Event 3 ¤ Procès d'Alexandre et Tristan - 10 septembre [Terminé]

Irène n'était pas étonnée de l'intervention de Dyonis. Seulement, elle constatait avec joie que presque tous les témoins penchaient en leur faveur. Elle hocha la tête à l'intervention de Thierry. Il s'était bien préparé de toute évidence.

Cependant l'intervention de Blanche la désespéra. Est-ce qu'elle savait seulement ce qu'elle était en train de faire ? Ce pauvre Tristan ne méritait pas pareille chose ! Alex tirait certes parti de son intervention mais elle se devait de faire quelque chose pour Tristan. Difficilement, elle se leva aussi en s'appuyant au banc. Elle cherchait encore à ménager son enfant.

- Nobles membres de cette assemblée, je demande la parole. Je comprends ce que l'on peut reprocher à ce jeune homme. Seulement je voudrais me permettre d'y objecter quelques arguments. Pour ce qui est de son apparence, il a raison. Nos ancêtres nous ont bien assez averti des dangers de la superstition. Elles n'apportent que le malheur et c'est une faiblesse que de croire à ces choses. Quant à ses bijoux, je n'y voit rien d'obscène. Mon mari était marchand et il m'a rapporté que le roi de France lui même portait une boucle à l'oreille. Ce n'est qu'un ornement, coquet j'en conviens, mais quel mal y a-t-il à s'en fabriquer, seulement dans une envie de se parer ? Messieurs, je suis certaine que votre sagesse qui vous a porté au rang du juge saura vous faire voir la vérité.

Elle s'arrêta un instant, reprenant son souffle. Mais elle ne faiblit pas. Elle voulait aller jusqu'au bout. Etre digne du père Jacques s'il la voyait.

- Je suis arrivée hier en ville, et déjà on m'a vanté les mérites de ces garçons. Alexandre est venu chez moi et lorsque je lui ai proposé un emploi m'a avoué ses fautes, sans détour, afin de ne rien me cacher. Je ne connais pas de garçon plus honnête. Et il est aussi travailleur, il a cherché à m'aider autant que son infirmité le pouvait, sans jamais se plaindre. Quant à Tristan, je sais qu'il est resté au pilori avec Alexandre, dans le froid, puis qu'il l'a veillé tout le jour durant. N'est-ce pas là une preuve de sa belle âme ?

Elle dut s'arrêter encore. La sueur perlait à son front mais elle ne fléchit pas et acheva sa tirade.

- Si ces garçons ne demandent qu'un travail honnête pour s'amender, je m'engager, messieurs, à les prendre tous les deux à la boutique que je possède. Je jure devant Dieu et la Vierge de inculquer tout ce qui leur manque et que vous jugerez bons afin qu'ils ne recommence pas. N'importe qui dans ma ville d'origine saura vous dire que je suis bonne chrétienne. Et n'avons nous pas été tous jeunes, avides d'aventures, messieurs ? Ce ne sont là que de malheureuses erreurs de jeunesse, qu'ils corrigeront dès ces portes passées, j'en suis certaine.

Hilde arriva trop juste. Le procès était bien entamé, elle se faufila à l'arrière de tous, sous le regard des gardes de l'entrée. Son habit de nonne lui donnait surement le bénifice du doute. Elle tenta d'apercevoir Tristan, mais ne vis qu'une mèche de ses cheveux. Que pouvait-elle faire? Être là était déjà beaucoup.

D'un timide hochement de tête, Tristan laissa comprendre à Thierry qu'il allait lui obéir. Alors se leva une femme, qui semblait très fatiguée, le front en sueur, mais qui tint bon pour les défendre. Ses paroles lui laissèrent vite comprendre de qui il s'agissait et avec une voix tremblante d'émotion, le garçon murmura comme un bienheureux :

-- C'est elle... C'est Madame Irène.

L'espoir brilla dans ses pupilles dorées qui vinrent chercher celles d'Alexandre. Le discours d'Irène bouleversa Tristan. Elle représentait une alliée en or ! Et elle avait l'air d'une femme admirable. Comme il aimerait travailler pour elle en sortant de cet affreux procès ! Du bout des lèvres et du fond du cœur, il la remercia.
L'assistance remua alors quand entrèrent deux nouvelles silhouettes. Tristan crut deviner le voile d'une religieuse. Serait-ce Hilde ? Ou l'une de ses consœurs ? Et l'autre nouvel arrivant fut en revanche immédiatement reconnu : c'était Lénius ! Oh, lui ici ! La chance semblait tourner. Environné d'autant de soutien, d'autant de regards amis et bienveillant, le garçon sentit son cœur bondir en lui et un début de sourire s'accrocha même à son visage.

