Le courrier du Premier Conseiller

Cher baron,

Après toutes ces occasions publiques à se saluer de loin, je m’étonne d’être contrainte à vous envoyer cette lettre pour échanger davantage que quelques politesses avec vous. D’où je viens, on aurait trouvé cela incroyablement malpoli.

Avant même mon arrivée, on m’avait parlé de vous, le froid Premier Conseiller de Sa Grâce, calculateur et plein de ressources, le grand Dyonis Howksley de Frenn. L’homme sans main, mais au bras long. Ne prenez pas mon ton pour de la crème que je vous passe sur le dos : je serais bien curieuse de savoir si votre réputation est méritée. Si c’est le cas, vous et moi devrons passer un bon moment, à discuter autour d’un thé, de choses et d’autres. De Monbrina et de Djerdan. De datte et de raisin également. Je ne suis pas ennemie du colloque.

Ma foi si vous aussi vous vous trouvez à être curieux, prenez donc cette lettre pour une invitation. Je serais ravie de vous accueillir en ma demeure. Elle se trouve à une dizaine de kilomètres, sur la route Sud de la capitale, je suis certaine que vous n’aurez aucun mal à la trouver.

Ou bien envoyez-moi donc une réponse à cette lettre. Dans un cas comme dans l’autre, nous aurons fait bien plus que toutes ces autres fois à se faire la révérence.



Au plaisir,

Cher baron,

Votre lettre m’a fait sourire : je ne vous imaginais guère aussi bavard, mais cette révélation vous fait honneur. Je préfère lire le courrier de personnes ayant des choses à dire. Même si c’est pour lire que vous n’avez guère d’appétit pour les arts quels qu’ils soient. Cela, cher baron, relève autant du plaisir que de la culture, et notre devoir de mécénat n’est pas à prendre à la légère. La culture est ce qui rend toute civilisation digne d’intérêt. Le jour viendra où d’autres mondes remplaceront le nôtre, il nous faudra alors avoir laissé notre marque, des traces, pour qu’on se souvienne de notre culture jusqu’à la fin des temps. Enfin, loin de moi d’être une experte en la matière, je ne suis même pas artiste moi-même. Mais j’en entretiens.

Rassurez-vous cependant, il n’y aura ni danseurs ni musiciens excessifs en ma demeure. Du moins, tant qu’aucune fête n’y soit prévue. Je suis comme tout le monde, et préfère le calme du silence quand il s’agit de travailler ou de recevoir en privé. D’autant que le bruit du jardin est très agréable en cette période de l’année.

Si tout ce qui nous manque est une date, je vous propose alors la semaine prochaine. Mardi serait parfait, j’espère cependant que vous aimez le miel et le raisin, car la plupart des gâteaux que je propose sont à base de ces aliments.




Je suis également désireuse de recevoir la princesse Kalisha. Je ne la connais peut-être pas aussi bien que vous pourriez le penser, mais nous avons déjà eu l’occasion de se rencontrer à quelques réceptions données par le palais. Son mariage a déjà fait couler beaucoup d’encre à Djerdan, et en vue du climat actuel, du Triomphe auquel nous avons participé, je ne doute pas qu’elle ne se trouve encore au cœur d’intrigues politiques. Si vous la rencontrez avant moi, transmettez-lui mon soutien et mon empathie, je vous prie.

Dans l’attente de vous lire, je adresse à mon tour mes respects, à vous et votre maisonnée.

Votre Excellence,

Je vous fais parvenir à ce jour cette lettre d'excuses en toute humilité. Je voudrais me faire pardonner de mon comportement fort irrespectueux à votre égard et à ceux de la justice que j'ai eu lors du triomphe. L'habitude d'être sur les champs de bataille me fait parfois oublier la vie en civilisation.

Acceptez cette invitation de partager un dîner en ma compagnie, en guise de bonne foi et d'un meilleur départ sur de nouvelles bases. J'espère pouvoir vous voir, le 10 décembre de cette année, au domaine de Fromart.

