Re: [15 décembre 1597] La pieuse novice et le non-croyant convaincu (Terminé)

par **Alduis de Fromart** Mer 24 Fév - 15:09

Cette chère sœur Cecilia n'allait pas être déçue d'avoir posé la question. Elle tomberait de haut. Car elle ne se doutait pas une seconde de ce qu'il s'apprêtait à confier. Tiendrait-elle sa promesse de ne rien dire ? C'était trop tard pour revenir en arrière. Pour le savoir, il ne restait plus qu'à se confronter à la situation. Oh, si Alexandre apprenait qu'il avait tenu cette conversation avec une religieuse, quel discours lui ferait-il sur la prudence ! Comme s'il n'en avait pas suffisamment conscience lui-même.

Une chose était sûre : être au service de Dieu et enseigner l'art d'aimer la religion à la population ne rendait pas pour autant clairvoyant. Naïfs. Tous autant qu'ils étaient. Ils pensaient que la Mort n'était que le début d'une nouvelle vie, quand elle était en réalité la fin de toutes choses. Ils se voilaient la face.

Le générosité, Alduis n'en avait rien à foutre. Et Cecilia, elle, n'avait absolument pas compris ce dont il était question. Il n'y avait pourtant pas été par quatre chemins pour le lui dire, mais lui avait épargné la manière la plus directe. Si dire je préfère baiser les soldats à une prostituée passait encore, il se doutait que c'était plus compliqué pour une sœur. Preuve en était.

Il aurait peut-être dû le faire néanmoins, pour lui éviter de ne pas savoir où se mettre. Encore un moyen de défense, il reprit moqueusement :

— Vous savez, ma sœur, tout le monde n'est pas comme vous.

Et bon sang, que son sourire naïf le rendait nerveux. Elle voyait les choses légèrement quand il les voyait d'un noir d'encre insondable.

Heureusement pour elle, en tout cas, elle révisa ses déductions juste à temps pour échapper à la nouvelle explication, encore moins subtile, que s'apprêtait à lui donner Alduis. Il la regarda une seconde, essayant d'y sonder une émotion quelconque. Sans rien parvenir à y lire qui soit vraiment concret. Elle se penchait vers lui, comme de vieux amis qui se confiait quelque secret. C'était idiot.

Il acquiesça simplement à sa nouvelle suggestion. Confirmant, il reprit :

— Je les aimes comme je ne devrais pas les aimer.

par **Cecilia Candore** Ven 26 Fév - 14:59

En parlant, Cecilia crut voir au visage d’Alduis qu’elle était tombée à côté. Elle ne put retenir un amer pincement des lèvres à sa pique moqueuse.

« Je sais malheureusement bien que la générosité est une chose rare, tout comme je pense que le monde y gagnerait si les hommes n’étaient pas égoïstes, pour la plupart. »

Elle le sentait se tendre et ce n’était pas son intention. Heureusement qu’elle comprit le réel sens de ses mots… Elle soutint son regard, attendant la réponse, et celle-ci confirma ce qu’elle avait déduit ; Elle hocha calmement la tête.

« Je vous remercie pour votre honnêteté. »

Elle se mordit la lèvre, regardant les pavés le temps d’une réflexion. Elle commençait à comprendre le problème, oui. Elle releva la tête, aussi neutre qu’elle pouvait l’être sous ses dehors inquiets pour ce jeune homme.

« Et aimez-vous les femmes de cette manière ou est-ce justement le problème ? »

par **Alduis de Fromart** Ven 26 Fév - 19:58

La générosité était une chose rare. Certes. Peut-être une chose qui était réservée aux idéalistes, aussi ? Il n’en savait rien. Le fait était que les gens généreux étaient plus nombreux qu’on ne pouvait le penser au premier abord… Alexandre, Éléonore, Ariste, Bérénice, Eldred, - Courage dans une certaine mesure - et maintenant cette sœur. Il haussa les épaules.

— Il y a peut-être plus de gens comme vous que vous le pensez, au fond, dit-il, presque plus pour lui-même que pour elle.

Cecilia hocha la tête quand il lui avoua le fond du problème. Elle le remercia et Alduis lui rendit un mouvement de tête sobre. Et il attendit. La jeune religieuse regardait les pavés. Elle semblait réfléchir. Qu’était-elle en train de se dire ? Qu’il n’était pas normal, sûrement, que quelque chose ne tournait pas rond, puisque c’était ce qu’il se répétait depuis près de dix ans.

Elle finit par relever la tête. La question le gêna plus qu’il ne l’aurait pensé. D’un coup, il eut honte et il aurait eu envie d’aller se cacher sous la surface terreste.

