[18-21 décembre 1597] Un homme invalide en vaut deux ? [Terminé]

Aux serments de l’enfant esclave, Hyriel n’aura pu que soupirer un « grand bien te fasse… » avant de se réadosser pour manger. Le reste de la journée passa sans anicroche. Celle d’après également. L’épuisement se faisait sentir… Le seul avantage de leur situation, c’était que la côte d’Hyriel le faisait de moins en moins souffrir et se réparait petit à petit. Il ne pouvait s’empêcher de penser à tous ses amis, dehors. Eugène, Guillaume et Florentin, comment les traitait le porc de Monthoux et sa pie favorite ? Et s’ils les avaient renvoyés, que faisaient-ils en ce moment ? Et Sylvère ? Il risquait sûrement d’être arrêté, lui aussi… Puis Kalisha et Mademoiselle Florentyna, elles qui étaient si vertueuses et si bonnes dans leurs actions, que devenaient-elles ? Étaient-elles encore cloîtrées ? Et tous ses autres amis – Lénius, Claire-Marie, Jérémie, Cassandre, Madame d’Aubeville et ses deux, peut-être même trois enfants –, que devenaient-ils, eux aussi ?

Du bruit, du tumulte interrompit ses réflexions. Des voix. Une visite. Fromart. Affaires étrangères. Le chien qui avait ravagé son pays. Le grand-père du petit Adéis… Il serra les dents en entendant le murmure du gamin. Il fricotait donc avec le propre fils du Ministre des Affaires étrangères. Au moins, les chiens galeux restaient entre eux… et c’était bon à savoir, pour plus tard, peut-être. Il releva la tête quand il entendit la porte s’ouvrir et qu’il vit entrer deux hommes. Aux gestes, il devina sans mal qui était le ministre et qui était, sans doute, un garde du corps. Il s’efforça également de conserver un visage neutre, bien que l’envie ne lui manquât pas de sauter à la gorge de cet homme. Mais pas maintenant. D’une part, il était attaché et, d’autre part, cela ne mènerait à rien. Plus tard, peut-être, et plus subtilement.

L’herboriste soupira à l’intervention mielleuse du jeune crétin. Un lèche-botte du père – et lèche-cul du fils, ne put-il s’empêcher de penser, bien que ce ne fussent pas ses affaires – et un opportuniste de la pire espèce. Lui, toutefois, ne réprima pas un sourire, bien que ses yeux restassent acide, à sa remarque sur l’envoûtement. Ils se radoucirent toutefois à la suite et furent même étonnés et sincèrement touchés.

« Quel honneur ! Je ne pensais pas être de si grande importance… Puis-je donc vous demander de lui passer le bonjour de ma part ? Oh et je trouverais un maigre réconfort si vous pouviez lui dire que je n’oublie pas mon engagement à son égard, simplement que l’on me retient encore… »

Il haussa les épaules en levant légèrement les bras – douloureux mouvement –, avec un air sincèrement navré. Il baissa ensuite la tête, comme s’il maugréait pour lui-même.

« J’espère seulement que ces messieurs gardes sont respectueux du gage qu’il m’a donné et que ces hommes m’ont pris… »

Il remarqua alors que son compagnon de cellule était… perturbé. Jaloux ? Peut-être… Hyriel, lui, ne se faisait pas d’idées trop vite. Le grand-père ne venait certainement pas pour lui. Toutefois, c’était trop beau pour ne pas être saisi… Hyriel sourit donc doucement, innocemment.

« Eh bien, quoi ? Ce n’est pas parce que je n’ai pas réussi avec toi que je n’ai pas un bon contact avec les petits enfants… »

Coldris ne prêta aucune attention au babillage obséquieux sur fond d’arrogance que lui servait l’esclave. Qu’il garde sa salive au lieu de l’étaler sur ses souliers en daim. Il regretta de ne pas l’avoir laissé moisir plusieurs jours supplémentaires. Il aurait invoqué les célèbres lenteurs administratives pour se justifier et l’on savait à quel point la paperasse pouvait s’avérer être un véritable sac de nœuds.

