Event 2 ¤ Un bal masqué (9 septembre) [Terminé]

Irène hocha la tête dans la direction d'Hilde. Elle la vit se figer à l'appel de Blanche. Irène lui répondit, en s'avançant. Elle vint près d'eux, posant une main sur celle de Thierry.

- Je vous en prie, reprenez-vous. Certes, la situation paraît désespérée mais je sais que Dieu et la Vierge nous viendront en aide. Nous pouvons encore faire appel à des alliés, nous n'avons pas épuisé toutes nos chances. Alors s'il vous plaît, gardez la tête haute. Nous sortirons Alex et Tristan de cette situation.

Elle se tourna vers Blanche, d'une voix basse, car certains les observaient encore.

- C'est de votre neveu qu'il s'agit, le savez-vous ? Il a besoin d'aide et nous aussi le sortir du procès qui s'engagera demain. Nous appuierez vous ?

Elle entendit alors la nonne également proposer son aide. Peut-être n'avaient-ils pas perdu tous leurs alliés. Grâce vint alors aussi près du père Thierry. Elle avait les larmes aux yeux.

- S'il vous plaît... Mère a raison. On va pas laisser Alex tout seul, hein ? Il doit revenir à la maison...

Peu à peu, Thierry sortit des limbes vers lesquels son esprit commençait à se perdre. La chaleur de bras autour de son corps le réconfortait. L'étreinte était douce, apaisante et lui rappelait la sensation légère de son enfance. Il redressa piteusement la tête et croisa le regard confus de Hilde qui l'observait sans comprendre sa réaction. Comment le pourrait-elle ? Les rares fois où elle l'avait vu, il se faisait son coq impérieux, prenant plaisir à abuser de son autorité sur les plus faibles. Son cœur se serra. il payait aujourd'hui bien cher le prix de ses fanfaronnades. Alex... Son pauvre Alex... Pourquoi devait-il être puni pour ses fautes à lui ?

"Réjouissez-vous, ma Sœur, le Seigneur me fait rembourser au centuple toutes les dettes que j'ai pu contracter du fait de mon pathétique orgueil. Moquez-vous donc ! Faites donc ! Je ne suis mérite que cela. Je suis prêt à tout entendre sans me plaindre, sans me défendre. Dites, dites !"

Sa voix redevenait d'un cynisme glacial. des sanglots s'en échappaient en même temps. Il trahissait son désespoir et son injustice de la situation. Il baissa la tête et se montra à nouveau humble.

"Non, excusez-moi, je m'emporte encore. Je ne... Pardon, ma Sœur, je ne suis qu'un misérable pécheur qui n'apprend pas de ses erreurs. "

Il marqua une pause, adressant un regard triste à fendre l'âme à Hilde.

"Mon fils va être exécuté demain. Je croyais, j’espérais.. Je pensais trouver un moyen, des biaises.. Mais non, j'étais trop naïf. Je suis de la roture, après tout, je ne suis plus rien, une pauvre merde qui ne peut même pas protéger son enfant."

A cet instant, Irène posa la main sur la sienne. Il la contempla, confus, exposer son désir de sauver Alex et Tristan. Elle y croyait encore. Serait-elle encore plus naïve que lui ? Tout à l'heure, pourtant, elle doutait.

"Irène... Irène..."

Les mots se mélangeaient encore à l'intérieur de sa bouche. Il remarqua Grace s'avancer, larmoyante, s’inquiétant pour Alex, voulant le revoir à sa main. La détresse de l'enfant lui était insupportable. Que lui dire ? Comment lui expliquer ? Sa tête se tourna, comme dans une tentative de fuite pour ne plus la voir, et découvrit Blanche à ses côtés. Blanche qui gardait les bras autour de ses épaules. Blanche... Rebecca... Sa petite sœur lui revenait la nuit où son fils connaissait les pires ennuis qui soient. Serait-ce signe ? Et si ce serait là un message divin à son intention ? Au même moment, grâce et châtiment se mélangeaient. Le prêtre posa alors la main sur le crucifix qui pendait à son cou, fit un signe de croix et commença à prier. Seul le Ciel pouvait l'entendre et lui répondre.

