[28 Décembre 1597] Une invitation pour le grand auteur
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[28 Décembre 1597] Une invitation pour le grand auteur
Aujourd'hui, la malchance se terminait. Grâce à l'un de ses nombreux bavardages, Alduis avait appris ces anecdotes et demandé à as sœur d'inviter en son nom Boréalion mais en laissant son amant le rencontrer en premier. Alexandre en avait été saisi quand Alduis le lui avait révélé hier soir dans leur chambre, puis l'avait immédiatement embrassé pour le remercier de ce beau cadeau. Il se promettait de témoigner également sa reconnaissance à Bérénice pour avoir réalisé sa requête.
Malgré la difficulté à se déplacer avec ses béquilles, Alexandre marchait constamment entre le salon et le hall, comme pour guetter que l'écrivain n'arrive pas plus tôt. Pourquoi pas ? Léonilde observait le manège du coin de l'œil mais ne disait heureusement rien. En revanche, le jeune homme se doutait que son comportement serait répété à son maître. Coldris allait adorer. Il entendait déjà ses plaisanteries ! Ces pensées l'aidèrent à se canaliser et il réussit à aller s'asseoir au salon. Ne pas perdre ses nerfs. Rester calme. Comme cela se révélait difficile quand l'excitation le submergeait.
Finalement, à trois heures pile, la voiture du grand auteur fut annoncé. Alexandre se leva et se rendit sur le perron pour l'accueil. Son coeur battait fort et résonnait fort alors que l'écrivain commençait à monter les marches pour le rejoindre. Lorsque ce dernier arriva, il s'inclina respectueusement.
"Bonjour à vous, ô prince des mots, permettez-moi de vous souhaiter la bienvenue à Fromart au nom de madame Bérénice de Fromart. Elle brûlait elle aussi d'impatience de vous voir mais des affaires la retiennent. Elle m'a chargé de vous tenir compagnie jusqu'à son arrivée prochaine. Que diriez-vous de passer au salon ? Il fera plus chaud que un perron dans un froid polaire."
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Et il trouvait de nouveaux admirateurs à chaque séjour. Cette fois, le nom inconnu avait été celui d’une certaine Bérénice de Fromart-Aussevielle, qui le conviait. Il aurait pu la faire attendre bien plus longtemps que cinq petits jours. Seulement… Seulement, il était curieux, voilà. Et puis, il s’agissait de gens importants et il avait relativement le temps, alors… alors il était là.
Il eut le déplaisir, lorsqu’il fut reçu, d’apprendre que Madame était occupée. Comment cela, “occupée” ? Il arqua un sourcil, interloqué par cette affirmation… On ne pouvait pas être retenu par de quelconques affaires lorsque l’on recevait quelqu’un comme Boréalion, enfin ! Sur les cinq dernières années, on ne lui avait fait cette offense que trois fois. Les trois malheureux avaient dû se passer de lui, et avaient essuyé quelques refus avant qu’ils ne les revoient, tous penauds, à sa séance de dédicace suivante. Non mais !
Il décida de laisser à Madame un délai. Parce qu’il pouvait éventuellement concevoir qu’on puisse arriver en retard. Preuve que malgré ce qu’Héloïse pouvait prétendre, il n’était absolument pas prétentieux ou difficile.
— Passons au salon, dans ce cas, confirma-t-il.
C’était curieux, le visage de ce jeune homme - qui l’avait si bien flatté - lui évoquait quelque chose… Il le suivit dans le fameux salon, dans lequel il s’installa sans complexe avant de s’enquérir :
— Alors dites-moi, à qui Madame a-t-elle demandé de me faire patienter ? demanda-t-il sans hypocrisie.
Lui, oui, il n’était pas stupide et l’avait bien compris… Mais qui était-il ? Et puis, savait-il vraiment qui il était, lui, Boréalion, ou ses flatteries n’étaient-elles qu’une recommandation ?
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Au salon, des petits fours et des canapés attendaient sur la table basse, accompagnés de l'alcool préféré de Boréalion et d'un pichet de jus de grenades. Alexandre s'avança lentement vers le fauteuil et laissa l'hôte s'installer tandis que lui-même prenait place.
"N'hésitez pas à vous servir. Faites comme chez vous?"
Il fit un geste large pour désigner la table puis l'entendit poser la question gênante. Son identité ? Non, il ne la donnerait pas. Ou tout au moins pas entièrement. Cela gâcherait l'effet de sa surprise prochaine. Son visage demeura impassible à l'énonça puis il esquissa un bref sourire avant de répondre.
"Mon nom est Alexandre. Simplement Alexandre. Je suis un enfant bâtard auquel il m'a été refusé un nom. Mon père n'a voulu me reconnaître et l'époux de ma mère m'a renié. Les choses sont ainsi. Je suis employé au sein de ce domaine à diverses tâches. Trop nombreuses pour toutes vous les citer.
Il se décida à poursuivre, espérant passer le sujet gênant.
"Avez-vous quelque projets, mon cher Boréalion, pour votre grand retour ? Je dois confesser apprécier vos romans depuis longtemps. Plus jeune, je dépassais l'heure du coucher pour continuer de vous lire."
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Et puisqu’ils étaient là - contrairement à Madame -, il tenta de s’intéresser à son interlocuteur.
Aux réponses du jeune infirme se mêlaient d’autres paroles. Son nom. Son infirmité. Son statut de bâtard. Et cette certaine ressemblance qui, maintenant que la pièce était tombée, était assez claire.
Un sourire s’étira sur les lèvres du grand Boréalion tandis qu’il songeait que cette troublante coïncidence, il aurait très bien pu l’inventer. Non, il aurait même dû l’inventer ! Peu habitué à douter de déductions si opportunes, il ne fut pas un instant entravé par l’idée qu’il eu pu faire fausse route. Alors ce jeune homme s’amusait à lui cacher des détails - comme le mot “esclave”, que l’auteur avait entendu plusieurs fois pour le désigner. Détails qui ne lui posai pas plus de problème que cela sur le moment, balayés par un intérêt décuplé. Tout cela était bien intéressant - même s’il trouvait toujours ce curé très incommodant.
— Je vois, compatit-il, gardant pour lui ses déductions. Le bon moment allait arriver.
On en vint ensuite à son travail. Même après tant d’années, Célénian ne se lassait pas d’entendre que son oeuvre était appréciée. Oh, bien sûr, c’était tout naturel… Seulement, cela faisait du bien qu’on le lui rappelle. Particulièrement en ce moment.
Oh, bien sûr, il adorait parler de ses oeuvres et de lui-même ! Mais en l’occurence, il y avait un sujet qui, s’il n’était pas plus intéressant - c’était difficile à trouver - était prioritaire. Il fallait dire que ses projets, il passait déjà sa vie à en parler et les connaissait par coeur.
