[le 27 novembre 1597] - Comme hors du temps [Terminé]

Cassandre riait du bon tour qu'elle avait su habilement joué à Grâce et répliqua en tirant la langue.

"Si, c'est drôle ! Même que grand frère le fait sans arrêt !"

Eldred lui posa une question sur épouser un troll et la fillette ne la comprit bien. De quoi avaient-ils bien pu parler ? Elle haussa les épaules.

"Moi, j'épouserai jamais une personne si j'en suis pas sûre. Les paroles et les promesses du pipi sur une plaie ! Ce sont les actes qui comptent."

Dame Irène descendit peu après et se présenta. Cassandre eut une véritable surprise en l'entendant parler en zarkotien. Elle la fixa, ahurie.

"Vous parlez zarkotien ? Mais où vous l'avez appris ? Par qui ,"

Cassandre avait effrayé sa petite sœur et répliqua que l’idée venait de son grand frère. Sylvère… En voilà des manières de princesses qu’il lui enseignait. Il ne manquerait pas de lui rappeler à l’occasion. Il avait beau être quelqu’un de bien, ce n’était pas non plus un modèle à prendre en exemple pour toutes sortes de choses...

Mais tout de même, il était fière de son esprit critique, qu’il accueillit avec un grand sourire avant de se présenter à Dame Irène.
Quel ne fut pas son étonnement lorsqu’il entendit la femme enceinte lui répondre en zakrotien ! Certes sa prononciation n’était pas parfaite et son accent terriblement monbrinien, mais c’était si agréable d’entendre à nouveau sa langue maternelle ! Elle qui n’avait résonné que dans son esprit depuis sa déportation. Cassandre était tout aussi ahurie que lui et demanda aussitôt des explications sans qu’il n’ait même eut le temps de répondre.

- Mín er ánægjan. Megi guðirnir vaka yfir þér. répondit-il rituellement en s’inclinant à nouveau respectueusement avant de reprendre dans la langue commune C’est parfaitement normal. Puisse Frigg rapporter la paix dans votre foyer.

Grâce leva les yeux au ciel. Ce n'était pas une raison... Elle considéra la réponse de sa sœur et se promit de bien y réfléchir pour savoir ce qu'elle, elle ferait.

Irène pour sa part inclina la tête à la réponse d'Eldred.

- C'est gentil. Et sachez qu'en conséquence, vous êtes le bienvenu ici.

Elle sourit ensuite à Cassandre.

- Antoine, mon mari, aimait beaucoup les Zarkotiens et ils le lui rendaient bien. Nous avions même quelques amis là-bas. Mais la guerre est passé par là et nous en avons tous les deux été très tristes. Antoine était même près à aller voir le roi pour lui affirmer qu'il serait bien plus sage de faire de ce pays un partenaire commercial mais on l'en a dissuadé. Je ne sais même pas où se trouve nos amis aujourd'hui...

Elle repensa à Brigid qu'elle recevait toujours avec plaisir pendant que leurs époux parlaient commerce. Elle regrettait sincèrement ce temps. Elle retrouva néanmoins un semblant de sourire par la suite.

- Antoine et moi avons demandé à apprendre. Je suis certainement très rouillée parce que je n'ai pas parlé depuis un moment mais je me souviens de mes leçons et j'aime toujours autant parler cette jolie langue.

Cassandre contempla sa petite sœur d'un petit sourire narquois, les mains croisées derrière la tête, ravie de ce que, elle, considérait comme un succès. Elle notait bien le regard désapprobateur. Peu importe ! C'était elle l'aînée maintenant, non ? Alors elle savait mieux ce qui était mieux.

Les paroles échangées en zarkotien la tirèrent cependant bien vite de ces idées et elle écoutait attentivement les phrases pour essayer de les retenir. Aux grimaces qui se peignaient sur son visage, difficile de ne pas comprendre que la fillette jugeait la langue complexe. Ces sonorités étaient.. barbares à son oreille. Elle n'arrivait pas à mettre les lettres sur les mots entendues. Elle écouta avec plus d’intérêt les explications de Dame Irène et devint de plus en plus curieuses.

"Dites, vous parlez combien de langues alors ?"

Elle avait bien pensé demandé dans quelques mois demander à Achille, quand elle serait plus à l'aise avec l'écriture, de lui enseigner le latin mais elle ressentait maintenant cette envie d'apprendre ces autres langues encore inconnues.

Eldred inclina à son tour la tête à sa réponse. C'était réellement très aimable à elle. Il écouta son récit avec attention et en déduisit qu'elle avait perdu son mari.

- Votre mari devait être quelqu'un de  bien. Je suis navré. Les dieux veillent sur lui. La guerre a fait beaucoup de dégâts à Zakros, de même que l'épidémie de peste. J'espère que vos amis sont sains et saufs. J'aimerai vous dire que vous pourrez retourner les voir prochainement mais la situation ne se calmera jamais. Zakros ne s'avouera jamais vaincu, elle est bien trop fière

Il marqua une pause avant de reprendre avec un large sourire

- Vous avez une prononciation très monbriennne mais vous n'avez pas à rougir. De plus en plus de Zakrotiens ne parle plus que la langue commune vous savez. Ils ont peur des représailles, peur d'être assimilés aux révoltés lorsqu'ils préfèrent se terrer. Je ne peux pas leur en vouloir.

Lui avait choisi de se battre. Il n'avait plus rien à perdre de plus de tout façon : sa fille était morte, sa femme aussi et désormais il n'était même plus libre...

Grâce marmonna un peu mais resta silencieuse ensuite pour écouter et surtout pour laisser les adultes discuter. Irène sourit alors à Cassandre et lui accorda un regard malicieux.

- Je parle couramment monbrinien, français, espagnol, un peu de zarkotien et quelques rudiments de drejdan.

Elle soupira un peu lorsqu'Eldred lui parla d'Antoine. Elle hocha doucement la tête.

- Oui, c'était quelqu'un de très bien...

Elle inclina la tête avec un léger sourire.

- Je vous remercie. Et je sais à quel point la guerre a été dure.

Elle sourit plus franchement à la suite.

- Oh oui, je pense bien. Jamais nation ne sera plus fière et caractérielle. Mais c'est cela qui plait.

Elle souffla ensuite avec amusement.

- Je m'en doute, Brigid me l'a toujours dit... Je n'ai jamais réussi à la corriger malheureusement.

Son regard s'assombrit ensuite. Ces troubles ne s'arrêteraient sans doute jamais... C'était Antoine qui avait raison, ils ne devraient pas se battre mais s'entraider.

- C'est bien stupide... Nous aurions tant à apprendre les uns des autres... Mais je les comprends aussi. Ce n'est pas une vie d'être traqué...

Et lui, qu'en pensait-il ? Regrettait-il son pays qu'il avait dû quitter ? Oui, sans doute, comment ne pouvait-on pas regretter son foyer ? Elle le savait mieux que personne d'ailleurs... Elle espérait qu'il pourrait tout de même peut-être trouver le bonheur ici, au moins avec des amis et des endroits où se réfugier quand tout allait mal.