Blanche releva la tête et sourit à cette mère de famille et la religieuse qui venait la soutenir dans son devoir sororal. Le bras toujours autour des épaules de son frère, elle écouta la Sœur qui semblait perdue. Sans doute, n'avait-elle jamais eu l'occasion de croiser beaucoup de prêtres craquant en pleine place publique. Elle-même avait du mal à y croire. Thierry et elle avaient été dans l'optique de toujours avoir pour politique de contrôler son image, ne jamais rien dévoiler de ses sentiments... Pour quelle raison avait-il oublié ces leçons ? Il avait pourtant suffisamment reçu de coups de férule pour que celles-ci ne sortent plus de son crâne.

Soudain, Irène lui offrit les clés de la compréhension : elle évoqua son neveu. Sa tête se tourna vers Thierry. Au matin, il parlait effectivement d'un fils auquel il aurait remis le médaillon qu'elle lui avait échangé contre sa chevalière. Un fils.. Le dernier descendant des d'Anjou. Leur lignée pourrait continuer à se perpétuer. Sa résolution s'imprima en elle. Il fallait effectivement protéger ce précieux sang et l'empêchait de répandre demain.

"Je vois. Je ne suis pas bien au fait de ces histoires. mon frère et moi... Thierry a été emmené il y a longtemps, quand j'avais treize ans et lui quinze, par notre père pour un voyage dont ils ne sont jamais revenus. Notre père... Il a été assassiné par des brigands et mon frère... Mon frère, nous n'avions point eu de nouvelles. Il avait disparu. J'ignore où il a pu aller toutes ces années. Nous nous sommes retrouvés au matin seulement."

Son frère revint brusquement à lui, se montrer agressif envers la religieuse puis à nouveau gémissant. Elle ne le comprenait pas. pourquoi s'affectait autant pour son fils ? C'était certes un enjeu important, vital même, mais se perdre dans les émotions, voilà qui desservait sa cause. Il parla à présent avec la commerçante puis sa fille.. Il se mit soudain à prier.

Intriguée, elle s'adressa à Irène.

"Je n'arrive plus à le comprendre. Mon frère.. Mon frère n'a jamais été porté sur la question religieuse contrairement à moi qui été depuis toujours une fervente chrétienne. Thierry, lui, il faisait ses prières par peur de notre mère. Mais souvent il me disait ne pas y croire, trouver ces histoires niaises... Comment a t-il pu trouver la foi au point de se faire prêtre ? Je ne le comprends pas..."

Hilde s'offusqua de la réaction amère de Thierry. Elle avait pourtant offert sincèrement son aide. Il se ravisa mais Hilde demeura froide.
— Vous pensez que je me moque? J'en suis désolée. J'offre mon aide et celle de toute ma communauté. Vous pouvez refuser, vous savez, sans me heurter.
Ce n'est qu'en attendant le nom de Tristan que celle-ci s'émut.
— Le jeune infirme? Que lui arrive-t-il? (en entendant Irène) J'vous en prie, la sainte vier… Hilde roula des yeux. Je veux dire, il ne faut pas rester passif.
Dans la discussion en cours, Hilde entendait les résumés infinis et histoires de famille de Blanche et elle s'en énerva.
— Pas maintenant. Qu'arrive-t-il à Tristan? Risque-t-il aussi l'exécution? De quoi sont-ils accusés? Est-ce en lien à l'arrestation de Lénius?
Sa voix devint faible en mentionnant l'affreux infirme.

Irène caressa doucement le bras de sa fille. Grâce vit alors le prêtre prier et fit de même en joignant ses petites mains. Dans le même temps, elle écouta l'explication de Blanche. Décidément, elle paraissait être la seule âme dans ce royaume à avoir eu une enfance heureuse.

- Je comprends. Je suis navrée de ce qu'il vous est arrivé.

Lorsqu'elle lui demandé pourquoi il pouvait bien prier, elle eut un léger sourire.

- Je ne saurais vous dire... je le connais seulement depuis ce matin. Mais je crois en un Vierge Sainte et un Dieu. Peut-être ont-ils décidé de choisir votre frère pour Leurs desseins. Je suis certainement mal placée pour juger.