Louise semblait l’éviter. Simple dommage collatéral de cette affaire. C’était le problème des secrets connus d’un trop grand nombre : il y avait toujours un maillon faible pour rompre la chaîne. Il suffisait de le trouver. Après ce rapide coup d’œil à son ancienne connaissance, c’est sur le sorcier qu’il jeta son dévolu. Depuis le temps qu’il entendait son nom être soufflé à ses oreilles, il était plus que temps de rencontrer le fameux Hyriel. Il n’avait oublié ni la rencontre avec son petit fils, ni la promesse tacite qui les liait. Cet homme avait promis d’aider Démétrius dans sa guérison. Oh non pas pour marcher, personne ne se faisait d’illusions bien sûr, simplement pour le tirer de la torpeur dans laquelle il semblait s’enfoncer inextricablement. Il posa un regard sévère sur l’homme et hocha de la tête :

- Il vous attend avec impatience. Il ne parle que de vous. Il serait fâcheux que la situation tourne au roussi.

Coldris n’était peut-être plus tout jeune mais il n’était pas sourd pour autant. Il comprit immédiatement à quoi le guérisseur faisait référence lorsqu’il marmonna dans son coin : le médaillon offert par Adéis pour l’obliger à revenir. C’était bien son petit-fils ça ! Il avait rapidement compris l’art de négocier et son grand-père en retirait une certaine fierté. Il se tourna vers Valmar pour lui murmurer quelques paroles inaudibles avant qu’il ne tourne les talons.

La remarque du sorcier lui étira un vague sourire.

- Laisse-le donc s’exprimer Louise, voyons ! C’est un grand garçon ! Ceci dit, elle n’a pas tort. Si l’envie m’en prenait je pourrais certainement vous éviter d’illuminer la Grande Place.

Hyriel ressentit une maigre satisfaction en constatant que les flatteries du gamin ne faisaient aucun effet sur le ministre. Si seulement cela pouvait lui servir de leçon et lui faire ravaler sa fierté… Il soutint sans broncher le regard du ministre et hocha la tête avant d’esquisser un sourire amer.

« Je ne peux qu’être d’accord avec vous. »

Il reprit une expression neutre et s’efforça de la conserver en voyant partir le garde du corps. Il ne savait pas ce qu’il s’était dit mais peut-être avait-il bougé un bon pion… Il soutint ensuite le regard de Louise, impassible. Elle avait raison. Oui. Il le reconnaissait. Il releva la tête vers le ministre, sans relever la pique autrement qu’en étirant légèrement le coin de sa lèvre.

« J’en suis conscient, sachez le bien, et je vous remercie tous les deux pour votre sollicitude. Toutefois… »
Il adressa un regard en coin à Alexandre.
« … ce n’est pas parce que je suis assis dans cette geôle que j’ai perdu ma dignité et il est hors de question que j’ai recours à des flatteries mielleuses dans le simple but de m’attirer les bonne grâce de cet enfant qui m’a prouvé ces derniers jours qu’il n’apprenait rien de la vie et de ses propres erreurs, en plus de s’apitoyer sur son sort en niant ouvertement la souffrance des autres, voire même en la provoquant à cause d’un caprice d’enfant gâté. »
Il haussa les épaules, faussement badin.
« Et puis c’est à cause de ses dessins et dénonciations que je suis ici alors j’imagine qu’il ne peut s’en prendre qu’à lui-même, d’un certain point de vue… »
Il releva finalement la tête vers le ministre, avec une petite moue.
« Vous, en revanche, je n’ai rien contre vous et si vous nous faites sortir, Louise et moi, je pourrai vous donner de bonnes recettes de tisanes contre la toux, la grippe ou d’autres maladies, comme vous voulez… Sans enchantement, promis, parce que je ne sais pas faire ! »

Il se para de son plus beau et plus sincère sourire gentil en disant ces mots.
Ce beau sourire ne resta pas longtemps car l’autre gosse éclata en sanglots. Hyriel ne put s’empêcher de soupirer en prenant le ministre à témoin.

