son esprit rebondit cependant kors de la phrase suivante qui revenait à l'art; Si on lui parlait de tableau, là, les inhibitions tombaient.

"Pourquoi pas ? Il est vrai que ce serait un superbe modèle. Je pourrais le représenter nu, dans une pose antique, avec les attributs de Zeus. Tiens, nous pourrions même laisser ce tableau pour quand il nous rejoindra !"

Pendant ce temps, dans le monde terrestre, le curé échoua et reçut un autre gage. Jules pouffa.

"Faire le poirier ? Il va être surpris de l'effet ; pour la première fois, le sang montera à sa tête !"

Le prêtre se plia à l'exercice et la soutane tomba, révéla des formes qui se révélaient assez correctes, mais qui en lui n'inspira rien. Il secoua les épaules à la question du marquis.

"Votre ami est beaucoup plus intéressant anatomiquement parlant."

Le curé sortit sa blague et Jules grimaça devant la qualité qui n'était pas au rendez-vous.

"Seigneur ! On dirait une plaisanterie dite par un enfant de dix ans ! D'un autre côté, son cerveau n'a pas l'habitude de recevoir autant d'afflux sanguin. D'ordinaire, c'est une zone beaucoup plus basse qui ait irrigué..."

Peindre un tableau de Coldris ? Virgil plissa les yeux dubitatif…


— Je ne suis pas sûr que ce soit une excellente idée. Premièrement, car – et ne songez pas que je puisse douter de vos talents en la matière– vous vous exposez à son invivable perfectionnisme, secondement car je ne suis pas certain que son ego ait sincèrement besoin d’être flatté à ce point. Voyez-vous, si nos enveloppes spirituelles étaient proportionnelles à notre arrogance, je crains qu’il ne reste plus la moindre place ici dès lors qu’il y aura posé le pied.

Longues heures de discordes entre eux à départager s’il valait mieux l’humilité de l’un ou l’orgueil de l’autre. Autant dire que le conflit n’avait jamais été résolu et ne le serait jamais, raison pour laquelle l’un et l’autre prenaient plaisir à le relancer de temps à autre.

Ce fut alors que le curé se mit à faire le poirier sans que cela n’évoque quoi que ce soit d’inspirant à l’artiste.


— Ah n’allez pas lui dire non plus par pitié ! Vous ne l’avez pas entendu se vanter de l’usage qu’il en fait. « Virgil, tu savais que la baronne de la Rochembert s’est permis de dire que son mari était bien plus piètre amant que moi ? Quelle idée ! Qui compare les saints à Dieu ? »


Il s’arrêta juste à temps pour écouter la blague. S’il faisait rire Coldris avec cela c’était uniquement par pitié. On ne pouvait même pas invoquer l’alcool en guise d’excuse vu l’heure de la soirée…

— Peut-être devrions-nous en déduire à l’absence pure et simple de cervelle. Vous savez, certains êtres survivent avec une simple moelle épinière, c’est largement suffisant pour satisfaire aux besoins quotidiens j’imagine.

Coldris semblait au moins d’accord avec lui. Il le connaissait bien ce regard de grand seigneur complaisant…

— Mais ne va pas lui donner de telles idées, bougre d’idiot ! s’exclama-t-il en l’entendant évoquer Adam.

Jules se moquait allègrement de ses allégations sur Coldris. Bah ! Il aurait tout le loisir de se rendre compte de la véracité de ses propos pour la prochaine éternité. En revanche, il n’avait pas tort sur la fin. Cet idiot en serait bien capable… À moins que…

— Ou alors il se décidera à lui présenter sa note avec intérêt pour ses malheurs. Non vraiment, vous avez bien raison. A Sa place, je le laisserai en bas le plus longtemps possible. (à Coldris) tu vois mon ami, inutile de te tracasser à ce sujet.

Il pouvait bien profiter de la vie. Enfin dans une certaine mesure. S’il pouvait éviter tous les excès auxquels il s’était abandonné ces trois dernières années ce serait sans doute mieux. Virgil grommela à la remarque de l’artiste, peu à même à accepter l’idée en question.

— Ce n’est que mon ami et je sais ô combien il peut être pénible lorsqu’il s’y met, soyez-en assuré.

Ils observèrent ensuite le curé faire sa plaisanterie ridicule avant d’en déduire qu’il ne devait sans doute pas avoir de cervelle. Les poules ? A part dans son assiette, il ne les avait jamais trop côtoyées (et c’était ce moment qu’aurait choisi Coldris pour une remarque plus ou moins douteuse).

