Event 8 ¤ La cérémonie du Triomphe - 30 septembre 1597 [Terminé]

Louise adressa un sourire amical à la religieuse, rassurée de savoir que celle-ci n'était pas perdue, comme elle le croyait préalablement.

"Je vois. Je croyais que les Sœurs, une fois leurs vœux prononcés, ne quittaient plus leur couvent. Y a t-il des exceptions à cette règle ? Cette fête doit vous paraitre d'ailleurs très bruyante loin des murs tranquilles."

Louise rosit légèrement à la question de la mère supérieure. Certaines de ses collègues devaient être présentes pour travailler. Assurément. pas elle. Elle était trop heureuse de son changement au situation au Lupanar et ne souhaitait pas retourner en arrière. Elle répondit d'un sourire légèrement faux :

"Oui, il y a si peu d'occasions festives, même si un triomphe militaire n'est pas une réjouissance particulièrement joyeuse. Mais au moins on peut rencontrer du monde et prendre du temps pour soi."

Spoiler:

Dyonis apprécie une fois encore les manières très élégantes de la princesse Kalisha, qui lui adresse une révérence puis répond à ses interrogations. Il se moque bien de l'état de santé de Prosper, ce n'était que politesse, mais hoche quand même la tête aux précisions de son épouse.
"Je lui souhaite prompt rétablissement. J'ai eu..." (Il ne peut pas se résoudre à dire "l'honneur" ou "le bonheur" et se contente donc de : ) "l'heur de faire sa connaissance autour d'un banquet chez moi et sais son appétit pour les bonnes choses. Mais je ne doute pas de sa solide constitution et de la santé qu'il retrouvera bientôt. Assez parlé de lui, toutefois. Il faudrait que je prenne le temps de faire plus ample connaissance avec vous, Madame, mais aussi avec votre prestigieuse compatriote qui nous fait aujourd’hui l'honneur de sa présence."

En parlant ainsi, il regarde justement Dame Adalheidis, très concentrée sur les paroles du roi et tendu (ce qui est pour le moins légitime). Monarque qui, justement, vient féliciter les femmes de la famille Cassin après le défilé du Général Joseph et selon les protocoles de la galanterie. Alors, Dyonis hésite. Et si c'était le moment ? Et s'il osait demander au monarque l'éclaircissement que tout le monde ici doit attendre ?! Même lui, son Premier Conseiller, n'a pas compris sa décision sur Djerdan ! Il se doit de respecter sa place et d'accepter la décision, à laquelle il n'a pas contribué, mais... avec des mots bien choisis peut-être, amener le sujet...

"Votre Majesté..." (dit-il finalement en s'inclinent profondément quand le roi finit par venir vers lui, et non loin de ces Dames Kalisha et Adalheidis) "...aura sans aucun doute frappé une fois encore tous les esprits par la somptuosité de ce Triomphe. La colonie de Mornoy, désormais à vous, va faire oublier la mésaventure de la première frappe en Djerdan et remettre l'Empire sur la voie du succès en attendant les prochaines manœuvres. Puis-je, Sire, en tant que votre Premier Conseiller, prendre votre conseil sur ce qu'il faut répondre quand, souvent, je dois rendre rapport et expliquer ce qu'il faut penser de la situation entre Monbrina et Djerdan ? Je n'ai à cœur que d'être humblement le prolongement de votre voix pour lui faire honneur comme le Triomphe de ce jour. Que tout soit limpide et incontestable pour que de cela émane l'autorité."

A ce point de ses manœuvres, Dyonis ne s'attend absolument pas à être dérangée par l'interpellation d'une femme inconnue. Il en est extrêmement contrarié. Il se retourne et découvre une simple roturière, qui s'est arrangée Dieu sait comment pour s'introduire dans les gradins des aristocrates. Quel toupet ! D'ailleurs, le roi l'a remarquée aussi de loin, et le Premier Conseiller se doute bien que Gérald Der Ragascorn surveille avec attention comment il va gérer cette intrusion. Au moins, la femme est polie, se prosterne et formule une demande en bonne forme. Mais Dyonis n'a pas l'intention d'ouvrir les vannes et de permettre à toute la plèbe de la capitale de venir le déranger directement en pleines réjouissances. Il regarde donc la femme avec un air très distant, très froid, et coupe court à ses circonvolutions :

"Parlez. Soyez concise et efficace."

Ses prothèses métalliques sont croisées derrière son dos. Il reste immobile, concentré, et se garde bien d'avoir même un petit regard qui traînerait vers le roi par qui il se sait surveillé.

Quand la gitane finit par remarquer le corps unique des jumelles, elle ne manifeste ni étonnement amusé, ni curiosité vive, mais plutôt une sidération très gênante pour Siloé-Sémélé. La bohémienne manifeste même les signes d'un genre de terreur devant ce qu'elle voit, ce qui jette un froid aussi dans l'esprit des sœurs. Siloé se mordille la lèvre et frotte du pied au sol, comme si elle était la coupable de ça... Sémélé essaie de garder un sourire poli même si cette peur qui lui est renvoyée n'est pas pour lui faire plaisir, et même si elle est habituée à cette réaction au milieu de toute une collection d'autres. Pourvu que ça ne soit pas lié à la peur d'une malédiction ou d'un mauvais présage ? Siloé finit par retrouver un peu d'aisance : elle accueille d'une mine avenante la réponse de la jeune femme borgne (qui aide à détendre l'atmosphère après la réaction de sa voisine).
C'est alors que la gitane prend la parole, coupant même sa camarade, et clairement elle est encore sous le coup de l'étonnement. On dirait qu'elle est même dans un situation d'urgence, à chercher vite une réponse pour se rassurer. Là dessus aussi, les jumelles comprennent. Il y a besoin de comprendre les choses et elles ont conscience du désarroi que peut générer les étrangetés comme leur corps. Elles mêmes, elles n'ont jamais compris.