Le troubadour s'était précipité vers le tribunal. Bien sûr, une volée de marches l'empêchait d'y entrer et il dut requérir l'aide de quatre passants pour porter sa lourde chariote et sa non moins lourde personne. Deux avaient accepté de bon cœur et une obole avait achevé de convaincre les deux autres. En entrant dans la salle du procès, Lénius attira inévitablement des regards. On chuchota autour de lui. La gargouille remercia ses porteurs d'un très poli :

-- Grand Merci ! Dieu vous le rendra !

Près de lui au fond de l'assistance, il repéra la Sœur Hilde qu'il salua d'une expression pleine de distinction, malgré l'angoisse elle aussi clairement visible sur ses traits difformes. Lénius tendit l'oreille : c'était justement le moment où l'on demandait d'éventuels témoignages. N'écoutant que les élans de son cœur, sans même avoir bien suivi l'affaire, le troubadour voulut parler. Qu'importe ce dont on accusait exactement son ami et le fils Bellanger, il devait apporter un bon témoignage en leur faveur. En outre, le sortilège de Lucrezia agissait encore sur lui et le poussait à lui obéir par n'importe quel moyen. Il suivit donc son élan et se manifesta de sa voix sonore :

-- Votre Honneur ! Mesdames ! Messieurs ! Je me nomme Lénius, saltimbanque et baladin en cette ville. J'atteste sur tout ce qui m'est cher de la valeur de ces deux garçons que vous jugez ! Tristan n'a de cesse de vouloir se rendre utile et de trouver un bon emploi. Il est généreux et fort chrétien au quotidien. Je le vois se démener chaque jour. Quant à Alexandre, jusqu'à ces fâcheux derniers jours sa réputation en tant qu'apprenti libraire a toujours été remarquable. Lui aussi est un brave travailleur. (L'envoûtement le poussa particulièrement à poursuivre : ) Ce procès est une mascarade politique pour les faire se taire sur des manigances. Sauvez ces deux garçons !

L'homme difforme avait parlé sans s'arrêter. Il reprit son souffle presque comme un taureau dans l'arène. Ses yeux déments et secoués de fatigue allaient d'un visage à l'autre.

A l'intervention courageuse d'Irène, un sourire bienheureux flotta sur le visage de Thierry. Ses mots simples, emplis d'énergie, lui rendaient de la vigueur. Il ne les gaspillerait pas. Bien au contraire, ils seraient exploités à leur maximum.

Alors qu'il s'apprêtait à prendre la parole, l'entrée de Lénius ne passa naturellement pas inaperçue. Celui-là savait se faire attendre. Tant pis ! Il se sera passé aisément de ses services finalement. Concentré sur son rôle, il éleva la voix avec force, se tournant en même temps vers Irène.

"Remercions cette dame pour son précieux témoignage et son dévouement à servir la justice ! Comme elle le rappelle si bien, elle n'est en ville que depuis hier mais son cœur pur se devait d'être ici pour servir au mieux la vérité et l'honneur ! Entendez-vous son discours ? Elle assure bien que le jeune Alexandre est travailleur, honnête, mais cela n'est pas à démontrer ! Par ses propres paroles, ses propres actes, il aura démontré de lui-même sa droiture Elle mentionne justement un détail que j'avais omis : cet infirme, Tristan, est effectivement demeuré toute la nuit quand Alexandre se trouvait au pilori. Qui dans cette salle aurait pu faire de même ? Qui donc ? Très peu de monde, en vérité, j'en suis assuré."

Il marqua une pause puis posa un regard sévère à sa sœur. La suite lui coûtait mais il devait protéger Tristan. Il l'avait promis. Par ailleurs, Alexandre serait horrifié de s'en tirer et pas son ami.

"Quant à vous, je vous remercie de bien prouver par vos déclarations qu'Alexandre est un garçon viril et honorable mais dénigrer ainsi Tristan est une insulte ! J'ai moi-même attesté, en tant que confesseur, de l'honneur de ce garçon ! Je connais son âme, je connais sa conscience... Selon vous, qui a le plus de poids dans la parole ? Un prêtre ou une prostituée ? Je parierai qu'il y a là une affaire louche, vous avez sans doute quelques comptes à régler avec Tristan et vous utilisez ce procès pour cela !"

Sa main se posa sur l'épaule de Tristan.

"Moi, je maintiens qu'aucun de ces garçons n'est attiré par le même sexe. Ce ne sont que bons chrétiens, honnêtes, comme l'a si bien expliqué madame là-bas, et j'encourage les juge à écouter vos avis des plus éclairés."

Dans l'instant qui suivit son intervention, Thierry vit Lénius prendre la parole et surtout la défense des deux garçons, insister sur la moralité de Tristan, les décrire comme honnêtes et bons travailleurs. Un discret sourire se peignit sur son visage. L'idée qui lui venait l'amusait. Il porta la main à sa croix et se signa, les yeux levés vers le ciel.

"Quelle belle gargouille que voilà ! Ceci, messieurs, n'est rien d'autre que la preuve manifeste que Dieu observe et juge ce procès ! Dieu est avec ces deux garçons ! Dieu les soutient ! La présence de cet être.. particulier, au milieu de cette agitation, en est la preuve ! Dieu nous envoie un signe !"