Elle entendit également Hilde. Elle se leva cette fois, sans aucune méchanceté dans le regard, mais avec fermeté.

- Les pieux ne sont pas passifs ma soeur, loin de là. C'est une idée bien démodée que de croire ce qui prie inactifs. La prière ne fait pas tout, je ne l'ignore pas.

Elle détestait cette idée. Que l'on pense qu'ils se réfugiaient dans la prière, sans rien faire. C'était tellement faux d'après tout ce qu'elle avait vu. Le père Jacques, malgré de nombreux jours de prières ou de jeûne ne restait jamais en place. Il y avait toujours quelque chose à faire, quelqu'un à aider. Elle tâchait toujours de faire de même et se réjouissait quand Grâce suivait également cet exemple. Elle reprit ensuite sa première question.

- Tristan et Alexandre sont accusés, à tort bien entendu, d'être complices de l’incendie du presbytère. Ils servent de victimes expiatoires, car quelqu'un d'autre, une femme si j'ai bien compris, est protégée. Je me doute de ce qu'il risque. Quant à ce Lénius, je l'ignore. Il aurait pourtant certainement pu nous aider. Mais vous, vous le pouvez peut-être aussi.

Alors que Thierry tentait vainement de prier, la réponse cinglante de Hilde l'atteignit avec al violence d'une gifle. Il baissa le regard, penaud.

"Pardon, ma Sœur. Je... Je ne sais point demander d'aide. On ne m'a pas appris à être... nécessiteux. J'ai seulement appris à me défendre, me protéger. mais ce n'est pas une excuse. Ce ne sont que mes pathétiques faiblesses."

Il la vit s'intéresser  au sort de Tristan et se décida à lui exposer la situation. Que pourrait-elle ? Sans doute rien. La roture était impuissante. la phrase de Dyonis tournait en boucle dans son esprit et le giflait mentalement. Néanmoins, si elle avait une idée, même infime, savait-on jamais ? Irène se chargeait déjà d'un résumé mais il se décida à donner à présent tous les détails de l'affaire. A quoi bon les dissimuler maintenant ? par ailleurs, en ce moment, il se trouvait.... entre amis.

'"Tristan a eu... une mauvaise chance. J'ai eu un enfant il y a vingt ans de cela, d'une liaison avec une femme que j'ai cependant rejeté ensuite, par peur du scandale, de ce qui allait m’arriver, la crainte de retourner dans ce que je considérais comme l'Enfer sur terre. Je l'ai chassé mais j'ai fini par m'attacher à cet enfant, à l'aimer et à vouloir le protéger. Malheureusement, ces derniers temps, il a été corrompu par une jeune et mystérieuse intrigante qui l'a conduit à voler dans la réserve de la bibliothèque. Oui, c'est Alexandre Bellanger, le garçon qui a été condamné quelques jours plus tôt au pilori."

Thierry marqua une pause, le visage épuisé, puis poursuivit :

"Parallèlement, il y a eu cet incendie, déclenchée par cette femme qui a manipulé mon fils. Tristan la connait aussi. il l'a rencontré avec Alex. Lors de l'enquête, le seigneur de Frenn  a remarqué un trouble de Tristan et a voulu l'emmener en forêt chercher une trace de l’incendiaire. Je ne sais quoi ensuite. Ils auraient ramené une religieuse mais qui était bel et bien l’incendiaire. Alex l'a identifié. Pendant ce temps, Alex a voulu aller au château du seigneur pour savoir si Tristan allait bien et j'ai réussi à négocier une visite officielle mais lui s'est affranchi de toute prudence et a voulu le château mais s'est prendre. Là, le seigneur de Frenn a révélé sa duplicité : il s'est allié à l'incendiaire. Malgré mes tentatives, il retient Alex et Tristan pour les exposer demain en un procès pour les faire disparaître. Afin qu'ils ne cherchent pas à avoir les moyens plus tard de dévoiler la vérité ni à se venger. Voilà la triste affaire."

Sa voix se brisa à cette conclusion terrible. Tout cela était ridicule.

