[8 décembre 1597] - L'insoupçonné chaud lapin[Terminé]

Eldred était assis sur une caisse face aux quais. Le soleil faiblard d’hiver parvenait tout juste à chauffer sa cape de laine rêche. Si nombreux était ceux qui pestaient, ou qui se frottaient frénétiquement les bouts engourdis de leurs doigts, le zakrotien appréciait, lui l'air vivifiant.

Lorsqu’il fermait les yeux, s'il faisait abstraction des cris des mouettes et des odeurs de poissons, il pouvait se croire chez lui. Sa maison en bois, avec un tronc central de soutènement. Une seule pièce, une fenêtre. Le foyer. Son lit. Leur lit. Un sourire s’étira sur son visage alors qu' se perdait dans ses souvenirs avec bonheur.
Dans quel état était sa maison ? Elle ne passerait sûrement pas l'hiver si personne ne déneigeait le toit. Elle s’effondrait et tomberait en ruines. Comme tout le reste de sa vie à Zakros. Loin de l'attrister, il accueillit l’idée avec une certaine bienveillance. Il était sans doute temps de tourner la page. Enfin.

Il ouvrit les yeux, les marins déchargeaient des caisses en faisant une chaîne. Les amarres grinçaient. La brise fouettait son visage. Eldred détestait la mer et l’idée même d’être sur un bateau. C’était un terrestre, enraciné dans le sol. Il était amoureux des landes, des forêts de conifères, des lacs et des petites rivières. Comment faisaient ces hommes pour accepter d’être perdus au milieu du bleu des semaines durant ? Le vert, Eldred aimait le vert des arbres, le marron de la terre, le gris des montagnes, le jaune des champs d’orge et de blé.

Le navire qui devait livrer la commande de Dyonis n’était pas encore arrivé. Il n’avait donc qu’à patienter, assis sur sa caisse qu’il pointe le bout de sa proue sur le quai.

Alexandre avait quitté ce jour-là la Roza Azul de bonne heure, peu après le petit-déjeuner, et il flânait dans les rues. il s'arrêtait de temps en temps pour surprendre les conversations entre un marchand et ses clientes puis reprenait son chemin. Ses pas le menèrent vers le port. Des navires appareillaient et s'en allaient au large. Vers quels mondes nouveaux voguaient-ils ? Le garçon enviait ces marins qui s'en allaient découvrir ces terres inconnues et côtoyer de nouvelles cultures. Quelles richesses ils accumulaient ! Comme il aurait embarquer sur un de ces bateaux et voyager lui aussi.

Alexandre finit par baisser les yeux et aperçut sur des caisses, en position assise, une silhouette hautement familière. Eldred. L'esclave de Dyonis. Il se souvenait aussi que celui-ci était l'information de cette petite garce de Cassandre. Comment pourrait-il en être autrement ? Qui aurait pu répéter à cette gamine pour les coups de tisonnier ? Il y avait bien cette Aud dans la pièce avec eux mais il la sentait incapable de nuisance. Par contre, Eldred... Il serra les mains autour de ses béquilles. Il fallait régler cette question et ces tensions.

Lentement, le petit infirme s'approcha et s'inclina respectueusement d'Eldred.

"Bonjour Eldred."

Il y eut un léger flottement et Alexandre reprit, embarrassé :

"Je souhaitais en premier te présenter mes excuses. Je me suis mal comporté les deux fois où nous sommes vus. La première fois, j'étais sot. Je ne savais rien du monde et je te croyais un barbare comme ce que j'ai pu lire dans les livres, sans chercher à comprendre réellement la réalité. J'ai dit que tu avais de la chance d'avoir le meilleur maître de Monbrina, ce qui était, dans la situation où tu étais, agaçant. Je m'en excuse aussi. Je m'excuse pour toutes ces horreurs que j'ai pu dire au château de ton maître. j'étais.. Je me suis comporté de manière lamentable, aigri et en colère après ce diable de Martin qui a tué mon ami et toute sa famille. Je m'excuse pour tout ce que j'ai pu faire et dire qui t'auront blessé."

Alexandre demeura quelques instants silencieux, la tête baissée, dans une position humble, pour laisser à son interlocuteur le temps de digérer ce flots de paroles. Il se redressa et fixa à présent Eldred pour reprendre d'une voix plus forte :

"A présent, il st temps de parler de Cassandre."

Son regard était toujours rivé sur les navires qui chargeaient et déchargeaient leur cargaison dans un ballet parfaitement orchestré. De temps à autres à un marin criait quelques ordres et tous s’activaient subitement.

A force de les observer, son esprit se mit à vagabonder bien loin de là jusqu’à ce qu'une voix familière et ô combien agaçante le tire de ses errances.

- Bonjour Alexandre répondit-il en observant quatre marins enrouler la lourde corde.

Il s’ensuivit à long monologue dont il devina que ce n’était que le début d'une longue tirade. Par les couilles de Loki pourquoi fallait-il qu'il soit de passage ici-même à ce moment précis ?! Eldred n’avait aucune envie de lui adresser ma parole et il ne comprenait vraiment pas ce que Alduis pouvait trouver à ce petit vers de vase.

- J’accepte tes excuses

Simple et efficace. Pourvu qu'il en reste là et aille faire la mouche d'un autre coche. Mais non, ce n’était que le début. Allons bon il voulait parler de Cassandre. Et bien qu’il parle. Eldred haussa les épaules, imperturbable, sans lui accorder la moindre attention. Que faisait donc La Belle Aurore? Elle aurait déjà dû être là depuis une bonne heure déjà !

Eldred lui répondait d'une voix plutôt sèche et peu avenante. Il ne prenait la peine de se tourner dans sa direction. Ce n'était pas poli. Sa mère lui avait bien appris qu'on devait regarder toujours son interlocuteur en face. Mais le zarkotien connaissait peut-être d'autres habitudes dans son pays. A Zarkos, c'était peut-être impoli de regarder dans les yeux quelqu'un. Il ne formalisa et se décida de poursuivre cet entretien.