Sémélé (la plus à l'aise des deux avec la parole, se colle à essayer de répondre, et avec une spontanéité qui laisse deviner qu'on leur pose très souvent ces questions-là) A vrai dire, on sait pas trop non plus comment ça peut se produire, du point de vue des lois de la Nature et tout. D'après une noble Dame chez qui on s'est produites une fois, ce serait par surplus de semences. Ou au contraire pas assez alors que Dieu voulait donner des jumeaux, du coup il faut les lier... Y paraît que c'est ce que les chirurgiens écrivent mais nous, on en sait rien, désolée. (Elle hausse les épaules avec un air qu'elle veut un peu joueur, histoire de détendre l'ambiance comme possible... Et au sujet de la deuxième question) On est... euh... B'en on est une seule dans le sens où on doit tout faire ensemble, et même que je suis pas sûre qu'on aurait droit chacune à un mari...
Siloé. Ouais enfin même un seul, je suis pas certaine qu'on pourra jamais, pour la raison inverse ehe ehe... Y diraient qu'on est deux !

Un blanc un peu gêné s'installe. Siloé alors s'en veut d'avoir amené si brutalement le sujet douloureux pour elles deux sur la table. Sémélé lui passe un bras affectueux autour de l'épaule. Elle poursuit :

Sémélé. Par contre on est deux, ça c'est sûr, dans le sens où on a pas toujours le même avis. On doit même souvent se concerter haha ! Faut bien qu'on tombe d'accord pour aller à gauche ou à droite, faire ça ou ça ! Mais... (songeuse) y a aussi ces drôles de moments où on a l'impression qu'on se ressent tellement, qu'on se devine tellement... que c'est comme si nos pensées se partageaient et qu'on avait pas besoin de les dire.
Siloé. Mais ça, c'est p'têtre propre à tous les jumeaux, qui dit ?
Sémélé. Peut-être.

Siloé évite légèrement le regard de la gitane mais Sémélé lui sourit, façon d'espérer qu'elle lui a au moins un peu répondu et qu'elle l'a rassurée. Siloé n'est pas mécontente de changer un peu d'angle de conversation quand Lucretia reprend la parole... alors que Sémélé a eu l'air moins dérangée par la routine de ces interrogations.

Siloé (à Lucretia, retrouvant elle aussi un sourire et de l'enthousiasme) On a chacune un prénom. Moi c'est Siloé, et elle c'est Sémélé. Mais on nous appelle toujours ensemble, comme ça : Siloé-Sémélé ! (qu'elle prononce dans un même souffle comme un seul nom et sans pause.) Mais si y a quelqu'un qui s'adresse juste à une de nous, eh bien il dit juste le prénom de l'élue hé !
Sémélé Enchantée, Lucre.... ah... (Elle s'est interrompue et a lâché ce petit couinement un peu maladroit en comprenant que Lucretia est bien une esclave, et que la gitane qui lui parlait tout à l'heure de "autre côté de la barrière" est sa... maîtresse. C'est drôle, est-ce qu'une bohémienne a les moyens de s'acheter une esclave ? Ou bien Lucretia est un "héritage" ou bien la gitane a été riche autrefois ?)
Siloé (se pose les mêmes questions, mais pour rattraper le coup, tournée vers la "maîtresse") Et vous Madame, vous êtes ? (Après tout, se dit-elle, peut-être que la bohémienne est beaucoup plus fortunée qu'elle ne veut bien le montrer... C'est néanmoins étonnant, mais elle ne va pas s'amuser à être d'une curiosité dérangeante... elle ne sait que trop combien c'est malaisant.)

Le regard de Sémélé a un peu dévié pendant ce temps vers la tribune des nobles. Elle repère alors... Madame Bellanger qui s'aventure à aller parler au Premier Conseiller en personne ! Mais quelle mouche la pique ?! Pourquoi prendre ce risque à oser aller déranger les Grands de Monbrina dans leurs bancs ?!

Sémélé (grommelle, regardant faire Rosina) Oh b'en merde alors, qu'est-ce qu'elle fiche ? (Elle ne voudrait pas que cette si gentille femme ait des ennuis. Et dire qu'elles l'ont rencontrée et l'ont aidée il y a deux semaines de cela.)

Sylvère tente de voler sa bourse à Louise.
Réussit-il sans qu'elle le remarque ?

Spoiler:

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'Acte à point fort' :

Hyriel sourit en voyant l’air rêveur du jeune homme. Comme elle était belle, la naïveté ! Enfin. Il hocha la tête, radieux, à sa conclusion. Comme c’était mignon. Il repéra le regard de Sylvère et le vit se fixer sur une femme de dos en grande conversation. Il comprit que la tendre épouse voulait de l’action. Il se retourna vers Alexandre avec un sourire doux.

"Voilà qui est bien dit, jeune homme."

Il ajouta, se penchant sur le ton de la confidence :

"Et puis qui sait, celle qui fera votre bonheur est peut-être là, tout près, dans cette foule ? Nous ne vous retenons pas plus longtemps dans ce cas, allez donc trouver la joie !"

Il attendit un peu qu’Alexandre soit parti pour se séparer de sa tendre épouse quelques instant, prétextant pour qui entendrait qu’il avait quelqu’un à voir, et il s’avança vers leur victime. Il s’assura que Sylvère était prêt, s’avança et zut ! il bouscula une pauvre dame. Quel dommage ! Il s’apprêtait à bafouiller des excuses « maladroites » quand il la reconnut. Louise, il se rappelait également son nom. Pourquoi avait-il fallu que ça tombe sur elle, la pauvre femme ! Au moins, il n’eut pas à contrefaire le bafouillement.

"Je suis absolument désolé de… de vous avoir bousculée, je suis confus, je… Vous ici ? Si je m’attendais à vous revoir en ce lieu… Je… Comment allez-vous ? Et la petite Cassandre ?"