Les femmes. Ces femmes que son père aimait. Ces femmes qu’il aurait dû aimer aussi. Mais pour lesquelles il ne ressentait rien. Ni désir, ni amour. Il n’eut pas le courage de répondre, alors il secoua simplement la tête.

par **Cecilia Candore** Dim 28 Fév - 20:21

La réponse d’Alduis intrigua Cecilia et fit naître sur ses lèvres un très léger sourire.

« Et pourquoi pas vous ? »

Elle réfléchit ensuite à la manière de tourner sa question et s’inquiéta à sa réaction. Il avait honte ? peur ? On aurait dit un petit enfant désolé d’avoir fait une bêtise. Il secoua la tête. Elle hésita à la conduite à tenir. Cet amour était réprimé par l’Église à laquelle elle appartenait, sévèrement, ce qu’elle ne comprenait pas. Pourtant, il se confiait à elle. Elle était touchée par cet confiance et elle l’honorerait. Elle rassembla ses pensées, trouva les mots et s’efforça de lui adresser un sourire réconfortant.

« Pourriez-vous alors mettre des mots sur les raisons qui vous font ressentir cela comme un problème en vous-même, qui torturent votre âme, outre le fait que ce n’est pas… conforme à ce que préconise l’Église ? »

Ainsi, elle pourrait l’aider à apaiser son cœur.

par **Alduis de Fromart** Mar 2 Mar - 10:37

La question de Cecilia était étrange. La posait-elle sérieusement ? Elle avait l'air. Mais c'était idiot. Il n'était pas généreux, lui, bien sûr que non. Il était militaire, il ne savait rien faire d'autre que la guerre. Il n'y avait rien de moins généreux que de prendre des vies. C'était évident.

— Les militaires ne peuvent pas être généreux.

Et il en était sûr. Presque autant qu'il était sûr, là aussi, que quelque chose avait dû rater dans sa conception. Qu'il ne faisait pas suffisamment d'efforts pour redevenir normal.

Mais Cecilia, elle, ne semblait pas le juger. Pourtant, elle appartenait à cette Église qui aimait à monter des rôtis sur la place publique. C'était dangereux, de dire cela. Mais il le faisait quand même. C'était trop tard pour revenir en arrière, désormais. Il n'avait plus qu'à poursuivre.

Mettre des mots sur les raisons… Mettre des mots sur ses problèmes…

Les mots. C'était si compliqué. Il ne comprenait pas les mots. Ils ne se maniaient pas du tout de la même façon qu'une épée affûtée. Alduis ne savait pas comment en choisir un plutôt qu'un autre. Il baissa les yeux sur la jeune femme, puis sur les pointes de ses bottes.

Elle avait raison. Pourquoi ? Pourquoi voulait-il changer, alors qu'il s'agissait d'une Église qui ne lui apportait aucune foi ? Il n'en savait rien. Ce qui lui faisait le plus peur, c'était surtout d'avoir de moins en moins envie de changer.

— Je… Parce que…

Il y avait des milliers de raisons ! Bien entendu qu'il y en avait ! Ce n'était pas normal, voilà tout, la question n'aurait même pas dû se poser ! … oui mais alors, pourquoi ne parvenait-il pas à les formuler, ces raisons si évidentes ? Il ne trouvait pas les mots qui correspondaient, justement. Ces maudits mots… encore.

— Je ne sais pas, fit-il enfin. Je n'en sais rien… Rien du tout…

par **Cecilia Candore** Mar 2 Mar - 12:53

Sa question teintée d’espoir sembla fermer le visage d’Alduis. Cecilia s’en attrista. À sa réponse encore plus. Elle baissa les yeux et secoua la tête, comme absente.

« Si, forcément… À la guerre, peut-être, mais hors des combats… Ne vous arrive-t-il jamais, à vous ou à vos camarades de troupe, de faire de bonnes actions ? D’aider les gens ? De faire preuve d’amour ? On n’est pas en guerre en permanence, vous n’avez personne à… à massacrer… Et voir les horreurs dont l’homme est capable ne peut-il pas vous donner envie de rendre le monde meilleur, pour qu’il n’y ait plus besoin de les commettre ? »

Elle sentit que la suite, sa question, le torturait. Elle s’en voulut un instant et aurait presque préféré retirer sa question mais elle n’osait pas non plus l’interrompre. Elle porta son poing à sa bouche, nerveusement. Elle ne voulait pas le blesser, elle ne voulait pas lui faire de mal… Pauvre Alduis… Il souffrait déjà, elle le faisait souffrir davantage avec ses questions… Il n’arrivait pas à le dire. Il ne savait pas. Elle se mordit la lèvre et fit un pas vers lui, levant des yeux tristes et timides.

