[le 27 novembre 1597] - Comme hors du temps [Terminé]

Alexandre, perché sur la table, grommelait, indifférent aux états d'âme d'Irène. Sa mauvaise humeur ne le quittait lorsque la voix furieuse de son amant retentit et répliqua sur son insolence au moment où il s'était assis. Sa colère lui fit oublier la sienne. Il se sentit misérable en comprenant l'avoir blessé, lui qu'il n'aurait voulu qu'aimer et aider à réparer les blessures causées par son père. Alduis lui rétorqua ensuite de parler lui-même de Cordris d'un ton affreusement dur qui lui brisa le cœur. Il... Il avait encre blessé quelqu'un ? Et si ça marquait une nouvelle rupture ? Alduis.. Non, il ne voulait pas le perdre !

Meurtri, Alexandre se leva et courut vers Alduis, faisant fi de son infirmité, et l'enlaça.

"Non ! Je... Je ne voulais pas te blesser. Pardon !"

Quelques instants plus tard, Grâce s'avança et leur adressa une leçon une morale. La colère se réveilla à nouveau. Qu'est-ce que cette gamine y connaissait à la vie ? Elle, qui venait de lâcher le sein de as mère seulement depuis un an sûrement ! Dans quelques années, elle verrait bien cette gamine si c'était si facile d'être gentil tout le temps ! Il répliqua sèchement :

"T'es bien la sœur de Cassandre, toi. Aussi pestes l'une e l'autre. Mais je vais te donner un point pour le fait de sortir. ce sera effectivement mieux"

Il jeta un regard peiné à Alduis et lui prit la main en ajoutant d'une voix plus douce :

"Allons-y."

Ses jambes se rappelèrent à lui et il s'en alla chercher ses béquilles puis s'approcha de la porte. Il l'ouvrit. Le vent glacial de Novembre s'engouffra dans la boutique. Il se tourna vers Alduis et eut un sourire tendre :

"Tu viens ?"

Il observa ensuite son amant qui restait planté au milieu de la pièce et soupira. Apparemment, la semonce de la petite peste avait porté ses fruits sur un des deux. Il soupira et revint chercher Alduis pour le trainer comme il le pouvait vers la sortie. Tous deux quittèrent finalement la Roza Azul.

Il ne faisait pas attention à elle... Il n'en avait rien à faire. Grâce continua à bouillir alors que quelques larmes commençaient à perler dans ses yeux. Comment avait-elle pu croire qu'il serait plus gentil, plus digne de confiance que Cassandre ? Elle lui avait déjà donné une autre chance en plus... mais il n'en avait rien à faire. Tout ce qui l'intéressait, c'était cet espèce de fantôme... Pourquoi ? Qu'est-ce qu'il avait fait pour lui celui-là ? Est-ce qu'il l'avait nourri ? Logé ? Aimé... ? Elle ne savait plus, elle ne comprenait plus rien. Qui était gentil ? Qui était méchant ? Pourquoi quelqu'un pouvait-il paraître tout gentil pour ensuite devenir aussi féroce qu'une bête sauvage ?

Grâce observa Alexandra enlacer le fantôme t lui demander pardon. Et elle ? Et sa mère ? Et le bébé ? Il n'en avait rien à faire... Une larme coula de sa joue et elle secoua la tête. Elle se mit à trembler.

Peste.

C'est Cassandre qui avait raison, c'était lui le méchant, l'égoïste, l'inconscient.

- SORS DE CHEZ MOI !

Et il parlait encore mieux à l'autre... Grâce bouillonnait. Qu'il parte, qu'il s'en aille et qu'il ne revienne jamais ! Jamais, jamais, jamais...

Dès que la porte fut refermée, elle laissa ses larmes couler. Irène voyait bien la détresse de sa fille mais se trouvait trop mal pour pouvoir la consoler. Sa colère à elle commençait à redescendre et elle avait un horrible mal de crâne. Grâce le remarqua vite et s'essuya les yeux. Elle devait être forte, comme sa grande soeur. Elle se redressa et prit la main de sa mère.

- Venez, maman. Vous avez besoin de vous reposer.

- Mais, Grâce... La boutique...

- Je le ferai. Venez, maman, s'il vous plait...

Irène consentit à y aller, vaincue par le ton suppliant de sa fille. Difficilement, elle se mit debout pendant que Grâce s'occupait de la soutenir. Elles montèrent toutes deux les escaliers tout en douceur. Grâce conduisit rapidement sa mère au lit et celle-ci s'endormit, ou plutôt s'évanouit dès que sa tête eut touché l'oreiller. Grâce renifla et se laissa pleurer un peu en regardant sa mère. Sa pauvre maman... Tout ça c'était la faute d'Alexandre. Il n'avait même pas esquisser un geste pour l'aider. Si jamais il arrivait quelque chose à sa mère ou au bébé, elle ne lui pardonnerait jamais.

Jamais.

Cassandre et Eldred avaient marché à une allure à la fois rapide mais peu pressés pour rentrer à al boutique de al Roza Azul. Il s'étaient cependant arrêtés quelques mètres avant la porte en entendant les cris d'une Grâce visiblement bien en colère. Ils s'étaient réfugiés dans une ruelle proche pour observer en retrait et comprendre ce qui se passait. Assez vite, Alexandre sortit en appelant son amant. Il le traîna littéralement hors de la boutique. Face à cette scène surréaliste, le moment de surprise passé, la tension retomba et les deux amis éclatèrent d'un fou rire communicatif. c'était là le fou sanguinaire dont parlaient les rumeurs ? C'était lui qui avait essayé de l'égorger ? Mais il semblait encore plus inoffensif qu'un chaton !

"Non mais t'y crois, toi ? Ce gars... Ce gars qui se laisse faire comme ça ?"