"C'est n'importe quoi ! Si je lisais un roman avec de telles âneries si peu vraisemblables, il finira au feu !"

Hilde s'abstint de démontrer l'antipathie que lui inspirait Thierry. Il venait la chercher à des profondeurs qu'elle croyait réglées. La volonté parentale ne cherchait pas toujours le véritable bien-être de l'enfant. Ses jambes fouettées par les sous-bois s'en rappellaient. Et dieu qu'elle avait marché… Thierry pouvait vouloir sauver son fils de la pendaison, mais après? Que voudrait-il de lui?

Lorsqu'Irène souligna la différence entre piété et paresse, Hilde ferma les yeux. Elle inspira.

— Oui, bien sûr que vous avez raison. Je ne voulais pas prétendre l'inverse. L'heure n'est pas à la prière, c'est tout. Je connais les bienfaits de la méditation, pensez-vous.

Elle lui sourit. Puis son air se concentra à écouter l'expéditif de l'histoire. Thierry ajouta des détails. C'est alors qu'elle écarquilla les pupilles. Ses souvenirs voletaient. Lucrezia à la communauté, Tristan et le noble, le livre déchiré… Le livre à cacher. Hilde mordilla ses lèvres à les faire blanchir.

— Qu'a-t-il volé dans la réserve? est tout ce qu'elle dit.

Malgré le visage avenant que la religieuse s'efforçait d’adopter, Thierry sentait la rancune que celle-ci conservait à son égard. Il ne lui en voulait pas. Elle avait été témoin de ses pires excès et comprenait parfaitement qu'elle ne lui pardonnerait jamais. Cela lui paraissait même naturel et sain. Il fallait être saint ou crédules pour accepter réellement pardonner à un offenseur.

Il constata que la nonne réfléchissait aux détails de son histoire et s'intéressait en particulier au livre dérobé. Il tressaillit. Savait-elle quelque chose à ce sujet ?

"Le livre dérobé... Alex n'a pas eu l'occasion de voler. Il cherchait Alfrédic le Trismégiste, c'est Alex qui me l'a appris, à moi seul, après ses misères. Il a cependant découvert dans la réserve que je l'avais justement emprunté. Il s'est fait arrêter en sortant bredouille et cette femme est ensuite allée chercher chez moi l'ouvrage. Elle s'est ensuite réfugiée avec dans la forêt, après avoir mis le feu au presbytère, jusqu'à ce que le noble la découvre grâce à Tristan apparemment. Enfin, je ne sais trop cette partie..."

Mmh, Allison n'avait pas escompté créer un quelconque agacement chez son interlocutrice. La réaction de Blanche la surprit, et elle resta interdite un moment... un peu trop longtemps car les événements se précipitèrent et Blanche ne se préoccupa rapidement plus d'elle.

Un peu perdue et ayant du mal à tout suivre [IG et IRL XD] Allison préféra reculer un peu et observer de loin. Elle retrouverait une occasion. Pour l'instant, il valait sans doute mieux récolter des informations et ne pas attirer l'attention. Il semblait se passer des péripéties tout à fait passionnantes entre les différents protagonistes au centre du Bal...

Oreilles grandes ouvertes et yeux extrêmement attentifs, Allison regarda, écouta, enregistra... Il y aurait sans doute moyen ultérieurement d'utiliser les informations qu'elle glanait à présent...

Spoiler:

Cassandre observait la situation avec un léger sentiment de malaise. Que devait-elle faire ? Elle n'avait reçu aucun ordre. Devait-elle réellement rester là sans rejoindre Blanche ou attendre ? Le doute la troublait. Elle se décida à faire ce qu'on lui avait appris : servir. La fillette s'avança vers le buffet tout proche et réunit sur une assiette des gâteaux et autres petits-four pour les apporter à Allison. Avec humilité, elle les tendit à la femme, baissant la tête et le regard.

"En attendant maîtresse Blanche, vous prendriez bien quelque chose ?"