« Vous allez voir que ça va encore être de ma faute alors que je ne fais que rendre ce qu’il m’a donné. »
Il se retourna toutefois vers Alexandre, impassible.
« Eh, c’est pas toi qui faisait tout un laïus sur l’espoir, il y a quelques jours ? Attends de voir pourquoi le père de ton archange est là avant de te faire des idées. Je doute qu’il se serait déplacé en personne pour sortir un pseudo-sorcier et une ex-gérante de Lupanar de prison, si tu veux mon avis. »

Coldris écouta attentivement chacune des paroles du présumé sorcier. Il eût tout le loisir d’apprécier son esprit et sa fierté. Étrangement il préférait ceux là à ceux qui se jetaient à ses pieds en l’implorant de leurs paroles mielleuses à souhait. Pour autant, il ne se serait jamais laissé aller à prendre ses paroles pour argent comptant. Il ne savait que trop bien ce à quoi pouvait être prêt un individu pour éviter le pire.

Il n’était sûre que d’une chose : il n’avait rien d’un sorcier. En revanche, il avait des compétences intéressantes.

- Ma foi, c’est une proposition qui s'étudie. Il paraît que vous pouvez même faire jardinier à vos heures perdues. ajouta-t-il avec une espièglerie teintée d’ironie.

A ses côtés, Alexandre se mit à pleurnicher sur son sort. Pauvre petit chiot qui n’avait pas été choisi pour quitter sa caisse au milieu des autres corniauds. Coldris ne lui accorda pas la moindre attention. Il pleurnichait pour quatre jours avec de la nourriture et de la compagnie ? Vraiment ? Qu’était-ce donc que quatre jours ?

- Mais vous savez, c’est le roi du faites ce que je dis, pas ce que je fais. Voulez-vous savoir ce qu’il m’a dit le jour où il m’a rencontré ? un large sourire s’esquissa plein de malice «tout chrétien se doit d'être chaste. Prêtre ou non. Seul la procréation autorise de rompre cet état, à condition que ce soit dans le cadre du mariage. » il étouffa un rire, tant cela était absurde Mais je vous garde le meilleur pour la fin : « baiser un homme est une chose qui est contre-nature. »

Sa voix tranchante comme l’acier mit un point à cette anecdote. Il se tourna vers Alexandre, tout sourire et demanda :

- C’est bien ce que tu m’as dit n’est-ce pas, tu te souviens ? Ah et en passant : tu lui donnerais la gerbe à l’appeler ainsi conclut-il glacialement.

Derrière lui, le pas sûr de Valmar retentissait sur les pavés.

- La voici, Messire. prononça l’accent chantant du garde en lui tendant la médaille.

Coldris le remercia d’un signe de la tête et réceptionna le fin collier en or dans la paume de sa main. Il s’approcha de quelques pas vers Hyriel et lui jeta le fameux gage.

- Ne le perdez plus.

Hyriel esquissa un sourire à la pointe d’ironie du ministre et inclina la tête avec une déférence amusée.

« C’est dans mes compétences, en effet, et j’ai déjà officié pour Madame de Monthoux qui semblait très satisfaite de mon modeste travail. »

Et travailler pour le ministre en ayant la vie sauve lui plairait beaucoup : ce serait là une excellente place pour embêter un peu la noblesse… Il vit bien qu’il avait déçu Louise, il en était blessé en son cœur, mais il ne regrettait ni ses mots, ni ses actes. Trop bon, trop con, ce ne serait jamais sa définition. Il soutint son regard, neutre, et ne broncha pas.