Quand ils furent plus ou moins de leur hilarité, Cassandre devina sans mal que Dame Irène devait être affecté du remue-ménage que la scène avait dû causer et que ce serait mieux d'attendre un peu avant de rentrer que les esprits s'apaisaient. Elle proposa une promenade proche à Eldred et lui détailla les commerces que l'on apercevait le long du chemin : la boulangerie de la mère Michelle dont s'échappaient de délicieuses odeurs, l'épicerie du père marcel qu'il fallait éviter car tous ses légumes étaient fripés ou avaient des vers, l'herboriste où elle n'était encore jamais entrée, le père Albrt qui refaisait les chaussures pour pas trop cher... Elle continua ainsi un petit temps puis s'arrêta devant un atelier e forge. La fillette hésita e se rappelant que son ami aurait peut-être mal au cœur puis se rappela qu'il aimait se souvenir de son pays et de sa vie passée. Elle lui proposa d'entrer et le présenter au forgeron puis se retira, restant près de l'entrée pour laisser les deux hommes discuter de leur passion commune.

Finalement, après presque deux heures, ils revinrent à la boutique et Cassandre passa la première porte. elle prononça d'une petite voix, redoutant une punition pour être sortie sans autorisation :

"Je suis rentrée".

Il n’avait rien pu faire quand ses petits bras l'avaient entouré et qu'un baiser sonore avait claqué sur sa joue.

Je t’aime, Eldred ! Tu es le plus gentil des guerriers

Tout son être avait fondu instantanément. Il entendait sa petite voix encore et encore. Ses yeux brillaient d’émotion. Il lui adressa un large sourire. Il n'arrive plus à articuler quoi que ce soit.

Et moi donc ! Tu es la plus courageuse des petites chipies.

Juste avant de partir, il l'attrapa à son tour et la serra fort dans ses bras, embrassant le sommet de son crâne.

Ils arrivèrent sans traîner à la boutique en question. Face à l'orage qui semblait posséder la maisonnée, ils décidèrent de patienter dans une ruelle adjacente. Un instant plus tard la porte s'ouvrit sur l'éclopée qui traînait une charogne derrière lui. Il interrogea Cassandre du regard : c'était vraiment lui, celui qu’on appelait le sanguinaire ? Parce que là vraiment, on était plus proche d'un cadavre que d'un guerrier.

Mais elle lui confirma que c’était bien celui qui avait voulu lui trancher la gorge. Ce n’était plus un chat blessé. Tout juste une immonde flaque de fange. Ils rirent tant et si bien que des larmes perlaient au coin de leurs yeux. Il ignorait ce qu'il s’était passé mais cela avait semble-t-il était mouvementé. Sa petite Valkyrie jugea préférable de différer leur entrée, ce à quoi il adhéra sans sourciller.

Il se laissa mener par son guide improvisé au sein du quartier commerçant qui lui présenta tour à tour chacune des échoppes assortie d'un petit commentaire. C’était pour lui une découverte. Il n’avait jamais réellement visité la capitale et ignorait donc tout de ses artisans. Le dernier atelier était celui d'un forgeron.
Il se tourna vers elle, les yeux brillant de gratitude alors qu’ils entrèrent. L'homme était jovial et quelques minutes plus tard, ils étaient là a discuter comme de vieux amis de toujours de leur passion commune. Cassandre s’était retirée sans doute ennuyée par la discussion technique portant sur la qualité de l'acier. Il prit finalement congé de l'artisan et rebroussèrent chemin.

- C’était une belle visite, merci ! Surtout la rencontre du forgeron. Cela faisait si longtemps ! Oh si tu savais ! J’espère que ce n’était pas trop barbant pour toi…

Son sourire ne s’effaça que lorsqu'elle entreprit de frapper avec appréhension la porte. Eldred se fit discret derrière elle tandis qu'elle s’annonçait.

Grâce avait été cherché Ludovic pour le placer près du comptoir, à côté d'elle. Elle avait eu de la chance, il n'y avait eu qu'une personne cet après-midi. Entre temps, elle avait pu se laisser aller à quelques larmes, même si elle les avait vite essuyées d'un geste rageur de la main. Elle devait être forte, stoïque, comme Cassandre. Et elle ne voulait pas que Ludovic se sente mal aussi en la voyant pleurer. Elle avait essayé de s'occuper, en dessinant mais cela n'avait rien donné. Elle avait lâché son crayon et était monté. Sa mère était toujours endormie. Elle était redescendue. Un peu de dessin. Elle était remontée. Toujours rien. Le manège s'était répété plusieurs fois, trop pour qu'elle puisse les compter, pendant deux heures.

Elle entendit alors la porte s'ouvrir. Grâce prit une grande inspiration. Elle sauta de la chaise pour aller voir ce qu'elle pensait être un client.

Les mots de bienvenue se figèrent dans sa bouche. Cassandre... Cassandre était revenue... Avec... Quelqu'un qu'elle ne connaissait pas. Très grand. En temps normal, elle aurait sans doute dû être effrayée mais là, elle se souvenait de Sylvère et surtout, elle était simplement contente de voir sa grande sœur. Après tout, si c'était un de ses amis, il devait être gentil.

Grâce voulut dire quelque chose mais un sanglot vint mourir à ses lèvres. Les larmes lui montèrent aux yeux et elle ne put rien faire d'autre que se jeter dans les bras de sa soeur. Elle enfouit sa tête dans le cou de Cassandre en le serrant très fort, la voix tremblante.

- Cassandre... Tu m'as manquée...

Cassandre était contente finalement de ce moment prolongé avec Eldred et lui faire découvrir un peu plus la ville était une bonne chose. Il fallait bien pour lui se familiariser avec son nouvel environnement. Et il avait été si ravi de rencontrer le gentil forgeron. Lorsqu'il s’inquiéta de l'ennui qu'elle aurait pu ressentir, la fillette secoua la tête.

"Non. J'observais un peu la rue. C'est toujours instructif, tu sais. Rien que les rumeurs."