« Si vous ne pouvez pas le dire, ce n’est pas grave, je ne veux pas vous forcer, surtout que c’est ce qui semble vous faire du mal. »
Elle baissa à son tour la tête.
« Je… Je vous avoue que je ne sais pas quoi vous dire. Comprendre pourquoi il y a un problème avec cela vous aiderait à y remédier mais en même temps… J’ai l’impression que cela vous fait souffrir alors je ne voudrais pas vous l’imposer. Peut-être aussi que ce n’est pas le moment… Je vous avoue que je ne sais pas, je ne sais pas du tout… »

Elle ne put que secouer la tête, impuissante. Elle ne savait pas quoi faire, quoi dire. Elle se trouvait démunie, peut-être pour la première fois.

par **Alduis de Fromart** Ven 5 Mar - 11:07

Il voyait mal comment un homme pouvait être généreux sur le champ de bataille. Au contraire, même, il s’agissait surtout d’être égoïste, pour pouvoir survivre. Quant à ses actions en dehors de la guerre… Il n’en savait rien. Il avait toujours l’impression que sa vie était mise en suspens, de toute manière. Comme s’il ne vivait que pour les combats. Et peut-être, au fond, comme s’il ne vivait que pour mourir. Il préféra ne rien répondre, sinon un laconique :

— Il y a plus d’horreurs proférées dans cette ville que sur un champ de bataille.

Sur le champ de bataille, on ne brûlait personne. Et personne n’était hypocrite non plus. À peu de choses près, on savait à quoi s’en tenir quand on avait un ennemi en face de soi.

— Et s’il n’y avait plus de guerre, que pourrais-je bien faire, moi ? Je ne sais rien faire d’autre.

Cette question le tourmentait presque autant que celle qui vint par la suite. Cecilia se mordit la lèvre. Pourquoi ? Elle semblait attristée par quelque chose. Elle n’était pas responsable pourtant.

Au fond de lui, Alduis aurait aimé pouvoir lui expliquer. Mais il ne trouvait pas les mots. Dès qu’il avait la sensation de trouver quelque chose à dire, cette chose fuyait. Comme un papillon qui s’envole quand vous approchez pour le prendre. Vous avez simplement eu le temps de le regarder, et déjà, il n’est plus là et se rend inaccessible. Les mots étaient des papillons dans la tête de Alduis. Envolés avant d’avoir eu le temps d’être prononcés.

Cecilia le rassura. Ce n’était pas grave… Peut-être. Cependant, il se sentait terriblement bête.

Bien sûr, elle ne savait pas quoi lui répondre. Et cela pour une raison simple : elle ne pouvait rien. Alduis se tordit les mains, en ignorant sa main blessée.

Et la voix de son père venait siffloter dans sa tête : Tu vois, Alduis, la bonne volonté n’existe pas.

Il secoua la tête, avala sa salive.

— Je… Je vais y aller.

Il se passa les mains sur le visage. Soudainement, il avait envie de courir très loin d’ici. De courir et d’oublier cette soeur. Il ajouta avant de tourner les talons.

— Désolé de vous avoir bousculée. Vous ne le méritiez pas.

Et il disparut entre les ruelles, sans même se soucier de la direction qu’il prenait. Qu’importe où il allait. Tant qu’il pouvait se perdre quelque part, loin des yeux d’éventuels spectateurs.

par **Cecilia Candore** Ven 5 Mar - 12:27

Plus d’horreurs dans cette ville que sur un champ de bataille ? Peut-être. Après tout, elle ne connaissait ni l’un, ni vraiment l’autre… Son interrogation la prit de court et elle réfléchit un instant.

« Je l’ignore mais il n’est jamais trop tard pour apprendre… »

Elle le regarda ensuite se torturer l’esprit, par ses questions, par sa faute. Elle s’en voulait, beaucoup. Comme si ce n’était pas assez difficile pour lui comme ça… Elle finit par regarder les pavés, cherchant quoi dire pour retirer sa question, mais releva brusquement la tête en entendant le mouvement et l’hésitation d’Alduis. Elle hocha la tête d’un air absent et le regarda filer, ne pouvant rien faire d’autre qu’avaler sa salive et lâcher en un murmure :

« Je suis désolée… »

Mais il ne pouvait plus l’entendre. Elle baissa de nouveau la tête et tourna à son tour les talons, dans l’autre sens, pour rejoindre la place et regagner l’hôtel. Elle n’avait plus vraiment envie de se promener…

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