Comme il a perdu sa complice de vue, Dyonis se dit qu'il est préférable de faire diversion et de profiter de la soirée. Après avoir passé un moment à discuter avec des nobles, il jette un coup d’œil sur tous les humbles citadins en contrebas. Son œil est attiré par une femme à la très belle robe noire (Allison, mais il ne la reconnaît pas). Elle est élégante, dans ce costume si original ! Le baron choisit d'aller faire quelques pas au milieu de la foule, dans l'espoir peut-être de connaître cette personne qui a presque des allures aristocrates. Et puis ainsi, il se changera les idées du procès du lendemain, et de ce que va faire sa complice pendant ce temps et dont il n'a aucune idée.

Le frisson dans toute sa colonne était probablement visible. Hilde additionna les événements. Elle n'avait su déchiffrer le livre mais il s'agissait bien du même ouvrage. Celui dont la simple clef de bois — clef trompeuse tant qu'à la complexité de la serrure — pendait à son cou, sous son habit. La cordelette rêche était tout aussi bien cachée que ses cheveux. Hilde blêmit puis baissa le regard.

— Non, je… fuit-elle en paroles confuses, pauvre Tristan. Je ne connais pas Alexandre. Je vous souhaite les meilleures chances. Je préfère… vous avez…?

Elle semblait vouloir s'en aller, mais restait là. Ne sachant trop quoi dire, Hilde se tut. Ses yeux ne regardaient personne sauf le sol, comme si, enfantin désir, ne plus les voir la rendait invisible.
Le dilemme était fort. Comment méditer ici maintenant, sous l'urgence et le regard des autres. Oh elle savait ce qu'elle devait faire. Pourtant, une crainte reliée à ce livre maudit — œuvre que secrètement elle voudrait pouvoir lire — comme s'il dévoilait aux yeux de ce prêtre contradictoire, ses pensées "hérétiques". Lui dévoiler la possession et les circonstances ne suffisait pas pour Hilde. Depuis quand, dans ce pays, écoutait-on les petits et la défense qu'il voulait présenter. En se protégeant avec cet argument, Hilde prenait conscience qu'elle sacrifiait Tristan et cet Alexandre par la même arme qu'elle craignait.
Il ne sufisait plus de grand chose pour lui rendre le courage d'agir sur la bonne voie. La voie difficile.

Grâce à l'intervention de sa sœur et de son amie Irène, Thierry avait su reprendre un visage moins abattu. La discussion avec Hilde lui rendait à présent le sérieux. Il la contemplait analyser la situation. A quoi pensait-elle ? Il lui avait semblé que celle-ci avait eu un intérêt à l’évocation du grimoire. Or, sa communauté, s'il se se rappelait se trouvait dans la forêt où Dyonis aurait débusqué l’incendiaire pour la ramener au sein de son château. Et si... Et si Hilde l'avait recueillie ? Et si elle avait vu le grimoire ? Son témoignage pourrait être crucial.

Le silence l'agaçait. Il la fixa, perdue dans ses pensées. Thierry bouillonnait et mourrait d'envie de lui attraper le bras pour la secouer et lui faire cracher ce qu'elle pourrait savoir. Il se retint cependant. Les accusations que le soldait avait tout à l'heure laissé échapper à son sujet le refroidissait. il devait paraître calme. Ne pas céder à l'emportement. Se dominer. Serrant les poings, il arbora un visage avenant de pure façade.

"J'imagine, ma Sœur, que toutes ces affaires sinistres ne vous intéressent pas. Au contraire, elles doivent vous ennuyer et vous étouffer, vous qui avait choisi de vous couper du monde pour vous consacrer à la prière et la méditation. Votre seule envie, en cet instant, doit être de retourner à la tranquillité de votre forêt, n'est-ce pas ?"

Le prêtre songea que ses pions avançaient lentement mais sûrement. Il allait endormir sa méfiance et l'obliger à se confier. Il venait d'aborder la forêt. il pouvait sans doute aborder le sujet important.

"'Attendez ! Votre.... Votre forêt ! Seigneur !"

Simulant la sidération, il fit un signe de croix rapide.

"Le Seigneur de Frenn.... Le Seigneur de Frenn a trouvé l'incendiaire dans la forêt. Et si... Après l'incendie, la logique voudrait que cette femme ait cherché à fuir la ville. La forêt serait à coup sûr un bon refuge, oui, et elle aurait pu venir vous demander assistance en inventant une raison à sa présence. N'avez-vous reçu aucune femme la nuit du 5 au 6 ?"