Il s'agissait d'évoquer Cassandre.
La gamine épine dans le pied.

"Un ami est venu me rapporter que j'avais demandé à recevoir des coups de tisonnier et que c'était Cassandre qui le lui avait révélé. Or, à moins que cette gamine soit encore plus douée que je ne le soupçonnais, elle n'a pas encore le pouvoir de se transformer en petite souris. D'ailleurs, elle aurait meilleur air en belette ou en fouine. Bref, comme je ne vois pas Aud agir de manière nuisible et que ce n'est pas le style de ton maître de révéler des détails inutiles, il n'y a que toi pour avoir parlé de cette scène à Cassandre."

Il marqua un petit temps puis reprit :

"Eldred, je ne sais pas la nature de vos liens mais si tu peux avoir de l'influence sur Cassandre, utilise-la, je t'en prie. Cette gamine... Elle allait faire des choses en forêt. Elle a parlé avec un de mes amis et je trouve cela très suspect. Elle prépare de mauvais coups. Elle est esclave ! Comme nous ! Elle n'a le droit à l'erreur. Si on la prenait... elle serait exposée au pilori, la langue clouée. c'est ça que tu veux pour elle ?"

Au fur et à mesure, le ton de l'infirme montait et indiquait un début de colère.

"Tu es un adulte, Eldred, et c'est aux adultes de prendre soin des enfants. De les empêcher de faire des bêtises. Cassandre est une peste. Une petite garce. Je ne le sais que trop maintenant. Mais je ne la laisserai pas tomber. Elle a la chance d'avoir une famille heureuse, de bien garnir.. je la protégerai de ce qui peut lui arriver et surtout d'elle-même !"

Eldred écouta Alexandre bien qu'il ne daigna pas lui accorder le moindre regard. Il ne put s'empêcher d'esquisser un sourire à la mention de son "ami", mais le laissa poursuivre sans parvenir à comprendre  où il voulait en venir. Il lui reprochait de raconter ses journées à ses amis? Il n'avait rien promis à ce qu'il sache alors il n'avait rien à se reprocher. S'il avait si honte de ces coups de tisonnier, il n'aurait qu'à réfléchir là prochaine fois au lieu de demander des choses qu'il regretterait. Au fond Dyonis n'avait pas eu tort. Si seulement ça aurait pu lui permettre de lui apprendre à tenir sa langue.

Les choses en forêt. Ah oui. Eldred esquissa un sourire. Mais son sourire s'évanouit bien vite lorsqu'il sentit la colère percer dans sa voix. Il se retourna d'un coup sec et posa son regard sombre sur celui d'Alexandre. Il rompit enfin le silence.

- Je n'ai pas d'ordre à recevoir de ta part. Surtout pas de quelqu'un qui trahit ouvertement celle qu'il prétend vouloir protéger. Le traître ici, ce n'est pas moi. C'est toi Alexandre. Tu as dénoncé d'autres esclaves. Pourquoi ? Pour t'acheter une conscience? Pour plaire à Dyonis? Je ferai ce que j'aurais envie avec et pour Cassandre, ça ne te regarde plus.

Il marqua une pause.

- Et un ami qu'on baise ça s'appelle un amant.

Il allait vraiment devoir le protéger si Alduis mourrait ? Merde de troll vérolé...

Alexandre nota que son interlocuteur avait un étrange sourire à certaines phrases. que pouvait-il bien penser ? Se moquait-il de lui ? Ou était-ce sa manière de considérer son discours ? Ils ne se connaissaient pas assez pour se comprendre et le garçon avait l'impression d'un gouffre en entre eux. Il tressaillit à sa réponse sèche puis pâlit quand il le nomma traître.

"Je n'ai pas trahi Cassandre. Je la protège. Tôt ou tard, à force de multiplier les irrégularités, elle va se faire attraper et là... Je ne veux pas la voir au pilori. Tu sais ce que c'est ? je l'ai vécu il y a quelques mois, attaché toute une nuit, dans le froid, à trembler, sous les insultes de la foule... Je ne veux pas qu'elle connaisse ça, pas après tout ce qu'elle a déjà connu. Alors, je pensais que voir ton maître permettrait de trouver une bonne solution. je ne pensais pas qu'il passerait par un mot de la prévôté. J'ai réfléchi. J'ai beaucoup réfléchi avant d'entreprendre cette démarche. Sur le chemin du château, encore, j'ai hésité. Mais il fallait le faire. Il fallait la protéger."

Sa voix devint brusque misérable et son corps trembla.

"Un enfant ne doit pas être violenté."

Que ce soit par ses parents ou les autorités. Mais il n'avait pas la force suffisante pour le lui dire.

Il eut brusque sursaut et fixa, médusé, Eldred lorsque celui-ci proclama cette phrase terrible. il le fixa, hagard, et ne sut parler pendant de longues minutes.

"Tu... Comment... Comment tu sais ?"

Il songea ensuite aux informations données à Alduis puis soupira. Ce n'était pas si difficile à comprendre.

"Je suis désolé. Je ne pensais pas... Mon.. amant est venu te donner une raclée pour les coups que j'ai reçu l'autre jour ? Je lui parlerai. Je lui dirai qu'il n'aurait jamais dû dire cela."

Même si cela partait pour une mission impossible de persuader Alduis de l'inutilité de le venger.

Alexandre parlait, parlait encore. Être appelé un traître ne lui plaisait pas? C'était pourtant ce qu'il était. Et il pensait  la protéger? En attirant l'attention sur elle? Il était plus con qu'une bouse d'auroch ma parole ! Car le pire dans tout cela c'est qu'il avouait avoir réfléchi et ne pas s'être douté qu'il passerait par la Prévôté.

-Bah voyons.