« Je reconnais mes torts, je suis loin d’être un saint, et j’avoue que j’ai très mal reçu le coup de "je suis là par calomnie, vous parce que vous êtes d’horribles criminels qui avez mérité votre sort", surtout de la part de celui à cause de qui nous y sommes. »

Il écouta ensuite le commentaire sur Alexandre et ne put s’empêcher de pouffer de rire, lui aussi, ne trouvant rien à ajouter. Cela se suffisait à soi-même…Il haussa seulement un sourcil à la défense du jeune homme mais laissa le ministre répondre, puisque c’était à lui que l’on parlait. Il releva la tête en voyant revenir le garde du corps et contrôla sa surprise, comme il l’avait fait en entendant Jérémie. Décidément, les Iswylans étaient partout… De quel bord était donc celui-là ? Traître ou loyal ? Il ne s’y attarda pas et réceptionna le collier dans ses mains en hochant sobrement la tête.

« Je vous remercie amplement. Soyez assuré que s’il venait à se séparer de moi, ce ne serait pas de mon fait. »

Il hésita un instant et le glissa de nouveau sous les sangles de ses attelles.

« Là. Ça devrait éviter qu’un garde succombe de nouveau à la tentation de me le prendre. »

Il vit alors Louise déduire l’identité de l’amant de ses paroles mais ne comprit pas sa réaction. Il ne dit rien, ne fit rien, même s’il était intérieurement inquiet, pendant que le gamin suppliait son beau-père.

Coldris souriait de son regard bleu à sa répartie. L’homme lui inspirait autant un certain respect qu’une pointe de méfiance. Il comprenait aisément désormais d’où venait ces allégations d’ensorcellement. Certainement pas d’une quelconque compétence magique mais indubitablement du charisme qu’il dégageait.

- Vous êtes un homme plein de talents et je ne doute pas que vous soyez zélé à la tâche.

Le ministre écouta la contre-attaque du sorcier, parfaitement censé et justifié.

- Calomnie ? il ravala un rire amer vraiment ? En es-tu si sûr ? persifla sa voix glaciale

Il n’était nul besoin de préciser qu’il pourrait trouver autant de témoins que possible si l’envie lui prenait de le faire griller en place publique. Malheureusement, il avait pris d’autres engagements à son encontre. Il aurait pu sauver un fier lion plutôt qu’un dindon prétentieux.

- En effet, excuse-moi, Alexandre. En neuf mois, tu as certainement eu le temps d’effectuer une seconde gestation. Intellectuelle cette fois. ironisa-t-il caustique à souhait.

Prétentieux et pleurnichard. Que pouvait bien trouver Alduis à cette serpillère de pavés fangeux ? Pathétique. Pitoyable. Misérable.
Il ne lui répondit pas. Valmar venait de revenir avec le médaillon d’Adéis qu’il rendit à Hyriel. Il inclina sa tête à ses remerciements.

- Rappelez-leur qui vous l’a restituée si besoin.

Il se tourna finalement vers l’amant éploré, retenant un soupir.

- S’il était arrivé la moindre chose à mon fils par ta faute, j’aurais été le premier à allumer ton bûcher, crois-moi. Alors cesse tes jérémiades et comporte-toi en homme, en serait-ce qu’une fois dans ta vie et non en odieux gamin.

Bon ce n’était pas tout à fait vrai. Il était celui qui avait tout orchestré et il détestait les bûchers, mais qu’importe, l’important était qu’on le croit.

- Certains disent qu’un infirme en vaux un autre, mais je doute que mon fils partage cet avis.

Il posa son regard sur Hyriel.

- Je suis navré. Je ne peux rien de plus pour vous en l’état, mais nous nous reverrons prochainement.

Il l’avait enfin rencontré, et le moins que l’on puisse dire c’est qu’il n’était pas déçu. Un homme intéressant, à de multiples égards. Dangereux mais doté d’un esprit qui lui plaisait. Ce serait du gâchis de s’en séparer.