Son regard accrocha celui de Dyonis, insistant, puis se fit plus humble pour se tourner vers les juges.

"En notre âme et consciences, réfléchissons-nous ! Réfléchissons ! Qui sommes-nous pour refuser de ne pas voir le signe de Dieu ?"

Blanche ne comprenait toujours pas la logique de son frère. Pourqoi celui-ci s'évertuait à défendre le petit infirme ? il ne représentait rien. Par rapport à l'héritier, ce n'était qu'un excrément qu'on rejetait au plus vite au caniveau. Brusquement, le regard agacé de Thierry à son encontre la fit trembler. Elle eut les larmes aux yeux et se dissimula derrière l'éventail. Elle l'avait déçu. Elle avait cru bien faire mais sa condition de femme n'avait su comprendre les enjeux apparemment. Après tout, si seuls les hommes faisaient des études, c'était sans nul doute parce que ceux de son sexe n'étaient assez intelligentes pour accéder à cette distinction.

D'une petite voix, elle murmura :

"Pardon, mon père. "

Elle se décida ainsi à rester muette jusqu'à la fin du procès, sauf élément imprévue. Elle ne devait plus contrarier son frère. Il était homme maintenant. Or, un homme, quand il était énervé, cela avait de dangereuses réactions.

Des larmes de gratitude inondaient les joues de Tristan. Ses pupilles allaient sans cesse de Lénius à Irène en passant par Thierry. Il eut cependant une légère grimace quand le prêtre avança comme argument la profession de prostituée pour décrédibiliser Blanche, même si cela visait à le défendre. L'infirme lui aussi souvent dénigré se sentit en empathie avec la catin malgré ce qu'elle avait pu dire.

Le saltimbanque eut un sourire ironique aux paroles du prêtre. Le faire passer pour un signe de Dieu, c'était bien la meilleure ! Mais c'était de bonne guerre. Son cœur battait à vive allure. Il fallait l'emporter ! Or les choses semblaient en bonne voie.

¤

Les juges notèrent les identités de chacun des intervenants. D'abord, cette femme très mal en point, mais courageuse, qu'on leur présenta comme Irène d'Aubeville, nouvellement arrivée en ville, commerçante et de bonne moralité d'après les informateurs. On notifia avec soin ses propos et les magistrats acquiescèrent. Elle fut remerciée pour son intervention, peut-être bien la première honnête et digne d'une entière confiance... au milieu d'un prêtre en rupture de ses vœux et d'une prostituée ! Sans compter l'affreux invalide qui venait d'entrer. Quelle curieuse galerie. Le juge instructeur acquiesça sobrement aux paroles de Thierry sur le prétendu signe du ciel, malgré les grimaces ou les rires moqueurs que suscitait le gros infirme.
On se tourna de nouveau vers l'accusation, en la personne de Dyonis.

-- Messire. Nous allons arriver à la clôture de l'instruction avant délibération. La Cour vous demande solennellement la peine que vous requérez contre les deux accusés.

Hilde ne pouvait rien. Impulsivement, elle avait voulu dire quelque chose, mais connaissait-elle vraiment Tristan, croisé une ou deux fois? C'est le père Thierry qui la troublait davantage. Un homme qui choisissait ses préférences comme le vent tourne. Elle avait raison d'être mal a l'aise avec lui. Et pourtant, elle se devait de le garder clément envers elle. Au cas où un jour, elle serait questionnée aussi. Hilde échangea un bref regard avec Lénius et son franc discours pour témoignage lui fit chaud au cœur.

Dyonis n'a pas prévu du tout que ces deux pauvres garçons aient autant de soutien dans le peuple. Si les témoignages du prêtre en rupture de vœux et de la prostituée manquent de crédibilité aux regards de la morale, celui de la dame Irène a produit son petit effet. Elle évoque notamment le goût de certains rois et nobles pour les ornements féminins, pour excuser les parures de Tristan. Le baron fait partie de cette aristocratie très austère qui rejette ce genre de fantaisies, mais elles ont en effet cours dans les hauts rangs de Monbrina. Il décide donc de ne pas rebondir là-dessus.
L'intervention du gros infirme et les commentaires du prêtre l'amusent presque. Il est facile de manipuler la plèbe et de faire de n'importe quoi un signe du Ciel.