Comme si Dyonis allait se déplacer en personne avec un joli petit billet enluminé pour lui demander de rester bien sagement chez Irène... Le pilori, il ne connaissait pas. Mais on l'avait traîné dans une cage comme du bétail à travers les rues de la ville, on lui avait jeté des pommes pourries en les traitant de sauvages et de barbares

- Va donc dire ça à ceux qui gouvernent.

Parce que voilà les paroles c'était bien jolies. Les actions c'était mieux. Surtout quand on avait dénoncé une enfant juste avant.

Alexandre sembla apprécier sa définition d'un amant (ou d'un ami question de point de vue) ce qui étira un large sourire sur le visage du zakrotien. Il posa ses mains derrière lui et se pencha en arrière.

- Je sais tout.

Un air innocent planait sur son visage tandis qu'il leva les yeux vers les nuages cotonneux.

- Tu fais erreur c'est moi qui lui ait donné une raclée pour avoir menacé Cassandre. Lui me trouvait si bel homme qu'il a préféré m'embrasser

Il reposa son regard sur le sien. Il avait terriblement envie de rire en repensant à la scène. Il dut se mordre l'intérieur des joues pour ne pas laisser son sourire espiègle se transformer en fou rire incontrôlable.

Eldred demeurait stoïque et sévère. Alexandre gardait la tête baissée, penaud.

"Je sais. Je ne suis qu'un gamin qui ne connait rien du monde. C'est pour ça que je suis devenu esclave. Parce que je ne réfléchis pas. Parce que je ne sais rien."

Son interlocuteur cracha une remarque sur le gouvernement avec aigreur.

"Mais... Comment je pourrais le dire ? Même ton maître il considère normal de donner une correction. Même à un enfant. Alors à qui le dire ?"

Brusquement, Eldred eut un revirement et lui adressa un sourire bien plus amusé. Qu'est-ce qui lui prenait ? Rien de leur conversation n'avait la moindre pensée heureuse et encore moins hilarante.
Il entendit soudain ses mots.
Alduis avait embrassé...
Alduis, son Alduis, avait embrassé Eldred.

"Tu..."

Imaginer son Alduis poser ses lèvres sur celle de l'homme qui se trouvait devant lui et se délectait de sa mine de stupéfaction. Il avait envie d'en vomir. Un monstre s'éveillait en lui. Un monstre de colère et de jalousie que le jeune homme ne se connaissait pas encore. Il en avait dépassé les mauvais mots et les insultes. Barbares, sauvages.. C'étaient insignifiant. Il avait envie de lui faire mal. De le blesser. Comme lui venait de le faire.

Incapable de jugement, Alexandre s'élança pour porter un coup.

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'Audace' :

xD Comment Alex va t-il se vautrer ?


1-2 : Il perd l'équilibre et s'étale au sol juste devant Eldred, faute d'équilibre
3-4 : Il atteint Eldred mais perd l'équilibre en voulant donner le coup de poing
5-6 : Eldred l'arrête et le met à terre

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'Dé à 6 faces' :

Pris dans son élan et sa colère, Alexandre courut vers Eldred et lâcha ses béquilles qui tombèrent dans un grand fracas. Il perdit rapidement son équilibre précaire et s'écrasa au sol à quelques mètres de celui qu'il frappait. Rageur, l'infirme serra ses poings et frappa le sol en jetant un regard haineux à Eldred :

"Je t'interdis de rire !"

Il tapa encore les pavés, plusieurs fois, d'une rage qu'il n'avait encore jamais connu.

"Espèce de... "

Eldred pencha la tête de côté.

- Et si tu te décidais enfin à apprendre de tes erreurs ?

Vraiment… Qu'est-ce que Alduis trouvait à ce gamin chouineur ? Il allait vraiment devoir le protéger s’il arrivait quelque chose à son lapin ? Se le coltiner et écouter ses babillages jusqu’à la fin de ses jours ?


Il n'avait pas d'autres choix que de protéger Alduis des autres et surtout de lui-même… La perspective de voir Alexandre traîner dans ses pattes jusqu’à son dernier souffle ne l’enchantait pas du tout.

- Parce que tu ne vois pas de solution, tu préfères être aveugle ? Si ça te dérange tant que ça tu trouveras bien un moyen de te faire entendre.

Sur ce, la conversation dévia sur Alduis et passa de agaçante à amusante en un éclair! Petite vengeance personnelle, il ne put s’empêcher de jouer quelque peu avec l’infirme. Et en même temps, il n’avait dit là que la pure vérité. Toujours assis sur sa caisse, Eldred observa ses pupilles se contracter sous l’effet de la colère qui montait en lui. Il lâcha soudainement ses béquilles et se rua vers lui avant de s’écraser au sol bien avant d’avoir atteint son but. Face à eux, les marins avaient stoppé leurs activités pour suivre avec curiosité la scène qui venait animer leur quotidien. De puissants rires s’échappèrent aussitôt des quais.

Je t'interdis de rire !

Le zakrotien se mordit sévèrement les joues pour ne pas être contaminé par l’hilarité générale. Se moquer était terriblement mauvais mais c’était si cocasse... Il se mit assis en tailleur et ravalant son fou rire réussit à demander :

- Je peux savoir ce que tu essayais de faire ?

Parce qu'il était tout de même assis sur une caisse. Et que quand bien même il aurait réussit à atteindre son perchoir, il n'en demeurait pas moins à un bon mètre vingt du sol. Les larmes perlaient au coin de ses paupières à force de retenir son rire tandis qu’Alexandre tapait du poing comme un petit garçon capricieux.

Espèce de…
- Connard ? Salopard? Fils de troll? Merde de troll ? Rat de fosse à merde ? Cervelle d’auroch putréfiée ? Vomissure de troll ? Je peux continuer si tu veux, j’adore ce jeu !

Et là, il ne put vraiment plus retenir son rire qui jaillit avec toute la force d’un geyser en provenance de sa cage thoracique. Parce que le pire, c’était que lui n’y était pour rien ! C’était Alduis qui l’avait embrassé et non l’inverse !