— J’espère pour vous que vos maîtres vous laisseront accès à ma prochaine publication, dans ce cas, répondit-il.
C’eut été réellement dommage qu’il en soit privé, quel que soit son statut. Toutefois, Célénian se sentit un peu sot, un instant : il n’avait pas fait attention à ce qu’il disait et avait manifestement manqué de subtilité. Et en plus, cela casserait certainement son effet de surprise ! Mince alors ! Depuis quand laissait-il échapper de telles sottises ?
— Je devrais l’avoir bientôt terminé, se rattrapa-t-il. Et ce n'était pas vraiment un mensonge : il devait. C'aurait même déjà dû être terminé s'il n'avait pas été absolument incapable d'aligner deux phrase depuis qu'il avait perdu sa Delphina. Alors comme ça, vous suivez Trestinian depuis ses débuts ?
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Il porta le verre en l'air puis ajouta en toute convivialité :
"A votre santé !"
Alexandre but une gorgée, lentement, en songeant à cette formuler rituelle, devenue une politesse mais qui autrefois permettait de s'assurer que le verre ne serait pas empoisonné. Son interlocuteur semblait le dévisager de manière insistance. Se souviendrait-il de quelque chose ? Non, ils ne s'étaient jamais connus. Son père adoptif avait tout fait pour éviter cela.
Il l'entendit finalement prononcer cette phrase qui permettait de comprendre que Boréalion savait son réel statut. Alexandre se maudit intérieurement de ne pas avoir su trouver un meilleur mot pour remplacer maîtres. Il se devait de composer avec cette donne. Comme Coldris le ferait. Il répondit naturellement d'un léger sourire.
"Je suis le bibliothécaire de ce domaine. Je suis chargé par conséquent des inventaires de livres et des nouvelles acquisition. par conséquent, toute nouveauté passera entre mes mains."
La conversation se détendit un peu grâce à l'évocation de ses romans. Alexandre sourit et confirma d'un hochement de tête.
"En effet. J'ai été élevé dans une librairie. Par conséquent, j'ai connu votre plume dès la première publication. Quand j'avais alors treize ans. Vos romans s vendent merveilleusement. Nous les utilisons pour mettre en valeur d'autres ouvrages. EN disant ainsi aux clients : vous aimerez cela uassi, c'est dans un esprit un peu différent mais similaire."
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Oh, tant pis ! Le jeune homme n’avait qu’à avoir été honnête dès le départ, voilà tout ! D’ailleurs, Célénian se demandait bien pourquoi il avait fait tant d’histoires pour lui avouer qu’il s’occupait des bibliothèques. C’était même franchement plus valorisant que de laisser l’homme illustre qu’il recevait croire qu’il passait son temps à récurer les sols ou laver des assiettes. Être au contact de livres était tellement enrichissant - bien plus que les comptes que son père lui avait tant reproché de bouder quand il était jeune.
Mais ces cachotteries devaient couver quelque chose de plus intéressant qu’une simple fonction de bibliothécaire. Sinon, c’eut été une histoire bien fade. Il fut bien délicat pour l’auteur de ne pas se laisser trop happer par toutes les théories qui lui venaient, plus extravagantes les unes que les autres. Toutes avaient un point commun : une issue grandiose.
Evidemment que les aventures du chevalier Trestinian se vendaient excessivement bien : il s’agissait de la meilleure production écrite de leur siècle ! Mais cela aussi, il était bon de se l’entendre rappeler. Ce n’étaient pas Héloïse et ses “il te manque ce quelque chose qui fait les grands auteurs” - bien qu’elle ne l’ait plus formulé ainsi depuis des lustres - qui allaient lui remonter le moral.
Oh, il était évident que l’on se servait de son travail pour vendre d’autres ouvrages de moindre qualité. Il le savait depuis longtemps, et même si au début il avait trouvé cela dégradant, sa vision des choses avait été renversée depuis. Ce n’était qu’une preuve que ses livres étaient les meilleurs, et les lecteurs avisés ne feraient jamais d’amalgame. Toutes ces pâles copies ne faisaient que prouver encore et encore qu’il était indétrônable !
Pour le reste... tout cela, c’était l’esprit commercial. Boréalion était un artiste ; les finances, c’était trop terre à terre pour lui.
— Une librairie à Braktenn ? C’est curieux : j’en suis coutumier et je ne vous y ai jamais vu. Et l’on sait que j’oublie rarement un visage ! Laquelle était-ce ?
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Un sourire se dessina sur son visage à la question posée. Cette conversation allai lui remettre de porter quelques coups à son cher père adoptif. Certes, il se débrouillait très bien pour se ridiculiser mais la charité chrétienne ne réclamait pas que l'on aide les personnes dans les démarches ? Il se devait ainsi de l'encourager à poursuivre ses efforts. Alexandre avait appris que cet imbécile avait voulu une pierre lors du convoi qui transportait le guérisseur à la prévôté. Une pierre qui avait touché une esclave. Une esclave qui boitait, accompagnée d'un chat. Il n'avait pas eu besoin de plus d'information pour comprendre que ce détritus sur jambes avait atteint sa sœur. Il avait reçu en contrepartie un juste châtiment pour cette faute : une géante l'aurait assommé avant de prendre la fuite. Qu'elle soit bénie ! Cela ne changerait rien au fait que le libraire paierait. On ne touchait pas à sa famille. Que ce soit sa mère ou sa sœur. Pour son père, en revanche, qu'il assume ! Alexandre en avait assez fait pendant toutes ces années à nettoyer ses bêtises.
Il répondit dans un faible soupir, d'un ton posé :
"Le libraire Bellanger est un homme cruel et un tyrannique. Lorsqu'i vous invitait, il m'ordonnait de sortir. Pour le plaisir de m'empêcher de vous rencontrer. Quand je rentrais, il s'amusait à me conter les détails. Ou quand il apprenait une de vos séances ailleurs, bien sûr, il m'interdisait de sortir."
Tout ceci était la vérité. Alexandre se rappelait de sa frustration à ne jamais pouvoir connaître l'auteur alors que son père adoptif, au oins aussi friand que lui de ses romans, se pavanait aux côtés de Boréalion puis venait lui conter avec satisfaction ce qu'il avait manqué. Alexandre dissimula un sourire. Les mauvaises actions se payaient. Toujours.
"Vous avez dû penser que cet homme appréciait vos romans, n'est-ce pas ? Pour le commerce, voilà ce qu'il prétend. Mais, en réalité, dans l'arrière-boutique, si vous aviez toutes les horreurs que j'ai pu entendre à votre sujet ou de vos personnages ! Il affirmait que rien de ce que vous écrivez n'était crédible et que seul un simplet pouvait prendre du plaisir à lire un tel tissu d'âneries."