Son sourire était gentil mais un peu crispé à l’intérieur. Elle savait qui il était. Elle… Oh quelle poisse…

Alexandre écoutait la réponse de l'homme en béquilles et lui souriait benoîtement, touché par cette belle image. Son attention se relâcha cependant en remarquant l'agitation qui émanait des tribunes. Il distingua alors la silhouette de sa mère et pâlit. Que faisait-elle ? Pourquoi prenait-elle un tel risque de s'exposer à... Sa pensée s'interrompit brusquement en prenant conscience qu'elle devait s'être rendue là-bas pour lui, comme elle a voulu fuir la maison pour témoigner en faveur du père Thierry. Quelle idiote ! Ne pouvait-elle pas un minimum réfléchir avant de réaliser une action ? Alexandre se sentit rougir peu après avoir songé ces paroles. Il avait si souvent commis la même sottise. Il eut soudain grande pitié pour son père qui s'était alors trouvé à sa place, à contempler la bêtise et à se questionner s'il pouvait empêcher un désastre.

Finalement, le père Thierry d'Anjou était peut-être un saint en dépit de son amour pour les seins !

L'infirme en béquille attira à nouveau son attention pour signaler devoir s'éloigner rejoindre son épouse qui avait effectivement disparu. Alexandre opina dans un sourire maladroit.

"Euh oui. Je comprends. J'ai moi-même des choses à faire. Il m'est avis que la belle rencontre attendra un peu. J'ai été ravi de vous rencontrer. Au plaisir de se revoir."

Il s'écarta le premier, pressé de rejoindre sa mère et de trouver le moyen de lui éviter de fameux ennuis.


Tous les regards des gens dans la tribune étaient braqués vers sa seule direction. Elle tremblait. Tous ces gens hautement importants lui faisaient peur. Mais elle se battait au nom de son fils. S'il y avait une chance, même infime, pour l'extraire de sa situation, elle la tenterait. Peu importaient les conséquences pour elle-même.

Le Seigneur de Frenn lui accorda la parole après un temps suspendu qui parut s’étaler sur plusieurs heures. Sa mine austère l'effrayait. Son pauvre petit Alexandre avait dû avoir si peur de cet individu sinistre. Son interlocuteur réclamait concision et efficacité. Elle eut un brève toux pour éclaircir sa voix puis commença :

"Je me nomme Rosina Bellanger et regrette de vous importuner dans un tel moment, messire, mais je n'en voyais point d'autre. Mon fils Alexandre a été condamné l'asservissement par vous pour s'être introduit dans votre domaine. Ce n'est pas bien. Je ne le sais que trop, certes, mais c'est un garçon impulsif, incapable de faire réellement le mal. Une bonne flagellation aurait suffi à le ramener sur le droit chemin. A présent, avec son infirmité... J'ai peur pour son avenir. je vous en supplie, revenez sur votre décision, messire. Épargnez mon pauvre fils !"

Rosina laissa couler quelques larmes. Une mère éplorée, inquiète du sort de son enfant, cela remuait toujours. Cet homme ne pourrait y être insensible. Il était en présence de ses homologues qui allaient le questionner et l'incitaient peut-être à une grâce exceptionnelle. Elle voulait y croire.

Alors que Rosina terminait son allocution, Alexandre arrivait vers elle en trottinant difficilement avec ses béquilles. dans la précipitation de la course, il s'était beaucoup fatigué. Le jeune homme avait cependant put entendre le discours avec effroi. Quelle imbécile ! Elle allait réellement au devant d'ennuis terribles !

D'une voix forte et sévère, Alexandre s'adressa à Rosina :

"Mère ! Comment oses-tu venir déranger la Cour avec une affaire qui ne la regarde pas ? Qui plus est, tu est en train de remettre en cause la justice de notre glorieuse Majesté ! Un jour de triomphe pour notre Empire ! Sache que le seigneur de Frenn n'a rendu aucun jugement pour statuer de la bêtise stupide que j'ai pu commettre. Non, il a eu la sagesse et l'intégrité de me remettre aux mains de la justice royale qui a prononcé mon asservissement. Il me faut aussi souligner que notre bon Roi est intervenu dans cette affaire et accordé une grâce. As-tu présent conscience, mère, de l'énormité que tu as osé demandé au Seigneur de Frenn ?"

Face à la colère froide de son fils, Rosina pâlit et se recula. Elle reconnaissait en cet instant les traits secs et dur du père Thierry quand ce dernier manifestait un énervement. Son cœur se serrait. Son enfant était devenu un homme et les hommes commandaient aux femmes, même quand une d'elles était leur mère. Elle détestait pourtant ce discours. Il se résignait si facilement à cette vie d'esclave, lui qui aurait dû être bien plus puissant. Après tout, dans ses veines coulait un noble sang.

Satisfait de voir sa mère reculer, Alexandre se radoucit puis s'inclina devant le Seigneur de Frenn.

"Je suis navré, messire, que nos chemins doivent encore se croire et je vous jure, sur mon honneur, ne rien faire pour cela."

Son regard se tourna un très bref instant vers la silhouette si proche du monarque. Alexandre aurait voulu le remercier de son intervention lors du procès. Ce serait poli et respectueux. L'ombre écrasante de ce personne lui faisait cependant peur. C'était à ses yeux s'adresser au Christ. Avait-il réellement le droit de lui adresser une parole ?

Lancer de dés : Alex ose-t-il son remerciement ?
Réussite oui  Échec : non

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'Audace' :

Kalisha inclina la tête aux paroles du baron de Frenn tout en accompagnant son salut d'un sourire sincère. Elle espérait, elle aussi rencontrer cette homme qui avait tant apprécié son mari. Peut-être trouveraient-ils ensemble de meilleurs sujets de conversation qu'avec son époux?