Alexandre poussa un soupir à cette réponse si simple amis peu facile à mettre en pratique.

"J'essaie. Mais plus j'essaie, plus j'ai l'impression de faire de la merde."

Il avait essayé d'être apprenti libraire mais son père adoptif trouvait toujours moyen de le critiquer. Dans le moindre de ses efforts. Il avait cru aider une femme qui s'était révélé une sorcière. Il avait cru flatter Eldred lors de ce jour au marché. Il avait pensé sincèrement aider Cassandre en parlant d'elle au seigneur de Frenn. il ne comprenait pas les leçons à tirer de toutes ces erreurs.*

"Je suis sans foute bête..."

Il releva la tête lors de la seconde phrase.

"Mais... Que veux-tu faire ? Je ne suis pas aveugle. je sais que mauvaises choses sont mais qui va m'entendre ? Mon maître... Il est cruel. Bien plus que tout ce que tu peux imaginer. Il n'entend rien. Absolument rien. Surtout si ça sort de la bouche d'un infirme."

Puis, les hésitations et les doutes cessèrent?
Brutalement.
IL ne restait plus que la colère.
Une colère sourde et aveugle.

Eldred se tenait sur cette caisse et se moquait ouvertement de lui. Les marins autour d'euxa vaient cessé de travailler et riaient de sa chute. Alexandre frappait avec force les pavés et foudroyait Eldred du regard.

"Je te hais !"

L'autre riait de lui et complètement ses insultes qui ne venaient pas, trop habitué par son éducation poli à ne jamais en dire. Sa mère lui répétait toujours qu'on ne disait pas de gros mots. même en colère, il n'arrivait pas à en formuler. Les interdits maternels se rappelaient et le dissuadaient de poursuivre. Il préféra cracher à terre.

"Je te hais! Pas comme zarkotien cette fois. Je te hais comme homme ! Comme individu !"

Il frappa encore plusieurs fois sur le pavé, incapable de canaliser sa rage.

"Je te hais ! Je te hais !"

Il releva la tête et jeta un regard haineux à Eldred.

"Je ne dirais aucun de ces mots. les gens bien élevés n'en disent pas, eux !"

Demain, c'était l'anniversaire de son père, et cette simple pensée lui tirait une grimace. Il n'avait pas hâte d'y être... mais alors pas du tout. D'un autre côté, c'était aussi demain qu'il recevait Dyonis et cela était une perspective beaucoup plus réjouissante. En attendant, aujourd'hui, il n'avait rien à faire et si le 9, était une journée chargée, ce n'était pas le cas du 8.

Il était sorti, pour s'occuper, lui et ses pensées, ailleurs que sur le lendemain. Pour cela, nul meilleur moyen que de faire un tour dans les rues de Braktenn. Il avait attrapé une pomme en passant par le marché, la faim se faisant sentir malgré tout. Il avait trop occupé la veille pour penser à manger, et la faim commençait à se faire sentir.

Ses pas le menaient au hasard, et il se retrouva, sans vraiment pouvoir dire par où il était arrivé, sur le port. Ce fut presque naturellement qu'il coupa à travers les docks, pour se planter face à l'eau, pile à l'endroit où il s'était tenu la dernière fois.


Sauf qu'aujourd'hui, il n'avait aucune envie de franchir ce pas-là. Juste la volonté de défier le ressac qui venait se heurter ici. Il donna un coup de pied dans un caillou, qui alla ricocher sur la surface de l'eau puis le regarda disparaître vers les profondeurs, englouti par les flots. Il releva la tête vers le ciel gris, brièvement.


Il eut un sourire équivoque et se détourna du courant, avec un air narquois. Il donna un grand coup de dents dans la pomme, satisfait, puis lui fit faire un petit tour en l'air.

Ce furent des exclamations qui attirèrent son attention. Il aurait reconnu la voix de Alexandre, au milieu de n'importe quel brouhaha. Même si l'entendre prononcer de tels mots, je te hais, semblait tout à fait improbable. Il le chercha des yeux et finit par le trouver, par terre, face à un homme assis sur une caisse. Homme qui n'était ni plus ni moins, que le très cher Eldredounet.

- Je ne dirai aucun de ces mots. Les gens bien élevés n'en disent pas, eux ! crachait Alexandre avec une rage certaine qu'il ne lui avait encore jamais vue.

Et face à lui, Eldred riait.

Alduis s'approcha d'eux sans se poser de questions, en donnant un nouveau croque dans la pomme.

- Tiens. Eldredounette, lança-t-il d'un moqueur, avec un coup d'oeil entendu, œillade surjouée qui ne laissait aucun doute sur le fait qu'il se moquait. Tu vois, que tu as réussi à survivre sans moi ces derniers jours, petit bichon !

Il baissa les yeux vers Alex qui continuait de ruminer par terre et lui tendit la main naturellement pour le relever.

- Il y a un problème ? demanda-t-il finalement en prenant, volontairement, un air niais.

Parce qu'il avait, tout compte fait, parfaitement conscience de ce qui se passait. Ou du moins, il en avait une vague idée derrière la tête. Un certain baiser, dans une certaine église.

Il termina nonchalamment sa pomme et se lécha les doigts avec grande précaution.

Eldred riait aux éclats assis sur sa caisse. Il en avait mal aux côtes et les marins ne l’aidaient pas vraiment en l’accompagnant.

- Je te hais ! Je te fais !

Il riait de plus belle sans pouvoir se contenir tandis qu’Alexandre frappait toujours les pavés avec rage.

– Je ne t’apprécie pas beaucoup non plus, je dois dire parvint-il à articuler avant de se laisse tomber sur le dos et de rire de plus belle.

Au sol, Alexandre ne pensait même pas à se relever. Il préférait heurter les pavés encore et encore, comme s'il avait l'espoir de les faire disparaitre sous terre. Le zakrotien lança une série de jurons plus poétiques les uns que les autres mais son interlocuteur du jour ne semblait pas près à reconnaitre son talent inné pour la création de noms d'animaux.