Alexandre baissa la tête pour reprendre son verre et but un gorgée de son verre de jus de .raisin
"Je vous prie de m'excuser, messire, de vous causer de la peine mais vous deviez à mon sens connaître l'hypocrisie de certains qui affirment en public peuvent faire preuve."
Il continuait à s'exprimer d'ne voix humble, laissant filtrer des intonations navrées, savourant intérieurement les coups portés à son père adoptif.
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Bellanger, donc. Son nom avait suffit à lui faire froncer le nez, et ensuite, il avait retrouvé le visage plutôt neutre que l’on devait arborer en société pour ne pas trahir l’agacement qu’il éprouvait à entendre parler de celui qui avait eu le culot de s’attribuer le mérite de son succès ! Or, il ne le devait qu’à son talent - et peut-être un peu au soutien financier de son père pour son premier roman, et à quelques autres personnes qui avaient aidé à le valoriser…
Restait qu’il ne devait sa réussite à personne : si ses romans se vendaient si bien, c’était pour l’évasion et la passion qu’il avait insufflé dans leurs pages. Une seule personne aurait pu partager son mérite, et c’était sa Delphina - mais contrairement à ce qu’affirmait Héloïse, il avait déjà tout ce qu’il fallait pour être un grand auteur tout seul.
Bellanger n’aimait pas ses livre ? Boréalion ne montra rien de son incrédulité, mais il avait beaucoup de mal à y croire. Des gens qui le flattaient, il y en avait pas mal. Des gens qui prétendaient adorer son travail juste pour l’attirer dans leur salon et se valoriser aussi - cela signifiait seulement que même ceux qui n’avaient pas de goûts savaient qu’il était doué et reconnaissaient sa valeur. Des hypocrites… Evidemment qu’il en avait vu défiler ! Mais il y avait un paramètre qui trompait rarement : la passion. Il était très délicat de simuler la passion qui vous faisait mémoriser tant de petits détails dans chaque ouvrage - et Dieu savait que les aventures du chevalier Trestinian foisonnaient de ces petits détails si vrais et si vivants qui rendaient son épopée accrocheuse ! Alors oui, Célénian eut aimé croire que cet escroc lui mentait, c’eut été plus simple de le mépriser… L’ennui était bien que quand il partageait ses retours de lecture, l’auteur sentait bien qu’il s’agissait d’un véritable fan. Un très fervent admirateur.
Un tissu d’âneries… Que ce soit vrai ou non, l’écrivain avait déjà entendu bien pire. Il se souvenait encore de la sortie de Trestinian et le chevalier noir, et de cet imbécile - Londare, Fernand de Londare - qui avait clamé haut et fort que ce livre était à peine bon à alimenter le feu. Entre l’offense magistrale portée à l’objet-livre, et les efforts surhumains que l’auteur avait déployés pour ne pas faire scandale, cet abruti était tout de même parvenu à faire doubler son lectorat - toute la bonne société Braktennoise étant trop curieuse de découvrir l’oeuvre qui remuait tant d’opinion dans les salons…
Et puis, en récompense de cette promotion gratuite, l’année suivante, l’imprudent avait perdu toute crédibilté… Et sa carrière s’était écrasée. Mais Boréalion n’y pouvait rien, lui, s’il y avait eu des lecteurs pour le reconnaître dans le personnage de Rill de Rillde. Il n’avait pas pensé que l’effet serait si marqué, à vrai dire… Mais Londare n’avait qu’à s’en prendre à lui-même : c’était lui qui avait essayé de détruire sa carrière en premier.
— Il y en a bien plus que vous ne le pensez, jeune homme, répondit Boréalion. Si je devais me soucier du véritable avis de chacun, je ne m’en sortirais plus.
S’ils voulaient avoir tort et avoir des goûts littéraires fades, c’était bien leur problème… Ils avaient tort et puis voilà. Na ! Leur avis n’avait pas d’importance tant qu’ils n’étaient pas trop nombreux à se tromper.
Célénian prit une gorgée dans son verre. Il le redressa, l’agita doucement pour contempler le liquide qui remuait tandis qu’il ajoutait innocemment :
— Votre père, par exemple, en est un sacré spécimen… Notez qu’après avoir multiplié les commentaires fades et infructueux, il a tout de même eu le toupet de se plaindre de mon manque de conversation.
Il releva les yeux, soucieux de ne pas manquer la réaction de son hôte de fortune.
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"Oui, bien sûr, depuis toutes ces années, vous devez avoir entendu bon nombres de parles mielleuses et un auteur aussi expert de vous ne peut que décoder les sous-entendus."
Il but quelques gorgées de son jus de pamplemousse, attendant une prochaine intervention, et faillit s'étouffer en entendant le mot choisi pour désigner ce bougre de libraire. Sa main serra le verre entre ses doigts et eut envie de l'éclater. Ses traits se crispaient. Son père... Non, ce vieil ours tyrannique n'était pas son père ! Jamais ! Il l'avait humilié toute son enfant. Il l'avait manipulé et usé de son infirmité du fait de le garder pour le rendre docile. Il avait détruit sa mère. Il le détestait comme jamais il n'avait détesté quelqu'un.
Après quelques instants, se forçant à retrouver son calme, Alexandre siffla d'une voix dangereuse :
"Ce déchet n'est pas mon père. Un père, il y en a un dont je veux revendiquer être le fils même si je n'ai pas souvent l'occasion d'être fier de l'être. Si vous souhaitez nommer l'homme qui m'a élevé, dites-le libraire Bellanger; Il n'est que cela."
Alexandre se canalisa et se força à oublier cette colère qui montait en lui. N'était-il pas en train d'oublier la leçon de Coldris ? Rester impassible en toutes circonstances. Néanmoins, en entendant le libraire associé au mot père, son sang avait jailli et s'était révolté. Il ne pouvait ignorer l'insulte.
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Ou bien, sans extrapoler la qualité de son ouvrage - c’était difficile d’être plus élogieux qu’en énonçant simplement la vérité, il fallait l’admettre - ils s’amusaient à mettre leurs compliments en forme. Et, en étant toujours aussi honnête, Célénian devait avouer qu’il adorait ça. Après tout, il était vraiment doué, pourquoi aurait-il refusé de l’entendre ?
— J’ai tendance à le sentir quand on pense pouvoir - que sais-je ? - me prendre pour un simple d’esprit, ajouta-t-il innocemment.
Après tout, prendre les gens pour des idiots, c’était son métier. A la différence que ses lecteurs, eux, en redemandaient toujours. Il fallait avouer que c’était sacrément jouissif de les balader à les en rendre fous, de temps à autre, pour pouvoir partager ensuite avec eux ce plaisir et toutes les autres émotions qu’il leur procurait.
Et quoi qu’un certain prêtre ait pu penser de sa conversation, quand il le voulait, il savait en jouer. Ce qu’il fit d’ailleurs en le mentionnant tout aussi innocemment.