— A vrai dire... Je n’ai jamais vu de poules décapitées. J’ai tué bon nombre de faisan, lièvre, sanglier, cerf et tout ce que vous voudrez, mais je laissais les bêtes de basse-cour au soin de mes domestiques. Toutefois, si vous le dites, je vous crois. J’ai déjà à assister à de tels réflexes sur d’autres animaux. Mais dites-moi plutôt : où se trouve donc le couteau ?
Ce fut ensuite le moment pour Coldris de suggérait une messe entièrement nu, ce que cet idiot de prêtre aviaire décapité s’empressa d’accepter.

— Bienvenue dans ma vie, mon cher Jules. Vous voulez que je vous dise ? Je suis certain que Coldris pourrait lui faire avaler des couleuvres avec les bons arguments…

Virgil grimaça à la mention du curé. Serait-il possible de le laisser à la porte ? Même Coldris était de loin moins pénible que celui-ci. Il arqua les sourcils à la mention de l’ouverture d’esprit. Non vraiment, il ne pouvait décemment pas laisser sous-entendre qu’il disposait d’un esprit étriqué. Il n’avait pas le loisir de s’amuser à gambader dans la campagne pour y observer oisivement la paysannerie au quotidien. Il était le garant de la bonne justice de ce pays et ce n’était pas une mince affaire. Il aurait bien voulu vérifier s’il avait pousser le vice de sa curiosité jusqu’à la lecture des textes législatifs, tiens !

Quant au bordel… Sa dernière fois au Lupanar lui avait laissé un souvenir aussi impérissable qu’amer. Cette pauvre Louise… Dire qu’il avait découvert une fois arrivée ici que cette sorcière lui avait remis le grapin dessus par Dieu savait quel moyen. Pauvre Louise… Il ne manquait jamais de prier le Seigneur de lui accorder sa liberté. C’était une si bonne personne dont la vie avait été gâchée… Et s’il ne pouvait pas dire qu’il adhérait son trafic d’abortif, il en comprenait parfaitement la nécessité…

Et voilà que le curé s’imaginait déjà récité la messe nu comme Adam. Par tous les saints… Coldris avait déjà récupéré la balle et à sa déclaration, il sut d’emblée qu’il avait une idée derrière la tête. Trois calices tombèrent en même temps que le verdict et Virgil éclata d’un rire sonore.

— Voilà bien une de tes idées fétiches, tiens ! (puis à Jules) A votre avis, que choisit-il ?

Toute cette histoire de Lupanar lui restait toujours en travers de la gorge. Pire que tout, il savait que Louise n’était qu’une parmi tant d’autres de ces jeunes femmes abusées par des maquerelles ou des proxénètes sans foi ni loi. Rien d’autre que de vils animaux, car que restait-il d’humain dès lors que l’on retirait la justice et la spiritualité ?

— Vous n’y êtes pour rien, Jules, rassurez-vous. Ils se trouvent que j’ai laissé certains dossiers non traités au moment de mon départ et j’ai une sainte horreur de cela voyez vous.

Il reconnaissait bien son meilleur ami dans ce jeu sans issu – chose que l’on pouvait qualifier de piège – qu’il venait de proposer au curé. La remarque de Jules le fit souffler de rire et il prit une petite gorgée d’hypocras.

— Eh bien cela constituera malgré tout un choix.

Virgil eut bien du mal à contenir son rire face à la colère de ce curé que même son petit-fils ne faisait plus. Contrairement au calice, Coldris ne rata pas le prêtre de Sodome.

— Si vous voulez un conseil, ne vous avisez jamais de parier avec lui, commenta-t-il à son intention avant de lui répondre :  Coldris se disputer ? La côte n’est pas bien élevée en revanche pour un tel pari.

Il grogna sourdement au défi proposé. Ne pouvait-il donc pas proposer autre chose ? Lécher le sol par exemple ? Se bâillonner ? Ou non mieux : s’enfermer dans sa cellule ! En voilà une idée qu’elle aurait été bonne. Le pire étant de voir que ce dépravé se réjouissait de salir ainsi les Saintes Écritures… Seigneur… Pourquoi l’avait-Il donc fait prêtre ? Virgil manqua de s’étouffer à la mention d’Adéis.

— Evidemment qu’il dessine mieux que ce déchet ! C’est notre petit-fils qu’espérais-tu donc !

Ah son petit Adéis… Il avait l’impression de se revoir à l’époque où lui-même avait gambadé dans la colline aussevielloise. C’était difficile à croire, et pourtant, il n’avait pas toujours été cet homme sage et calme qu’on lui connaissait. En réalité, il était une petite fripouille dans sa jeunesse et s’était allègrement caché derrière ce cher Octavius qui assumait tout le poids de la responsabilité autant que de la fierté paternelle.