Il prit congé afin de saluer sa Majesté. La jeune Comtesse tendit l'oreille pour entendre ce qu'il se disait au sujet de Djerdan. L'avait-il fait sciemment afin de pouvoir leur faire partager la réponse du Roi? Florentyna lui proposa de descendre avec le peuple mais elle lui fit signe de se taire: hors de question de manquer une miette de la réponse du Souverain.

Descendre avec le peuple? C'était tout de même une drôle d'idée... Ne risquaient-elles rien à se mélanger ainsi dans la foule? Mais finalement Kalisha ravala ses craintes et acquiesça en répondant doucement:

- Oui nous descendrons dans une minute. Je vous suivrai, je suis sûr que ce sera très enrichissant.

Sa belle-fille et amie devait en tout cas trouver enrichissant de donner de son or et de son temps aux nécessiteux. Elle, ne connaissait simplement pas ces personnes. Elle n'était jamais sortie de son Palais à Djerdan et c'était donc là une expérience nouvelle, qu'elle décida de tenter avec toute l'ouverture d'esprit qui la caractérisait.

Joseph continua paisiblement sa tournée avant d'apercevoir enfin l'estrade. Son sourire s'élargit en voyant sa femme et ses filles, ainsi que Tristan. Il s'avança vers elle quand il vit une tête blonde qui ne lui était pas étrangère. Oh, voilà que le loup blanc sortait de sa tanière. Nul doute qu'il allait encore faire un de ses coups d'éclat dont il avait le secret. Joseph secoua la tête en le suivant. Ils allaient de toute façon dans la même direction. Peu avant d'arriver vraiment au pied de l'estrade pourtant, il s'arrêta, témoin d'une scène peu commune entre une mère, son fils et un noble. Bon Dieu, on dirait le début d'une mauvaise plaisanterie, ou d'une sombre affaire de coucherie.

Naturellement, Alduis s'en mêla. Joseph soupira en secouant la tête. Il ne changerait jamais celui-là...


Pauline sourit à Tristan. Elle remarquait pourtant une certaine tristesse au fond de ses yeux. Elle posa une main sur les siennes. Peut-être était-il intimidé mais il n'avait pas à l'être.

Elle n'eut cependant pas le temps de s'y attarder car le Roi en personne venait les aborder. Elle s'inclina, de même que ses filles avec révérence et application. Elle convint d'un regard avec elle de répondre pour elle trois.

- Merci Votre Majesté, c'est un grand honneur pour nous. Je suis certaine que Joseph est tout aussi ravi par ce spectacle que nous.

Elle sourit au trait d'esprit du roi, de même que ses filles, même si elles le faisaient plus discrètement. Elles observèrent ensuite un homme qui semblait être un grand personnage important du royaume. Le Premier Conseiller même. Pauline lui adressa un bref hochement de tête respectueux puis haussa un sourcil. Elle savait par son mari qu'effectivement, la position de Monbrina était quelque peu ambiguë en ce moment. Elle tendit un peu l'oreille. Les demoiselles quant à elles suivirent le regard du roi et penchèrent la tête à l'étrange scène qui se déroulait sous leurs yeux. Leur mère fronça un peu les sourcils. Que se passait-il pour que cette femme tente une action pareille au juste ?

Elle se mit à pleurer. L'affaire résonna alors aux oreilles de Pauline. Elle se tourna vers Tristan, surtout quand le garçon béquilleux arriva au pied de l'estrade.

- N'est-ce pas ton camarade, Tristan ?

Bélyl aurait pu confirmer mais restait effarée devant la scène. Comment cette femme arrivait-elle à avoir autant de courage ? Il était dur de revenir sur la décision d'un grand... Heureusement pour elle, Alexandre arriva et sembla résoudre la situation. Elle poussa un petit soupir de soulagement. Elle regarda tout de même le fameux Seigneur de Frenn, intriguée par sa possible réaction. Elle glissa également un oeil à Tristan qui s'était tapi derrière elles à l'approche du roi.

Puis quelqu'un vint s'en mêler. Pauline serra les lèvres. Cette chevelure et cette cicatrice se reconnaissaient de loin.

- Alduis...

Son époux ne tarissait pas d'éloge sur sa technique de combat mais il ne taisait pas ses frasques et ses tendances à la cruauté. Par réflexe, Pauline mit une main sur l'épaule de sa cadette. Elle aperçut alors son époux qui arrivait et lui sourit tendrement. Il observait lui aussi la scène, un peu circonspect, les mains derrière le dos.


Mère Suzanne hocha la tête vers Louise.

- C'est exact mais c'est un peu particulier pour moi, je mène des recherches théologiques, il m'arrive donc de voyager, notamment pour rencontrer divers frères et sœurs.

Elle sourit.

- Le mouvement et les réjouissances ont également été permis par Notre Seigneur, il me plait donc beaucoup d'y participer également même s'il est certain que je préfère l'atmosphère paisible du couvent.

Elle hocha sa tête à sa réponse.

- En effet. Êtes-vous venue avec votre famille ?

C'est alors qu'une jeune homme bouscula son interlocutrice. Mère Suzanne rattrapa un peu Louis pour lui éviter une mauvaise chute puis leva les yeux vers le maladroit.

- Bonjour jeune homme, auriez-vous perdu votre chemin pour être à ce point désorienté ?

Elle remarqua alors les prothèses à ses jambes. Boiteux, comme sa petite Jeanne. Elle esquissa un sourire qui se voulait bienveillant, les mains croisées devant elle.