Son commentaire eut le mérite de faire blanchir de rage son interlocuteur, et de lui faire crisper la poigne sur son verre. Pauvre verre… Au moins, ce n’était pas un livre qu’il malmenait ainsi.
Une vague de sincère compassion passa dans son regard lorsqu’il vit combien l’esclave exécrait l’homme qui l’avait élevé. Malgré les livres, à l’en croire, cela n’avait pas été une enfance agréable… La compassion fut bien vite remplacée par une intense réflexion sur la description de ces liens parentaux périlleux, et les mots que l’on pourrait poser sur les pensées d’un jeune homme à l’enfance difficile… A chaque cas rencontré se rajoutait une phrase ou deux. Chacun était une source d’inspiration lorsque l’on s’appliquait et qu’on observait.
— Je note, acquiesça nonchalamment l’auteur avant de répéter : Je disais donc que votre père était un sacré spécimen.
S’il n’était pas content, il n’avait qu’à comprendre sa phrase correctement !
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"Je pense que vos admirateurs ont aussi envie de vous faire plaisir et d'honorer la virtuosité de votre talent littéraire en formulant eux-mêmes de superbes compliments. Naturellement, avec votre propre talent, vous savez aisément trier le bon et l'ivraie."
La conversation se révélât polie er tranquille jusqu'au moment oser appeler le libraire son père. Après son emportement, Boréalion sembla rectifier, sans réellement rectifier. Qu'est-ce que la signifiait ? Alexandre eut un moment de doute, puis eut une intuition; Son père... Ses frasques. Ses carottières. Qu'avait-il encore fait ?
"Par pitié, ne me dites qu'il a agressé votre sœur !"
La phrase était sortie seule, son esprit encore hanté par la conversation surprise dans ce même salon. Avait-il pu s'en prendre à une autre femme ? Combien avaient-elles pu subir ses avances ? Il poussa un soupir. Il se rappela des rumeurs apprises au fameux procès de sorcellerie. L'imbécile de prêtre de Saint-Eustache avait pris la défense du guérisseur tout en se vengeant de l'inquisiteur en révélât leurs liens. Quel cr'étin ! Mais quel crétin ! Il s'enfonça dans le fauteuil et poussa un lourd soupir.
"Allons bons, racontez-moi toutes les bêtises qu'il aura faite et ont vous avez été. Je suis né balayeur pour pour réparer l'étendue de ses bêtises."
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Et pour jouer au plus malin, c’était aussi lui le plus fort ! Le jeune homme s’emportait pour rien, et - tout en intégrant sa requête, parce qu’il la comprenait - répéta sa phrase qui n’avait pas besoin d’être rectifiée. Il la répéta telle qu’elle, et tant pis si c’avait quelque chose d’un brin provocant.
Le rilch sembla tomber. Bien. En revanche, il ne s’était pas attendu à ce qu’il entendit ensuite. Pardon ?! Rompu à l’exercice, Boréalion parvint tant bien que mal à masquer son étonnement face à cette question pour le moins incongrue. Seul un froncement de sourcil un rien abusif trahit sa grande perplexité.
— Si l’on s’en était pris à l’une de mes soeur, pensez bien que ce ne serait pas à vous que je m’adresserais, rappela-t-il d’un ton peut-être un peu trop sec.
Héloïse et Aurore avaient beau être pénibles, il s’agissait tout de même de ses soeurs. Hors de question d’imaginer laisser qui que ce soit leur faire du mal… Il ne savait certes pas se battre, mais il aurait trouvé quelque chose.
Mais ce prêtre avec donc son bureau de doléances personnel. Intéressant. L’ennui était que se plaindre de tout et n’importe quoi faisait mauvais genre - Héloïse arrivait même à l’accuser d’être capricieux, nom mais ! - et que raconter à ce garçon ô combien son père était exaspérant ne lui semblait pas judicieux.
— Je n’ai rien de particulier à lui reprocher. Je comprends seulement qu’il puisse parfois être difficile d’en être fier. La discrétion ne semble pas être son point fort.
Mais être père, il fallait avouer que ce n’était franchement pas facile… Vraiment pas facile du tout. Comment était-on censé faire, au juste ? Et où était Madame ? Pas qu’il trouve rebutant de converser avec un esclave, mais tout de même ! Qu’était-ce pour des manière ?!
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"Je vous prie de m'excuser pour cette question trop franche et dérangeante, monsieur. Je n'ai appris que depuis peu ces dernières frasques et elles me répugnent. Je ne les digère toujours pas. Mais j'ai agi et placé auprès de lui une personne chargée de le surveiller et de l'empêcher de nuire. Je ne puis le laisser poursuivre à présent que je sais."
Ses pensées se dirigèrent vers Lucinde. Que faisait-elle en ce moment dans l'église ? avait-elle réellement pu lui ramasser les bouteilles accumulées un peu partout ? Il en doutait. Le rire de Coldris de la veille lui revenait et il ne le comprenait. Il affirmait qu'une femme ne saurait jamais dompter Thierry. Lui se montrait plus large : aucune personne, sauf des gens armés, ne le contiendrait. Son esprit joueur aimait trop s'amuser à tourner ceux qui essayaient en ridicule. Cette Lucinde, aussi vaillante et de bonne volonté soit-elle, aurait peut-être quitté le navire quand il reviendrait la visiter. Il le comprendrait. Qui accepterait de rester pour supporter pareil manège ?
Il se décida malgré tout à défendre comme cela pouvait être possible son père.
"Il peut avoir ses qualités. Avec les malades et les infirmes, il sait être doux et attentif. Je me souviens l'avoir souvent accompagné n tant qu'enfant au chevet de mourants et d'avoir été frappé de constater qu'il veillait à les rassurer et leur prodiguer du réconfort. Et il m'a toujours protégé. Dans tout ce qui a pu arriver. Quoi que il arriverait, il ferait n'importe quoi pour moi."
Instinctivement, Alexandre toucha le médaillon sous sa chemise. Le symbole de leur lien.
"Je sais qu'être père est difficile. Qu'il se révèle complexe de savoir comment éduquer son fils et de l'amener à devenir comme on voudrait que celui-ci soit. Mais être fils, ce n'est guère plus facile. On est lié à un être par une destinée implacable que rien ne saurait modifier. Il faut seulement l'accepter. Accepter que le père reçu ne correspond aux idées que l'on voudrait qu'il soit. Que notre morale soit différente de la sienne. Un fils s'affirme et s'accomplit quand il réalise qu'il peut être dissemblable à son père. Le fils a beau naître du père, il n'en est pas un individu semblable."
Alexandre baissa un instant le regard pour contempler sa coupe de jus de fruits. N'allait-il pas trop loin ? Pourtant, verbaliser ses mots et son rapport à la filiation lui apportait beaucoup de bien. Il se redressa et but une gorgée en toute tranquillité.
