[8 décembre 1597] - L'insoupçonné chaud lapin[Terminé]

Mais pourquoi était-il jaloux comme cela ? C’était ridicule et la situation ne faisait que s’envenimer. Même Alduis qui s’en amusait jusque  là commençait à perdre patience. Eldred préférait rester en retrait. Cela ne le concernait plus (enfin si un peu quand même) mais mettre de l’huile sur le feu n’aurait pas le moindre intérêt. A quoi pensait Alexandre ? Que parce qu’il était esclave, il ne pouvait rien faire. On pouvait toujours faire quelque chose. Et il était loin d’imaginer tout ce qu’il aurait pu faire pour lui en étant esclave. Comme pour affirmer une nouvelle fois son serment, il acquiesça aux paroles de son ami. Quant aux robes… Tout cela lui étira un large sourire

- Tu ne sais pas t’y prendre voilà tout. Les jupons ça se soulève et pour le reste tu n’as qu’à glisser tes mains. Pourquoi se déshabiller, hmm ?

Parfois c’était bien aussi ainsi, entre de tas de paille ou dans le sous-bois. Les vêtements ont les enlevés pour se glisser dans son lit ou prendre un bain, c’était largement suffisant.

En revanche, il y en avait qui se dévetissait pour d’autres raisons. Comme ces marins. Enfin, surtout celui que reluquer le petit rat à trois pattes. Comment aurait-il pu s’empêcher de le taquiner après la scène qu’il venait de faire ? Il passa son bras autour du cou d’Alduis et commenta la scène.

-Hmm. Dommage qu’il n’y ait pas de femmes dans vos armées.

Mais Alexandre ne réagissait pas. Enfin si, il était en train de finir plus rouge que le pavillon du navire et reculer comme une petite souris apeurée. Il n’avait qu’à assumer voilà tout. Il soupira. Après tout son amant ne s’en privait pas lui !

Il reculait encore et encore. Mais derrière, il n’y avait rien pour le retenir. Il croisa le regard d’Alduis plein de détresse, cherchant une solution qui ne semblait pas lui venir.
A nouveau il relacha un long soupir.

-Et bien va le prendre dans tes bras qu’est-ce que tu attends ? Que je le fasse à ta place peut-être ?.

Ils avaient un point de vue bien différent sur les tenues féminines.

Les robes. Ce mot barbare pour qualifier ces jupons volumineux et ces corsages plein de lacets emmêlés. Une complexité sans nom des pieds à la tête. Et pourtant, Eldred en semblait un fervent adepte, à lui en vanter les mérites ainsi ! Tout cela parce que l’on pouvait soulever les jupons et glisser ses mains dans le reste. Hum, moui. Il n’était toujours pas convaincu.

Son opinion était bien simple. Les jupons étaient la dernière des bonnes idées sur un champ de bataille. Qui aurait l’idée de combattre avec cela ? Personne. Et si personne ne combattait avec, c’était bien qu’il y avait une raison : tous ces froufrous et ces lacets n’avaient strictement rien de pratique. Ni pour la guerre, ni pour l’amour, ni même pour le reste !

- Tu as raison, je ne sais pas m'y prendre, confirma Alduis avec un sourire entendu. Et c'est tant mieux. Je te laisse volontiers les paires de seins. Mais vois l'avantage ! Au moins, on ne se battra jamais pour les mêmes choses … mon ami.

Mon ami.
Puisque Eldred l’appelait ainsi, il pouvait bien le faire aussi. Bien que sur sa langue, ce mot était étrange. Était-ce vraiment possible ? Lui, Alduis de Fromart, avait un ami - un vrai ? C’était dur à croire, et pourtant véridique. Tout du moins, ils ne disputeraient pas leurs conquêtes… Ce qui n’empêchait pas Alexandre de trouver le moyen d’être jaloux. Ce qui était franchement ridicule.

Bien entendu, cela ne l’empêchait pas d’observer les muscles de ces marins qui laissaient tomber la chemise pour dévoiler leurs torses. Eldred passa un bras complice autour de ses épaules. Certes, ils étaient bien bâtis, mais Alduis réservait son lit aux militaires. Et puis, il ne réchauffait pas ses draps avec n’importe qui non plus !

L’absence des femmes dans les forces armées monbriniennes ne le gênait pas outre mesure. Après tout, il ne voyait pas la différence et préférait de loin les torses que les poitrines.

Le sujet fut bien vite éclipsé. Alexandre était aussi rouge qu’il était possible de l’être, il reculait lentement mais surtout… surtout, il ne disait plus un mot. Et cela, c’était inhabituel ! Alduis était habitué à entendre un monologue presque perpétuel sortir de sa bouche, qu’il suffisait d’alimenter de quelques mots pour le faire repartir de plus bel alors… Ce silence-là, il n’y était pas préparé et il y avait quelque chose de déstabilisant.

Le jeune homme continuait de reculer. Et ne semblait pas vouloir s’arrêter. Alduis sentait de là son malaise. Un bref instant, il se retourna vers Eldred avait un regard alarmé, qui signifiait : fais quelque chose ! Il avait bien conscience qu’il aurait dû faire un geste, dire une parole, quelque chose qui consolait, mais quoi ? Faire une chose, ou faire une autre. Incapable de choisir, il resta à sa place, planté tout droit.

