[23 décembre 1597] - Un agneau à la table du loup [Terminé]
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Re: [23 décembre 1597] - Un agneau à la table du loup [Terminé]
Et elle savait pourquoi. C'était insupportable. Insurmontable. Ariste croyait en son bonheur, et elle voulait lui faire confiance… Mais en était-elle encore capable, seule en ce monde ?
Dès que son hôte s'était levé, la jeune femme avait su que tout cela présageait un sale coup. Elle le savait d'autant plus qu'Ariste et elle avaient passé leur enfance à élaborer des tas de pièges. Et lorsqu'ils s'étaient assagis aux yeux de tous, ce n'avait été que pour focaliser leurs efforts sur des plans plus élaborés, notamment la dissimulation des escapades du jeune homme.
Mais ce baiser avait trop relâché sa vigilance. Elle avait cru se donner le temps d'analyser, mais n'avait fait que noyer les informations sous une avalanche. Et elle avait compris trop tard – à moins d'une seconde près – ce qu'il manigançait.
— Comment s'appelait-il ?
Éléonore sourit. Il ne pensait tout de même pas qu'elle allait lui livrer tout ses secrets si aisément ? Pas alors que lui ne lui avait permis d'obtenir qu'une maigre intuition…
— Auguste. Et elle ?
Elle n'avait pu s'empêcher d'en rajouter sur cette impression qu'il lui avait laissée. Elle n'espérait pas vraiment de réponse, mais il n'était plus aussi impassible que la dernière fois. Elle pourrait peut-être tirer quelque chose de sa physionomie. Au moins une confirmation. Toutefois, s'il n'avait pas au une bonne raison de savoir précisément ce dont elle parlait, il n'aurait sans doute pas mis sa parole en doute.
Quant au nom... Au fond, elle n'en était pas très loin. Quand bien même son tout se serait prénommé Auguste, Gabriel aurait quand même pu lui donner du "Bien-nommé".
Éléonore dérapa légèrement – contrairement à la situation.
Était-elle vraiment entrain de le poursuivre ? Étaient-ils vraiment entrain de courir autour d'une table comme des enfants de cinq ans ? En y repensant, elle rirait de la tête qu'Eltinne aurait fait en voyant cela. Mais à cet instant, elle était trop concentrée.
— Vantez-vous tant que vous le pouvez.
Elle prit une grande inspiration pour compenser sa course.
— Et... Peut-être. Ou peut-être n'y a-t-il personne. Qu'en sais-je ?, ajoute-t-elle, les yeux pétillants de malice.
Elle s'était sentie à mille lieues de son niveau, le jour de leur rencontre. Elle avait cru qu'elle ne pourrait jamais représenter un véritable adversaire mais... Mais à ce jeu-là, il ne l'aurait pas.
Pour la première fois depuis longtemps, elle se détacha complètement d'Ariste. Ou plutôt, elle absorba son instinct, son goût du risque, son impulsivité, son grain de folie, et se consacra entière au moment présent.
Son hôte fut prit de rire. Il ne manquait que cela pour que cède une barrière supplémentaire, et qu'elle-même se mettre à rire. Elle commanda encore qu'on lui rende son bijoux, pour la forme. Et pour souligner, tout en dérision, l'immaturité flagrante de leur comportement.
Ou bien était-ce cela, être mature ? Se laisser envahir par des joies simples ? Si c'était cela, mieux valait d'interroger plus tard.
Cinquante-trois. Le nombre passa dans sa tête sans être compris. Il n'y avait pas d'âge dans ses yeux. Pas d'âge dans son attitude. Et...
Éléonore s'arrêta en bout de table. Jaugea son adversaire. Elle souffla deux bougies et commenta :
— Devinez ce jour qui résonne dans ma voix, déclama-t-elle.
Improvisation qui n'avait certainement de logique que dans son esprit légèrement embrumé. C'est en tout cas ce qu'elle craignit. De toute manière, bien qu'elle lui ait donné toute les clefs pour la déterminer, il lui était parfaitement égal qu'il ignore la date de son anniversaire. Elle préférait même que son indice soit trop brumeux pour lui, et le voir frustré par son incompréhension.
Et quant à en rajouter, elle lui assura qu'il ne pouvait pas gagner.
— Délestez-vous de vos lourds jupons tant que vous y êtes, ce sera plus équitable ! lança-t-il en la voyant libérer ses pieds.
— Craindriez-vous d'essayer par vous-même ? défia-t-elle.
Pourtant, elle n'avait même pas vidé son second verre. En général, cela ne lui faisait pas dire de telles âneries. À moins que ce ne fut le jeu qui lui vrillait l'esprit... De toute manière, qu'il essaie,. seulement !
Elle attrapa son regard, et s'appliqua à anticiper son prochain geste. Elle en oublia même de lui répondre.
Comme une idiote, elle se laissa déconcentrer par son rire. Cela, ce ne pouvait pas être un rire calculé, Éléonore en était certaine. Elle-même s'efforçait de ne pas laisser son sourire virer à l'hilarité – elle devait gagner ! Mais elle tirait de cette petite victoire déjà conquise une immense satisfaction.
Le jeu se poursuivit. Puis, lorsqu'ils se retrouvèrent à se jauger de nouveau, il la questionna encore. Et encore une fois, Éléonore sentir venir le but caché – sans le déterminer précisément – de très loin.
— Assez, oui…
Il fallait qu'elle se concentre. Elle avait presque oublié le pendentif. Presque oublié ce qu'il représentait. Maintenant, elle se battait par principe. Elle le prendrait à son propre jeu, c'était décidé.
Quelques secondes furent nécéssaires pour retrouver dans sa mémoire ce qu'il lui demandait.
— Vous ! fustigea-t-elle.
Et le pire, dans l'affaire, n'était pas qu'il la pousse à des comportements parfaitement indécents… C'était qu'il frappe si juste, sur ses lèvres encore brûlante. C'était de savoir qu'il avait un coup d'avance.
Mais avant tout, la conscience qu'il était entrain de gagner, miette par miette... Elle n'avait plus été si déraisonnable depuis bien longtemps. Et jamais elle ne l'avait été de cette manière. Jamais avant d'avoir croisé son regard. Jamais avant d'avoir perçu son souffle dans son cou. Et jamais autant qu'après ce baiser. Dix ans, ce serait fort long. Et pourtant, elle n'aurait pas d'autre choix que d'attendre qu'il ne se décourage. Car après un tel amusement, elle savait qu'elle pourrait retrouver une certaine joie malgré le vide creusé par son deuil.
Mais si on lui volait son cœur juste pour détruire ce qu'il en restait, elle ne s'en relèverait pas.