On lui demande alors son avis quant à la sanction. Il faut réfléchir vite et bien. Le noble évite soigneusement de croiser les visages doux des deux accusés, surtout le regard si gentil d'Alexandre qui à ce moment là, l'exaspère et lui jette ses contradictions au visage. Il ne peut pas se montrer trop clément, car il donnerait l'impression de revenir sur ses accusations et d'être faible. Il faut aussi absolument que ces témoins gênants, qui pourraient avoir envie de le confondre en sortant de là, disparaissent ou tout comme. Cependant, avec tous ces gens qui les soutiennent... Tous ces gens auxquels Dyonis n'avait pas pensé. Faut-il mieux paraître faible, ou impitoyable ? Surtout si bientôt il devenait premier conseiller, qu'est-ce qui nuirait le plus à son image et à l'image de la couronne ?
La balance a penché, avec les derniers témoignages, en faveur des accusés. Ils risquent de sortir libres et que leur peine soit minimisée. Il inspire et, sous le coup de la panique devant l'absence de nouvelles de sa complice, l'homme se braque. Tant pis ! Il paraîtra rigide. Et après tout d'autres seigneurs font pendre des manants pour bien moins que ça, alors sont choix semblera peut-être ordinaire. Dyonis est comme absent de lui même et sa voix est mécanique quand il décrète :

"La pratique homosexuelle n'a pas été prouvée mais ces garçons restent douteux. Surtout celui-là" (montre Tristan) "qui parasite les rues depuis des années. Il faut un signal fort pour ses semblables." (Puis, sur Alexandre : ) "Lui ne sait pas se tenir et fait régulièrement preuve de grandes insolences envers des représentants de l'autorité. Il récidive aussi en s’introduisant là où il n'a pas le droit. Malgré les sanctions déjà appliquées et les promesses qu'il fait de bien se tenir, il recommence. Et surtout, tous les deux restent complice chacun à leur façon d'une criminelle qui court toujours. L'on ne sait ce qu'à eux trois ils pourraient encore faire." (Il regarde de nouveau Tristan : ) "Ce garçon a osé en plus m'accuser honteusement."

Il s'entend à peine lâcher, perdu dans son ambition et dans son inquiétude que le relâchement des accusés se retourne contre lui :

"Je requière la corde."

Mieux vaut trop que pas assez.

M. Bellanger opina la tête à la justesse de ce réquisitoire. Cela augurait du bon sens : ce garçon, né d'un infâme péché, visiblement sans âme, devait disparaître, s'effacer enfin de ce monde où son existence n'avait aucun sens. Il était une erreur. Rien de plus qu'une erreur.

Sans la moindre expression, il se leva et prit la parole :

"Messiers les juges, j'aimerais également exposer une requête : que ce garçon, que j'ai considéré jusque là comme.. mon fils, mais qui n'est manifestement que l'incarnation du démon, soit dessaisi de toute identité qui le relie à mon auguste personne. Je me refuse que moi et les miens soient associés au souvenir d'une si abjecte personne."

Blanche était anéantie à l'annonce d'un tel réquisitoire. Elle tremblait nerveusement de tous ses membres. Comment l'héritier pourrait-il disparaitre ? Le seul héritier qui restait à leur prestigieuse lignée ! Non ! non ! Elle devait tenter quelque chose ! Vite ! Rapidement, elle se leva, se faufila dans l'assistance pour se dirigea vers ce puissant Seigneur. Accrochant discrètement le bras de Dyonis, elle chuchota :

"Seigneur... Seigneur, s'il vous plaît, je... Ayez pitié au moins pour le garçon... Bellanger. Il est... Il est précieux. L'autre infâme mérite bien la corde, on se moque de son sort de vulgaire parasite qui ne vit que de mendicité depuis sa naissance. Mais l'autre garçon... L'autre garçon, seigneur, si vous l'épargnez, je consens à devenir votre maîtresse sans aucune contrepartie en échange. Réfléchissez, seigneur, je vous supplie. Pour ce garçon.. il ne doit pas.. Il ne faut pas..."

Blanche tremblait. Elle ne devait plus échouer. Il fallait sauver l'héritier. Absolument. Le sang, le précieux sang allait disparaître et avec lui tous les espoirs de rétablir une lignée honorable et prestigieuse.

La requête de Dyonis anéantit Tristan. Lui aussi s'effondra. Il vit le père Thierry prendre dans ses bras Alexandre qui sanglotait. Tristan s'approcha et ses mains menottées virent, autant que possible, serrer celles de son ami. C'était toutefois un geste fraternel sans aucune ambiguïté possible. Tous proches l'un de l'autre, les larmes des garçons se mêlèrent. Tristan pleurait en silence, incapable même de regarder ni Irène, ni la Sœur Hilde, ni Lénius.

L'homme difforme crut recevoir un coup sur la tête. Pour la première fois, les personnes assises près de lui pourront le voir pleurer de rage, sans aucune envie de rire, alors que l'habitude de Lénius était d'adresser un sourire grinçant même aux pires situation. Il se mordait les lèvres et de petits soubresauts de hargne sortaient de sa gorge comme des cris étouffés. Il ne put que se raccorder au regard de la nonne, tout près de lui dans le fond de la pièce. Lénius tenta de se raisonner : les juges pouvaient encore commuer la peine. S'il y avait quelque dieu dans le ciel, c'était pour lui le moment de sauver Tristan et Alexandre. Et ce seigneur de Frenn allait le payer très cher.