Re: [28 Décembre 1597] Une invitation pour le grand auteur
A noter que ce garçon avait la langue bien pendue, et qu’il était tout de même fort indiscret… Et qu’il en venait à défendre son cher géniteur. Boréalion se dit d’ailleurs qu’il n’exploitait peut-être pas assez les liens parents-enfant dans ses écrits. Un fils dévoué, malgré toutes les erreurs de son père, qui l’aurait toujours défendu. Un père qui restait aimant malgré tout… un…
Les liens du sang, c’était compliqué. On n’avait jamais ce qu’on voulait. Enfin, si, son père avait le fils qu’il avait toujours voulu, mais ce ne serait jamais lui. Au moins reconnaissait-il désormais que sa passion pour les mots avait son utilité. Quant à être père lui-même… C’était compliqué, oui. Qu’était-il censé faire de cette petite crevette, au juste ? Il voulait vraiment bien faire, mais… Sans Delphina ?
— Ce n’est pas à moi que vous l’apprendrez, laissa-t-il échapper. Et puisque c’était dit, il précisa : Mon père n’était pas un grand littéraire, il n’a jamais compris mon penchant pour les livres.
Il avait accepté de soutenir sa première publication uniquement pour lui montrer qu’il avait tort et qu’il ne servait à rien de s’obstiner. Qu’il était grand temps de s’ancrer dans la réalité bien concrète. Il avait beau affirmer désormais qu’il était fier de lui, Célénian n’arrivait pas à se détacher de l’idée qu’il n’y avait jamais cru.
Re: [28 Décembre 1597] Une invitation pour le grand auteur
Bérénice de Fromart-Aussevielle, 26 ans
Bérénice avait invité Boréalion pour faire plaisir à Alexandre. Pour sa part, si elle avait lu chacun de ses livres comme n’importe qui fréquentant des salons se devait de le faire, elle avait souvent roulé des yeux devant l’étalage de bons sentiments et le réalisme douteux de certaines scènes. Quant au personnage de l’écrivain en lui-même, elle se demandait comment il parvenait encore à marcher avec des chevilles plus grosses que des boulets de canons vénitiens. Mieux valait qu’il évite toute baignade impromptue au risque de couler comme une pierre vers les abysses. En même temps, avec toutes ces petites poupées hystériques qui couinaient comme des souris à la moindre évocation de son nom et lui lançaient tant de fleurs que les abeilles en venaient presque à protester, cela n’avait rien de bien étonnant.
Mais après tout peut-être qu’elle se trompait sur tout la ligne et que tant les années que les expériences l’avaient rendue aigrie. Peut-être que tout ceci n’était qu’une impression et que l’homme valait la peine d’être rencontré ? Elle s’efforça de chasser ses préjugés tandis qu’elle descendait l’escalier avec un beau retard qui avait sans doute dû permettre à Alexandre de profiter de l’auteur.
Arrivée à hauteur de la porte, elle s’arrêta quelques secondes pour écouter la conversation afin de faire son entrée au moment qu’elle jugea le plus opportun. D’un pas altier, elle entra de le salon.
— Aussi étrange que cela puisse paraître il semblerait que vous partagiez un point commun avec mon père, Maître Borealion. énonça-t-elle en s’inclinant dans une révérence de pétales indigo.
— Vous excuserez mon retard, mais des affaires familiales m’ont retenues quelques peu.
Elle adressa un petit sourire en coin à Alexandre assorti d’un regard espiègle.
— Alexandre est chargé de s’occuper d’étoffer notre bibliothèque, j’ai donc tout naturellement pensé que vous auriez de quoi échanger ensemble.
Pour le reste, elle attendait la réaction de son auditoire. Elle était curieuse de découvrir l’homme, plus que l’écrivain lui-même.
Coldris de Fromart- Ministre des Affaires étrangères - Ami du grand prêtre du Lupanar
- Fiche perso : ✶Fiche
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Liens et RPs : ✶ Rapport ministériel
✶ Généalogie & Relations
Bonus Dé : 5
Multi-comptes ? : Eldred Kjaersen / Kalisha de Monthoux / Bérénice d'Aussevielle
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Re: [28 Décembre 1597] Une invitation pour le grand auteur
Tôt ou tard, il devrait trouver le moyen de faire la paix avec ce père qui le dérangeait. Pour être en paix avec lui-même. Une église ou un château ne pouvait s'élever sur des fondations fragiles. Elles devaient être étayées avant de monter les murs. Les êtres humains fonctionnaient de la même manière : ils devaient accepter ce passé, soit leurs parents, qui expliquaient la raison de leur présence en ce monde pour se développer à leur tour. Autrement, on se détruisait comme le faisait son infortuné Alduis.
Un jour, il deviendrait un homme solide, fiable et responsable. Alexandre se le promettait.
Il allait s'apprêtait à répondre lorsque Bérénice entra dans la pièce pour intervenir à sa place. Le jeune homme se leva aussitôt pour la saluer le plus correctement qui soit.
"Madame !"
Il s'inclina de tout son respect devant elle et songea intérieurement que celle-ci se révélait incontestablement une jeune femme femme superbe. Sa beauté lui rassemblait celle de son frère. Ils étaient absolument magnifiques l'un et l'autre. Il se dégageait cependant de la cadette une véritable élégance et beaucoup de grâce, le tout accompagné d'une autorité naturelle et d'une grande aisance en société.
"J'espère m'être acquitté de mes devoirs auxquels vous m'avez destiné."
Il répondit timidement au sourire complice que Bérénice lui adressa, presque gêné. Elle était si gentil, si bonne, envers lui, et il se sentait en porte-à-faux. L'appréciait-elle réellement pour ses propres qualités ou uniquement car il rendait heureux son frère ? Un petit doute le titillait.
Re: [28 Décembre 1597] Une invitation pour le grand auteur
— Enchanté, Madame.
Son retard… Il n’y a pas si longtemps, il en eut été bien plus outré que cela. A croire que le deuil l’avait adouci… ou que la simple mention d’affaires familliales l’incita à repousser les doutes qui ne manquaient pas de se manifester… C’était bien commode, des affaires familliales, mais soit.
— Il n’y a pas de mal, assura-t-il. Son regard glissa vers Alexandre avant de revenir sur la noble, l’air de dire qu’il avait su patienter.
Observateur aguerri, il remarqua l’étrange connivence qu’il y avait entre l’esclave et sa maîtresse. Qu’était-ce que ces manigances.
— Ce fut… enrichissant, en effet. Surprenant également.
Puis, puisque sa première remarque l’avait intrigué, il demanda :
— A quel point commun faisiez-vous référence exactement ?
Et en quoi cela était-il si étrange ? D’autant que sans vouloir jouer sur les mots, il était fort rare de trouver deux individus sans le moindre point commun.