A peine achevé son compliment à la famille Cassin que le roi fut approché par son Premier Conseuller, qui lui adressa une profonde et zélée révérence. Le seigneur de Frenn rappela la première bataille perdue contre Djerdan mais que les splendeurs de ce triomphe allaient faire oublier, pour imprimer dans les esprits la victoire sur Mornoy. Gérald Der Ragascorn connaissait cependant la finesse du baron et se doutait qu'une idée concrète lui trottait dans la tête derrière ce compliment. Cet homme aride ne flattait que rarement et jamais sans une excellente raison. Le roi eut vite sa réponse quant au sujet qui amenait Dyonis : les frappes contre Djerdan. Il était vrai que son Premier Conseiller avait recommandé de ne pas engager ces attaques, pour se concentrer plutôt sur le renforcement des frontières et la sécurité de l'intérieur. Le souverain aurait aimé abonder dans son sens mais l'avenir l'avait amené à changer ses plans pour une nouvelle politique agressive. Il n'avait pas eu à eu à se justifier sur le moment : il choisissait l'attaque, ses sujets n'avaient qu'à obtempérer. Gérald Der Ragascorn était sûr de son droit et des informations qui l'avaient décidé à rompre le pacte avec Djerdan. En public cependant, il estima bon de se montrer affable et de donner à voir une communication entente entre le baron et lui. Autant passer pour un roi accessible et prompt à répondre aux question de son gouvernement.
Ce fut donc sans hésitation, certain de la nécessité de sa décision, que le dirigeant eut la magnanimité de donner à son Conseiller les clés nécessaires à se faire l'obéissante voix de son suzerain auprès de ses propres vassaux :

-- Nous entendons là votre prévenance, Messire de Frenn, à vous faire le relais des décisions de la couronne afin que nul ne puisse ignorer ni la loi ni les raisons qui la motivent. Aussi, concernant le pacte de non-agression entre Monbrina et Djerdan, vous n'êtes pas sans savoir qu'il prévoyait un échange commercial entre des ressources monbriniennes et des richesses de notre voisin. Cependant, voilà déjà plusieurs mois que Djerdan croit bon de ne pas remplir sa part du contrat. Et nous avons même été informés que leurs chefs des armés profitaient de ce... retard... pour en réalité renforcer ses armements, chercher des appuis en Europe en salissant Monbrina et se retourner contre notre Saint Empire. Nous n'estimons pas là que ce soit un partenaire loyal et la plus sage des choses à faire fut de ne pas laisser aller cela plus longtemps. De couper l'herbe sous le pied de qui a profité de nous. Ainsi vos sujets comprendront-ils que le choix de ce revirement dans notre politique étrangère n'a rien d'un caprice.

Il était conscient que sa réponse en glacerait plus d'un alentour. Telle était cependant la vérité et le fruit de ce que des informateurs lui avaient exposé. Gérald Der Ragascorn venait de parler dans le plus grand des calmes, tête haute et gestes assurés, montrant sa sévérité envers ceux par qui il s'estimait trahi. Il avait repéré l'attention de Kalisha de Monthoux et de Dame Adalheidis, concernées au premier chef. Au moins elles aussi savaient, à présent, de quoi il en retournait.

Ceci fait, il vit de loin le Premier Conseiller être interpellé par cette audacieuse femme du peuple et entendit l'argumentaire de celle-ci. Comment osait-elle ?! Revenir sur une décision de justice rendue par le Parlement de Braktenn... et qui avait été fort clémente par sa royale entremise ! Le baron avait demandé la potence pour les deux condamnés, mais ils étaient par sa volonté encore en vie : qu'elle s'en estimât heureuse ! Le monarque poussa un bref et sec souffle d'agacement mais laissera Dyonis se dépatouiller de cette femme. Seul son regard noir se dirigera un court instant vers elle.
Il eut la surprise de voir arriver le fils en question, clopinant sur ses béquilles... et de l'entendre justifier sa propre condamnation. En voilà un qui connaissait sa place et acceptait le rendu de la justice. Si tous les condamnés et les esclaves de ces terres pouvaient être inspirés de cette même humilité devant la hiérarchie naturelle que maintenaient leurs gouvernants ! Ne doutant pas que Dyonis allait clore avec efficacité l'incident, il se désintéressa d'eux et oublia le petit esclave aussi rapidement qu'il l'avait aperçu et entendu. Et néanmoins, le sieur Alduis de Fromart s'en mêlait. Le roi connaissait sa réputation de bretteur, de goût pour l'action... et pour un certain désordre. Qu'il garde ce goût pour les champs de bataille. Que Diable lui prenait-il à défendre cette contestataire ? ...Et cependant, au fond de lui Gérald Der Ragascorn s'avoua lui aussi joueur : il attendait presque avec amusement de voir comment allait s'en tirer son Premier Conseullier - comme une petite mise à l'épreuve. Au pire, sa parole royale viendrait clore le débat au besoin.


Tristan se tenait figé, consterné par la réponse du roi aux questions légitimes du seigneur de Frenn. Comment était-il possible de faire payer à tout un peuple une escroquerie au sommet du royaume ?! Et devant les représentantes de ce royaume, en les personnes de Madame de Monthoux et Madame Nal'Harraq ! Le petit esclave en comprima les poings sous son étole jetée en vrac sur ses genoux. Et puis... Une sensation étrange. Quelque chose ne passait pas et alors que le monarque évoquait une machination de la part de Djerdan, Tristan eut une vision. Comme un pressentiment. Ses yeux s'étaient portés d'instinct au loin, vers le gibet... Là où gisaient les pendus. Et par-dessus, l'entrevue d'une enseigne de taverne décrochée par le vent, renversée avec ses personnages. Était-ce réel, était-ce dans sa tête ? Tristan ne sut, mais il sentait le pendu... Comme de ceux qui vous tirent la langue et se jouent de vous tête en bas à la manière des gens de la pancarte... L'image lui resta, vision obsédante en même temps que les justifications royales. Y aurait-il anguille sous roche dans l'affaire ? Pris sans son bref délire, les yeux dirigés vers le roi mais ne regardant rien, il ne s'entendit pas murmurer :

-- Mise à l'envers... Sire se la fait ?