¤

Le juge instructeur nota la demande du sieur Bellanger quant au retrait du patronyme, ainsi que la suggestion de Dyonis. Il transmit l'ensemble des documents au juge rapporteur, qui allait rédiger une synthèse sur laquelle s'appuierait les délibérations. Un coup de marteau fut frappé et on annonça :

-- La Cour se retire pour délibérer.

Les magistrats quittèrent le tribunal, laissant l'assistance seule sous la seuveillance de nombreux gardes, le temps de leurs débats en interne.

Dyonis ignore complètement l'intervention prétentieuse du libraire. Il reste très neutre au départ de la cour pour sa délibération, puis au regard assassin du père Thierry. Le noble est bien conscient qu'il s'est fait là un ennemi. Mais il veillera à ne jamais lui donner aucune raison pour pouvoir l'incriminer. Lui n'était qu'un curé en bas de l'échelle ecclésiastique, contre un puissant seigneur et membre de l'ordre public.
Après la sortie des juges, la prostituée vient vers lui avec une étrange requête. Là encore, le baron demeure poli et distant. Son front se plisse alors que la femme l'implore curieusement pour Alexandre.

"Qu'est-il donc tant pour vous, ce garçon ?" (Après un court silence) "La cour va rendre son verdict. Je lui fais confiance. Comme vous même l'avez dit plus tôt. Confiance en Dieu et en la justice du roi. Quant à ce que vous me proposez, cela ne m'intéresse guère."

Réponse claire et abrupte. Il n'est pas d'humeur à la galanterie, toujours sous pression et travaillé au plus profond de l'âme par le courage si étonnant des deux accusés, et la bienveillance consternante d'Alexandre.

Blanche enrageait devant la fermeté de l'homme et eut beaucoup de mal à dissimuler ses émotions. D'un autre côté, elle le comprenait : il était dans son bon droit. Elle non plus ne saurait lâcher ses intentions, telle était la règle auquel leur sang les obligeait à se soumettre. Il l'interrogea alors sur ses liens avec l'héritier. Que répondre ? Elle ne devait pas évoquer ses liens avec son frère. Pas pour le moment.

"Ce garçon est... J'ai entendu dire que c'est le dernier héritier d'une famille noble illustre qui a beaucoup compté dans l'histoire de ce royaume. Moi aussi... J'appartiens à une lignée qui compta beaucoup mais dont les descendants mâles se sont malheureusement éteints. C'est une souffrance.. indescriptible. Pouvez-vous imaginer, messire, ce que c'est de voir votre nom si glorieux s'effacer ? Cela est la pire des humiliations. Je me suis ainsi poussée à aider ce garçon, comme par désir de rattraper le préjudice qui m'a été fait. "

Il faisait référence à ses propres paroles. La justice du roi ? Quelle bonne plaisanterie ! La justice se faisait par les puissants et rien d'autre ! Tous les bons sentiments et la morale ne comptaient pas.

"La justice...Ce sont les gens tels que vous qui la font, quoique on en dit. Vous avez le pouvoir. Vous pouvez tout. Ordonnez, le garçon sera libéré. Vous  êtes la puissance que les juges écoutent. Voilà la seule vérité. Mais sinon... J'ai entendu que vous étiez veuf, messire, et avec votre... particularité."

Son regard était devenu cynique, presque moqueur. Elle porta la main à la joue de Dyonis.

"Vous n'avez plus personne pour vous satisfaire.... Vous avez besoin du plaisir que je procure. Or, vous savez, avec votre particularité, très peu de mes consœurs vous accepteraient, même pour une grosse somme. Néanmoins, si vous accordez la liberté au garçon, moi, j'y consens, et gratuitement. N'est-ce pas un merveilleux échange de bons procédés ?"

C'est d'abord avec intérêt que Dyonis écoute Blanche. Il y a même un fond de curiosité et de compréhension dans ce qu'elle dit de la noblesse d'Alexandre. Quant à ce qui serait de sa propre noblesse déchue, le baron n'a pas le temps de se demander si c'est une fable pour essayer de l'avoir dans la poche : la suite de la scène que cette femme lui joue lui fait fortement douter d'une prétendue noblesse de celle-ci !
Il se crispe sévèrement quand elle se permet de lui mettre la main à la joue, recule d'un coup sec et écarte les doigts de Blanche avec sa prothèse. Quant à ses arguments. Il a rarement entendu un tel concentré de vulgarité. Dyonis répond avec cette fois un ton polaire :

"D'abord, veuillez laisser feu ma femme hors de ceci. Croyez-vous, ensuite, que cette grossièreté me convaincra ? Et que les gens infirmes n'attendent que de la charité à ce niveau-là comme aux autres ?"