— Vous allez voir ! assura Éléonore d'un ton faussement rageur.
Il aurait son poème s'il le voulait. Et de sa voix la plus douce, même. Mais il apprendrait d'abord qu'elle ne renonçait pas.
Elle calcula. Elle n'avait pas énormément d'espace pour refermer son piège, mais elle savait gérer. Elle avait déjà réussi plusieurs fois. Alors certes pas ici, mais elle réussirait, parce qu'elle n'avait pas le choix.
Elle s'élança sur la gauche, pour le voir, comme prévu, prendre la sienne. Pas le temps de raviser. Elle prit appui sur la table de son bras droit sur la seule zone assez dégagée pour ne rien renverser, et replia les jambes pour se propulser de l'autre côté et saisir le bras du voleur. Après avoir étouffé la flamme accrochée à son épaule d'une pichenette, elle agrippa également l'autre poignet, celui dont la main tenait son pendentif.
Il aurait dû savoir que les poursuites d'enfants de cinq ans, c'était son domaine à elle. Et s'il répprouvait ses manières... Et s'il la frappait... Et s'il se mettait en colère... Et s'il la jetait dehors sans même la laisser récupérer ses chaussures... Eh bien il était juste mauvais perdant, et elle en sortirait en sachant qu'il s'était incliné.
— L'audace, n'est-ce pas ? Je vous avais prévenu, le nargua-t-elle sans se démonter. À ce jeux-là, je suis imbattable.
Bon... Restait une récitation. Il ne pourrait nier que c'avait beaucoup plus de sens maintenant qu'elle l'avait rattrapé.
Re: [23 décembre 1597] - Un agneau à la table du loup [Terminé]
Coldris ne répondit rien si ce ne fut un vague sourire à sa remarque sur la souffrance. Il n’y avait aucun intérêt effectivement à souffrir. Il fallait transcender sa souffrance ou périr. Trouver un but dans sa vie ou se laisser mourir. Si Léonilde l’avait empêché de mourir, c’était Virgil qui l’avait ramené des rivages du Styx où il tentait chaque jour de se noyer. Une phrase. Une seule phrase avait scellé son destin. Une seule phrase avait suffi à embraser la timide braise d’existence qui lui restait.
En cet instant où il tenait le collier aux lauriers d’Eléonore suspendu dans les airs. Rien ne lui paraissait plus lointain que cette épreuve qui avait failli mettre un terme à sa vie. Comme il n’était pas question de s’amuser innocemment non plus, il en profita pour lui poser quelques questions. Comme le nom de cet amant qu’elle gardait toujours dans son cœur. Auguste fut la réponse offerte. Mais ce sourire, ce sourire indiquait peut-être qu’il ne fallait pas prendre au pied de la lettre cette information. Qu’importe ce serait donc Auguste ! Un nom qu’est-ce que c’était ? Coldris était bien placé pour le savoir.
- Et elle ?
Il eut un sourire malicieux.
– Laquelle ?
Parce qu’il n’allait pas non plus lui livrer le plus beau de ses secrets comme ça. Et puis ce n’était somme toute pas à un mensonge. Laquelle voulait-elle ? Bouton d’Or ? Jolie fleur ? Petit papillon ? Princesse caillou ? Aphrodite ? Psyché ? Diane ? Lodméia ? Aurélia ? Sophie ? Elle avait porté tant de noms au cours de ces quelques années. Mais c’était également un moyen de lui rappeler qui il était et combien la liste était longue de toutes celles qui étaient passées entre ses mains.
Ils en étaient là : à se courir après autour d’une table, pour un collier dans un jeu de questions-réponses.
— Vantez-vous tant que vous le pouvez.
– Je suis un arrogant notoire. L’humilité ne fait pas partie de mes défauts.
Il afficha un large sourire tandis qu’il reprenait appui pour choisir une autre direction. Peut-être. Peut-être pas. Coldris était persuadé qu’il y avait quelqu’un. Et parce qu’elle refusait de donner une réponse claire, c’était forcément un oui.
Il se laissa aller à rire, tout en poursuivant ce petit manège. Etait-il retombé en enfance ? Certainement pas. Son enfance n’avait rien d’un innocent paysage bucolique aux sonorités rieuses. Il n’y avait là que des cris, des pleurs, la faim et la solitude. Il aurait préféré mourir plutôt que de revivre une seconde fois ses seize premières années.
Ils s’arrêtèrent en bout de table. Eléonore souffla ses bougies et lui offrit une énigme pour découvrir sa date d’anniversaire. Il n’en fallut pas moins pour allumer la flamme qui brillait dans son regard bleu glacier. Ce qui résonnait dans sa voix ? De l’amusement? De la joie peut-être ? Etait-elle vraiment heureuse en cet instant ? Il réalisa un aller-retour le long de la table. Son esprit s’activait, cherchait, analysait ce qu’elle avait voulu dire. Comment pouvait-il trouver ce jour ? Quel rapport avec son anniversaire ? Il feinta et repartit à l’opposé lorsqu’il eut soudainement une illumination.
– Je n’ai pas l’éphéméride en tête déclara-t-il.
Elle retira ses souliers. Elle pouvait bien tout retirer si elle le souhaitait. Mais la compétition primait sur ses désirs. D’ailleurs, il se faisait même inviter à la déshabiller. Il afficha un large sourire, sans rien répondre d’autre : il ne craignait que de perdre, certainement pas de la dévêtir. Bien au contraire.
Tout ceci dessina un embryon d’idée dans son esprit. De quoi achever ce petit jeu en beauté avec un peu d’innocente poésie. Le sonnet XVIII de Louise Labé, choisi tout particulièrement pour l’occasion et parce qu’il mourrait d’envie de l’entendre dire qu’elle avait apprécié ce baiser qu’il lui avait dérobé en même temps que son collier. Lorsqu’elle comprit, elle monta sur ses grands chevaux et Coldris ne put qu’en rire de plus belle de voir ses deux onyx scintiller d’un si doux courroux. Il n’arrivait plus à se séparer de ce sourire qui s’était installé sur son visage. Il la jaugea, prit sa gauche et … Contre toute attente, elle se jeta sur la table pour lui saisir les poignets. Il s’immobilisa, pris au piège, surpris même de ce revirement de situation inattendu qui bouleversait ses plans. Il aimait l’audace. Et s’il n’avait pas eu dans l’idée de ne pas la laisser gagner, il l’aurait embrassé sur le champ. En attendant… Il pencha légèrement la tête, pleine d’espièglerie, bloqua le collier entre ses doigts et attrapa ses poignets. Il n’aimait pas perdre. Impossible de s’avouer vaincu. Alors il tira sur ses bras tout en reculant lentement. Sa robe glissa sur la table -forte heureusement débarrasser en cet endroit- dans un son feutré. Lorsque ses pieds touchèrent le sol, il la renversa, dos sur le plateau et se pencha au-dessus d’elle.