Lorsqu'elle entra la première dans la boutique, Cassandre s'étonna du silence inhabituel. Le berceau de Ludovic se trouvait près du comptoir mais il était étrangement calme. Sans même un gazouillis. Une angoisse sourde lui noua le ventre. Son instinct parlait. quelque chose n'allait pas. Grâce vint alors se jeter contre elle et se serra contre elle. Sa petite sœur tremblait.

"Grâce..."

Les visions du noble avec son couteau, tout à l'heure à l'étage, ou quelque mois plus tôt avec Sahar au marché, lui traversèrent la tête. Il avait l'air inoffensif quand il sortait tout à l'heure tiré par Alexandre. Que s'était-il passé en son absence ? Irène.. Où était Irène ?

"Irène... Où est ta maman, Grâce ?"

Elle avait fui précipitamment la maison en laissant sa famille exposée à danger aussi terrible. Et si Irène était montée peu après son départ, dans l'idée de comprendre, et que cet Alduis l'avait assassinée ? Elle trembla autant que Gra^ce. Si quelque chose lui était arrivé, ce serait sa faute.

"Irène... Irène va bien ?"

Elle écarta légèrement Grâce, essayant de rester courageuse, et posa les mains sur ses épaules.

"Grâce.. Raconte-moi tout ce qui s'est passé ici. Avec les détails. Tous les détails."

Grâce serra Cassandre de toutes ses forces. Elle avait besoin de se raccrocher à quelqu'un, à quelque chose. Quelque chose de certain et de rassurant. Elle soupira doucement, retenant ses larmes. Elle renifla quand Cassandre lui demanda où était sa maman.

- Maman... maman est en haut, dans son lit.

Elle dut prendre une nouvelle inspiration pour se libérer de la bouffée d'angoisse qui lui étreignait la gorge.

- Elle... oui, elle va bien... Elle... C'est juste... elle dort...

Elle hocha la tête pour se rassurer elle-même. Sa maman allait bien. Elle était juste très fatiguée. Épuisée... Et ça... Tout ça, c'était la faute d'Alexandre. Grâce sentit la colère monter de nouveau mais la contint. Elle devait faire comme Cassandre. Alors elle resta calme comme elle et se redressa, pour tout expliquer.

- C'est... après que tu sois partie... maman s'est inquiétée. Elle m'a envoyée à la cuisine... Et elle a attendu qu'Alexandre et monsieur le fantôme descendent... Mais... mais quand Alexandre est descendu, ça... il... maman a voulu des explications... mais il... il a commencé à lui crier dessus.

Deux larmes roulèrent sur ses joues et elle serra les poings.

- Il lui a fait mal... à elle et au bébé... Il a été méchant !

Elle eut du mal à continuer mais une fois toutes ses émotions lâchées, elle ne put les contenir.

- Il est méchant ! Il a toujours été méchant ! C'est sa faute si maman a été mal ! Et il m'a traité de peste et toi aussi ! Il était horrible ! Je le déteste ! C'est rien qu'un égoïste ! Il ne pense qu'à lui et à son fantôme ! Il ne m'a même pas demandé pardon ! Je ne veux plus jamais le voir ! Et si jamais il arrive quelque chose à maman et au bébé, ce sera sa faute ! Sa faute ! Je le déteste !

Elle se vida, complètement... Elle n'en pouvait plus. Le reste se perdit dans un bredouillement incompréhensible et elle retomba dans les bras de sa sœur en pleurant.

Cassandre serra un moment sa petite sœur qui reniflait contre elle. Elle retenait ses larmes. Elle le sentait et savait par expérience comment on se comportait en ce moment-là. Les paroles de Eldred lui revinrent alors et elle tourna un bref instant la tête vers son ami pour échanger un sourire comique.

"Tu sais, Grâce, tu peux pleurer. Même les guerriers pleurent."

L'ainée caressa lentement le dos de la cadette pour al bercer, comme Eldred avait ou faire tout à l'heure dans l'église.

"Pleure, petite sœur. Laisse-toi aller."

Tout en réconfortant la petite fille, Cassandre écouta ce récit et fut soulagée que Dame Irène ne faisait que se reposer. l'angoisse se tut aussitôt. Il ne s'était rien passé. Sa famille était saine et sauve. Les termes de monsieur le fantôme pour désigner Alduis de Fromart l'amusèrent. C'était vrai qu'il avait l'air d'en être un. Elle fronça cependant les sourcils en apprenant que Alexandre avait ensuite crié en descendant de l'étage quand Irène réclamait des explications. Elle soupira et tourna la tête vers Eldred.

"On dirait qu'il aura encre réussi à se faire pousser des couilles au moment où il ne fallait pas... Comme l'autre jour au château."

Grâce s’inquiétait pour le bébé et bien sûr sa maman. Cassandre continua à l'envelopper de ses bras.

"Le bébé va bien. Après six mois, ils craignent plus rien. "

Ou pas. il y avait tout de même le risque d'un accouchement prématuré. mais Dame Irène en était au septième mois. les bébés pouvaient survivre à cette naissance avant terme. Ils étaient petits mais ils vivaient. Mais on allait approcher de l'hiver. L'hiver c'était la pire période pour un nourrisson fragile. Non. Elle ne devait pas penser comme ça. Tout allait bien aller. Elle ne devait pas comme ça. Ou Grâce serait de plus en plus inquiète.

"Tout va bien , Grâce. Tout va bien."

Elle continua à bercer tendrement sa petite sœur tout en l’écoutant s’énerver sur Alexandre. Pourquoi s'était-il mis en colère ? Ce n'était pas son genre. Même lors de ces farces, il subissait sans rien dire. Décidément, ce garçon restait une énigme. Grâce se mit soudain çà pleurer et s'effondra dans ses bras. Cassandre la serra contre elle.

"C'est bien, Grâce, pleure. Pleure petite sœur."