Votre Excellence,



Ma belle-fille m’a fait part de la sollicitude dont vous avez fait preuve lors de mon malaise, allant jusqu’à mettre vos hommes à disposition afin de nous escorter. Je ne saurai jamais vous remercier suffisamment pour votre perpétuelle bienveillance à mon égard.
Je vous prie de bien vouloir accepter ces quelques fleurs confites et petits choux avec toute ma reconnaissance.

J’espère avoir le plaisir de vous voir prochainement afin de pouvoir vous témoigner ma profonde gratitude.

Que Dieu veille toujours sur vous et sur les vôtres,

Ce 25 octobre de l’an de Grâce 1597

Mon très cher père,


Mes yeux pétillent de joie à l’idée de lire de nouveau vos mots. Ne vous encombrez pas d’une quelconque inquiétude quant au délai de vos réponses, nous avons tous conscience de l’emploi du temps qui est le votre et de vos responsabilités au combien accaparantes et d’importance cruciale.

Au nom de mon époux et de moi-même, toutes mes félicitations pour votre désignation. Je n’ai aucunement douté que les bonnes personnes seraient un jour reconnaître vos talents innés dans la matière et vous éleveraient au poste qui vous est dû. Les faits que vous me narrer m’effraient quelque peu, le pays de mon enfance aurait-il changé à ce point ? J’ai bon espoir que grâce à vous celui-ci rejoigne le souvenir que je m’en suis gardé. Quant à cette pauvre enfant, j’ai tout hâte de faire sa connaissance. Je reconnais bien dans ce geste votre grande bonté d’âme qui me manque terriblement.

J’ai le regret de vous annoncer à la lecture des missives de mon époux que son état s’est empiré. A l’heure où je vous couche ses mots, monsieur mon mari est en chemin pour regagner notre demeure. D’après son médecin, de lourds soins vont lui être prodigués. Durant cette période, mon époux m’encourage à me loger ailleurs pour ne pas entamer mon moral plus qu’il ne l’est déjà.
Je pourrai certes rejoindre la cour, une proposition m’a été faite mais je l’ai déclinée. Non pas par vanité, Dieu m’en garde mais ces longs jours d’isolement dans nos terres dans l’attente du retour de mon époux m’ont tellement affaiblis que je ne me sens pas préparé à affronter la haute société de manière si soudaine et brutale. Me retrouver de nouveau seule ne m’enchante pas plus.

En attendant votre courrier, j’ai eu dans l’idée de m’installer dans notre résidence secondaire non loin du Domaine de Frenn. Ainsi si vous consentez à m'accueillir j’aurais toujours un soutien non loin de moi et cela rassurerait mon époux que je sois entouré par famille depuis trop longtemps absente.

Dans l’attente de votre ressenti quant à ma proposition je le conçois si soudaine. Je me languis d’avoir de vos nouvelles

Que Dieu vous illumine de sa bienveillance

Cher Monsieur le Premier Conseiller,

Mes vœux les plus sincères vous accompagnent, vous et vos proches, pour cette nouvelle année qui s'annonce grandiose. Mes félicitations pour le travail remarquable que vous accomplissez depuis votre accession au poste de Premier Conseiller de sa Majesté notre roi bien aimé, pour qui j'officie également, en tant que spécialiste des rouages et des horlogeries.

Je cherche pour mon fils une charge chez un homme de confiance, honnête et loyal, afin de le confronter à la réalité du monde et de lui fournir un point d'appuis solide pour y entrer. C'est un garçon d'une grande intelligence, doté d'un sens de la justice remarquable et de la volonté de bien faire dans tout ce qu'il entreprend. Je n'ai à déplorer aucune désobéissance ni impertinence de sa part, simplement une naïveté qui lui joue parfois quelque malice.
Seriez-vous disposé à le prendre sous votre aile bienveillante ?

Cher Monsieur le Baron,

Vos vœux me touchent et sont accueillis avec joie par toute la famille. Je suis enchanté que vous acceptiez cette responsabilité supplémentaire et mon fils et moi serions ravis de vous retrouver après cet évènement d’une grande importance pour nous tous.