Hyriel vit sourire le regard du ministre et inclina la tête avec déférence, sincèrement honoré d’un tel compliment. Il écouta la réprimande de Louise mais ne répondit pas, pour ne pas remettre de l’huile sur le feu. Il tenait à leur amitié, contrairement au petit prétentieux qu’il exécrait mais, surtout, le ministre avait pris la relève alors il pouvait observer et sourire intérieurement de le voir remis à sa place, une première fois puis une deuxième. Il aimait bien la répartie de cet homme. Un peu moins l’insolence boudeuse de l’enfant. Il avait raison, certes, mais pourquoi ne les pratiquait-il pas, dans ce cas ?
Au retour de l’homme de main, il hocha sérieusement la tête.

« Je n’y manquerai pas. »

Il se désola en voyant son amie si abattue, au point de souffler quelque chose au gamin – un pardon ? Étaient-ce ses nerfs qui fléchissaient, après tant de tensions, où était-elle sincèrement navrée ? Il ne comprenait pas comment elle pouvait oublier tout ce que cet idiot leur avait dit et craché, toutes ses fautes dont il ne se repentait même pas. Étaient-ce simplement ses pleurs qui l’avaient fait fléchir, comme l’on cède parfois aux pleurs d’un enfant ? Sans doute tout combiné. Pauvre Louise, elle ne méritait pas ça.
Il serra les dents à la remarque sur les infirmes. Cela lui rappelait le cardinal mais l’enfant affirma le contraire. Il contint un hoquet de surprise au « même si le vôtre ne s’avère pas mauvais » ? S’entendait-il ? ou alors était-il à ce point bouffi d’orgueil qu’il se croyait tout permis, même devant le Ministre des Affaires étrangères en personne ? Ou alors faisait-il tout pour se faire tuer, en espérant qu’un parent ou amant viendrait venger sa mort et le dresserait en héros ? Non, il ne pouvait pas être aussi idiot… Il releva la tête aux derniers mots du ministre et ne retint pas un très léger sourire avant d’incliner docilement la tête.

« Je suis flatté. J’attendrai ce moment avec impatience et… curiosité. »

Il se permit un sourire et un regard plus malicieux, sincèrement intrigué. Cela promettait… Intérieurement, toutefois, il ne se faisait pas de faux espoirs et demeurait pragmatique. Peut-être parlait-il seulement de son bûcher auquel il ajouterait un joli ruban, pour l’effort…

On venait parfois pour une raison et Dame Fortuna, facétieuse et fière comme elle était, vous donnez envie de dévier de votre route, en ouvrant de nouvelles portes. C’était ce qu’il se disait ce jour-là, dans cette geôle de la Prévôté qui avait eu la bonne idée d’entasser l’amant de son fils avec le présumé sorcier qu’Adéis avait tant apprécié. Et il comprenait mieux pourquoi désormais. Une chose était désormais certaine : il allait suivre avec un profond intérêt le déroulement de ce procès et son issue. Il ne s’agissait pas de se mettre le Cardinal à dos, mais bien d’entrevoir les différentes possibilités à disposition pour servir au mieux ses intérêts actuels et futurs.

Et à côté, il y avait Alexandre. L’amant de son fils. Le fils de son compagnon de débauche. Celui qu’il avait piégé pour en tirer quelques juteux bénéfices de part et d’autre. Des deux infirmes, c’était celui qu’il devait ramener de sa petite visite des cachots. Des deux infirmes, c’était celui qui l’horripilait le plus et se permettait d’en rajouter. Des deux infirmes, c’était celui qu’il avait le plus envie de laisser moisir ici, surtout lorsqu’il faisait preuve d’une telle insolence.

- En effet, commença-t-il avec un sourire carnassier ,mais, je n’en perçois aucune chez toi.

Il pouvait bien le fixer de toute sa hargne, il allait rapidement à se souvenir et même découvrir à qui il avait à faire. Que faisait-on des chiens désobéissants, déjà ?

À la mention des paroles acerbes contre Thierry et pleine d’une nouvelle impertinence, il répondit d’une belle gifle qui claqua sec sous les voutes de pierre avant de le saisir au col pour le plaquer contre le mur humide, son regard de glace transperçant le sien.