Eldred était resté en retrait, silencieux. Il avait parcouru des yeux la pièce tandis que Cassandre demandait des nouvelles. La fillette – Grâce – semblait complètement perdue. Si tout paraissait en ordre à l’intérieur, on avait pourtant l’impression qu’une tempête avait tout ravagé.
Sa petite valkyrie lui adressa un regard amusé alors qu’elle réconfortait sa petite sœur. Il hocha la tête tout aussi malicieusement l’air de dire « Voyons voir si tu as bien retenu la leçon ». Mais oui, elle l’avait bien retenue et s’en sortait à merveille. Il eut un large sourire, plein de fierté.

Il ne put retenir un rictus au nom donné à Alduis. « Monsieur le Fantôme ». C’était parfaitement trouvé, il avait vraiment l’air d’un fantôme. Pas d’un draugr. Le guerrier roula des yeux en entendant qu’Alexandre avait crié. La scène lui parlait vaguement. Finalement les cinq coups n’avaient sans doute pas été suffisants pour qu’il recommence son pitoyable spectacle de sitôt. S’en prendre à une mère de famille enceinte… C’était vraiment bas et immoral ! Il serra les mâchoires, gardant pour lui ses pensées les plus fleuries.

Il haussa un sourcil en entendant Cassandre lui parler de prématurité. Même après six mois, cela restait peu probable qu’il survive, surtout avec l’hiver qui approchait. De ce qu’il savait, même en priant tous les dieux du monde, il y avait peu de chance de dépasser une semaine de vie. Il espérait pour elle, qu’elle pourrait arriver au terme sans complication.
La pauvre fillette ruisselait de larmes dans les bras de sa chipie. Il posa un regard attendri sur les deux sœurs. On voyait bien qu’un tel déferlement de violence l’avait profondément choquée alors qu’elle avait dû se sentir impuissante à aider protéger sa mère.

Elle... elle pouvait pleurer ? Grâce se retint malgré tout. Cassandre ne l'aurait pas fait, elle en était certaine. Mais... si elle disais qu'elle pouvait le faire... Et de toute façon, elle ne se sentait pas de les retenir plus longtemps.

Fort heureusement pour ses petites oreilles, ses sanglots couvrirent la première remarque de sa sœur. Elle leva la tête vers sa sœur quand elle la rassura pour le bébé.

- Tu... tu es sûre ?

Cassandre la rassura un peu et elle réussit à s'apaiser un peu. Elle avait quelques soubresauts de sanglots mais se sentait déjà bien mieux. Elle releva les yeux vers Cassandre puis vers la grande présence qui la suivait. Elle se raccrocha au regard de sa sœur, un peu intimidée tout de même.

- Dis... qui est-ce ?

Cassandre berça un long moment sa petite sœur qui se détendait peu à peu et libérait l'angoisse qui s'était accumulée. Elle la laissa pleurer jusqu'au moment où les larmes se tarirent. Grâce était un peu calmée. Elle releva alors al tête et croisa la silhouette de Eldred. Cassandre sourit.

"C'est un ami. N'aie pas peur."

Elle tourna la tête, embarrassée, et se questionna sur comment le présenter. UN ami ? C'était un peu simple. Un grand frère ? Pas question. Sylvère serait son seul grand frère. Et puis, un grand frère c'était pas un vrai adulte. Ça faisait juste illusion que ça semblait être adulte. Et Eldred, lui, il était un vrai adulte !

"C'est mon oncle. Il se nomme Eldred. il est très gentil."

Un oncle, c'était une figure paternelle. c'était de la famille proche mais pas si proche. Et c'était incontestablement une figure d'adulte. Elle lâcha Grâce et s'avança vers Eldred.

"Tu peux t'occuper de Grâce ? J'aimerais aller voir Irène."

Elle reporta son attention vers sa cadette.

"Tu restes là avec Eldred, d'accord ?"

Une idée malicieuse lui vint soudain à l'esprit et elle chuchota à Grâce.

"Tu pourrais lui raconter des psaumes ? Eldred est très religieux et aime qu'on lui raconte des histoires de la Bible."

Sur ces paroles, Cassandre s'éloigna rapidement vers l'escalier en dissimulant un rire intérieur à l'idée du bon tour qu'elle venait de jouer à Eldred. Allait-il oser interrompre al petite fille ? Ou la laisserait-il continuer sans rien dire ? C'était bien rigolo de l'imaginer entendre tout ça alors qu'il n'y croyait pas du tout.

Soudainement, la fillette leva les yeux vers lui. Il n’était désormais plus invisible. Il lui adressa un sourire amical tandis que Cassandre le présentait comme son ami puis finalement comme… Son oncle.  Il arqua ses sourcils d’étonnement sans rien remettre en question. Un oncle ? Hmm et bien pourquoi pas après tout !

Il accepta la demande de sa petite chipie même si… Il fallait bien l’admettre, il n’avait aucune idée de comment faire avec un enfant de cet âge-là. Tout cela lui paraissait si lointain désormais… De quoi pourrait-il bien lui parler ? En tout cas, s’il y en avait bien une qui parlait c’était Cassandre ! Qu’est-ce qu’elle venait donc de lui dire ? Il avait un mauvais pressentiment et son instinct le trompait rarement.

Lorsqu’elle fit demi-tour, il alla s’asseoir à ses côtés, en tailleur, afin de se mettre à sa  hauteur et paraitre ainsi un peu moins imposant.

- Est-ce que tu te sens mieux ? Tu es une petite fille courageuse, comme ta sœur, tu sais ?

Il lui adressa un sourire. Il savait bien ce que l’on disait sur les zakrotiens et les mois passés à Braktenn n’avait jamais réussi à altérer sa physionomie. Il n’était pas rare que certains détournent le regard, trouvant subitement plus intéressant à observer que le sauvage guerrier devenu esclave qu’il était. Il n’y prêtait même plus attention. Mais il devait admettre que cela pouvait parfois avoir ses avantages.

- J’espère que je ne t’ai pas fait pas peur en tout cas. Tu sais… Moi non plus je ne l’aime pas beaucoup, Alexandre. Alors ça nous fait au moins un point commun non ?

Grâce parvint à complètement s'apaiser et sa curiosité prit surtout le dessus quand elle découvrit Eldred. Elle pencha la tête.