Si les autres invalides de la salle entendent, ils doivent sans doute apprécier eux aussi les arguments de Blanche... Les pupilles du baron restent fixes et glaciales, devant l'air légèrement moqueur qu'elle prend. Il achève :

"Une prétendue noble, enfin, saurait que l'argument financier n'est pas notre affaire et s'il devait être question d'argent, je peux m'en offrir quinze comme vous par semaine. Maintenant disparaissez. Tout de suite."

A l'intonation sévère de Dyonis qui résonna à travers toute la salle, Thierry tourna la tête et dévisagea le noble pour apercevoir sa sœur en pleine altercation. La surprise se révéla totale. Il était incapable de la masquer. Pourquoi ? Qu'avait-elle donc imaginé ? il ne parvenait pas pour une fois à comprendre les desseins d'une personne. Aurait-elle... essayé de séduire Dyonis ? L'idée lui paraissait grossière. En quoi cela aiderait-il Alexandre ? Il n'aurait pas dû hier soir la laisser improviser seule un plan. Ils auraient dû en discuter longuement et établir une stratégie commune et des limites à leur actions.

Il devait intervenir. Éloigner au plus vite sa sœur. Enfant, il lui arrivait d'avoir des réactions impulsives qui lui fallait alors la férule de leur mère. Il se rappelait cependant aussi avoir plus d'une fois avoir négocié pour subir le châtiment à sa place. Leur mère acceptait mais, malheureusement, obligeait alors la fillette à observer son frère être battu. Il se se souvenait de la douleur de la lanière mais plus encore des larmes dans les yeux de sa cadette à chaque coup qui retentissaient dans son dos.

Le cœur brisé à l'idée de devoir être dure envers sa sœur, Thierry aboya sèchement à Blanche :

"Il suffit ! Vous, la catin, je vous remercie d'avoir accompli votre devoir moral en témoignant pour mon fils mais restez à présent à votre place ! Je vous demanderai de retourner à votre place ou de sortir."

Son regard se tourna vers des soldats.

"Autrement, ces gens se chargeront de vous évacuer."

Au bout de lui-même, Thierry souffrait de cette violence à laquelle il devait s'obliger face à sa cadette tout en paraissant austère, obéissant au masque du prêtre inflexible sur les questions de l'ordre social. Ses bras se se resserrent alors autour de son fils, ayant plus que besoin de le sentir contre luI.

Blanche fut tétanisée par la réaction véhémente du noble. elle ne la comprenait pas. Les infirmes étaient justement bien heureux de pouvoir se soulager grâce aux prostituées. Ceux-là venaient avec impatience aux maisons closes, dès que leur argent le leur permettait. Elle les accueillait avec plaisir, sans discrimination, heureuse de pouvoir leur donner du réconfort, ce qui faisait d'elle une bonne chrétienne. N'était-ce pas la vérité ? Elle apportait à ces pauvres gens que les autres leur refusaient. C'était là même la définition de la charité.

Elle n'eut pas le temps de réagir que la semonce de son frère la crucifia sur place. Son regard s'horrifia. Elle paniqua de l'avoir déçue, d'avoir failli.. Elle baissa vite la tête. En tant qu'homme, seule autorité de leur famille, elle lui devait obéissante et docilité. Par ailleurs, il avait toujours été si bon, si tendre si dévoué envers elle. Elle lui devait cette soumission. Par respect.

"Je m'excuse, mon père, je m'excuse."

Les joues rouges, elle s'adressa à Dyonis, le regard baissé.

"Pardon de vous avoir dérangé, messire."

Rapidement, elle s'éloigna et retourna à sa place dans le fond de la salle.

Irène s'y attendait aussi à la sentence. Seulement, elle eut l'impression de sentir elle-même un couperet. Elle porta sa main à sa bouche, essayant de respirer calmement. Elle faillit bien vomir lorsque le père Bellanger ouvrit la bouche. Cet être était lui-même un démon. Puisse Dieu lui pardonner.

Irène n'eut pas la force de protester plus que l'assemblée le faisait déjà. Elle aurait voulu se lever, aller consoler les garçons, mais elle savait qu'elle n'en avait pas le droit. Alors, les oreilles embrumées, elle sortit son chapelet de sa robe. Irène laissa les grains glisser entre ses doigts et pria. La Dame de la Garde ne pouvait pas l'avoir abandonnée. Elle l'avait toujours protégée. Elle sauverait aussi Alexandre et Tristan.

- Je vous salue Marie, pleine de grâce...

Elle entendit vaguement Thierry héler Blanche, mais elle ne sut pour quelle raison, restant concentrée sur son chapelet.

Tristan ne prêtait aucune attention à ce qui se disait ici et là. Ses mains serrant toujours celles d'Alexandre, il laissait son regard brumeux errer sur l'assistance aussi trouble qu'une écume. La silhouette de Dame Irène était prostrée, concentrée sur quelque chose. Le garçon ressentit sa tension et son extrême fatigue. Comme une marée nauséeuse qui la tenait. Il la regarda quelques instants. Tristan se blottissait aussi dans la présence toujours chaleureuse du père Thierry auprès d'eux et il s'enveloppait au creux des mots puissants de Lénius qui résonnaient encore en lui.