- les gens bien élevés n'en disent pas, eux !
– Question de culture. Mais je ne suis qu’un humble barbare.

Il avait encore envie d’en dire tout une floppée rien que pour le faire enrager un peu plus mais il n’en pouvait plus de rire autant. Heureusement, la voix d’Alduis le tira de sa crise de fou rire et il sauta à terre prestement pour venir le saluer d’un amical coup de poing entre les côtes.

– Tu m’avais manqué, mon lapin ! Ce qui me réjouis c’est de te voir en si bonne forme. Car crois-moi, je n’ai pas envie d’aller à tes funérailles de si tôt...

Il jeta un regard entendu à l’infirme. Il n’avait vraiment aucune envie de devoir supporter ce gamin naïf toute sa vie. Toute personne censée se serait déjà méfié d’un éventuel mensonge aussi improbable que celui-ci mais lui… Non. Il prenait ses paroles pour vérité acquise. Il ne put s'empêcher d'ajouter ironiquement quelques paroles piquantes rien que pour le plaisir de le voir fulminer un peu plus

– Je t’aime tellement tu sais...

Alduis lui tendit la main pour l'aider à se relever sous le regard amusé du guerrier qui ne put se retenir d'ajouter une petit pique à l'encontre de son ami qui ne manquerait pas de relever la référence au vol.

-Tu devrais lui expliquer que les pavés ne lui ont rien fait!

Alexandre étouffait de rage et Eldred ne faisait rien pour le calmer. Ses poings cognaient encore les pavés. S'il l'avait pu, il en aurait détacher un pour l'envoyer à la tête de ce diable de provocateur Il ne l'appréciait pas non plus ? A ces mots, le garçon redressa la tête et lui jeta à nouveau un regard haineux.

"Je voulais me débarrasser de mes préjugés, je voulais apprendre à te connaitre. Mais.. mais tu ne m'en donnes plus du tout envie ! Je voudrais ne jamais t'avoir rencontré !"

Il l'écouta, lui apparemment ravi de lui énoncer toutes ces insultes vulgaires et mal élevés. Il expliquait que c'était une question de culture et que lui n'était qu'un humble barbare. Un humble barbare.. les mots déclenchèrent des souvenirs à Alexandre qui répliqua avec détachement :

"Tu sais l'origine du mot barbare ? Dans la culture grecque, puis romaine, barbare désignait un étranger qui n'était pas de leur culture. Cela n'a jamais renvoyé à une personne non civilisée et violente. C'est notre langue qui a crée ce nouveau sens. j'avais oublié cela. Je ne te qualifierait donc pas un barbare et tu sembles trop aimer ce titre justement. "

Un mauvais rictus lui défigura le visage.

"Et si je t'appelais sale gosse ? après tout, ce doit être pour ça que toi et Cassandre êtes amis, non ? Vous êtes que deux sales gosses mal élevés !"

Ses yeux flamboyaient d'un plaisir sadique d'humilier à son tour son adversaire quand un rire résonna. Il n'eut pas besoin de se retourner pour savoir qui c'était. en temps ordinaire, Alexandre aurait senti son cœur bondir de joie dans sa poitrine amis là.. Là, il riposta d'une voix sèche et glaciale :

"Tais-toi donc, Alduis, je t'en prie."

Mais Alduis ne semblait vouloir se taire et parlait de cette voix douce, qui n'aurait dû être que pour lui, à Eldred qui osait lui répondre qu'il l'aimait. Alexandre tempêtait. Bouillonnait. Le monstre de la jalousie le consumait. Son amant se décida de s'intéresser à lui mais comme pour se moquer de lui. Il serra ses poings contre les pavés.

"Oui.. Il y a un problème. Un problème..."

Les yeux d'Alexandre, irradiés par la colère, fixaient Eldred et l'auraient volontiers réduit en poussière si cela avait été possible. Il remarqua une de ses béquilles proches et tendit la main. Une idée lui venait. Il se saisit prestement de la longue canne de bois, banda ses muscles et visa.

Il voulait le blesser. Au moins un peu. Au moins lui causer une partie de cette douleur qu'il lui avait causé.

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'Audace' :

Spoiler:

Alors qu'Alexandre avait mis toutes ses forces dans la projection de sa béquilles, cette dernière partit trop loin en ratant complètement Eldred. Elle atterrit sur une caisse et effraya le chat qui était en train de dormir paisiblement. L'animal se réveilla dans un bond et s'effraya pour partir en courant.


Face à l'échec, Alexandre martela à nouveau les pavés avec rage, es yeux rivés vers la silhouette narquoise d'Eldred.

"Je te hais ! Je te hais ! Je te hais !"

Il le haïssait comme il n'avait encore jamais haï quelqu'un. Même son père adoptif n'avait éveillé des sentiments aussi violents et tumultueux en lui. Sa raison lui échappait. Seules la haine et la colère le consumaient.

Vue de l'extérieur, la situation avait quelque chose de franchement ridicule. Entre Alexandre, qui tapait furieusement les pavés d'un air rageur et Eldred qui était plié en deux tant il riait, ils attiraient les regards... Tout ça pour un pauvre baiser sans importance, vraiment. Il n'y avait pas de quoi en faire tout un plat !

Il arriva par derrière pour les saluer, ce qui eut le don d'attirer immédiatement l'attention de Eldred qui descendit de sa caisse pour venir lui envoyer un coup entre les côtes. Mais Alduis l'avait prévu, celui-là, et il se contenta de faire un pas sur le côté pour éviter la charge amicale de Eldred. Le guerrier ne le toucha même pas.

- Tu t'es rouillé en trois jours, Eldredounette ! s'exclama-t-il en remettant machinalement ses manches sur ses poignets. C'est parce que tu es tout émoustillé !