- Ah bon ? Tu as un oncle ? Comme mes oncles à moi ?

Elle voulut protester quand Cassandre dit partir. Elle voulait qu'elle reste encore un peu, qu'elle se sente rassurée par sa présence. Seulement, il fallait qu'elle aille voir maman. c'était important. Alors elle baissa la tête puis la hocha sagement. Elle s'illumina un peu quand Cassandre proposa de raconter des psaumes. Oh oui, elle aimait bien les histoires de la Bible ! Elle laissa son aînée monter à l'étage pendant qu'elle s'approchait d'Eldred. En effet, il avait l'air gentil, il s'asseyait même pour être à sa hauteur et ne pas lui faire trop peur. Elle réussit à sourire, ses larmes bien loin derrière elle.

- Vous êtes gentil... Ça va... Mais Cassandre est sans doute bien plus courageuse que moi. Elle est très forte, vous savez ? Et elle sait toujours quoi faire. C'est pour ça que c'est ma grande sœur.

Elle secoua ensuite la tête, identifiant mal pourquoi il semblait si mal à l'aise. Pourtant, il n'y avait pas de raison, il était dans une maison ami. Et oui il était grand mais bon, à son âge, tout le monde était plus grand qu'elle ! Elle sourit encore un peu en baissant la tête, les mains dans le dos.

- Oui... mais je ne veux plus penser à lui ! Il n'existe plus, voilà ! Comme ça, je n'aurais plus de raison de pleurer !

Hésitante, elle s'approcha un peu.

- Dites... vous connaissez des histoires ou des jeux ?

Cassandre avait laissé Grâce rongé par sa curiosité concernant les liens qui les unissaient vraiment, lui et sa petite valkyrie. Alors qu’elle rejoignait les escaliers, il s’installa à ses côtés et entreprit de lui répondre.

- Non c’est différent. Je ne suis pas son oncle par le sang. Je suis comme un oncle, tu comprends ? Parfois on a pas besoin de partager le même sang pour faire partie d’une même famille

La petite fille rétorqua sur le courage. Il lui sourit en retour.

- Tu es encore jeune tu sais. Je suis sûr que tu deviendras aussi courageuse qu’elle en grandissant !

Il espérait cependant qu’elle ne finisse pas par accumuler autant de colère que sa chipie. Il évita d’ailleurs de renchérir sur ce qu’elle avançait bien qu’il ne partagea pas le même avis. Fermer les yeux, ne faisait pas disparaitre la montagne face à laquelle on se trouvait.
Elle se rapprocha un peu de lui et demanda s’il connaissait un jeu ou une histoire. Eldred ne put retenir un soupir de soulagement à l’idée de ne pas avoir à supporter un quelconque sermont. Il resta cependant pantois un moment déstabilisé par sa requête. Des contes, il en connaissait des tas ! Le problème c’est qu’ils étaient tous païens… Et que raconter comment Freyja avait obtenu ses chatons risquaient forts de devenir problématique si elle venait à répéter cette histoire.

- Laissez-moi réfléchir jeune demoiselle…

Après quelques secondes, il trouva l’histoire parfaite. L’une de celle que l’on racontait aux enfants. Un savant mélange de chrétienté et de folklore païen.

- Que dirais-tu que je te raconte quelque chose de chez moi ? C’est l’histoire du femme troll qui essaye de séduire un chevalier en espérant qu’elle puisse ainsi devenir humaine. Qu’en dis-tu ?

Cassandre ne répondit pas, sans doute déjà inquiète pour leur maman. Grâce resta donc bien sagement avec Eldred, comme sa grande sœur le lui avait dit. Il lui donna en plus une réponse qui la donna satisfaction.

- Ohhhh... Comme avec Sylvère alors. Je comprends très bien !

Elle sourit, ravie de comprendre comme une grande. Elle sourit ensuite en portant son poing à sa bouche.

- Merci, vous êtes très gentil. J'essaie de suivre l'exemple de ma grande soeur ! Et j'espère que je serai comme elle un jour !

Grâce le laissa ensuite réfléchir comme il le demandait et s'assit en tailleur devant lui, prête à écouter attentivement. Elle pencha alors la tête.

- Ohhh, ça à l'air drôle ! Mais c'est quoi un troll ?


A l'étage, Irène avait dormi, à moitié évanouie, un peu agitée. Elle s'était un peu apaisée mais un bruit la tira de son demi-sommeil. Elle plissa les yeux et les ouvrit, péniblement. Elle crut distinguer une forme connue.

- Cassandre... Est-ce... Est-ce que c'est toi ?

La voix faiblarde de Dame Irène inquiéta Cassandre. Elle semblait incroyablement malade. Elle se leva aussitôt pour aller mouiller un mouchoir et vint l'appliquer sur le front de la mère de famille épuisée.

"Oui, c'est moi. Comment vous sentez-vous ? Vous ne voulez pas que j'aille chercher un médecin ?"

La fillette continua à éponger son visage tout en songeant qu'elle devait lui parler de son départ. Et si ça causait ds complications ? Et si c'était mauvais pour le bébé ? Et surtout pour elle ?

"Je suis désolée pour être partie comme ça mais... Cet homme qui est venu. ce noble. je l'ai vu quelques mois plus tôt au marché. Il menaçait une pauvre femme. Il était... méchant. Il m'a fait peur à son entrée. Puis, il avait l'air... différent. Je ne comprenais. Je ne comprenais pas plus pourquoi il voulait voir Alexandre. Alors... Alors je l'ai suivi. Je voulais comprendre. et là..."

Son souffle se coupa. Elle tourna al tête et contempla le palier où Alduis se tenait, où elle avait failli....

"Ils étaient en train s'embrasser. tous les deux. Puis, il m'a vu. Le noble. et là.. là, il... Il m'a poussé contre le mur, un couteau à la gorge. Et puis... Et puis..."

La suite était plus difficile à formuler. Elle acceptait l'agression. pas ce sauvetage.