- As-tu oublié à qui tu t’adresses ? il marqua une pause Je ne suis pas ici pour répondre au caprice de mon fils concernant sa chaufferette de lit, mais pour récupérer mon dû. Désormais, lorsque tu t’adresseras à moi ce sera Maitre. Au moindre écart de ta part, je te ferai arracher ta langue bien trop pendue. Suis-je clair ?

Il le relâcha d’un coup et recula jusqu’à l’entrée des grilles. Il attendit un instant et fit signe à Valmar d’aller chercher le garde pour le libérer des fers.

Quand vint la réplique du ministre sur les manières d’être un homme, Hyriel ressentit une maigre satisfaction en voyant qu’à nouveau, leurs avis concordaient. Avec un peu de chance, cela remettrait le jeune homme à sa place. Manque de chance, ce ne fut pas le cas et Hyriel sursauta au mouvement brusque du vicomte, avant de se retenir de sourire sous son être neutre détendu. Juste retour de bâton… Au moins, le gamin semblait comprendre. Il salua le ministre d’un signe de tête déférent quand il s’écarta.

L’herboriste croisa alors le regard de son amie. Il ne put s’y détacher, comme si le reste de la pièce n’existait plus. Il cligna des yeux quand le mouvement d’Alex le coupa mais y revient bien vite, inquiet. Qu’avait-elle ? Elle semblait anéantie, mentalement, moralement et physiquement. Comment avaient donc cheminé ses idées pour arriver à cela ?

Les mots du gamin le ramenèrent à la réalité. Il le fixa une longue seconde avant de hocher simplement la tête, incapable de ressentir quoi que ce soit à cette déclaration tant son amie occupait son esprit, pour en revenir rapidement à Louise. Alors que le gentil toutou s’adressait à son maître, Hyriel déplaça ses jambes vers son amie en les portant avec ses sangles, pour titiller le bout de son pied avec un visage suppliant, espérant au moins la sortir de sa torpeur.

Après cette mise au point musclé, Alexandre se montra enfin docile et heureusement. Il n’était pas question de ramener à Fromart, une ribambelle de problèmes. Il y veillerait personnellement et ne manquerait pas de sanctionner tout égarement.

Il eût un discret signe de la tête et observa distraitement les gardes lui remettre ses béquilles avant de faire demi-tour. Arrivé devant l’escalier, il se retourna brièvement à l’attention d’Hyriel :

- A bientôt et bon courage.

La suite ne serait pas une partie de plaisir. De son côté, il devait réfléchir aux possibilités qui s’offraient à lui et la meilleure façon de les mettre en œuvre. Cette rencontre avait été particulièrement riche et il était ravi d’être venu en personne libérer Alexandre. Il comptait bien creuser le dossier du sorcier d’ici son procès.

Le salut du ministre surprit Hyriel qui inclina la tête, respectueux.

« Merci, à vous aussi. »

Ce serait très intéressant…
Il revint à Louise aussitôt qu’il fut parti et continua de la fixer, attendant un signe. Il ne la vit toutefois que sombrer encore plus, malgré son geste réconfortant.

Il s’anima de nouveau quand Louise releva la tête et hocha frénétiquement la tête en entendant de nouveau le son de sa voix.

« Oui, Louise, je suis là ! »


Il s’intrigua toutefois à la suite. Elle… débloquait ? Ce serait logique mais… non, son attitude lui disait autre chose. Elle cherchait à lui dire quelque chose ; mais quoi ? Après avoir lâché un « Oh oui… » pour la forme, il réfléchit, sourcils froncés. Elle aimerait être un homme. Soit… Les avantages légaux, la liberté sociale, c’était enviable… Il lui manque peu de choses. Mmmh… Ça faisait quoi, un homme, de spécifiquement homme ? C’était parfois misogyne. Bon. Peut-être pas. À l’inverse, ça couchait avec des filles. Oui mais ce n’était pas pour autant qu’ils allaient au bûcher… Ils allaient au bûcher parce qu’ils couchaient avec des hommes. Elle serait seule à vouloir être comme un homme pour faire une chose des hommes sans risquer le bûcher, du genre aimer les filles et…