Re: [28 Décembre 1597] Une invitation pour le grand auteur
Bérénice de Fromart-Aussevielle, 26 ans
Le grand écrivain ne semblait pas se formaliser de son retard ou tout du moins la bienséance l’empêchait de le faire remarquer à son hôtesse. Qu’importe , Bérénice lui adressa un petit sourire en guise de remerciement et prit place autour de la table où elle attrapa au vol une petite confiserie.
—Je n’en ai aucun doute. Si notre grand écrivain n’a pas pris les jambes à son cou c’est que tu as été parfait ou alors qu’il avait terriblement envie de me rencontrer. le regard mutin, elle lui adressa un petit sourire charmeur avant de reporter son attention vers l’esclave Je prendrais du vin, Alexandre, s’il te plaît.
Elle croqua dans une petite pâte de fruit rosée et s’intéressa aussitôt à sa remarque.
— Surprenant ? Vraiment ? Dites-moi tout. A moins que vous ne comptiez me faire languir comme vous aimez à le faire par écrit ?
Son sourire laissa s’envoler un petit rire léger avant qu’elle ne commente sa remarque au sujet de son père.
— Peu le savent mais mon père a toujours été un amoureux des lettres depuis sa tendre enfance, alors même que son père ne jurait que par le fer -tradition familiale oblige-. Un jour, alors qu’il m’avait surprise en train de lire un livre « emprunté » cachée sous une table à la lueur d’une bougie, il m’a confié en avoir fait de même dans sa jeunesse pour échapper à mon grand-père courroucée qui jugeait cela comme une perte de temps inutile.
Elle se souvenait parfaitement de cette nuit d’automne où elle avait eu neuf ans. Dissimulée sous une large table, elle avait volé un recueil d'élégies romaines dont elle ne comprenait pas le sens de tous les poèmes. Elle était si absorbée par sa lecture qu’elle n’avait même pas entendu les pas s’approcher d’elle, ce n’est qu’en découvrant la tête de son père, penché sous la table qu’elle réalisa et sursauta à s’en cogner le crâne contre la poutre centrale. Maladroitement, elle avait tenté de dissimuler son méfait sous ses jupons, mais son père n’avait pas été dupe et s’était glissé à son tour sous la table. Elle se souvenait encore de la terreur qu’elle avait ressenti à l’idée de se faire gronder ! Étrangement, il avait simplement souri et lui avait raconté cette anecdote avant de lui faire la lecture. Un de leurs rares moments de complicité. Encore aujourd’hui, Bérénice souriait rien qu’à repenser à ce bon souvenir. Les fois suivantes, elle n’avait pas tenté le diable et s’était faite bien plus discrète.
Coldris de Fromart- Ministre des Affaires étrangères - Ami du grand prêtre du Lupanar
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Re: [28 Décembre 1597] Une invitation pour le grand auteur
"Je vous en remercie, madame, mais même si j'espère que ma conversation était intéressante, je privilégierais malgré tout la seconde hypothèse."
Il se leva pour prendre al bouteille de vin et en versa un verre à Bérénice, puis anticipa la demande en faisant de même pour Boréalion. Sur la table basse se trouvaient à présent deux verres de vin et un de jus de pamplemousse. L'auteur devait le juger comme un enfant. Tant pis ! Il préférait cela plutôt que de ressembler à son père.
Boréalion déclara que leur rencontre avait été surprenante et Bérénice insistait pour savoir de quoi il serait question. En se rasseyant, Alexandre dissimula un sourire. Elle savait certainement déjà tout ce qui s'était dit entre eux, dissimulée dans un couloir proche. Son amant lui avait confié que c'était un jeu que celle-ci affectionnait.
Bérénice leur raconta finalement une histoire touchante de son enfance, qui lui rappelait ces fois où lui aussi lisait sous une couverture pour retarder le moment du coucher, et Alexandre en sourit. Cela lui faisait drôle d'imaginer le sévère Coldris de Fromart en père magnanime face à sa petite fille.
"J'espère alors qu'Adéis ne tient pas de son arrière-grand-père !"
Alexandre rit au souvenir de l'aventure ce matin.
"Ce matin, ce petit diable est venu me voir pour me demander des livres. Il l'a fait d'une manière si polie, si adorable... Sauf qu'il s'en est servi pour réaliser un marchepied et pouvoir accéder à l'armoire où vous aviez rangé la boîte de confiseries. Nous ne l'avons pas retrouvé d'ailleurs. Je vous en présente mes excuses."
Pour le moment, seules les aventures de pirates plaisaient à ce mignon petit diablotin espiègle et les livres de chevalier finissaient souvent par l'ennuyer. Il préférait s'échapper et partir escalader un rayonnage ou monter sur une table et le menacer du supplice de la planche.
"Mais un peu plus tard, ce petit est revenu me voir et s'est excusé pour m'avoir menti, l'air tout désolé. il m'a même un câlin. Ah, comment résister à sa frimousse absolument si mignonne ?"
Alexandre ne le pouvait pas.
Cela lui était absolument impossible de ne pas fondre devant ce petit garçon.
Re: [28 Décembre 1597] Une invitation pour le grand auteur
Mais en l’occurence, on revenait sur la conversation d’Alexandre - Alexandre qui était tout de même un peu fort envahissant et bavard pour un esclave, tout à propos.
— Nous discutions démonstration publiques et paternité, résuma-t-il.
Il ne jugea pas nécessaire de s’appesantir davantage sur le manque de contenance du jeune infirme, ou sur les paroles exactes qu’ils avaient échangées : c’était qu’il s’interrogeait sur la première remarque de Madame, et qu’il ne se priva pas pour lui demander de développer.
Plus que la morale de l’histoire, ce fut l’ambiguïté de la notion d’emprunt qui le fit froncer les sourcils. Une dame pleine de mystères. Ou qui créait des mystères où il n’y en avait pas, peut-être. Un talent. Intrigant.
Avant qu’il n’ait pu commenter, ce fut Alexandre qui - décidément ! - monopolisa l’espace de parole avec une anecdote sur un certain Adéis. Manifestement un enfant. Célénian prit une gorgée du vin qu’on lui avait servi.
Re: [28 Décembre 1597] Une invitation pour le grand auteur
Bérénice remarqua immédiatement qu’il esquivait la question. Bien, elle y reviendrait donc un peu plus tard. Après avoir raconté cette anecdote sur son enfance par exemple. Elle nota son léger froncement de sourcils, signe qu’elle avait suscité de l’intérêt chez son invité. Elle esquissa un sourire, puis écouta les dernières frasques de son fils. Elle hésitait entre soupirer ou s’en amusait. Pour tout dire, c’était tout à fait le genre de choses qu’elle aurait pu faire plus jeune. Après tout, elle vidait bien les verres oubliés. Elle roula donc des yeux vers le plafond. Bien sûr qu’il était revenu s’excuser : pour mieux recommencer ensuite.