"Alexandre... Alexandre m'a protégé."

Comme elle se sentait vulnérable de redire ces mots. Comme il le haïssait ce diable de garçon pour l'exaspérer à ce point.

"J'en ai profité pour fuir. Sans réfléchir. Puis, j'ai trouvé refuge auprès de Eldred. Il m'a aidé à me calmer. Il est gentil, Eldred."

Sans avoir conscience, elle avait donné le nom de son ami, l'esprit trop marqué par le souvenir de l'agression et du souvenir.

"Mais ça va bien maintenant, Irène ! Tout va bien !"

Eldred acquiesça. Oui c’était tout à fait ça. Grâce avait parfaitement résumé la situation. Quant à devenir comme Cassandre et bien il espérait surtout qu’elle prenne le meilleur de sa petite valkyrie et délaisserait ses démons. Cela dépendrait sans doute des évènements et de l’entourage que recevrait cette fillette. Elle avait au moins la chance d’être bien plus entourée que sa chipie.  Et si demain pouvait s’avérer bien différent, il avait envie de croire que cela ne changerait pas.

Comme il devait trouver de quoi l’occuper, il lui proposa un conte que l’on racontait aux petits zakrotiens. Un conte pas trop païen. Lorsqu’il l’entendit demander ce qu’était un troll, il ne put s’empêcher de lâcher un petit rire. Ce n’était pas un rire moqueur, simplement, il oubliait parfois les différences culturelles qui le séparaient des monbriniens. Il expliqua donc un brin espiègle, agrémenter de gestes ce qu’était la chose :

- Un troll… C’est une créature folklorique de chez moi. Un homme ou une femme géante, d’apparence peu flatteuse et surtout très stupide !

Eldred s’éclaircit la gorge et commença son histoire.

- En fait c’était une chanson mais je vais juste te la traduire, sinon ça ne collera plus à la mélodie, d’accord ?

Tôt le matin avant le lever du soleil
Avant que les oiseaux chantent leur jolie chanson
La Troll de la colline fit une demande au chevalier
Elle parla avec la langue fausse et trompeuse

Sir Mannelig, Sir Mannelig, ne veux tu pas m'épouser
Pour tout ce que je te donnerai avec plaisir
Ta réponse peut seulement être oui ou non
Feras tu ainsi ou non

Je te donnerai douze belles juments
Qui broutent dans un bosquet ombreux
Jamais encore une selle n'a été mise sur leur dos
Ni un mors dans leur bouche


Sir Mannelig, Sir Mannelig, ne veux tu pas m'épouser
Pour tout ce que je te donnerai avec plaisir
Ta réponse peut seulement être oui ou non
Feras tu ainsi ou non


Je serais enchanté de recevoir des cadeaux tels que ceux là
Si tu étais une femme chrétienne
Mais je sais que tu es la pire troll de la montagne
Née du Troll des eaux et du diable


Sir Mannelig, Sir Mannelig, ne veux tu pas m'épouser
Pour tout ce que je te donnerai avec plaisir
Ta réponse peut seulement être oui ou non
Feras tu ainsi ou non


La Troll des montagnes courut hors de la porte
Elle gémissait et hurlait tout fort
Si j'avais eu ce bel homme
Je serais libérée de mon tourment maintenant


Sir Mannelig, Sir Mannelig, ne veux tu pas m'épouser
Pour tout ce que je te donnerai avec plaisir
Ta réponse peut seulement être oui ou non
Feras tu ainsi ou non ?




Il marqua une pause, avant de demander :
- Hmmm, alors qu’est-ce que tu en penses ? Tu sais quoi ? Il ne faut jamais faire confiance aux trolls, jamais.

Grâce posa ses petits coudes sur ses genoux et sourit à l'explication.

- Ohhh, comme un korrigan gros et grand alors ! Même s'ils sont pas trop stupides en vrai... Ils sont parfois très malins en fait !

Mais elle arrêta là sa réflexion pour écouter l'histoire qui ressemblait à une chanson. Elle hocha la tête quand il lui fit la précision et laissa ses yeux pétiller pendant le récit des aventures du chevalier. Elle fut tout de même un peu triste pour la troll.

- Oh... oui, je vois. Mais c'est un peu triste pour elle... Et si en vrai, c'était une jolie princesse dans un corps de troll ? Et puis elle a l'air gentille.

Elle réfléchit ensuite et se rappela l'air gentil d'Alexandre, la première fois. Elle se crispa et releva la tête.

- Non, c'est vrai ! Il faut se méfier des gens qui ont l'air trop gentils !


La fraîcheur sur son front fait du bien à Irène et elle retrouva un peu plus ses esprits. Elle réussit à sourire un peu. Cassandre était si prévenante... Pour une fois que les rôles étaient inversés. Elle lui répondit d'une voix encore un peu faible.

- Je vais bien, c'est de la fatigue. je ne suis pas malade et je n'ai pas besoin de médecin, je te remercie.

Elle secoua ensuite la tête doucement.

- Non, non... Je... j'ai cru comprendre que tu avais eu peur, je me suis simplement inquiété pour toi...

Elle fronça les sourcils à la suite.

- J'ai entendu parler de lui par mon frère... Ce n'est pas un enfant de chœur, j'en ai conscience...

La suite la laissa figée. Ils... ils s'embrassaient... comme des amants. Elle prit une grande inspiration en se passant une main sur le visage. Elle ne savait pas quoi penser. pas du tout, pour la première fois de sa vie, elle n'arrivait pas à avoir un avis tranché. Elle agrandit les yeux à la suite et se redressa brutalement, s'étourdissant au passage et portant donc une main à son ventre. Elle remarqua alors les marques au coup de sa pupille et étouffa un cri.

- Mon Dieu, Cassandre ! Tu... as-tu mal ? Veux-tu de l'eau ? Dois-je appeler quelqu'un pour te soigner ?