- La défaite n’est jamais une option.
Il plongea son regard dans le sien. Marqua une pause et déclara :
- Alors, ce poème mon audacieuse brebis ? A moins que vous ne préféreriez que je vous déleste de vos jupons dans un premier temps puisque je vous ais désormais sous la main ?
Léonilde, 61 ans
Léonilde assistait silencieusement à la scène. La salle des poètes disparus comme il aimait à l’appeler en avait vu de belles -déclamations- tout au long de ces années. Elle avait raisonné de monbrinien, de français, d’anglais, d’italien et de latin. Il y avait eu des vers et de la prose. De grands classiques et de l’improvisation. Ce soir n’y fit pas exception. Il avait été le témoin silencieux de toutes celles qui étaient passées ici. Depuis tout ce temps, il n’avait même plus besoin de parler avec le vicomte pour dialoguer. Il ne le jugeait jamais. Il laissa cela à Dieu ou aux autres. Il s’amusait parfois autant que lui de ses propres facéties et aujourd’hui n’y faisait pas exception. Quand se rangerait-il ? Ou plus exactement se rangerait-il un jour ? C’était ce qu’il se demandait lorsqu’il voyait pour une énième fois cette flamme de désir bruler au fond son regard.
Le rire du seigneur de Fromart emplissait la salle d’aspect si solennelle. Depuis combien de temps n’avait-il pas ri d’un rire si sincère et si spontané ? Léonilde ne parvenait pas à se souvenir de la date exacte, mais cela remontait à bien longtemps. À bien y réfléchir, il se passait des choses étranges dans la vie de son maitre ces derniers temps. Cela avait commencé par cette étreinte qu’il avait surprise entre le père et son fils. Un moment qui, lui, n’avait jamais eu lieu de mémoire de valet. Un instant de complicité dont il n’aurait jamais cru être témoin un jour. Pas plus que l’apaisement qui semblait s’installer dans leur houleuse relation. Et maintenant, il y avait cela : Coldris riait aux éclats en courant autour d’une table comme un enfant. Que se passait-il donc ?
Il observait avec son détachement tout professionnel la jeune femme être tirée sur la table. « vous ne pourrez jamais gagner contre lui. » avait-il envie de lui répondre, mais il garda le silence. Il avait simplement pris soin de débarrasser plus que les simples assiettes après le plat principal : carafes, corbeilles, décoration… Il avait fait place nette, ne laissant que l’indispensable. Car il le savait : le vicomte était un homme d’action qui prenait bien rarement son dessert à table. Ou plus exactement, il finissait par le prendre sur la table. Ou ailleurs.
Coldris de Fromart- Ministre des Affaires étrangères - Ami du grand prêtre du Lupanar
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Re: [23 décembre 1597] - Un agneau à la table du loup [Terminé]
— Vous savez laquelle.
Celle à cause de laquelle il savait, tout simplement. Cela ne s’apprenait pas autrement. Cela ne se repérait pas si facilement autrement. Il y avait eu une faille dans son cœur. L’avait-il complètement refermée ? Cela, Eléonore n’aurait su le déterminer. Mais elle avait existé, et cela, il ne pouvait plus le cacher. Il pouvait se cacher autant qu’il voulait derrière ses innombrables conquêtes, cela n’y changerait rien. Maintenant, Eléonore en était sûre. Plus que de connaître son prénom, c’était confirmer le bien-fondé de son intuition qui l’avait motivée. Egalité !
Elle soupira négligemment à sa remarque sur l’humilité. Il aurait dû essayer, parfois. Si elle avait égalé son arrogance, elle lui aurait même proposé de la lui apprendre… Mais elle pouvait essayer sans le prévenir, après tout. Comme avait ces indices brumeux pour déterminer la date de son anniversaire. Oh, bien sûr, il lui suffirait de tricher, de fouiner une fois qu’elle serait partie, si vraiment cela l’intéressait -- ce dont Eléonore doutait fortement --, mais il saurait, pour lui-même, s’il avait vraiment compris ou non.
Elle fronça les sourcils. Pourquoi aurait-il eu besoin de… Bon… s’il avait cru que son énigme y était liée, elle avait maintenant trahi qu’il cherchait du mauvais côté. Bon, d’accord, il était bien plus doué qu’elle. Mais elle ne renoncerait pas pour autant !
Et le jeu repris -- sans chaussures -- jusqu’à ce qu’Eléonore se décide à… prendre un raccourci. Si elle avait eut plus d’amplitude de mouvement, n’avait pas dû calculer en fonction de la course de son interlocuteur et avait porté une tenue plus pratique, elle aurait pu rouler et atterir sur ses deux pieds de l’autre côté -- elle se souvenait encore distinctement de la scène que lui avait piquée sa gouvernante la dernière fois. Mais… Mais il y avait tout cela, et comme le plus important était de piéger le voleur et pas de d'atterrir comme un chat, elle se pencha pour le rattraper, et replia ses genoux pour revenir, pour déplier les jambes devant elle et retrouver le sol moins maladroitement lorsqu’il la tira hors de la table… pour l’y renverser avant qu’elle n’ait le temps de réagir d’une quelconque manière.
Elle perçut une vague douleur dans son dos et son pendentif qui s’imprimait dans son poignet. Désagréments largement occultés par toutes les autres informations qui lui venaient -- et qui étaient beaucoup moins claires. Elle cherchait à remettre la situation dans son contexte, mais il était bien trop proche pour qu’elle puisse réfléchir. Elle ne savait plus. Plus comment, plus pourquoi. Que faisait-elle ici, déjà ? Pourquoi n’avait-elle pas décliné cette invitation tout à fait déplacée ? Aurait-elle préféré décliner ? Avait-elle envie de disparaître ? Qu’il disparaisse ? Ou...
Elle ferma les yeux. Une seconde, à peine, même moins. Juste le temps de se recentrer. De dévier l’avalanche qui lui faisait perdre tout contrôle. De se rappeler qu’elle s’était préparée à ce genre de situation, et d’interdire à l’angoisse de reprendre prise sur elle. Pas maintenant. Elle ne pouvait pas se permettre de paniquer, de bégayer et de se ridiculiser plus encore que la dernière fois. Il fallait raisonner sans les sensations qui l’accaparaient, trier ses réflexions. Il fallait qu’elle sache, là, maintenant, ce qu’elle devait faire. Ou ce qu’elle voulait faire ?