— C’est bien le problème, Alexandre. Et il le sait pertinemment. Je suis certaine qu’il avait une idée derrière la tête en venant vous voir !
Pauvre Boréalion qui n’était plus au centre de l’attention. C’était ça d’avoir l’habitude d’être plus courtisé que le Roi lui-même.
— Je suis désolée, ce n’était peut-être pas le meilleur sujet à aborder. Toutes mes condoléances pour votre épouse. Je sais qu’il est difficile d’élever son enfant seul qui plus est pour un homme. Vous avez beaucoup de mérite. Vous verrez lorsqu’il commencera à marcher puis à parler, vous trouverez cela bien plus intéressant et il aura beaucoup de chance de vous avoir pour conteur ! Je ne doute pas que vous aurez les meilleures histoires à lui raconter, rien que pour avoir le plaisir de voir briller ses petits yeux d’étoiles. Il sera votre meilleur public et votre préféré.
Une petite pause et elle ajouta avec une habile transition pour ne pas le laisser se morfondre:
En parlant de public, avez-vous prévu de dédicacer votre prochain roman ?
À son tour, elle but une petite gorgée, patientant dans l’attente de sa réponse puis ajouta à tout hasard.
— D’ailleurs si vous souhaitez entendre des récits de corsaires, vous devriez faire la connaissance de mon frère Sarkeris. Il vous fera sans doute le récit de quelques-unes de ses expéditions, quoique je n’en garantisse pas l’absence de fabulation. elle laissa échapper un petit rire cristallin c’est qu’il a le sens du spectacle, vous savez.
Re: [28 Décembre 1597] Une invitation pour le grand auteur
Préférant ne pas insister sur le sujet, Alexandre se pencha pour prendre une pâtisserie et écouta Bérénice changer avec soulagement de sujet pour revenir à leur invité. Elle évoquait la paternité nouvelle de Boréalion et se questionnait sur pourquoi être père d'un tout jeune enfant serait plus difficile qu'en être la mère. Lui rêvait tant, depuis plusieurs années, à fonder un jour une famille, d'avoir des enfants et de s'en occuper pour les découvrir quotidiennement grandir et entendre leurs opinions se former. Même un bébé, il trouvait cela charmant. Il se rappela du petit Ludovic qu'il avait tenu entre ses bras. Au début, cela lui avait certes fait peur, celle de causer sa chute, une frayeur naturelle pour tout adulte un tant soit peu responsable, puis il avait pris un tel plaisir à le sentir contre son torse, à lui faire des sourire, ou s'agiter. Pourquoi considérait-on que les hommes ne sauraient-ils pas prendre soin d'un enfant ou même d'un nourrisson ? Non, cela le dépassait.
Il n'ajouta rien à la conversation, jugeant plus poli de se taire. La paternité demeurait un sujet intime et chacun devait apprendre à composer avec elle. Son esprit ne put s'empêcher de faire un tour du côté de son père et le pousser se révéla comme à l'accoutumée complexe et douloureux. Il se promit de ne jamais lui ressembler. Lui, s'il avait un jour un enfant, il l'assumerait. Et il ne le laisserait pas grandir dans des conditions difficiles.
Alexandre releva finalement la tête à la proposition de Bérénice et battit même des mains.
"Quelle merveilleuse idée ! L'organiseriez-vous dans une librairie, comme vous en avez la coutume ?"
Il espéra que ce soit pas chez le libraire Bellanger. Tout mais pas dans chez un homme ignoble. Il ne méritait pas de recevoir un auteur aussi prestigieux que le grand Boréalion.
"Je vous recommanderai la librairie Gilbert. J'ai entendu dire qu'ils cherchaient un auteur à valoriser. N'ont-ils pas encore eu l'idée de vous contacter ?"
Bérénice reprit la parole au moment où Alexandre se versa un autre verre de jus de pamplemousse et évoqua les louanges de son frère Sarkeris et de la manière de raconter ses aventures. Le jeune homme en avait par ailleurs consigné quelques unes dans l'idée de réaliser un album pour Adéis. Il serait certainement ravi de redécouvrir les histoires de son oncle, agrémentées de belles illustrations. Quant à l'expression employé, le sens du spectacle, Alexandre retint un rire. Voilà là un superbe exemple d'euphémisme !
Re: [28 Décembre 1597] Une invitation pour le grand auteur
Le grand Boréalion avait beaucoup changé ces derniers temps. Qui aurait cru, trois mois plus tôt, qu’il puisse être mal à l’aise à l’idée que la conversation se porte sur lui ? Lui-même aurait ri qu’on puisse envisager une pareille absurdité, et pourtant… Il y avait bien un sujet qui le laissait fort embêté. Ou plutôt deux, à bien y penser.
D’un geste désinvolte, il balaya les excuses de la dame. Il n’y avait pas de mal. Il acquiesça humblement à ses marques de commisération, sans se convaincre d’avoir le moindre mérite. Enfin, si, celui d’être le plus grand auteur de Monbrina… Mais certes aucun en tant que père. Il ne comprenait toujours pas comment il était censé s’y prendre avec cette petite crevette qui avait attrapé la vilaine manie de pleurer dès qu’il la prenait dans ses bras. Héloïse et la nourrice parvenaient à le calmer, pas lui. Ou bien, c’était un coup de chance.
Un public… A vrai dire, il n’avait jamais vu Amaury de cette manière. C’était trop différent. Il n’avait pas envie de le réduire à cela - quand bien même il chérissait ses admirateurs. Il voulait être vrai, avec lui. Il ne voulait pas être écrivain, juste son père, comme Delphina l’aurait voulu… L’ennui étant qu’il ne savait même plus comment faire.
L’air pensif - dissimulant habilement la peine que montait -, il laissa sa charmante hôtesse embrayer sur un sujet plus simple.
— Je crains de ne pas pouvoir y échapper, avoua-t-il, une nuance plaisantine dans la voix.
Non, il ne pourrait sans doute pas se défiler. Tant mieux, d’ailleurs, car il prenait toujours part à avec plaisir à ces moments de partage. Toutefois, pour cela, il faudrait encore qu’il parvienne à terminer ce fameux livre.
L’enthousiasme d’Alexandre le fit sourire. C’était là tous l’avantage des individus qui avaient du mal à tenir tranquille : leurs émotions étaient communicatives. Cela lui fit penser à sa Senelianne. Il l’avait faite un peu trop exubérante pour certains, mais très utile pour faire ressentir tout le tragique de certaines scènes… C’était bien dommage d’avoir eu besoin de l’exiler. Elle lui manquait un peu. Quelque fois, sa plume le démangeait trop et il noircissait quelques pages sur ce qu’elle aurait pu devenir. Il en faisait de même pour la plupart de ses personnages adorés. Souvent, cela l’avait pris suite à une discussion avec Delphina, d’ailleurs. Enfin, soit.