Le fait est que sur ce dossier précis, il n’aurait sans doute jamais eu le temps de faire quoi que ce fut. Exceptionnel cela lui semblait bien trop grand pour un homme comme lui. Coldris était un homme exceptionnel, lui. Il marquerait son nom dans l’histoire. Le sien serait bien vite oublié en revanche et cela n’avait aucune espèce d’importance.


— J’ai découvert ce qu’il s’était passé une fois mort en réalité. Cela me peine simplement de n’avoir pu l’aider une nouvelle fois. Je regrette qu’elle ne soit venue m’en a parlé dès que cela s’est produit, je ne l’aurais jamais laissé à son supplice.

L’ancien marquis eut un sourire à sa remarque au sujet de l’évanouissement et répondit joueur :

— J’avais une bonne droite autrefois, vous pourriez expérimentez si vous le désirez.

Quant au pari avec Coldris, c’était une sage décision et il leva son verre :

— Puisse Notre Seigneur vous en garder pour l’éternité.

Jules se servit un vers pour ne pas assister au massacre. Lui passa outre : ne disait-il pas lui-même qu’ils n’y pouvaient rien ? Le curé jura sur la tête de son fils et Virgil sentit poindre la houle.

— Revenez-vous donc suivre les évènements quelque chose me dit que vous allez rater la meilleure partie !

Une hydre ? Un petit rire secoua ses entrailles, c’était tout lui ces images.

— A votre avis, combien de têtes a ce pauvre Alexandre pour survivre aux  serments de ce rat ?

Coldris rata son lancer pour le plus grand plaisir à tous deux. C’est qu’ils avaient déjà fait assez de dégâts ainsi….

Sans doute n’avait-elle pas osé venir l’importuner, mais tout de même, elle savait qu’il ne l’aurait jamais laissé dans le besoin n’est-ce pas ? Il est inutile de continuer, si seulement… si seulement il pouvait y avoir un revirement de situation qui puisse l’aider… Il ne manquerait jamais de l’inclure dans ses prières.

Virgil souffla un petit rire lorsqu’il refusa de faire l’expérience de l’étourdissement. Il proposait pourtant avec un altruisme débordant. Ils survécurent tant bien que mal aux dessins sur la Sainte Bible et rétablirent toute leur attention au moment où la conversation vira sur Alexandre. L’ancien marquis pressentait les remous à venir sur cette paternité refusée qui ne manquait jamais d’agacer son ami. Une centaine de tête de donc ? Cela devait en faire du poids à supporter, songea-t-il tout à son pragmatisme.

Il s’amusa de la répartie de l’artiste et encore plus de celle de Coldris qui lui arracha un rire.

— Bien envoyé ! commenta-t-il comme un match de Calcio.

Il roula bien vite des yeux lorsque l’hydre fut déclarée immortelle.

— A-t-on réellement idée d’être aussi idiot ?

Bien entendu Coldris ne le manqua. Il semblait particulièrement en inspirée ce soir et corrigea aussitôt ses approximations mythologiques. Ce n’était pas vraiment un terrain sur lequel il fallait venir le chercher. Il jouait à domicile là-dessus et l’autre étron se permettait encore de faire preuve d’une effroyable mauvaise foi.

Après le honteux passage de la Bible souillée par les délires lubriques de ce stupide curé, Jules revint contempler la scène à la sollicitation du marquis et put constater que le spectacle valait le déplacement. Apercevoir cet imbécile malmené à cause des stupidités qu'il ne se rendait pas compte sortir était plus divertissant. Quel tissus de mensonges absurdes basés sur des interprétations peu réfléchies de la mythologie. Coldris les démontait avec bien plus de talent et l'artiste savoura chacune des réparties. Il roula des yeux à la mention de l'hydre immortelle.

"J'ai entendu Alexandre, à huit ans, faire de meilleures interprétations de la mythologie que son père."

Il haussa les épaules quant à la question du marquis et répondit, moqueur.

"N'avions-nous pas conclu qu'il vivait sans cerveau ? Par conséquent, il ne choisit rien : il subit !"

Jules rebondit ensuite des paroles précédentes du prêtre qui avait répondu à Coldris qu'il préférait mourir que de vivre sans baiser quand le ministre lui avait conseillé de ne plus baiser s'il perdait ses talents et son intelligence dans sa semence.

"Mourir plutôt que de vivre sans baiser ? Ce lâche n'aurait pas la volonté de s'ôter la vie. Il se contenterait de râler qu'il n'arrive plus à s'envoyer en l'air et importunait toujours plus de gens."