Dès qu’elle rouvrit les paupières, comme si elle avait à peine cillé, elle se retrouva plongée dans son regard. Ce regard qui avait perdu toute la savante impassibilité de leur première rencontre. Et… Et si Eléonore avait trouvé cette maîtrise fascinante, ce n’était rien comparé à ce que ce regard lui inspirait désormais.
Qu’avait-elle dit, déjà ?
On dit que son regard vous captive afin d'endormir votre méfiance…
Cela, elle l’avait compris tout de suite. Et pourtant, c’avait déjà dû être trop tard car...
Et lorsque vous en prenez conscience, vous êtes déjà entièrement à sa merci.
Eh bien… Elle ne pourrait même pas prétendre qu’elle ignorait. Elle savait parfaitement à qui elle avait affaire depuis le début. Mais elle maîtrisait la situation. Enfin… A peu près.
— La défaite n’est jamais une option
— Être mauvais perdant ne veut pas dire que vous avez gagné, fit remarquer la jeune femme.
Parce qu’au fond, les enjeux étaient tellement multiples qu’on pouvait toujours prétendre en changer lorsque l’on comprenait que l’un ne nous était plus accessible. Et puis… Au fond, il n’avait pas perdu, mais elle non plus. Qu’était-ce, perdre, pour elle ? Avait-elle l’impression d’essuyer une défaite ? Non, pas du tout.
— A moins que vous ne préféreriez que je vous déleste de vos jupons dans un premier temps puisque je vous ai désormais sous la main ?
— Pour cela, c’est trop tard. Il aurait fallu y songer lorsque vous en aviez l’occasion.
Il fallait admettre qu’elle n’était littéralement pas en position de dire une chose pareille. Mais cette partie de la situation ne lui échapperait pas. Enfin… Pas comme ça, quand bien-même la tenait-il. Elle se demanda… L’aurait-elle vraiment laissé faire s’il avait abandonné sa fuite ? Encore une fois -- et cela l’insupportait -- elle était incapable de le déterminer alors que la réponse aurait dû être évidente. Elle n’était tout de même pas tombée si bas ?
Pour le reste… Elle n’avait pas pour habitude de refuser un défi. Même si cela sonnait comme une demi-défaite. Même si c’était parfaitement indécent. Cette récitation ne surpassait probablement pas ses pires débordements. Ce n’était pas plus déraisonnable que cette fois où Ariste et Gabriel l’avaient poussée à simuler une grossesse, ni l’escalade de la tourelle du lion, ni la course sur les remparts ou elle avait trois fois manqué de glisser et d’être précipitée dans le vide.
N’empêche, la fausse grossesse, c’avait été tordant. Et même la gifle magistrale qu’elle avait encaissée était mille fois compensée par la tête tirée par son oncle lorsqu’il y avait cru, et celle, la meilleure, en comprenant la supercherie. Gabriel, Ariste et elle avaient mis plusieurs jours à se remettre de leur fou rire. Cette plaisanterie-là aurait pu très mal tourner pour elle -- comment ces imbéciles avaient osé lui lancer un défi pareil ?! -- alors ce poème, au point où elle en était, c’était aussi facile que de gober un ver de terre -- ça aussi, c’avait été un défi vraiment stupide, d’ailleurs.
— Mais… D’une voix douce, c’était bien cela ?
De toute façon, quitte à jouer, autant le faire sérieusement. Pas d’un air mal à l’aise qui aurait tout fichu par terre. Même si tout cela était parfaitement déplacé. Même si cette fois, il n’y avait ni Ariste, ni Gabriel pour l’encourager.
De toute façon, au point où elle en était, la situation ne serait pas beaucoup moins décente.
— Baise m'encor, rebaise-moi et baise ;
Donne m'en un de tes plus savoureux,
Donne m'en un de tes plus amoureux :
Je t'en rendrai quatre plus chauds que braise.
Bon… Peut-être que si, à bien y penser. Elle ne contrôlait absolument pas sa voix qui se rendait d’elle-même presque langoureuse. Cette fois, si quelqu’un l’apprenait, elle n’en serait sans doute pas quitte pour une gifle… D’autant que cette fois, c’était vrai. Mais elle n’était plus à ça près.
Tandis qu’elle faisait un effort de mémoire pour ne pas tout mélanger -- puisqu’elle ne pouvait pas lui cacher qu’elle savait pertinemment de quel texte il parlait, autant ne pas se tromper dedans --, Eléonore se dit qu’il était temps de se dégager. Qu’elle aurait même dû s’y prendre plus tôt. Rien que pour ne pas lui laisser croire à sa victoire.
Elle contorsionna ses poignets. Pas spécialement pour qu’il les lâche, mais pour pouvoir déplier ses bras. Puis elle s’appuya sur ses coudes pour tenter de se redresser… contre lui, puisqu’il était dans le chemin.
Joue contre joue. Mais que faisait-elle ? Elle se comportait comme… comme… Elle s’efforça de chasser les qualificatifs dégradants qui lui venaient à l’esprit. Une femme correcte l’aurait giflé. Une femme correcte aurait déjà trouvé dans son attitude déplacée des dizaines d’occasion d’écourter ce dîner. Une femme correcte, sachant ce qu’elle savait, ne serait même pas venue. Elle s’en voulait horriblement de ne pas vraiment vouloir partir. De ne pas réfléchir raisonnablement. Au fond, Eltinne avait raison : son oncle avait commis une énorme erreur en lui permettant de s’éloigner de Tianidre.
Et elle se sentait de nouveau piégée. Quoi qu’elle fasse, son hôte y gagnait ou elle-même y perdait. Si elle cessait sa récitation, elle montrait qu’elle n’en avait pas le cran -- et son orgueil n’avait vraiment pas besoin de souffrir de blessures supplémentaires. Si elle poursuivait, non seulement elle lui laissait cet ascendant, mais en plus, elle se montrait sous un jour peu valorisant. Alors, où étaient donc ces fichus bégaiement et angoisses quand elle en avait besoin ? Elle était pitoyable. Tellement pitoyable. Elle se ridiculisait sans même s’agiter et dire des milliers d’âneries. Leur poursuite autour de la table n’avait été qu’un bien court répit que l’émotion qui la submergeait désormais ne compensait pas.
Alors, après une ou deux respiration dans son cou, elle poursuivit, dans un murmure, juste à son oreille.
— Las ! te plains-tu ? Çà, que ce mal j'apaise,
En t'en donnant dix autres doucereux.