La graine était plantée. Il restait à déterminer si elle germerait ou non.

Toujours inconnue au milieu de la foule, Allison essayait de comprendre ce qui se passait autour d'elle et de déterminer ce qu'il lui serait utile à connaître. Une petite fille, qui accompagnait Blanche, resta près d'elle et lui offrit des pâtisseries... Allie en prit une et adressa à la gamine un sourire mystérieux.

- Merci, lui dit-elle simplement. Dis à ta maîtresse que je reviendrai quand elle aurait un peu plus de temps...

Tournant la tête avec un petit rire, Allison capta le regard curieux du noble au crochet. Quel était son nom déjà... ? Elle se souvenait qu'il était un seigneur, un noble... Elle lui adressa un sourire charmeur avant de faussement se détourner. Libre à lui de venir l'aborder s'il le souhaitait... Ceci dit, il y avait de fortes chances pour qu'Allison finisse par aller lui parler d'elle-même s'il ne s'approchait pas !

La femme à la robe noire lui adresse un sourire éloquent. Il choisit de s'avancer vers elle, d'autant qu'en s'approchant sa silhouette lui semble un peu familière dessous le masque et l'ample costume. Il ôte son chapeau devant elle dans un salut élégant et, souriant, engage :

"Madame." (un temps) "Vous êtes à n'en pas douter l'une des personnes les plus bellement apprêtées de cette soirée."

Il est sincère : le costume est original et impressionnant. Dyonis se demande s'il est de sa propre main, ou acheté à un prix fort auprès d'un excellent tailleur. D'autant que cette femme n'appartient pas aux Grands de Monbrina, il la connaîtrait autrement. Ses yeux cherchent les siens.

"Nous serions-nous déjà croisés ? Ce costume fait fort bien son office mais vous ne m'êtes pas inconnue je crois."

L'homme appréciera une conversation avec elle. Déjà, il cherche à ne plus penser à la disparition de sa complice il ne savait où, à l'incertitude quant à la réussite de ses plans, ni au fâcheux procès du lendemain.

Un mauvais sentiment émanait de Thierry, Hilde ne pouvait le nier. Jamais elle n'oserait être sincère avec lui, pas comme avec Lénius par exemple.
— S'isoler du monde ne veut jamais dire s'isoler des gens. Je suis navrée, reprit-elle avec émoi, je ne peux rien faire pour ces garçons.
Elle disparut avec son panier à aumones, passa près d'un homme à crochets aux poings.

Quand Allison se présente, le regard de Dyonis scrute un peu plus son regard et sa silhouette derrière les costumes, et enfin il la remet.

"Ah ! J'y suis ! Vous êtes celle qui m'avez si cavalièrement conseillé une laisse pour tenir mon domestique quelque peu dissipé, l'autre jour après la messe." (Lui aussi a alors un petit pli ironique au coin des lèvres, au souvenir de l'intervention audacieuse de cette dame.) "Je suis le baron de Frenn. Et vous... vous êtes madame Aetheling, si ma mémoire n'est pas encore trop mauvaise."

Il se souvient alors de l’altercation entre le prêtre, elle et les jumelles siamoises. Il jugerait cependant peu agréable de revenir sur l'incident et sourit simplement au compliment qu'il lui fait. Très vite heureusement, elle l'entretient des personnes présentes et de la fête plutôt que de vêtements, ce qui lui va très bien.

"Eh bien il est agréablement étonnant de voir le monarque donner pareille soirée pour tous les sujets, sans distinction de classe. Peu de monarques le feraient alors que le calcul et fort avisé : la bonne vieille formule du pain et des jeux, ainsi qu'un lieu de représentation où pour une soirée l'on peut être quelqu'un d'autre par le déguisement. Êtes-vous coutumière de ce genre de réceptions ? Quels sont les us et les coutumes de là d'où vous venez ?"

Allison laissa entendre une nouvelle fois son petit rire charmeur tandis que Dyonis rappelait leur échange précédent.