¤

Après un certain temps, quand le beffroi au loin sonna la Midi, la Cour revint. Ce fut à ce moment qu'un messager royal dépêché en urgence entra et vint tendre une missive spéciale aux magistrats. L'un d'eux la lut et hocha la tête : elle semblait aller dans le sens de leur verdict et ils prendraient soin d'accorder encore davantage leur sentence à l'ordre du monarque. Des ordres sans aucune explications, simplement formulés et qui étonnèrent les juges. Il n'y avait toutefois qu'à obéir. Les messagers s'en retournèrent, fendant une foule en remous et curieuse de ce qui pouvait bien être commandé.
Un troisième juge, qui avait observé toutes les pièces rassemblées par ses collègues rapporteur et instructeur, prit les devants. Un auxiliaire de justice annonça solennellement :

-- La Cour va rendre son verdict. Veuillez vous lever.

Le silence pesa. Le juge déroula un parchemin et proclama :

-- En cette journée du 10 septembre 1597, la Cour de Braktenn déclare que lesdits Alexandre et Tristan sont convaincus de complicités à une incendiaire, de récidive d'intrusion illégale, de comportements offensants et insolents envers des représentants de l'autorité. Et suspectés de désirs tendancieux. Dans la présente, nous ordonnons qu'Alexandre soit destitué du nom du sieur Bellanger. Par ailleurs en conséquences desdits délits, les deux accusés sont condamnés au travail forcé. Iceux seront aujourd'hui même, en sortant de ce tribunal, menés au sieur Greeglocks pour y être marqués comme esclaves, puis vendus en son marché.

Le juge avait ainsi anticipé une éventuelle demande du seigneur de Frenn : qu'il reçoive les esclaves, en tant qu'accusateur et principal offensé. La Cour, conservant tout de même quelques doutes sur Dyonis, préférait les remettre à la vente. Le juge acheva :

-- Ainsi, Alexandre et Tristan sont à compter de ce jour défaits de leurs droits ordinaires de sujets et roturiers. Puisque le travail à leur fournir a été mentionné lors des témoignages, leur vie d'obéissance et de labeur sera consacrée à leur repentir et au soin d'espérer sauver leur âme. Sentence donnée en la prévôté de Braktenn, exécutoire dès à présent.

On posa le papier sur un pupitre, avec plume et encrier, puis on s'approcha des deux condamnés. Tristan et Alexandre devaient signer leur arrêt.

***

***

Étonnement à l'annonce du verdict, Alexandre la ressentit comme un soulagement, une libération, malgré la condamnation. Au moins, lui et Tristan ne seraient pas pendus. Esclave, ce serait une vie difficile mais c'était tout de même une vie. Par ailleurs, il voulait croire qu'il ne resterait pas esclave. Tant qu'il serait envie, peu importait quel maître l'achèterait, son père continuerait à le soutenir et à se battre pour lui. Il croyait fermement en cette possibilité et en l'avenir.

A ces pensées, Alexandre remarqua que son père n'était plus près. Inquiet, il tourna la tête et découvrit, horrifié, Thierry secoué par les spasmes et les sanglots. Ses confidences se rappelèrent alors à son esprit : son père avait été vendu par son propre père, le forçant à embrasser la prêtrise contre son gré. A ce verdict, le jeune homme comprit qu'il revivait le traumatisme à travers lui. Immédiatement, Alexandre bondit sur ses jambes. Oubliant ses béquilles posées pourtant près de lui, Alexandre accourut vers Thierry, franchissant les quelques mètres qui les séparaient, de ses jambes si fragiles.

"Papa !!!"

Enlaçant son père, Alexandre le força à le regarder.

"Eh ! Tout ira bien, papa ! Allez, réagis un peu ! Regarde, je vais juste être esclave : je ne suis pas mort ! Et puis, tu vas pas me laisser comme ça ? Je te connais ! Je suis sûr que tu vas trouver une idée pour arranger la situation !"

Alexandre se décolla ensuite de Thierry, lui accordant un sourire. Sa main plongea sous sa tunique pour extraire son médaillon aux armes de sa famille. Sa véritable famille. Il tourna alors vers son père adoptif qui le fixait avec écœurement et mépris depuis les gradins.

"Tu sais quoi, toi là-haut ? Je préfère mille fois me nommer seulement Alexandre que de te porter ton vulgaire patronyme toute ma vie ! Tu n'as jamais été un père, toi ! Tu m'as peut-être nourri, instruit... mais seulement pour être un héritier ! Quel triste homme tu es pour faire passer ton commerce au lieu d'une personne vivant vingt ans sous ton toit ! Oui, je suis le fils du père Thierry d'Anjou et je s'en suis fier ! Au moins, je n'ai pas constamment peur de recevoir une raclée avec lui !"