Définitivement, elle se détestait. Elle ne savait rien faire correctement toute seule. Elle était trop faible, trop sotte. Trop bornée, surtout quand il ne fallait pas. Elle passait sa vie à réfléchir de travers et était incapable d’agir comme il le fallait si Ariste n’était plus là.
— Ainsi, mêlant nos baisers tant heureux,
Jouissons-nous l'un de l'autre à notre aise.
Tout en récitant, elle attrapa le bord de la table, pour pouvoir se redresser davantage. Outre tout le reste, son dos commençait vraiment à la lancer. Et il était hors de question de s’en plaindre.
Re: [23 décembre 1597] - Un agneau à la table du loup [Terminé]
Bien entendu Coldris s’était attendu à ce qu’elle ne se satisfasse pas de cette réponse. Il répondit donc du tac au tac, sans même réfléchir :
- Aphrodite. répondit-il avec un léger sourire dans la voix
Car c’est ce qu’elle était : la déesse de l’amour qui lui avait ravi son cœur. Croirait-elle qu’il se dérobe en invoquant une abstraite divinité ? Cela l’amusait au plus haut point sachant qu’il n’avait fait que donner la plus stricte vérité. D’autant plus qu’il ne l’avait appelé qu’une seule fois par son réel prénom.
Son manque d’humilité ne semblait pas lui plaire, mais c’était ainsi. Il n’en avait jamais eu et n’en aurait jamais. L’humilité c’était bon pour les timorés ! Lui valorisait l’audace, c’était bien connu. Comme celle de répondre par une obscure énigme à une simple question. Elle n’approuva pas son choix de résolution non plus. Faisait-il fausse route ? Tentait-elle de le tromper ? Il n’y avait qu’une seule façon de le savoir : il fallait essayer ! Il pouvait bien se tromper, cela ne l’empêcherait jamais d’arriver au bout et c’était tout ce qui comptait. Pour la première fois depuis ce début de soirée, elle prit de cours à son propre jeu. Bien entendu, Coldris aurait pu lever les mains et s’avouer vaincu. Accepter docilement la défaite. Mais… C’était mal le connaitre que de s’imaginer cela alors qu’il la tenait à sa merci.
- Vous ne savez pas ce que j’espère gagner. rétorqua-t-il sur le même ton légèrement provocateur.
Qu’espérait-il lui-même gagner ? Quatre lettres : Elle. Comme à chaque partie qu’il engageait, il était prêt à sacrifier des pions pour obtenir sa victoire. C’était ce qu’il venait de se passer. Il avait peut-être perdu en apparence, mais qui d’eux deux venaient de perdre le plus ? Les comptes seraient faits prochainement. Sans doute très prochainement.
— Pour cela, c’est trop tard. Il aurait fallu y songer lorsque vous en aviez l’occasion.
- Il n’est jamais trop tard : surtout lorsque je n’ai qu’à glisser ma main dans votre dos pour tirer sur ce petit lien qui retient toute votre robe.
Il inclina la tête d’un air entendu. En fait, lui dire une chose pareille, c’était presque l’inviter à lui prouver par l’exemple qu’il pouvait parfaitement la délester de son encombrante toilette sur le champ. Peut-être était-ce dont elle avait réellement envie après tout ? Il ne parvenait pas à savoir précisément. Pour l’heure, il exigeait son poème. Il valida les consignes et l’écouta réciter A chaque fois que les vers le réclamait, il l'embrassa à un endroit différent : une joue, puis l’autre, le lobe de l’oreille, le cou, les lèvres.
Sa voix chantait à ses oreilles, suave et douce. Sous ses mains, elle se contorsionnait pour lui échapper telle une petite anguille. Il desserra légèrement son étreinte et lui permit de se redresser contre lui. Elle était désormais si proche qu’elle n’avait qu’à lui souffler les paroles dans le creux de son oreille. D’où il était, Léonilde ne devait plus rien entendre, mais lui en avait les poils de sa nuque qui se hérissait.
— Ainsi, mêlant nos baisers tant heureux,
Jouissons-nous l'un de l'autre à notre aise.
Il relâcha ses poignets, passa une main derrière le creux de ses reins, une autre derrière sa nuque et l’embrassa cette fois d’un baiser langoureux, car il n’avait plus qu’à tourner la tête pour capturer ses lèvres.
- Lors double vie à chacun en suivra.
Chacun en soi et son ami vivra.
Permets m’Amour penser quelque folie :
Ses bras passèrent derrière son cou. Sa main droite s’ouvrit faisant penduler le collier toujours attaché autour de ses doigts. Il le passa autour de son cou, sans jamais quitter ses grands yeux bruns dans lesquels se reflétait la lueur des chandeliers.
- Toujours suis mal, vivant discrètement,
Et ne me puis donner contentement
Si hors de moi ne fais quelque saillie.
Il ferma l’attache et laissa ses mains glisser le long de ses bras avant de reculer d’un petit pas.
Coldris de Fromart- Ministre des Affaires étrangères - Ami du grand prêtre du Lupanar
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Re: [23 décembre 1597] - Un agneau à la table du loup [Terminé]
Course-poursuite, piège... Qui s'était refermée sur elle autant que sur lui, visiblement.
Elle embrassa la situation du regard. Ce qu'il espérait gagner ? Elle manqua de s'abandonner à un nouveau fou rire. Compte tenu de sa réputation et de certaines de ses paroles, cela semblait au contraire très clair. D'autant plus avec la manière dont il l'a maintenait désormais…
— Je pense que si l'un de nous peut cacher les conditions de sa victoire, c'est moi.
Elle n'avait plus le droit d'hésiter, de paniquer, de bégayer et de revenir sur chacun de ses mots, quand bien même elle en mourait d'envie. Elle devait conserver le contrôle qu'elle maintenait sur elle pour s'en sortir avec panache. Peut-être que la meilleure victoire qu'elle pouvait envisager à court terme était de retarder la sienne. Il ne l'aurait pas ainsi. Et ensuite ? Comme elle l'avait pensé au début : profiter de ce jeu tant qu'elle le pouvait avant de le laisser s'achever.
Profiter du défi, de l'adversité, et de ces baisers chauds qu'elle aurait dû réprouver. Pourquoi les acceptait-elle ? Pourquoi les appréciait-elle. Pourquoi son corps recherchait-il soudain plus de proximité – parce qu'il fallait cesser de se mentir : si elle avait voulu se dégager autrement qu'en se collant à lui, elle en aurait été capable. C'aurait été plus convenable. Y avait-il encore quoi que ce fut de convenable dans cette situation ? Elle perdait la foi depuis qu'elle avait perdu Ariste, mais cela ne justifiait par qu'elle se comporte si mal. Qu'elle lui souffle ce genre de mots à l'oreille. Elle se détestait pour ça. Mais… Mais elle ne voulais pas que cela s'arrête.