- Vous avez bonne mémoire, lui dit-elle avec une expression malicieuse.

Elle passa une main sur sa robe en écoutant son opinion sur le bal. Ce bel homme se montrait fort intéressant.

- Panem et circensem, murmura-t-elle lorsqu'il évoqua la tradition romaine.

Son regard se fit lointain, un instant, mais elle reprit rapidement ses manières.  

- Nous avons aussi nos bals, bien sûr; quel royaume serait si indigne qu'il n'offrirait pas, ainsi, la possibilité à ses sujets de s'amuser en oubliant les problèmes que son gouvernement cause, n'est-ce pas !

Elle jouait à provoquer, mais la lueur dans ses yeux trahissait sa conviction.

- Quant à ouvrir les festivités à toutes les classes de la société, vous l'avez dit, voilà un calcul bien avisé, un coup d'échec habile, pour gagner en popularité, et calmer les ardeurs des petites gens. Le roi de Montbrina, qu'il s'agisse de sa véritable personne ou de ses conseillers, est loin d'être un idiot...

Allison attrapa un verre et but en riant un peu, sans doute pour masquer ses propres ardeurs et se ressaisir.

- Monsieur, j'ai été ravie de vous revoir... adressa-t-elle au Seigneur de Frenn en accompagnant sa révérence particulière. Mais je crains que les boissons de la fête ne me fassent tourner la tête ; il serait dommage que je m'attire des ennuis, ne trouvez-vous pas ? Je vais ainsi me retirer. Nous nous reverrons bientôt, sans nul doute...

Un clin d'œil et un sourire plus tard, et elle tentait de s'éclipser dans la foule.

Il se passait en ce moment des choses bien curieuses à Bracken. Ses oreilles sifflaient de toutes parts, et si ses espions s'agitaient autant... l'affaire était sérieuse. Des rumeurs, des complots, il en avait son lot, mais il flottait dans l'air un parfum d'occulte qui lui faisait hérisser ses poils. Lui qui avait vu le pouvoir des ombres se manifester sur son frère avait toutes les raisons de s'informer sur ces nouvelles manifestations saugrenues.

Le bal était le meilleur endroit pour cela. Brassage de classes, alcool à flots ; ceux qui étaient au fait parleraient bientôt. Des masques pour l'usage, mais un masque de quidam n'est pas un masque de noble, et les démarches trahissent les gens avant même qu'ils n'ouvrent la bouche. Cela s'appliquait pour tout le monde.

Se trahir, justement, il ne devait pas. Certes, les gens sauraient bien vite qu'il était ici ; il avait sorti certaines de ses plus rares étoffes, mais l'opération devait lui être rentable : il voulait en apprendre plus sur la situation en ville que les gens ne devaient en déchiffrer de lui. Dans les flux et les reflux perpétuels du pouvoir, les Wollenbach s'étaient jusqu'alors faits une place de choix. A présent il était de son devoir de faire en sorte que cela demeure. Cela ne commençait pas de la meilleure manière : il avait du retard, avait passé une partie de son temps à rattraper ce qu'il avait manqué en laissant flâner ses oreilles à droite et à gauche. S'il avait reconstitué une bonne partie du tableau, il restait sur sa faim. Peut-être avait-il encore un rôle à jouer.

Les yeux posés sur la silhouette de son frère, Blanche sourit, heureuse de le voir se reprendre. Il parlait avec cette religieuse, réfléchissait, étudiait... Voilà une bonne attitude ! Thierry avait beau être mignon autrefois à être si sensible, cela ne devait plus exister aujourd'hui. Désormais, ils étaient adultes, avec tout ce que cela impliquait. Ses oreilles écoutaient attentivement les informations apprises grâce à Irène mais sans lui accorder de remerciement, ni vocal ni par geste.

Devant l'occupation de Thierry en pleine négociation, Blanche comprenait qu'elle ne comptait plus. Il n'avait heureusement plus besoin de son soutien. Il devenait important de retrouver Cassandre et de retourner au travail. Cette soirée était vitale pour faire connaitre le Lupanar et générer des ressources. Sans un mot, elle s'éloigna et s'aventura au milieu de la foule qui s'amusait fort. Les communs montraient des danses vulgaires, sans éducation. Elle continua à se frayer un chemin puis s'immobilisa en apercevant un homme , le sieur de Wollenbach, perdu apparemment dans ses pensées. il paraissait étudier l'événement. S'ennuyait-il ? Si cela était le cas, elle lui apporterait du divertissement.