L’esclave l’interrogeait sur cette fameuse séance de dédicaces. Sa suggestion le fit rire intérieurement. Un rire un peu jaune, d’ailleurs. D’abord parce que cela faisait bien longtemps qu’il connaissait les librairies de la capitale, ensuite parce qu’il était évident qu’il croûlait déjà sous les demandes, et surtout… Parce qu’honnêtement, lorsque que l’on demandait une séance de dédicaces au plus adulé des auteurs monbriniens, c’était surtout pour valoriser son commerce : lui, il était déjà plus que reconnu. Quant au choix et aux planifications… Il verrait cela en temps voulu. C’était trop concret et fade pour lui. Ajoutez à cela que certaines personne devaient être consultées, et qu’il serait fort étonnant qu’il ait assez d’une seule séance pour satisfaire tout le monde. Il aurait été dommage de se montrer trop sélectif ou trop expéditif. Ce n’était pas son genre. Peut-être portait-il un peu de cette exubérance dont il avait affublé Senelianne.
— Ils l’ont fait. Mais pour être tout à fait honnête, je ne me suis pas encore décidé. Comprenant la manoeuvre, il précisa, complice : Mais si cela peut vous rassurer, certaines propositions ont déjà été écartées.
Enfin, pas officiellement, bien sûr : il les laissait espérer encore un peu, comme toujours. Mais certaines choses ne passaient pas. Moins encore quand chez les individus que Delphina n’appréciait pas.
Madame d’Aussevielle reprit. Des histoires de corsaire ? Il n’avait pas d’attrait pour ces récits-là en particulier, mais il fallait dire qu’il était friand de bonnes histoires quelles qu’elles soient. Quant à la fabulation…
— L’histoire n’en est que meilleure : il suffit de ne pas y croire aveuglément.
A la façon dont elle évoqua le sens du spectacle de ce fameux frère, ce devait être un sacré numéro…
— Je peux l’imaginer, en tout cas. Il prit une gorgée de vin. Ainsi vous avez un frère corsaire ?
A moins qu'elle ne le mène en bateau... Enfin, soit, trêve de calembours douteux. L'écrivain était curieux.
Re: [28 Décembre 1597] Une invitation pour le grand auteur
Devant la mine pensive qu’elle devinait couvrir de lourds nuages grisonnants -car elle aussi en faisait souvent de même en public-, elle préféra changer de sujet afin de ne pas laisser le malaise s’installer. S’enquérir de la promotion de son prochain roman était une bonne façon de passer sur un terrain moins chaotique. Sa question suscita une vague d’enthousiasme et de spontanéité chez Alexandre qu’il était fort plaisant d’apercevoir. Elle-même fit écho à ses mains d’un sourire rayonnant et le laissa prendre l’initiative. Elle fut dans un premier temps étonnée de le voir recommander une autre librairie, mais après réflexion, de ce qu’elle savait, son père adoptif n’avait jamais été des plus aimants avec lui. Souhaitait-il ainsi se venger ? Elle conserva ses suppositions pour elle-même. L’heure arriverait bien où elle pourrait lever le voile sur tout cela. Elle haussa légèrement un sourcil. Avant d’étirer un sourire l’air de dire « Bien entendu, le plus grand auteur de Monbrina doit crouler sous les propositions après tout. »
Ce qu’il confirma aussitôt. Elle acquiesça d’un air entendu sans manquer le sous-entendu dans sa phrase. Donc c’était bien de cela qu’il s’agissait. Écarter la librairie Bellanger de la scène littéraire et culturelle.
— Je ne peux que louer la sagesse de votre décision. Un auteur tel que vois se doit de choisir au mieux ses partenaires. Un scandale est si vite arrivé de nos jours et certains sont réellement prêt à tout pour s’illustrer autrement que par leur talent.
Et parler de rencontres et de récit la ramena à son frère fraîchement découvert depuis tout juste quelques jours mais qu’elle adorait déjà comme si elle le connaissait depuis toujours.
— Oui ! Vous avez entièrement raison. Cela n’en est que plus savoureux. après une courte pause, elle reprit oui en effet c’est tout à fait cela. Enfin pour être parfaitement exacte il s’agit de mon demi-frère mais cela ne fait aucune différence pour ma part. Il a déjà fait le tour du monde plusieurs fois. Vous vous rendez compte ? demanda-t-elle les yeux brillants d’émerveillement et d’admiration.
Re: [28 Décembre 1597] Une invitation pour le grand auteur
"Votre mécène Florentyna de Monthoux n'en a t-elle pas quelques idées ? D'ailleurs, l'avez-vous revu depuis votre retour ? C'est une de mes proches amies mais il y a si longtemps que nous n'avons pu nous croiser."
Il regrettait de ne pouvoir revoir cette amie si chère, si précieuse, comme Kalisha. qu'en pourraient-ils se voir et échanger à nouveau dans un salon ? Alexandre avait tant à leur raconter et à leur montrer. Il avait bien entendu ces informations qui les liaient à ce procès sinistre. Par bonheur, elles n'avaient pas été inquiétées. Mais ces dernies jours, en apprenant les nouvelles au compte-goutte, il avait plusieurs fois tremblé de leur devenir.
"Le souffre semble heureusement éloigné à présent de leur maison."
Sur ce bref commentaire, Alexandre laissa Bérénice évoquer la personnalité tumultueuse et emportée de son frère. Elle en était fière, ravie de le mettre en valeur, et il la comprenait. La famille, c'était important, et les liens de sang, surtout fraternels, devaient être chéris. Quel dommage que Alduis semble ne pas vouloir le comprendre. Il comprenait son attachement à sa mère, le fait qu'un enfant qui ne soit que leur père puisse représenter une trahison, mais cet enfant n'y pouvait rien. Son amant se comportait tel le frère prodigue de la Bible, celui qui refusait de tuer le veau pour célébrer son cadet revenu de ses errances. Alexandre préférait cependant ne lui adresser aucune remarque et surtout pas ses comparaisons religieuses. Un Alduis de Fromart, cela ne se contrariait pas dans ses convictions les plus intimes.
Alexandre observait Bérénice et sourit d'apercevoir ses yeux à elle brillaient à évoquer ainsi ce frère retrouvé. Elle était si touchante et si adorable. On ne pouvait que comprendre pourquoi Alduis l'appréciait autant.
"Oui, ces voyages sont absolument merveilleux. Rien que de lire ou entendre ces récits, on est émoustillés de ces découvertes. Et quand on y pense, toutes ces tempêtes, les ardeurs de la mer... Les marins sont décidément d'incroyables héros !"
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