Deux voix connues le tirèrent de son bref délire. En se tournant vers elles, il découvrit Alexandre et sa mère. Revoir le béquilleux et découvrir Rosina lui serrèrent le cœur. Comme cette maman était brave et touchante, à oser ainsi implorer le cruel Dyonis pour son fils ! Tristan s'en trouva ému... mais non sans une pointe d'envie : quelqu'un l'aimerait-il, lui, au point de faire quelque chose d'aussi risqué pour le tirer de l'esclavage ? Alexandre devrait s'en souvenir au lieu d'être souvent si pleurnichard, et savourer cette chance sans prix d'avoir une mère pareille ! Là-dessus, fouillant à nouveau la foule du regard, voyant des familles, des amis, Tristan se rappela de l'affection inconditionnelle de Lénius. Son frère de cœur. Et désormais, il se trouvait en outre sous la bonne protection de la famille Cassin qui l'avait presque adopté, qui le traitait comme un ami bien davantage que comme un esclave. Le garço s'en voulut de sa hargne passagère.
Malgré tout, il détourna les yeux d'Alexandre à qui il ne voulait pas de mal mais qu'il désirait oublier. Tristan serra les dents de l'entendre humilier ainsi sa mère. Le fils Bellanger était donc si endoctriné, à accepter ainsi son sort et à se mettre même du côté plein et entier des oppresseurs ?! Il l'entendait d'ailleurs justifier l'impérialisme et l'esclavage. Son père adoptif avait du bel ouvrage des années durant. Et pour achever de révolter Tristan, le seigneur Alduis se mêlait à la conversation pour défendre Rosina Bellanger. Si tant est que l'on pût parler de défense : le petit esclave sentait bien, aux airs de ce noble, à ce que sa personne soufflait à son intuition... que Messire de Fromart n'agissait de la sorte que par petit jeu de petit noble qui s'ennuyait, sans aucun intérêt véritable pour la mère d'Alexandre. Un noble sans divertissement est un homme plein de misère.
Aussi l'arrivée de Joseph fût-elle salutaire et Tristan l'observa rejoindre sa famille bien-aimée. Il sourit au général tandis qu'il passait près de lui. Le garçon sentit alors la main de Pauline saisir la sienne avec une immense tendresse et il referma délicatement ses doigts fins autour. Comme elle l'interrogeait au sujet de sa relation à Alexandre, l'esclave souffla :

-- Oui... C'est mon... enfin... On a été condamnés ensemble.

Sa voix s'était hérissée d'un fond de sécheresse. Sa relation à Alexandre s'arrêtait ici désormais. Au Diable les baisers du Bellanger et ses petites caresses sur son corps - que Tristan n'avait pas détesté, loin s'en fallait. Il se recomposa un visage doux et avenant pour répondre à la gentillesse de Pauline et faire immédiatement oublier le ton raide qu'il vient d'employer. Manière de signifier à la dame qu'il n'y avait là rien de grave... qu'il a déjà oublié Alexandre. Puis Tristan se tourna vers Bélyl et Jeanne après le départ du roi. Une petite mine aussi taquine qu'attendrissante lui vint pour s'adresser à l'adolescente au pied-bot :

-- Heureusement qu'Sa Majesté a pas vu vot'... particularité, Mad'moiselle. (à Bélyl) Y paraît que not' roi, il aime les physiques... pas ordinaires. Même que... ça m'a sauvé d'vot oncle à un moment donné, quand y m'avait emmené au palais d'vant le Sire. Hé oui, aussi surprenant qu'ça soit, j'dois sur ce coup-là une fière chandelle à sa drôle de passion.

Parlant ainsi, beaucoup - lui qui d'ordinaire était si discret et peu causant - Tristan s'offrait une diversion pour ne plus penser à Alexandre... le temps que lui et sa mère déguerpissent.


La paume fine, tremblante d'émoi, de la demoiselle de Monthoux vint serrer discrètement la main de Kalisha pendant la question de Dyonis - et surtout pendant la réponse du roi au sujet de Djerdan. Pauvre... pauvre Kalisha ! La voici là, mariée pur rien désormais, apparemment victime des inconsciences de quelque sinistre manipulateur de Djerdan ! Le pas honorer le contrat... mais quelle folie ! Il était évident que Der Ragascorn finirait par le savoir et entrerait en guerre. Florentyna s'empêcha d'extérioriser trop de peine devant le roi, mais elle se signa une fois Sa Majesté un peu éloignée.

-- Je... Je... suis désolée, tellement désolée... murmura-t-elle à la princesse Kalisha, les larmes aux yeux. Je n'ai pas les mots... Au moins... la cause de cette attaque ce... n'est ni vous ni votre ventre.

Piètre réconfort. La jeune noble cependant n'avait guère trouvé mieux. Elle se jura d'accompagner au mieux sa "belle-mère" au cours des prochaines semaines, dans la digestion de pareilles nouvelles. Après tout, elle était désormais la famille de Kalisha. Son père la méprisait et disait que tût ou tard, malgré ce pacte, Monbrina serait déçu. Bien facile à assurer, maintenant qu'en effet le roi attaquait Djerdan ! Quelques mois auparavant, Prosper était bien trop contet de servir son souverain !
Et puisque de famille il semblait toujours question, ce fut avec une grande émotion que Florentyna assista à la démarche de cette pauvre mère venue demander grâce pour son fils esclave. Toutefois, l'attitude d'Alxandre ne manqua pas non plus de lui nouer la gorge : brave, il acceptait le sort que l'ordre des choses lui assignait. Comme Kalisha... Comme elle-même qui devait taire ses inclinations pour l'honneur. La demoiselle de Monthoux offrit la douceur de son regard au petit esclave sur ses béquilles, autant qu'à sa mère - les encourageant tous deux : le premier dans sa condition qu'il acceptait vaillamment comme le Christ avait accueilli sa Passion... et la seconde dans la nécessité de se faire plus prudente malgré tout son louable amour de mère. Elle déglutit. Bien triste triomphe pour eux et pour la princesse Kalisha.