Il combla la distance pour lui donner une accolade, rapide et pleine de camaraderie. Sincère, certes, mais Alduis avait une autre idée derrière la tête. Sans prévenir, il resserra ses bras pour l'empêcher de reculer et envoya dans la foulée son genoux dans le bas ventre du zakrotien, avec un sourire entendu.

Avant de lui faire remarquer, en mimant la surprise :

- Ah bon ? Tu m'aimes, toi, maintenant ? Il m'est poussé une poitrine sans que je m'en rende compte ou j'ai été tellement convaincant que tu as changé de bord ? J'avais fait une croix dessus !

De nouveau, il lui adressa un sourire amusé qui ne laissait guère de doute sur le fond de ses pensées. Sur ces salutations amicales, il tendit la main à Alexandre pour l'aider à se redresser, parce qu'il n'y avait nul besoin de se retourner la tête ainsi.

Quoique. Le voir jaloux ainsi, il y avait quelque chose de flatteur qui faisait s'agiter son ego. Il comprenait bien les jeunes femmes qui laissaient les prétendants se battre pour elle. Certes, Alexandre se battait contre des prétendants imaginaires, mais c'était toujours ça !

En tout cas, il n'était pas en de bonnes dispositions et ignora royalement la main qu'il lui tendait. Alduis le regarda continuait de frapper les pavés, presque blasé, et releva les yeux vers Eldred. Lequel faisait justement allusion à leur conversation dans l'église, ce qui lui tira un immense sourire.

- Je pourrais. Mais d'après un certain guerrier zakrotien de ma connaissance, je ne suis pas bien placé pour donner ce genre de recommandations.

Alexandre attrapa soudain l'une de ses béquilles et visa Eldred pour tirer. Alduis regarda la béquille passer sans toucher le guerrier. Bon. Ce n'était définitivement pas un guerrier. En fait, il trouvait ça presque mignon. Un peu comme la souris qui se met en colère contre un gros matou. La souris s'égosillait et le matou ne bougeait pas d'un poil.

Finalement, Alduis lui attrapa le poignet sans lui laisser le choix — puisqu'il ne semblait pas décidé à prendre sa main — et le redressa sans la moindre difficulté. Une fois qu'il fut debout, il posa ses mains sur ses hanches pour soulager la faiblesse de ses jambes et remarqua, avec une raillerie à peine voilée dans la voix :

- Pour citer ce très cher bichon, il les préfère avec les cheveux plus longs et plus de formes. Étant donné que je n'ai ni les cheveux longs, ni les formes aimées de monsieur ci-présent, il n'y a rien à craindre.

Il fit une pause, eut un nouveau sourire et glissa ses mains pour prendre le visage d'Alexandre, pour qu'il regarde Eldred droit dans les yeux avant d'ajouter :

- Et puis, ose me dire qu'il est absolument repoussant. Je ne te croirai pas. Allez, Alex, reconnais quand même qu'il est bien foutu !

Eldred se fichait pas mal de son avis et de ses préjugés. Ce n’était pas cela qui changerait qui il était. Déjà en temps normal, il suivait librement le chemin qu’il s’était tracé sans tenir compte des jugements qui pouvaient être rendus mais Alexandre était bien l’une des dernières personnes qu’il aurait écouté. Sans qu’il ne comprenne de prime abord pourquoi, il commença à lui faire un cours sur l’origine du mot barbare- Eldred arqua un sourcil, plus étonné par la démarche que par ses paroles avant de rire de plus belle.

- Sale gosse ? Vraiment? C’est tout ce que tu trouves pour me qualifier ? Il va falloir faire mieux que ça. Et puis, ce n’est pas toi qui est en train de te rouler par terre comme un gamin capricieux ?

Eldred avait terriblement mal aux côtes à force de rire. Il sauta à terre en apercevant Alduis, bien comptant de reprendre un peu d'activité. Il le salua d’un coup de poing qu’il esquiva. Il ne répondit que d’un large sourire à sa provocation tandis que son ami comblait la distance pour lui donner une accolade musclée. Oh évidemment, il s’était préparé à ce genre de riposte de bonne guerre entre eux et recula suffisamment pour éviter le plus gros de son genou.

- Je t’ai connu plus adroit aussi! Tu retiens tes coups ? Entre amis ça ne se fait pas !

Il lui adressa un large sourire tout aussi entendu.

- Je t’aime tellement que je compte bien de te garder en vie aussi longtemps que possible. Quant à ta poitrine… Met-toi à poil, je te donnerai mon avis d’expert en la matière.

Le zakrotien se décala légèrement pour qu’Alduis puis redresser le gamin pleurnichard.  De quoi le haïssait-il réellement ? Car dans les faits, il était parfaitement innocent ! C’était Alduis qui s’était évertué à le draguer par pure provocation et qui avait été jusqu’à l’embrasser. Lui n’était que la victime. Et la victime de l’infirme n’était autre que ces pauvres pavés qui n’avaient rien demandé. Son ami ne manqua pas de relever sa référence et il lui retourna son sourire en écho.
Alexandre, lui, refusa la main qui lui était tendu et préféra envoyer sa béquille. Le zakrotien tourna la tête pour la suivre du regard, étonné. Avait-il vraiment essayé de le viser ? Elle s’écrasa entre des caisses avec fracas, dérangeant au passage un chat qui feula et partit d’un bond furieux.

- C’est fort mal élevé de déranger une sieste. railla-t-il

Il observa Alduis relever son amant et commenter ses préférences sexuelles tandis que lui-même prenait appui le long de la caisse. Il en profita pour jeter un coup d’œil attentif aux quais : toujours aucun signe de  La Belle Aurore mais les marins avait repris leur activité, non sans garder un œil au drôle de trio qui trainait là.

- Oh les cheveux ça s’arrange avec un peu de patience mais pour le reste, je crains fort que tu n’aies en effet aucune chance, mon lapin.

Il fut cependant surpris de le voir demander à Alexandre ce qu’il pensait de son physique. Il écouta la réponse avec une certaine curiosité mêlée d’un amusement non déguisé. Qu’allait donc dire le môme jaloux ?