S'avançant vers l'homme, elle le héla poliment :

"Bonjour, messire ! Vous semblez bien seul en ces lieux festives. Des préoccupations ?"

Elle porta le regard vers ses mains puis simula l'étonnement.

"Et vous ne buvez même pas ? Allons, allons, mettez-vous donc un peu dans l'ambiance ! Il faut savoir jouir des plus beaux fruits de la vie ! Cassandre ! Cassandre ! Deux coupes, s'il te plait !"

Dès qu'elle avait aperçu sa maîtresse bouger, la fillette s'était empressée de quitter son poste d'observation pour la suivre à distance. Ainsi quand l'ordre lui donné, tout en tirant le mouton derrière elle, Cassandre courut à un tonneau remplir deux grandes coupes de vin. Elle les apporta d'un pas moins pressé, craignant de renverser, pour tendre une à Blanche qui la saisit avec un mélange de grâce et d'assurance. Elle se tourna ensuite vers l'homme et proposa la seconde, le regard baissé, évitant de croiser le sien comme on le lui avait appris.

Il laisse claquer son rire à la pointe d'Allison contre les gouvernements et les politiciens.

"Sans doute ! Nul gouvernement n'est exempt de mauvais dirigeants et conseillers plus mauvais encore parfois. Les fêtes ont cette autre fonction, vous avez tout à fait raison : permettre aux gens d'oublier. Oublier... pour mieux laisser ceux qui abusent d'eux recommencer."

Il manifeste une vive approbation quant à la gouvernance du roi de Monbrina. Pont important en public si d'ici peu de temps, grâce à sa complice, il entre dans ses petits papiers et comme bras droit. Mais déjà Allison prend ses dispositions pour s'en retourner (elle semble quelque peu fatiguée).

"Bon retour, dans ce cas, Madame. Ce sera pour moi aussi un plaisir que de vous recroiser."

Cette femme lui paraît tout de même bien mystérieuse, à s'éclipser aussi vite à peine apparue et après avoir éveillé habilement les intérêts à son sujet. En la voyant se retirer, son regard tombe sur un autre seigneur qu'il ne manque pas de saluer avec déférence. Le seigneur en question a l'air pensif et concentré. Il lui semble le reconnaître comme fils d'une des puissantes familles du pays et récemment revenu dans le monde. Le sieur se fait d'ailleurs aborder par la prostituée de plus tôt, rencontrée devant l'église. Elle demande à son esclave de servir du vin. Dyonis reste pour l'instant à observer le trio d'un œil.

Voilà qu'il se faisait aborder par une femme. Pas la plus laide qu'il ait croisé, tant s'en fallait. S'il ne devinait pas le visage, voilé par un fin tissu, le reste du corps parlait pour elle. Habillée en bergère (ou plutôt, déguisée), elle jouait de ses membres avec une légèreté qu'elle feignait avec talent. Ce n'était pas, pour sûr, une roturière ordinaire.

- Bonsoir, bonsoir. Des préoccupations, oui, mais qui n'en a pas ! Les pensées sont les poutres d'un esprit ; faites le vide et bientôt tout s'effondre.

Il prit la coupe de vin avec un grand sourire, mais se retint de la boire. Simple précaution tenant davantage de l'excès de zèle que de la crainte réelle. Il avait souvent ouï dire que le poison était une arme de femme. Le plus ironique était que la première personne a le lui avoir dit était... sa mère. Une sainte parmi les saintes, à n'en point douter.

Portant la coupe jusqu'à ses lèvres pour l'enlever au dernier moment, il renchérit :

- Mais puisque vous tenez tant à me tenir compagnie, je peux en déduire que vous êtes tout autant préoccupée. Pourquoi cela ? Ne me faites pas croire que personne ici ne souhaite bénéficier d'une présence aussi charmante que la vôtre.