Aller un peu au contact du peuple lui ferait-il éventuellement du bien ? Florentyna mit ses espoirs en cette option et d'un petit signe, elle proposa à sa belle-mère de la suivre parmi la foule. La demoiselle commença à s'y engager, laissant la liberté totale à Kalisha de la rejoindre dès qu'elle le souhaiterait. Après tout, la malheureuse princesse aurait-elle envie d'autre chose après ce qu'elle venait d'apprendre ? Sans trop s'éloigner, donc, des tribunes afin de garder sa belle-mère à vue - au cas où du soutien lui serait nécessaire - la jeune fille de Monthoux s'engagea au milieu des roturiers les plus proches. Sa somptueuse robe à vertugadins, chargée de pierreries, contrastait avec les humbles tenues en mouvement perpétuel autour de sa personne. Que ne repéra-t-elle pas alors ! Des... siamoises ? Florentyna en secoua légèrement la tête. Mâchoire décrochée, elle eut un nouveau signe de croix comme premier réflexe.

Théodosie et Lucretia écoutent attentivement les explications données à ce prodige. Pour Théodosie, il est clair que la mère qui les avaient enfantées avaient dû s’offrir à des chèvres ou s’adonner à de la sorcellerie pour parvenir à ce résultat. Un échec de Dieu ou une supercherie du Diable ?
Elle trouva l’idée du mariage même offensante. Bien d’autres considérations étaient à l’œuvre : quel enfant pourrait bien sortir de ces deux moitiés d’humaines encore collées ensemble ?
Siloé et Sémélé, tel était leur nom. Théodosie et Lucretia savaient chacune qu’elles ne parviendraient pas à se souvenir qui était qui et que dans un instant, elles leur reposeraient la question. A la question de Sémélé, Théodosie décide enfin de sortir de son silence :

- Je suis Théodosie, je suis nouvelle à Monbrina. J’ai été à la cour du grand Voïvode Oleh le Magnifique, le connaissez-vous ? Il collectionne les nains et ceux que j’ai croisé étaient ravis de vivre au château en échange de quelques pitreries. Si vous manquez de travail, je ne doute pas que ce seigneur saura vous en trouver.

Lucretia trouva le commentaire fort déplacé. Cette histoire de Voïvode lui était bien étrangère et même si les détails pouvaient sembler réels, Lucretia commençait à connaître Théodosie pour savoir qu’elle mentait sans difficultés. La question était qu’avait-elle fait à la cour d’un seigneur ?

- Ces dames semblent ne manquer de rien, elles ont sans doute trouvé une profession qui leur convient bien, n’est-ce pas ?

Lucretia espérait par cette intervention apaiser la tension qu’aurait pu provoquer la remarque de Théodosie qui lui répondit avec un regard noir sans pour autant s’opposer à sa parole. Cette dernière remarqua que le regard de Sémélé était attiré par les tribunes et regarda à son tour en direction de cette femme implorante. Théodosie l’entendit grommeler sans vraiment comprendre ce qu’elle disait :

- Vous la connaissez ?

Le spectacle commençait à rameuter. Théodosie entendait mal d’où elle était ce qu’il se racontait, mais la situation l’intéressait. Un noble venait s’y immiscer et prendre part au spectacle. Ses paroles portaient un peu plus et Théodosie crut comprendre qu’il était question de bravoure et de requête. Se tournant discrètement vers Lucretia, elle lui murmura :

- Il faudrait qu’on se rapproche.

Lucretia acquiesça. Théodosie se frayait déjà un chemin parmi les curieux, tandis que son esclave demanda aux siamoises :

- Nous pensons nous rapprocher un peu pour savoir de quoi il s’agit, souhaitez-vous nous accompagner ?

Louise écoutait les explications de la mère supérieure et hocha de la tête.

"Ah oui. Je comprends. Excusez-moi je suis bien ignorante sur beaucoup de biens religieux. Mais je suis bonne chrétienne. j'essaie d'assister aux messes deux fois par semaine."

Son visage s'assombrit quand son interlocutrice évoqua sa faille. elle murmura d'un regard triste.

"Non. je.. je n'ai pas de famille. Je suis... seule."

Occupée à deviser avec la mère supérieure, Louise ne remarqua pas celui qui la délesta habilement de sa bourse. Elle se sentit cependant bousculée et remercia mère Suzanne qui l’aida à se rattraper puis se retourna pour découvrir un homme en béquilles qu'elle reconnut aussitôt. Le fameux sorcier qui avait tiré Cassandre de la mort ! Elle lui sourit.

"Hyriel, je ne m'attendais pas à vous revoir ici. Je pensais vous rendre visite pour quelques commandes. Ne vous inquiétez pas pour cette bousculade. Je comprends que ce doit être difficile de vous déplacer. Oh, oui, Cassandre va merveilleusement bien ! Si vous saviez ! Avez-vous entendu parler de l'arrestation au Lupanar ? La patronne et l'intendant ont été arrêtés. Et maintenant, c'est Isabelle et moi-même les patronnes. Isabelle souhaite un établissement... moral. Elle a renoncé aux esclaves. Quant à Cassandre, elle l'a confiée à une mère de famille qui lui semblait généreuse."

Elle se rappelait alors des problèmes de morale et de l'aversion d'Isabelle pour le sorcier. Louise redoutait que Hyriel ne revienne au Lupanar et tombe sur Isabelle qui le dénoncerait. Comment lui faire comprendre ?

"Quoique.. Vous ne devez pas connaitre l'endroit et je vous déconseille de vous y rendre. Les ruelles la boue sale, les pavés tordues... Avec vos béquilles, vous ne cesseriez de tomber."

Il connaissait en réalité bien l'état de ladite rue. Le quartier était même relativement propre et bien entretenue. Il comprendrait le mensonge et elle espéra l'ordre implicite.