Alexandre foudroya du regard Eldred suite à sa réponse. Il ne trouvait rien d'autre à répliquer. Il eut ensuite une surprise en découvrant cette étrange manège auquel lui et Alduis se livraient. Ils se disputaient, se frappaient.. tout en se disant des paroles mielleuses ? C'était... déstabilisant. Il n’arrivait pas à comprendre et cette incompréhension lui faisait peu à peu oublier sa colère. Il en oublia même cette béquille jetée et cette énième provocation.

Brusquement, Alduis lui saisit d'autorité le poignet et le releva. Perdu dans ses pensées, toujours à essayer de comprendre, Alexandre se laissa faire. Ses mains si douces se posèrent dans son dos pour l'aider à conserver son équilibre précaire. Ce seul contact faisait naître un sourire heureux sur son visage qui se détendit. Comment était-il de possible un pareil revirement simplement par ce petit geste ? Il aurait aimé en faire plus. Lui caresser le dos mais en public autant se présenter à la prévôté.

Alduis répétait ce terme de bichon qui amusa Alexandre. Son amant avait de l'imagination, lui, pour les sobriquets ridicules. Il eut un sourire tendu.

"Alors... Alors tu l'as pas embrassé ? C'était des mensonges ?"

Il se sentit brusquement idiot d'avoir douté de son amant et baissa la tête.

"Pardon d'avoir douté de toi."

Alduis lui tourna la tête pour contempler la tête alors que celui-ci assurait que les cheveux poussaient avec de la patience.

"Alduis est beaucoup plus beau avec ses cheveux tels qu'ils sont. Sinon... quant à sa beauté à lui. Honnêtement, Alduis, je pense que le gros cochon à perruque qui venait régulièrement à la librairie était plus beau que le chien grognon là-bas."

Cela allait de soi : il était bien entendu hors de question de saluer Eldred sans donner un petit coup en passant. Petit coup déguisé, qui n'était à ce propos, pas petit du tout. Heureusement pour le guerrier, il s'y était attendu et son genou ne le frappa pas tout à fait. Quoi qu'il en dise, Alduis n'avait absolument pas retenu son coup et que le prendre de plein fouet l'aurait certainement plié en deux quelques temps... ce qui l'aurait bien évidemment amuser !

- Voyons Eldredounette. Je ne te ferai pas l'affront de retenir mes coups ! Et puis, pour quelqu'un qui ne m'a même pas effleuré, tu es fort mal placé pour parler.

Il savait bien que Eldred disait l'aimer pour provoquer Alexandre. Quant à la fin de sa phrase, Alduis eut un sourire en coin. C'était un défi ? À peine caché. Quoi qu'il en soit, il n'était pas exactement le genre à se défiler si facilement. Il affronta Eldred du regard.

- Si ça te fait plaisir, petit bichon.

Et sans laisser le temps à Alexandre de réagir, parce qu'il allait réagir, bien entendu, il retira sa veste pas assez épaisse et passa sa chemise par dessus sa tête. La brise fraîche vint caresser sa peau mais il ne frissonna pas. Hors de question. Il se contenta de hausser les épaules, toujours le même sourire accroché aux lèvres, comme s'il ne devait jamais le quitter.

- Alors, ô grand expert, que vous dit votre expérience ?

Les regards des marins, même si les mains s'étaient remises en action, s'arrêtèrent un bref instant sur le trio. Alduis leur renvoya leurs coups d'oeil sans trembler. Il jeta un regard Alex, pour voir sa réaction et l'expression de son visage, simple curiosité ... un peu intéressée tout de même.

Après tout, il n'avait pas manqué que rien que ses mains qui le tenaient debout avait suffi à le calmer. Et ça, ce n'était pas tombé dans l'oeil dans un aveugle, bien loin de là. À vrai dire, ils se seraient trouvés ailleurs qu'au beau milieu du port, il l'aurait déjà embrassé.

Il jeta sa chemise blanche sur son épaule nonchalamment. Il lui adressa un sourire mi-contrit, mi-amusé, en répondant :

- Oh si, je l'ai embrassé ! Je te montrerai bien comment, mais ça me semble pas vraiment le lieu pour le faire.

Il le laissa mariner un peu dans son jus avant d'ajouter en lui étalant sa chemise sur le visage pour l'embêter :

- Considère que je m'entraînais, si ça te gêne vraiment, ça vient pas tout seul non plus. Et puis, de toute façon, c'était même pas si intéressant que ça.

Il sourit encore une fois, sans remettre sa chemise. Il ne faisait même pas si froid que ça, l'air frais était revigorant.

- Tu m'excuses, Eldredounette, ce n'est pas que je ne veux pas te plaire, mais laisser pousser mes cheveux ne fait pas partie de mes plans.

Mais bien sûr, Alexandre n'aurait jamais reconnu que Eldred était beau — même si c'était vrai. Pas après ce qui venait de se passer. Mais Alduis n'était pas le genre à renoncer et il donnait plus souvent qu'Alexandre dans la provocation.

- Libre à toi de te taper des porcs emperruqués, mon petit Alex. Si tu préfères, après tout. Laisse-moi te mettre en garde, cependant, avec ta carrure de moustique, tu te ferais écrasé sous tous les bourlets, et tout à fait entre nous, ça me pèserait beaucoup ! Arguments refusés. Sois plus convaincant !

Il n’avait en réalité aucun doute sur la nature de ses coups. A vrai dire, il en était même certain. L’un et l’autre ne faisait pas de cadeau et c’était bien ça qui était si amusant. Mais jamais il n’aurait manqué de venir le provoquer. C’était comme dire qu’il aimait Alduis. L’aimait bien était sans doute plus proche de la réalité. Mais si ça pouvait faire enrager Alexandre, autant en profiter un peu.