Quand elle acheva le second quatrain, il lâcha ses poignets. Elle comprit que c'était sa prise, par la tension qu'elle créait lui avait permis de ne pas glisser, et elle dut s'accrocher au rebord de la table pour compenser.
Ce qui ne fut d'ailleurs pas nécéssaire bien longtemps, car il avait déjà passé les mains derrière elle pour la retenir contre lui et l'embrasser encore. Et encore, elle lui rendit pareillement, comme si ce n'était pas parfaitement indécent.
Quand leur lèvres se détachèrents, alors qu'elle avait maintenant pu se redresser tout à fait, il la devança pour terminer le poème. Elle se plongea dans son regard tandis qu'il lui restituait son pendentif chéri. Une couronne de laurier. Qu'il lui restitue bien docilement avait un petit goût de victoire. Une victoire toute symbolique. Une petite bataille, certes, mais c'était déjà cela. Elle ne perdait pas de vue cette histoire ridicule de fortesse à assiéger peut-être dix ans. D'un coeur à dérober, sans doute juste pour le briser. Perdre une bataille pour l'attendrir ? Était-ce donc cela, la stratégie. La même, d'ailleurs, que s'il n'avait que des pensées tout à fait triviale.
Il acheva le poème. Elle senti ses mains glisser sur ses épaules, puis le long de ses bras. Elle voulait les retenir, le ramener, l'embrasser encore. Elle perdait vraiment tout bon sens, en somme. Elle se retrouvait appuyée contre le rebord de la table, incapable de trouver une réaction appropriée. Ils s'étaient trop éloignés du repas conventionnel pour avoir la moindre chance d'y revenir… Elle ne pouvait pas non plus disparaître sans un mot – et comment prendre congé sans avoir l'air de fuir ? Et lui céder maintenant était encore moins envisageable – elle se respectait encore trop. Elle resta là, incapable de prendre la moindre initiative. Il aurait dû savoir depuis le début qu'il perdait son temps. Qu'elle était inutile et ennuyeuse. Pour le plaisir d'une bonne discussion, n'est-ce pas ? Il avait sans doute compris, désormais, qu'elle était bien incapable de la tenir avec lui. Et ce qu'il voulait obtenir d'elle – parce qu'elle ne se faisait pas d'illusion à ce sujet non plus – elle n'était pas prête à le lui céder.
Elle ne craquerait pas juste par défi, pas pour ça. Elle ne voulait pas. Elle ne pouvait pas. Ce dîner avait déjà outrepassé toute les limites et celle-là était bien là seule barrière qui tenait encore.
D'autant plus – une lueur de malice s'alluma dans ses yeux – qu'elle ne pouvait pas lui accorder une victoire si facile.
Et avec un peu de chance – ou de malchance, elle ne savait plus – il comprendrait vite qu'elle n'en valait pas la peine, se lasserait et lui ficherait la paix. En fait, il avait déjà dû le comprendre. Qu'elle était trop pénible pour qu'il ne prenne la peine de poursuivre. De toute manière, lui n'avait pas besoin d'elle.
Éléonore se détacha de la table. Combien de temps s'était passé depuis qu'il l'avait lâchée ? Trois secondes ? Cinq ? Peut-être même six, le temps qu'elle se mette effectivement en mouvement.
Elle ne put s'empêcher de frôler son hôte, d'effleurer sa main. Cette folie avait été plus forte que le bon sens. Elle avait repéré son verre sur le dressoir, et avait instinctivement eu la gorge sèche – comme si l'hypocras pouvait y changer quoi que ce soit.
Elle se permit de se resservir, et en prit quelques gorgées, silencieuse. Elle ne savait pas, elle ne savait plus.
Re: [23 décembre 1597] - Un agneau à la table du loup [Terminé]
Coldris passait un délicieux moment ce soir-là. Il y avait tout d’abord eu cette étrange conversation où il avait passé un certain temps à cerner sa jeune et belle invitée. Une exploration qu’il ne faisait à vrai dire que commencer, tant plus le voile se lever et plus il découvrait de nouveaux mystères. Se connaissait-elle, elle-même réellement ? Il commençait à en douter. Mais il finirait par briser cette fine coquille établie par son éducation et les mœurs rabâchées à longueur de journée. Alors, il découvrirait qui se cachait dessous. Elle avait déjà commencé à se fissurer, lors de leur petite course poursuite. C’était à chaque fois comme soulever l’épais rideau des scènes de théâtre : on y entrevoyait le décor plongé dans l’obscurité. Des formes, des silhouettes et l’imagination faisait le reste.
Et puis il y avait eu le poème. Coldris l’avouait bien volontiers : il l’avait piégée pour avoir le plaisir de l’embrasser. Car de tous, il avait choisi le plus parlant : celui qui en appelait d’autres. Elle aurait pu se raidir, le repousser, le houspiller : elle n’en fit rien. Bien au contraire, elle se rapprochait de lui à tel point qu’il en devint facile de capturer ses lèvres entre les siennes et de savourer ce plaisir partagé. Pour la peine, il acheva le poème. Et pour tout dire, il avait déjà une nouvelle idée en tête. Car il était ainsi : une pensée n’était là que jusqu’à ce que la suivante la chasse. Inlassablement, le schéma se répétait, de jour comme de nuit, allant parfois jusqu’à un brouhaha continu et assourdissant. Il lui restitua son pendentif – la partie était terminée – et ses mains glissèrent dans un geste lent jusqu’à ses poignets. Il n’avait pas quitté son regard des yeux, trouvait-elle cela trop court ? Quel dommage. Il fallait savoir se faire désirer. Un discret sourire s’immisça sur son visage. Après quelques secondes, elle se décida à lui fausser compagnie pour un verre d’hypocras. Leurs mains se frôlèrent dans un contact électrisant. S’il n’avait pas été aussi têtu, il l’aurait saisi au passage pour la ramener contre lui et l’embrasser à nouveau. Mais il refusait de lui céder quoi que ce soit pour l’heure. Il s’approcha d’elle et s’appuya sur la table, admirant ses longs cheveux bruns qui cascadaient jusque dans la chute de ses reins: un rideau sombre qui masquait l’accès aux rubans de son corset sur lesquels il aurait bien voulu tirer.
- Vous me devrez deux tercets la prochaine fois, mon envoutante brebis. Je vous laisse choisir le poème de votre choix. et parce qu’il n’était pas complètement malhonnête, il ajouta Je réciterai le début, si vous le désirez.