Se détournant de l'homme, Alexandre se retourna vers Thierry et lui mit entre les mains le médaillon.

"Je l'aimais beaucoup, il me rendait fier de le porter mais... Mais je ne veux pas le perdre. Peux-tu me le garder, papa ?

Le jeune homme serra en même temps la main de Thierry tout en lui remettant l'objet puis se retourna. Ses jambes commençaient à vaciller. Son esprit se révolta. Il ne voulut pas faiblir. ne pas paraître fragile. Son regard se posa alors sur la silhouette de Dyonis. Pour la première fois depuis le début de la matinée, il lui adressa une expression de fermeté, empreinte de courage et d'abnégation. Résolu, Alexandre marcha lentement vers le bureau où on l’invitait à venir signer les papiers du procès. Malgré sa démarche lasse, le jeune homme progressait avec dignité et même une certaine noblesse. Il parvint cependant devant les juges, épuisé, le visage tiré, et dut se tenir au bureau pour ne pas s'écrouler. il prit alors la plume tendue et signa.

Les agents commencèrent à faire vider la salle dans le calme, une fois que les deux condamnés auront signé. D'autres gardes firent sortir, des arrières de la prévôté, la charrette qui allait amener Tristan et Alexandre vers le marché du sieur Greeglocks. On vient se saisir d'Alexandre pour l'asseoir dans le tombereau, puis le fauteuil roulant de Tristan est soulevé et débarqué à côté de son compagnon d'infortune. Un carré de gens d'armes accompagne le sinistre convoi.

Lénius ne sut s'il était soulagé ou fou de rage. Tristan n'allait pas mourir. L'esclavage, cependant... Quelle abomination... Pourquoi ? L'homme serra les poings à s'en fendre les os et des larmes roulèrent sur sa face rougeaude. Il adressa un dernier regard à la sœur Hilde, et à la dame Irène qui avait si gentiment défendu les garçons : grâce à elles sans doute, ils avaient évité la potence. Puis le large véhicule de l'homme difforme se fendit violemment un passage au milieu de la foule, pour aller juste à tant serrer les mains des garçons avant le départ de la charrette d'infamie.

-- Si l'on vous sépare, je vous retrouverai. Je serai votre lien ! leur lança-t-il avant de devoir les lâcher.

Puis le bouffon se tourna vers Thierry, dévasté au milieu du tribunal. Il plongea dans ses yeux en larmes et les siens flambèrent avec une promesse : ils auraient une vengeance à accomplir. Cependant, Lénius ne restera pas, pour l'instant. Il devait s'isoler, pleurer sa rage et toutes les larmes de son corps, pour mieux réapparaître ensuite encore plus fort et prêt à rire à la face grinçante du monde.

Tristan ne pensait rien. Passer en quelques instants de la corde à l'asservissement avait achevé de le vider de toute énergie et de ses dernières larmes. Il traîna au milieu de la salle comme un corps sans âme. Silencieux et lent, il glissa en spectre vers le pupitre où, de sa main tremblante, il saisit la plume pour tracer une modeste croix en guise de signature sur l'arrêt de leur condamnation.
Le garçon ne fut vaguement réveillé que par les sanglots du père Thierry, qui lui firent ployer la tête et s'approcher de lui pour poser doucement une main à son bras. Alexandre prit le relais : Tristan l'admira pour cette course vers son père, pour son courage, pour les mots qu'il adressa au libraire. Bien fait pour cet abject personnage !
Le corps tremblant du garçon se sentit ensuite secoué, traîné. On le jeta dans la charrette des condamnés. Là, il se serra contre Alexandre, le fixa d'un regard qu'il voulut rassurant et murmura :

-- J'veillerai sur toi autant qu'possible. Rien n'est fini. Ça va aller...

Sa main fine serra de toute sa force celle de Lénius et d'un sourire tremblant il le remercia pour son initiative. Les pupilles dorées, noyées dans les larmes, cherchèrent une dernière fois Hilde, Irène, Thierry, pour un remerciement silencieux. Merci de votre défense, ou d'avoir simplement été là.
Aux secousses du tombereau à travers les rues, Tristan se recroquevilla et ne pensa plus qu'à son ami auprès de lui. Il pria du bout des lèvres.

La main serrée autour du médaillon que son fils venait de lui rendre, Thierry parvenait difficilement à penser. Son corps tremblait moins. L'énergie et le courage d'Alexandre avaient réussi à l'atteindre. Il l'observa chanceler vers le bureau pour signer ce méprisable papier qui déterminerait son destin. Il tourna le dos. Tristan lui touchait le bras pour le soutenir mais le prêtre ressentit à peine son contact, trop pris par sa douleur. Il se tourna vers le public et avança lentement vers Irène.

La voix brisée, il murmura :

"Irène... Je suis désolé. Je... Je n'ai pas pu. J'ai essayé."

Il s'effondra près de la mère de famille tandis que ses larmes coulèrent à nouveau.