La suite la perdit elle aussi. Quoique, non, il était logique qu'Alexandre la défende.Même si ses sautes d'humeur ensuite avait pu lui faire penser le contraire... Elle pouvait cependant comprendre que Cassandre n'y entende pas grand-chose. Elle avait encore tant de choses à découvrir sur les gens... Cependant, elle restait sa petite pupille vie et intelligente. Et on l'avait blessé. Elle la prit doucement contre elle, pour ne pas la brusquer.

- Oui, tout va bien, puisque tu es rentré et je suis là, je vais bien. Tout va bien, tu n'as plus à avoir peur.

Cassandre continuait à humifier le front de Dame Irène avec la serviette afin de la rafraichir et était satisfaite en constatant que cela faisait. Elle assurait aller, bien, que ce n'était que de la fatigue.. dans son état, elle devrait quand même se reposer. Ou sinon.. La fillette songea aussitôt à sa mère qui devait autrefois tout gérer dans la maison et avait fini par y laisser la vie.

"Vous devriez plus vous reposer, Irène. l'après-midi, je peux tenir la boutique seule, pendant que vous montez faire une sieste? Vous savez ?"

Il fallut ensuite évoquer les troubles du jour et dame Irène confirmer connaitre un peu Alduis grâce à son frère militaire. Elle parut soudain embarrassée de savoir que lui et Alexandre seraient amants. Cela la gênait ? Cassandre haussa les épaules.

"Vous n'allez quand même écouter les idioties d'oncle Matthieu et de ses copains quand même ? Si un homme a envie de baiser un autre, pourquoi ça serait mal ? C'est juste une attirance particulière mais ça les rend pas monstrueux. L'amour, le besoin de chair, ça se commande pas. Sinon... Je vous rappelle que les sodomites sont brûlés en place publique quand on les découvre. Pourquoi ils se livreraient à ces pratiques s'ils pouvaient s'en passer ? C'est juste.. Ils peuvent pas. Comme un homme ou une femme ne peuvent pas se retenir de baiser quand ils ont envie ! C'est comme ça et tout, voilà !"

Elle se souvenait avoir surpris au Lupanar des transactions au Lupanar, sans jamais avoir pu voir les clients ou, comme on disait, les marchandises. Mais les maîtres proposaient - littéralement - à prix d'or de jeunes hommes aux clients les plus fortunés et prêts à dépenser des sommes folles pour connaitre eux aussi un véritable plaisir.

Soudain, Dame Irène poussa un long cri en découvrant la petite entaille à as gorge que Cassandre avait fini par oublier. Elle secoua les épaules.

"C'est rien, ça. Et puis, Eldred a pas eu l'air inquiet. Alors, c'est pas dangereux !"

Dame Irène la prit cependant dans ses bras et Cassandre eut un instant de surprise, prête à se dérober, lorsque les paroles de Eldred lui revinrent à l'esprit. Les grands guerriers pouvaient parfaitement avoir le droit à des moments de tendresse. Elle céda et se laissa bercer.

D’ailleurs, Eldred.. Eldred attendait en bas.

"Dites... En bas, il y a un ami à moi qui s'occupe de Grâce. Vous voudriez peut-être le rencontrer, Irène ? Il est très gentil ! et Sage ! et fortb ! Et très intelligent ! En fait, il est un peu comme Sylvère, sauf que lui c'est un adulte !"

Un korrigan? Eldred ne savait pas ce que c'était. Sans doute une créature folklorique de Monbrina. Une sorte d'elfe si c'était malin. Il commença à lui raconter cette chanson qui avait bercé son enfance. Elle était plus belle en zakrotien mais   cela ne modifier nullement son sens. Une fois terminé, il laissa planer quelques secondes afin de recevoir l'avis de la petite Grâce.

Il ne put réprimer un sourire devant l'analyse de la fillette.

- Tu as raison, on ne peut jamais savoir. Les apparences peuvent être trompeuses dans un sens comme dans l'autre. C'est pour ça qu'il faut toujours garder l'esprit ouvert et acéré. Il y a parfois des fruits moches qui sont très bons. Et d'autres très beaux qui s'avèrent en réalité véreux.

Il poursuivit pensif, presque pour lui même.

- Que deviendrait le monde, si on ne peut plus croire en la bonté de quelqu'un?

Il se tourna vers Grâce et reprit:

- Et toi, tu aurais fait quoi à la place du chevalier?

Grâce hocha la tête avant d'étudier avec attention les paroles pleines de sagesse d'Eldred. Elle se mit à réfléchir, pensive.

- Oui, c'est vrai...

Elle acquiesça ensuite.

- C'est ce que ma maman dit souvent. Elle veut croire que l'homme est bon, comme le pensait notre Seigneur Jésus. Et j'espère que c'est vrai ! Parce que ce serait tellement beau que tout le monde soit gentil !

Elle pinça ensuite les lèvres avant de répondre.

- Je crois que je lui aurais quand même donné une chance. Elle n'avait pas l'air si méchante... Et puis peut-être qu'elle avait vraiment besoin d'aide. Et si c'est vrai, c'est très triste...


Irène apprécia vraiment la douceur du frais sur son front. Elle se sentait apaisée, en meilleure forme chaque fois que Cassandre tamponnait avec douceur. Elle soupira. Elle avait raison... Si elle voulait donner naissance à son enfant dans de bonnes conditions, elle devrait se ménager un peu plus...

- Peut-être que tu as raison, oui... Mais toi, tu as aussi besoin de temps libre, de jouer avec Grâce... je ne veux pas tout enlever juste pour cause d'une fatigue passagère...

Elle l'écouta ensuite et réfléchit. La réponse lui donnait du grain à moudre mais elle était toujours indécise.

- Ce n'est pas le sexe qui me choque, Cassandre, c'est... Enfin, je sais que ce genre de choses existe, depuis les premiers temps du monde même mais c'est, comme tu le dis, une affaire de lit. Là, ça m'a tout l'air... d'une histoire d'amour.