Oui c’était somme toute une invitation à revenir. On ne refusait pas une telle dette. Il se redressa pour venir à son tour déboucher la carafe et en versa le contenu dans son verre en cristal ciselé.
– Si vous ne comptez pas visiter l’étage, il vaudrait sans doute mieux que vous rentriez avant qu’il ne soit trop tard.
Coldris de Fromart- Ministre des Affaires étrangères - Ami du grand prêtre du Lupanar
- Fiche perso : ✶Fiche
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Multi-comptes ? : Eldred Kjaersen / Kalisha de Monthoux / Bérénice d'Aussevielle
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Re: [23 décembre 1597] - Un agneau à la table du loup [Terminé]
Éléonore se raidit un instant. Avait-elle bien entendu "la prochaine fois" ? Elle haussa légèrement les épaules.
— Oh... Si je vous les dois...
Un sourire amer passa sur ses lèvres. Évidemment, il n'avait pas encore obtenu ce qu'il voulait d'elle. Mais pourquoi s'obstiner avec quelqu'un d'aussi ennuyeux qu'elle lorsqu'il pouvait certainement obtenir qui il voulait ? Décidément, elle ne le comprenait plus. Peut-être avait-elle légèrement trop bu, finalement… Sur ce, elle vida son verre. Son troisième verre.
Tout ce qui s'était passé depuis qu'elle l'avait laissée l'appeler son petit agneau sans broncher était inacceptable. D'autant qu'Éléonore ne pouvait pas prétendre ignorer à qui elle avait affaire. Au fond, toutes les critiques que l'on pourrait apporter à son attitude de ce soir seraient fondées.
Ariste déplorerait ce qu'elle était devenue ! Non contente de tenter la mort, elle flirtait maintenant avec tout ce qu'elle aurait dû haïr. Il ne pouvait pas y avoir plus opposé à ses valeurs fondamentales que Coldris de Fromart. Était-ce précisément pour cela qu'elle avait accepté ?
Que recherchait-elle ? Quelqu'un avec qui elle ne devait pas être elle. Quelqu'un avec qui elle ne risquerait jamais de transgresser la règle numéro 1 même si lui se fichait éperdument des limites qu'elle se posait ? Quelqu'un qui ne l'a respectait pas et qu'elle ne pouvait, en conséquence, pas craindre de décevoir ? Quelqu'un qu'elle ne pourrait pas blesser ? Quelqu'un qui jouait bien plus haut qu'elle, afin qu'elle ne soit pas limitée ? Ou bien juste le danger. Le danger par lequel une part d'elle espérait se voir détruite. Elle ne savait plus. Elle n'en pouvait plus de réfléchir sans cesse dans cet horrible torrent de doute, de mal-être, d'analyses systématiques et de la détresse des autres, alors qu'elle ne savait jamais rien faire correctement. Elle se détestait.
— Si vous ne comptez pas visiter l’étage, il vaudrait sans doute mieux que vous rentriez avant qu’il ne soit trop tard.
Éléonore eut une très légère hésitation. Et si... Et si Eltinne découvrait où elle avait passé la soirée et qu'elle en informait oncle Eineld... Si elle se retrouvait contrainte de rentrer immédiatement, ou pire. Tant qu'à ce qu'on croie que c'était arrive, tant qu'à ce qu'elle se déteste pour ce qui s'était déjà passé... Au point où elle en était…
Non, c'était hors de question. Quoi qu'on en dise – et quelles qu'ait été ses récents espoirs de se reconstruire –, Éléonore ne pouvait pas tomber plus bas qu'elle ne l'était déjà, mais elle refusait de lui offrir une victoire si facile. Un reste d'orgueil.
— Ce serait préférable, en effet.
Éléonore reposa son verre, et – de toute manière, elle était déjà allée trop loin – elle posa sur épaule de l'homme, et se hissa sur la pointe des pieds.
— Vous me raccompagnerez bien jusqu'à la porte ? souffla-t-elle dans son oreille.
Cela l'amusait presque, le contraste entre ses mots et son attitude. Que cherchait-elle exactement ? Elle entrait dans son jeu...
Elle s'éloigna pour aller récupérer ses chaussures – et tant qu'à faire, les remettre où elles auraient toujours dû rester. Puis, elle se laissa ramener vers la sortie, draper dans son manteau. Elle ne savait plus quoi dire, ou si elle était censée parler. Que disait-on dans ce genre de situation ?
Pour ne pas multiplier les âneries, Éléonore préféra se taire. Jouer sur le silence, même. Et – par excès de rancune, peut-être – elle revint vers lui, comme pour l'embrasser. Elle effleura presque ses lèvres, mais recula, avec sa main qu'elle avait saisie et qu'elle laissait échapper à la sienne en s'éloignant. Elle n'avait pu réprimer un dernier sourire.
— Si jamais nous venions à nous revoir... commença-t-elle juste avant de sortir.
Mais il ne lui laissa pas le temps d'achever sa phrase – étrangement, cela ne la surprenait pas. Il la rattrapa, l'interrompit dans son élan. Incapable de céder une once de terrain, c'était cela ? Alors, il ne supportait pas qu'on lui refuse un baiser ? Trop grosse concession pour lui que de la laisser partir sur une victoire, visiblement, car il la plaqua contre le mur pour le lui voler...
Re: [23 décembre 1597] - Un agneau à la table du loup [Terminé]
Réjouis-toi, garde-toi des maux, arme
Sans faille un cœur adverse, entremêlé
De filets ennemis ; sans pavoiser,
Si tu vaincs ; et garde, vaincu, tes larmes.
Fête tes joies sans fâcheries indues
Dans les malheurs ; connais l'homme tel quel.
Ame combattante, Anaxagore
Elle n’avait opposé aucune protestation à son invitation au mobile somme toute quelque peu fallacieux. Cependant, il n’allait pas s’en plaindre ! Loin de là ! Il espérait bien finir ou à défaut poursuivre ce qu’il avait commencé et bien entendu, il ne s’agissait pas là que de sonnet, vers et pieds, quoiqu’il en apprécie le divertissement.
Il aurait sans doute pu obtenir ce qu’il désirait ce soir en poursuivant un peu ce diner, mais Coldris n’appréciait pas les victoires trop faciles. Il aimait prendre son temps, s’amuser et outrepasser les entraves qui se dressaient sur son chemin. Le triomphe n’en était que plus savoureux. Savoureux et amer d’une fin bien trop vite arrivée. Une fois la satisfaction de sa victoire obtenue, il finissait par se lasser ne sachant plus quoi espérer de plus. En amour -si l’on pouvait dire- comme dans sa vie ou dans son travail, il était toujours à la recherche de plus : plus de pouvoir, plus de richesses, plus de femmes, plus d’opium, plus d’alcool, plus de provocation, plus de complots.