Jusqu’à ce que Eldred soupire. Et que sa voix lui rappelle que ce n’était pas en restant là qu’il allait empêcher Alexandre de partir. Alduis s’ébroua. Il jeta un deuxième regard à Eldred, toujours sans un mot, le temps d’assimiler ses mots.

Aller le prendre dans ses bras.

Il avala sa salive, et finit par combler la distance qui ne cessait de croître entre lui et Alexandre. Il s’accroupit en face de lui et sans se laisser le temps de réfléchir, ni aux voix de parler, il le serra maladroitement contre lui.

Et puis, en percevant son coeur qui battait, son odeur, la chaleur de sa peau à travers ses vêtements, il eut moins de doute et gagna en assurance. Parce que là, en le sentant si proche, il avait la certitude d’être à sa place.

- Ne pars pas déjà, fit-il à mi-voix.

Le visage cramoisi, Alexandre éprouvait un malaise croissant en continuant à reculer lentement, le regard baissé vers les pavés. Après toute cette scène adressée sur la relation entre Alduis et Eldred, il ne se sentait pas capable de fixer son amant. Le jeune homme ne se souvenait pas avoir vécu un pareil moment de gêne. Pourquoi avait-il eu cette montée de désir pour ces maudits marins ? C'était normal ? il aimait Alduis pourtant. Passionnément. Qu'est-ce qui lui était passé par la tête ?

Soudain des bras l'arrêtèrent et l'enlacer. Il releva la tête et découvrit Alduis à genoux devant lui, sa tête contre sa poitrine. Instinctivement, il porta la main pour caresser avec tendresse ses cheveux. Ils étaient si doux. Il murmura, honteux :

"Je suis désolé. pour tout. Pour... cette scène. Pour ce moment. Je.. J'ai encore fait de la merde."

Alexandre baissa la tête et se demanda pourquoi il devait avoir parfois ces moments de folies où son être se perdait et ressortait dans la colère les pires lies de l'humanité.

"Pardon..."

Il devait bien reconnaitre une chose à Alduis: ils ne se battraient jamais pour leurs conquêtes. Si c'était pas de l'amitié ça qu'est-ce que c'était?! Cette perspective lui étira un large sourire qui se mua en rire tandis qu'il attrapait sa poignée de main pour la serrer fermement tout en frappant amicalement son épaule.

Qui aurait cru qu'il deviendrait ami avec Alduis? Cela paraissait incroyable. Mais c'était ainsi qu'il l'avait appelé et cela lui fit chaud au coeur. D'ailleurs, il était là à le conseiller d'aller consoler son amant.
Il lui fallut un moment avant de détaler et seul les regards insistants d'Eldred semblèrent enfin le décider.

Le zakrotien décida de leur laisser un peu d'intimité.
Il se retourna et monta sur la caisse afin de constater le déchargement sur le port: la caisse de Dyonis était sans doute enfin là. Il allait devoir prendre congés incessamment sous peu.

Alduis avait un ami. Et il avait du mal à le réaliser. Pouvait-il se targuer d’en avoir eu au moins par le passé ? Maintenant oui. Son seul et unique ami. C’était étrange. Encore plus qu’il avait une conscience accrue de cette envie qu’ils avaient eu de s’étriper, neuf ans plus tôt, et que leurs premiers contacts s’étaient révélés houleux.

Qu’est-ce qui faisait que maintenant, Eldred tenait si fermement sa poigne dans la sienne et lui tapotait le dos en même temps - comme s’ils se connaissaient depuis toujours ? Il n’en savait rien. Mais peut-être n’y avait-il pas de raison particulière, ni de réponse à fournir. Rien qu’une situation, qu’il fallait accepter.

En retour, il le serra si fort qu’il aurait certainement pu lui en briser les os. Comme l’occasion était trop belle, il ne résista pas à la tentation de lui écraser vivement le pied du talon avec une lueur provocatrice dans les yeux, pour enchaîner aussitôt avec un coup direct à l’épaule opposée. Avant de finalement reculer.

Et de se rendre compte qu’Alexandre n’était plus là où il aurait dû être, mais bien deux mètres en arrière. Ce furent les regards insistants du zakrotien qui le décidèrent finalement à bouger et à aller le prendre dans ses bras, avec la gaucherie d’un adolescent. Aussitôt, il sentit ses mains se glisser dans ses cheveux pour les caresser.

Alduis ne répondit pas. Sinon un :

- Je l’ai embrassé juste pour voir ce qu’il ferait.

... s’il aurait le cran de rester...

- Mais pour rien d’autre. C’est promis.

Et si Alexandre avait compris quelle importance attachait Alduis à ses promesses, dans ce cas, il n’aurait plus de raison d’être jaloux. Finalement, il se redressa et tendit la main au jeune homme pour l’aider à se relever.

Eldred était de retour en haut d’une caisse. Il en faisait, des allers-retours, entre le sol et son perchoir !

Les mains du jeune homme caressaient toujours les cheveux de son amant et il eut un sourire tendre quand celui-ci confessa n'avoir embrassé Eldred que comme un défi. il lui adressa un petit sourire.

"C'est bon Alduis. Je te fais confiance."

Il se redressa ensuite et lui tendit la main. Alexandre la serra et s'en aida pour se relever. Son regard fixa le port et les yeux possiblement indiscrets. il demanda d'une petite voix :

"Alduis... On va ailleurs ?"