Elle secoua la tête. L'amour concernait l'âme, alors pourquoi deux hommes ne pourraient pas s'aimer, sincèrement, en dépit de leurs corps ? C'était, en somme, une façon de s'élever... Mais elle n'était toujours pas sûre.

- Je ne sais pas... mais après tout ce sont leurs affaires et je ne crois pas que nous serons concernés de sitôt si Alexandre ne revient pas, de toute façon.

Elle resta sceptique et se raccrocha donc au tangible, surtout la blessure de Cassandre qui, elle, n'était pas une matière à réflexion.

- Peut-être, mais moi, je m'inquiète et je voudrais que tu le désinfecte, au moins avec une serviette et un peu d'eau. je ne voudrais pas qu'il t'arrive quelque chose à cause d'une blessure aussi bête...

Elle fut heureuse lorsqu'elle sentit Cassandre se détendre dans ses bras. Enfin, elle acceptait un peu de tendresse. Irène avait l'impression que ses barrières s'affaissaient un peu plus ces derniers temps et cela la rassurait. Au moins, elle ne la brusquait plus et craignait de moins en moins les faux pas à mesure qu'elle commençait à mieux la connaitre.

Elle la relâcha un peu pour entendre parler de cet homme qui l'avait raccompagné et hocha la tête avec un léger sourire.

- Naturellement. Si cet homme a été si bon à ton égard, je ne pourrais qu'être ravie de le rencontrer. Laisse-moi juste le temps de me relever...

Elle appuya une main sur le drap et commença à se redresser de façon laborieuse.

Cassandre poussa un soupir quand Dame Irène émettait des réserves sur le fait qu'elle ne voulait pas restreindre ses libertés. Elle haussa les épaules.

"C'est pas une si grosse contrainte de tenir la boutique l'après-midi. ET puis, j'ai passé plusieurs années à faire le émnage toute la journée, suivi des courses et la soirée à servir des gens, sans temps de repos. Alors.. alors ça, c'est pas grand chose."

Leur conversation reprit sur Alexandre et son amant. Dame Irène raisonnait sur le sujet et à as conclusion, Casandre eut un geste de fataliste.

"'S'il pouvait bien ne jamais revenir, moi ça me dérangerait pas ! Et puis; Grâce non plus ! Avec un peu de chance, l'autre va l'héberger dans son château !"

Alors que Cassandre profitait du moment de tendresse, elle accepta docilement de nettoyer sa plaie, comme sa tutrice le réclamait, et se leva donc pour tremper à nouveau la serviette dans le petit baquet d'eau et nettoyer sa petite entaille à al gorge. Ce n'était vraiment rien. Demain, on ne verrait plus ça !

Peu après, Dame Irène accepta de rencontrer et commença à se lever. Cassandre se décida à la laisser descendre à son rythme et retourna en bas. Eldred semblait en grande conversation avec Grâce. De quoi pouvaient-ils partir ? Espiègle, elle marcha à pas de loup, évitant que le plancher ne grinche, et surprit sa petite sœur dans le dos et cria :

"BOUH !"

Et elle éclata d'un rire joyeux.

Eldred écoutait attentivement les réflexions de la fillette en acquiesçant de la tête.

- Tu as raison, mais il faut rester prudent. Les gens honnêtes proposent rarement des marchés trop avantageux.

Sur ce, Cassandre dévala les escaliers et effraya avec espièglerie sa petite soeur. Le zakrotien fronça les sourcils d'un air désapprobateur mais il était en réalité ravi de constater qu'elle avait retrouvé sa joie de vivre.

- Et toi ma petite valkyrie, qu'en penses-tu? Tu aiderais un troll qui espère devenir humain en t'épousant et qui te promettrait monts et merveilles en échange?

Oh la réponse il la connaissait sans doute déjà! Mais il voulait quand même l'entendre. De là où il était, il pouvait entendre les planches de l'escalier grincer, indiquant que Dame Irène n'allait pas tarder à apparaitre. Lorsqu'elle posa pied à terre, il se releva aussitôt et s'inclina poliment.

-Je suis désolé de vous avoir dérangé alors que vous vous reposiez. Je m'appelle Eldred. Je suis venu raccompagner Cassandre après... Après les évènements.

Il nota aussitôt son ventre proéminent et enragea contre le fils de troll et le draugr d'avoir mis un tel chaos dans cette maisonnée qui n'en avait guère besoin...

Irène soupira. Elle avait raison... De toute façon, à quoi servirait-elle si elle finissait par dormir debout ?

- Très bien, c'est d'accord... J'essayerai de davantage me reposer et je te confierai les enfants et la boutique pendant ce temps-là...

Elle soupira de nouveau à la mention d'Alexandre. Elle ne savait pas... Advienne que pourra mais au fond, elle espérait un peu qu'il s'en aille effectivement, rien que pour épargner Grâce qui avait eu bien des tourments avec lui.

Elle acheva de se lever et suivit Cassandre en bas où elle découvrit un grand guerrier qui lui semblait bel et bien zarkotien. Elle sourit en se souvenant tout ce que son mari lui avait raconté de là-bas.


Grâce acquiesça, ravit qu'Eldred l'approuve. Il avait l'air si sage ! Elle sursauta en entendant quelqu'un venir vers elle et cria.

- Cassandre !

Elle prit une mine un peu boudeuse.

- C'est pas drôle de faire peur comme ça...

Elle vit alors sa mère réveillée et bondit sur ses pieds pour aller la serrer dans ses bras.

- Oh maman ! J'ai eu si peur pour vous !

- Tu vas bien, ma chérie, ne t'inquiètes pas. Me présenteras-tu le charmant ami qui t'a tenu compagnie ?

Grâce se retourna alors qu'Eldred se présentait de lui même. Irène inclina alors la tête.

-Góðan daginn  gaman að kynnast þér.

Elle sourit, ravie de parler de nouveau cette langue dans laquelle elle devait être un peu rouillée mais qui était si agréable à prononcer.

- Je vous sais gré d'avoir pris soin de ma filleule et de l'avoir ramené. C'est très gentil à vous.