Mais lorsque l’on avait tout, que pouvait-on espérer de plus ? Devait-on se résigner à soi-même s’inventer des défis qui n’existaient pas ?
Depuis deux ans, il était seul. Définitivement seul. Chacun de ses amis l’avait quitté tour à tour. De leurs précieux conseils, il ne restait plus que l’écho faiblissant de leurs voix. Il n’y avait plus personne pour lui poser de limites, plus personne pour le remettre sur ce sentier dont il finissait toujours par s’égarer. Il était seul avec ses doutes et ses interrogations.
Il cheminait en compagnie de ces spectres qui avaient fait sa vie. Pourtant ce soir, il avait réellement ri, d’un rire qu’il n’avait plus eu depuis bien longtemps. L’espace d’un fugace instant, il s’était même senti heureux et vivant. Et c’était sans doute pour cela, plus que pour tout le reste, qu’il voulait la revoir. Pourrait-elle réitérer l’exploit ?
Sa voix souffla dans le creux de son oreille. Ses yeux bruns pétillaient de cette lueur qui avouait qu’elle serait bien restée. Il lui adressa un sourire et inclina la tête.
- Bien entendu, cela va de soi.
Léonilde s’était déjà éclipsé afin de récupérer son manteau, soigneusement déposé dans l’une des garde-robes de l’hôtel, tandis qu’il l’étudiait remettant ses souliers. Une fois drapée de son manteau, il la raccompagna jusqu’à la porte où il resta un instant silencieux, simplement à l’observer de ses yeux bleus.
Elle se hissa sur la pointe de ses pieds et ses lèvres se rapprochèrent des siennes. Qu’allait-elle faire, sa petite brebis qui se sentait pousser des ailes ? Il pouvait sentir son souffle chaud venir l’effleurer. Il planta ses deux prunelles acérées dans les siennes sans faire le moindre geste. Mais elle s’éloigna subitement, relâchant sa main pour gagner la sortie.
— Si jamais nous venions à nous revoir... lança-t-elle
Coldris attrapa son bras pour la ramener à lui et la plaqua le long du mur, à côté de la porte. Il entrelaça ses doigts dans l’une de ses mains et laissa glisser l’autre ostensiblement le long de son manteau tandis qu’il l’embrassait avidement. Il la relâcha finalement après d’interminables secondes qui n’en parurent qu’un infime grain de sable dans le grand sablier du temps. Ses lèvres le brulaient encore du contact chaud avec les siennes. Tout comme ses doigts qui avaient quitté les siens.
- J’ai hâte de savoir ce que vous allez choisir, ma charmante brebis. conclut-il en la laissant quitter la tanière du loup.
Coldris de Fromart- Ministre des Affaires étrangères - Ami du grand prêtre du Lupanar
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Re: [23 décembre 1597] - Un agneau à la table du loup [Terminé]
— J’ai hâte de savoir ce que vous allez choisir, ma charmante brebis.
La jeune femme lança un sourire énigmatique, plongée dans son regard.
— Vous finirez bien par le savoir, remarqua-t-elle simplement avant de passer la porte pour de bon.
Il avait suffi qu’elle se referme pour que toutes les hésitations, tous les doutes, toutes les émotions -- et surtout les plus négatives -- qu’elle avait voilés dans la soirée ne l’envahissent. Son coche était déjà là -- légèrement en avance, dommage, elle n’aurait pas d’excuse pour être tout à fait irresponsable et rentrer à pied.
Elle plaqua la main contre son pendentif, qu’elle pressait contre elle à travers son manteau. Ariste. Elle éclata en sanglots. Comme elle l’avait craint, l’évasion avait été bien courte. Elle n’avait plus été si sereine que lors de cette course-poursuite depuis… depuis qu’elle avait été certaine de mourir. Certaine que c’était fini. Elle ne s’était plus tant amusée depuis la simulation de grossesse. La dernière fois qu’elle avait vu Ariste en vie. Leur dernier fou rire.
Mais après cela, elle n’avait pas été submergée par la culpabilité. Il n’y avait que l’hilarité qui accentuait les lancements dans sa mâchoire, et les grimaces d’Ariste pour relancer l’euphorie. Elle ne s’était pas sentie si pitoyable après coup. Si stupide. Si…
Ses lèvres formaient silencieusement tous les mots qu’elle avait failli prononcer, toutes ces fois où elle avait failli se reprendre, bégayer, s’enfoncer. Alors qu’elle dépassait son véhicule -- sans réagir à l’étonnement de son cocher, dont elle ne comprenait même plus les mots -- elles s’agitaient à houspiller Aristepour l’avoir abandonnée. Comment avait-il oser lui imposer de vivre ? Voyait-il combien elle dérapait en son absence ? Combien elle se détestait par sa faute ?
Quel camp avez-vous vous-même choisi, mon agneau ?
Si seulement elle avait eu le choix. Si elle avait pu partir. Si elle avait été capable de rejeter la volonté d’Ariste. Elle le détestait, quand elle y pensait. Il savait, pourtant, qu’elle ne pourrait pas souffrir davantage qu’en le perdant. N’aurait-il pas pu lui donner sa bénédiction pour le rejoindre ? Lui épargner cette horreur et soulager sa satanée conscience. Elle n’était pas lui, elle n’avait pas la force de surmonter cette épreuve. Il l’avait toujours surestimée. Il avait toujours eu tort de l’aimer. Elle était désespérément sa seule faiblesse. C’était elle qu’elle détestait.
Alors, elle poursuivit son chemin dans la direction qu’elle pensait être celle de chez elle. Si même faire quelque chose de stupide et d’amusant ne pouvait pas l’apaiser -- si, au contraire, cela ne l’affligeait que plus au final --, autant cesser de se battre. Tant pis pour Gabriel, pour oncle Eineld, pour Eltinne, pour ses nouvelles connaissances -- notamment Alduis, même s’il n’avait aucune raison de savoir qu’elle était morte. Tant pis pour tous ceux qui avaient assez pitié d’elle pour faire semblant de l’apprécier. Tant pis pour l’avis de ce Dieu qui avait perdu son allégeance en condamnant son unique raison de vivre. Tant pis pour la volonté d’Ariste. Elle ne pourrait pas tenir plus longtemps.
Avec un peu de chance, le chemin du retour et la folie de le parcourir seule -- elle venait de semer cet importun de cocher -- lui permettrait de se faire trancher la gorge sans avoir à s’en charger toute seule.
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