Oh…

Oh mais…

C’était tout à fait le genre de choses à ne pas dire tout haut, ça, mais ce n’était pas non plus forcément ça. Il fallait lui demander. Par signes. Il se mordit les lèvres en réfléchissant et désigna Louise, puis… il mima une étreinte imaginaire et avec la bouche en baiser, puis les poings reliés, sourcils battants et regard rêveur pour être sûr d’avoir transmis l’idée, puis…. Comment mimer une femme ? Oh. Bon. Elle n’était pas forcément ultra prude… Peu convaincu, il posa l’arrête de ses mains sur sa clavicule et les descendit en arc de cercle jusqu’au bas de ses côtes. C’était probablement assez clair… Il prit ensuite une mine interrogative, pour figurer la question. Elle n’aurait qu’à hocher la tête ou la secouer et ils serait fixé, sauf s’il s’était royalement fourvoyé…

En prêtant attention au regard fuyant de son amie, Hyriel n’eut aucun mal à deviner son malaise, ce qui le conforta dans ses déductions. Il s’efforça donc de sourire le plus gentiment possible pour la rassurer. Qu’elle aime les hommes ou les femmes, quelle importance, au fond ? Ce n’était pas contre-nature, comme le disait l’Église, puisque le fait était que ça se trouvait naturellement chez les humains. Toutefois, il devait bien reconnaître qu’une femme qui aimait les femmes, c’était plus rare, ou du moins, on n’en entendait moins parler vu qu’on en s’intéressait que très peu aux femmes, ce qui ne devait pas aider sa pauvre amie.

Il la vit se creuser la tête pour comprendre ses signes et en sourit. Ils allaient aller loin, comme ça…
Ce qu’elle lui dit ensuite lui confirma sa déduction et chassa ses derniers doutes, en plus de l’attrister. Il laissa planer une seconde, le temps de rassembler ses mots, et se pencha en avant, l’expression calme.

« J’ose imaginer, oui, et… la seule chose que je peux te dire, c’est qu’il ne faut pas perdre espoir. Ce n’est pas parce que tu n’as jamais connu l’amour que tu ne le connaîtras jamais. (un soupir) Bon, je sais que ça sonne un peu trop optimiste mais… je suis certain que ça arrivera.  »

Il s’efforça de lui sourire en rapprochant ses jambes des siennes.

« En attendant, je sais que ce n’est pas le mieux mais tu m’as comme amis sincère qui fera ce qu’il pourra pour te redonner le sourire. »

Pour prouver ses dires, il rapprocha ses pieds autour de celui de Louise, pour lui offrir une sorte d’étreinte avec les moyens du bord.

Il ne fallait pas être grand clerc pour voir que les paroles d’Hyriel n’avaient que peu d’effet sur Louise, malheureusement, et il s’en désolait. Toutefois, il ne savait pas quoi dire de plus, lui qui avait finalement trouver personne à aimer, de qui il avait été aimé en retour.

Il releva la tête, interpellé per son apostrophe. Il se mordit la lèvre à la suite. Il partait mal, très mal, en effet. Il s’attrista en voyant ses larmes et s’effraya, impuissant. Il ne put que secouer la tête. Il ne voulait pas mourir, lui non plus, il avait encore trop à faire… Il secoua catégoriquement la tête à la fin, ramené à la réalité.

« Non, Louise, ne dis pas ça, c’est faux. Ce n’est pas ta faute si vous aviez besoin d’aide et si je vous ai aidées, c’était de mon plein gré et de bon cœur. Je ne pouvais me résoudre à voir souffrir des innocents, je n’ai jamais pu et ne le pourrai sans doute jamais. »
Il secoua la tête, désolé.
« Je suis responsable de mes actes, Louise, et la seule chose que j’espère, c’est que tu n’en souffriras pas trop durement. »