Evidemment Alduis ne manquait jamais de relever un défi. Y compris lorsqu’il s’agissait de se dévêtir quelque peu sous l’œil attentif de la flopée de marins qui n’en perdaient pas une miette. Il était vrai que décembre était arrivé accompagné d’une relative fraicheur. Il fallait dire que le climat monbrinien était somme toute bien plus agréable que celui de Zakros, bien plus froid et humide. A cette époque de l’année, les premières neiges étaient tombées depuis plusieurs semaines et le vent glaciale du nord vous gelait la morve.
Il ne le connaissait pas depuis si longtemps que cela -du moins réellement- et pourtant, il avait l’impression qu’il n’avait jamais autant souri de sa vie. Il ne ressemblait plus à l’homme qu’il avait frappé quelques jours plutôt pour rééquilibrer les comptes.

Eldred fit quelques pas, et tourna autour de lui, faisant mine de l’inspecter sous toutes ses coutures alors que bien évidemment, son verdict était tout trouvé. Sur les quais certains marins se mirent à siffler et à applaudir.

- Et bien il en dit que vous êtes une parfaite planche à pain ! Désolé ce n’est pas demain que tu me séduiras

Il avait répondu accompagné de son habituel sourire quand ses yeux quittèrent les siens pour s’appesantir sur son abdomen.

- Oh mais voilà donc un de mes souvenirs ! Je me souviens parfaitement de cet instant où Fjörsbítr a mordu ta chair. D’ailleurs… son regard dériva vers son avant-bras gauche avant qu’il ne pointe une autre zébrure pâle - Celle-ci aussi d’ailleurs. Promis la prochaine fois, je te fais le bras droit pour égaliser !

Eldred était reparti dans ses souvenirs bien loin d’ici, si bien qu’il en avait oublié qu’Alexandre était là. Il se mordit les joues en l’entendant espérer que tout cette histoire de baiser n’était qu’un ramassis de mensonge. Il se tourna aussitôt pour entendre la version de son ami.

- Oui en effet, un peu d’entrainement ne te fera pas de mal. Tu t’entraines aussi pour la drague ?

Il était toujours torse nu, sous la brise de décembre. Il n’avait pas encore la chair de poule mais ce n’était guère qu’une question de minute, quand bien même il faisait le fier.

- Je suis extrêment déçu et attristé. J’espérais pouvoir un jour tressé tes jolis cheveux blonds à la zakrotienne. rétorqua-t-il sans la moindre hésitation avant d'indiquer sa chemise du mentonTu devrais te rhabiller Alduis, les marins vont finir par sauter dans le port. Et puis je te l’ai dit : je tiens à te garder en vie. T’es plus dans le Sud. Bon certes c’est pas Zakros mais quand même…

Mais à Zakros en plein hiver, il serait emmitouflé sous une épaisse pelisse et chercherait à cacher chaque centimètre de peau qui trainerait encore à l’air libre. Toujours était-il qu’il demanda à Alex son avis sur sa personne. Oh évidemment, il n’était pas à son goût -et tant mieux-. Il n’aurait plus manqué que cela. Mais se faire comparer à cet ignoble gros porc lui fit grincer des dents jusqu’à la remarque d’Alduis qui lui arracha un violent éclat de rire.

- Bien dit mon lapin ! et pour la peine, il ne se priva pas de lui asséner un petit coup de bonne guerre.

A partir de quel moment cette scène avait-elle commencé à dégénérer ? Plus les choses progressaient, plus elles s’empiraient. Alexandre ne savait plus où se mettre. Les marins avaient de nouveau cessé le travail pour observer l'étrange trio. Les contremaîtres avaient renoncé à disputer leurs employés et eux-mêmes venaient assister à la représentation.

Eldred et Alduis continuaient leurs grandes déclarations et à cela se rajoutait le fait que Alduis avait retiré sa veste et sa chemise. Alexandre se désespérait. A ce rythme, dans moins d'une heure, ils seraient tous les trois entre les murs de la prévôté. Il se détacha des mains de son amant et s'empressa de chercher ses béquilles. L'une était restée non loin au sol et lui servit à maintenir son équilibre précaire. Il s'appuya dessus pour aller récupérer la seconde sur la caisse où elle avait atterri.

A ce moment, Alduis l’interpella pour insister que ce baiser donné à Eldred ,ne servait qu'à s'entrainer et poursuivait en affirmant qu'il pouvait lui montrer à nouveau. Le petit infirme poussa un profond soupir. Toute colère s'était évanouie de lui pour laisser place à une lassitude.

"Non, je préférerai pas. J'aimerais surtout que tu te calmes et que tu retrouves une attitude décente. Si cela peut t'aider, sache que mon maître est de retour en ville. Déduis en un peu les informations."

Mais ces deux imbéciles continuaient leur jeux. Eldred qui affirmait que Alduis serait une parfaite planche à pain puis qui parlait lui aussi d'entrainement et enfin d cheveux tressés. Ils avaient perdu la raison. Il ne voyait pas d'autre explication. Durant ce temps, les marins et les contremaîtres riaient derrière eux et ne perdaient pas un mot des échanges. Alexandre commença à s'éloigner.

"Je crois que vous n'avez plus besoin de ma présence. Essayez quand même de ne pas distraire trop longtemps les marins : ils ont quand même des activités à remplir."

Alors qu'il faisait demi-tour pour partir, Alduis l’interpella et développa sa réponse au sujet de ses paroles sur son opinion d'Eldred et surtout son commentaire sur Prosper de Monthoux. Il eut un long silence. Il ne souhaitait pas renier ses sentiments pour son amant, comme il l'avait fait quelques mois plus tôt avec Tristan, mais assumer devant toute cette foule... il fallait une parade qui ne blesse pas Alduis mais qui les sauve. Le jeune homme répondit d'un air insolent en fixant Eldred d'un regard mauvais.

"'Tu sais, Alduis, je préfère mourir sous la graisse d'u gros porc plutôt que me laisser approcher par ton bichon."