Vous ne serez pas déçu de son travail, ni de son engagement. Nehalan est un garçon motivé qui ne demande qu’à enrichir son savoir et je sais le confier à un homme de confiance.

Votre Excellence,

Vous me trouverez dans les lignes de cette missive extrêmement embarrassé de vous importuner avec la requête que je m'apprête à vous présenter, mais je ne vois pas d'autre personne vers laquelle me tourner.

Il y a quelques semaines, je découvris dans les rues un enfant qui ressemblait en tout point à mon père. Plus encore que moi. Il végète depuis plusieurs années dans un fauteuil, méprisé de sa famille, considéré en parasite... Je n'ai pas su ne pas me retenir de songer à lui. Je me suis intéressé à sa personne et je me suis attaché à Sébastien. C'est un garçon qui aurait douze ans dans quelques jours, dont la gentillesse équivaut son intelligence. J'aspirais à de meilleures choses pour son avenir. Je pensais que notre père accepterait d'en prendre soin. Il semblait résolu à évoluer positivement. Je me montrais réticent à cela. Chat échaudé craint l'eau froide. Mon maître croyait cependant en sa rédemption. Je me suis laissé porter par cet espoir et aujourd'hui Sébastien va subir les conséquences des stupidités de cet imbécile.

En moins d'une semaine, mon père aura réussi à abuser de la patience du vicomte qui va les mettre tous deux prochainement dehors. Je me moque du sort de cet imbécile. Qu'il se débrouille et assume pour une fois ses erreurs ! J'aimerais toutefois éviter à mon frère de retourner dans sa famille maltraitante ? Je n'ai ainsi d'autre espoir, votre Excellence, que de me tourner vers vous de vous demander assistance dans cette épreuve où je me retrouve impuissant.

Je vous remercie profondément à l'avance si vous acceptez de vous charger de cette tâche.

Cher Monsieur le Baron de Frenn,

Je tenais d’abord à vous adresser ma plus sincère gratitude à l’égard de ce dont nous avons pu discuter après les funérailles de Saint Edouard. Je n’ose imaginer combien il a dû être ardu pour vous de tenir une telle conversation quelques minutes seulement après un instant si solennel.

Mes excuses les plus plates ensuite. Après de nombreux questionnements personnels, je me rends compte que ma place ne sera jamais dans un tribunal pour faire régner la justice, mais auprès de Dieu. J’aspire à la sérénité et à la sagesse des moines que je rejoindrais dès demain.

Je m’en veux de vous faire ainsi faux bond, après que mon cher père vous a sollicité. Je ne puis cependant pas poursuivre plus longtemps sur une voie que je sais maintenant vouée à l’échec. J’ose m’avancer à supposer que vous comprendrez ce revirement de situation.

Cassandre,

Je m’associe à mon épouse pour t’adresser nos plus sincères remerciements pour tes vœux ainsi que tes présents. Il était évident qu’elle ne pouvait être qu’Athéna, et ce fut d’ailleurs mon choix lorsque j’eus à la nommer au cours d’un jeu innocent. Je ne puis donc qu’approuver ton choix.
Quant à Zeus, je serai bien mal en peine de refuser le titre où je devrais sans doute m’inquiéter de mon humilité débordante. Pour la peine laisse-moi te raconter une anecdote amusante. Il y a fort fort longtemps, une jeune femme s’est amusée à ce petit jeu. Ne souhaitant ni alimenter mon orgueil, ni me réduire au coureur de jupons avide de belle lettre, cette dernière m’a renommé Vulcain. Je te laisse trouver pourquoi.
Il est vrai que j’aime collectionner les ouvrages, et je suis heureux de voir que tu apprécies tout autant nos conversations littéraires. Néanmoins j’apprécierais rester Ministre des affaires étrangères  et de la guerre.
Eléonore sera ravit de te revoir. Tu es la bienvenue en mon domaine dès lors que tu auras formulé tes excuses auprès de ma fille et que tu te seras confessé auprès de l’évêque Zacharie de Braktenn.