Louise entendit alors du remue-ménage qui émanait des tribunes officielles. Ses sourcils se froncèrent.

"Que se passe-t-il du côté des nobles ?"

La roturière expose sa doléance. Le cœur de Dyonis rate un battement : la mère de l'esclave Alexandre ! Et qui osait contester la décision de justice ! Et dire que le seigneur de Frenn pensait cette histoire close, enterrée et derrière lui... Le baron n'est franchement pas fier de ce qu'il a fait à Tristan et Alexandre, ça lui reste dans un coin de la conscience même si personne ne sait ce qui est réellement arrivé cette nuit là entre le roi et celle que Dyonis avait envoyé l'envoûter... Mais il ne faut rien laisser voir de ces choses. Personne ne doit savoir. Toujours aussi immobile et sévère, après avoir écouté la femme, il rétorque :

"Madame. Prétendez-vous apprendre son métier à la Cour de Justice ? Ce que le Tribunal a décidé, c'est décidé et respecté. Et je n'ai que faire de l'impulsivité de votre garçon et autres tentatives d'excuses psychologiques : ce sont les faits seuls qui sont jugés, pas ce qui les a causés dans le secret de son tempérament."

Il roule des yeux en l'entendant, là, demander de revenir sur une décision de justice alors que ce n'est ni le lieu ni le moment. Quel toupet ! Et si tous les condamnés s'amusaient à ça ! Dyonis s'apprête à renvoyer sévèrement cette femme sur les roses, avec la petite précision qu'elle pouvait toujours se lancer dans une procédure d'appel (mais à ses risques et périls, et à ses frais pour les avocats) mais c'est alors qu'Alexandre rejoint sa mère et intervient. Le Premier Conseiller s'étonne du ton sévère du garçon et surtout, une nouvelle fois, de son incroyable docilité à accepter son sort. Ironie de la situation : l'esclave arguments aussi bien que Dyonis l'aurait fait lui même. A distance, le visage neutre et imperturbable, il l'écoute. Le seigneur ressent un mélange de fascination et de trouble : le garçon qu'il a lui même condamné vient défendre le système de ce pays et ne cherche pas à se faire libérer. Y voit-il une décision divine ? Choisit-il cette résilience plutôt que de souffrir à se lamenter sur son sort ou à chercher la révolte ? Cet étrange garçon a une attitude qui perturbe le baron. Quand il a fini son intervention, c'est d'un ton plus radouci mais ferme que Dyonis leur ordonne à tous deux :

"Allez."

Que dire d'autre ? Rien. Il n'a pas à se justifier, pour donner l'apparence d'être dans son bon droit. Et d'ailleurs le Premier Conseiller a entendu l'intervention du jeune seigneur Alduis de Fromart. Il l'a ignoré jusque là. Mais de quoi se mêle-t-il ? Est-ce un jeu pour lui ? Cela en a presque l'air vu son sourire... Alors Dyonis finit par lui répondre :

"Il y a une nuance entre courage et témérité insolente, jeune Messire. Voyez-vous les représentants de la Justice avoir à recevoir, n'importe où et n'importe quand, dans un chaos total, des gens qui viendraient contester à la volée les décisions des tribunaux ? Il y a précisément des endroits et des procédures pour faire ces choses dans l'ordre. Quant au courage de cette femme, je veux bien le reconnaître et ce n'est que pour son amour de mère que je n'ai pas sévi malgré l'effronterie qu'elle a commis." Un temps. Il prend soin de préciser (à bon entendeur) : "Pour cette fois."

Dyonis en reste là. Clair et net. Pourvu que le jeune héritier de Fromart ne cherche pas davantage la pagaille, surtout avec le roi pas loin. Sa Majesté apprécierait peu qu'un de ses nobles aille en public dans le sens d'une contestataire. Ce ne serait pas bon, vraiment pas bon pour la réputation de la maison Fromart. Et cela, Alduis devrait en avoir conscience.

Quelque chose d'autrement plus sérieux préoccupe Dyonis et voilà le moment tant attendu : les explications du roi pour l'affaire de Djerdan ! Le Premier Conseiller pense très fort à la princesse Kalisha et à Dame Adalheidis qui vont entendre ces éléments en même temps que lui ! Il se garde bien d'avoir le regard qui se tourne vers elles, mais il imagine la gravité du moment aussi pour ces femmes intéressées au premier chef. Et apparemment, son intervention a réussi : Der Ragascorn explique le motif de sa grave décision de rupture du pacte.
Et quelle explication ! Djerdan... n'aurait pas payé sa part du contrat ?! Le pays aurait même profité du délai offert par le pacte pour se retourner contre Monbrina et aller se chercher des alliés ? C'est... à peine croyable. Sidérant. Bouche bée, le Premier Conseiller intègre ces renseignements. S'ils sont vrais, quel déshonneur pour Djerdan ! Quelle honte à porter pour ces deux femmes représentantes de ce pays ! Et puis... Dyonis se demande qui dans le gouvernement de Djerdan aurait pu décider une telle chose. Prendre un pari aussi risqué que celui d'envoyer cette contrée en guerre. Il s'en trouve figé, à ne pas savoir quoi dire. Mais les choses s'expliquent en tout cas. Gérald Der Ragascorn est un souverain intelligent. Il n'aurait pas gratuitement rompu ce pacte sans une excellente raison, et à la base il semblait même d'accord avec Dyonis pour rester en paix avec Djerdan et concentrer les forces de Monbrina à consolider sa sécurité. Alors... oui, cette histoire doit être vraie. Le baron serre les dents. Il évite soigneusement de regarder la princesse Kalisha et Dame Adalheidis. Sûrement qu'elles n'étaient sûrement pas au courant du tout qu'une telle machination se préparait, elles n'y sont pour rien.
Alors il ne reste plus à Dyonis qu'à s'incliner devant Sa Majesté et : "Sire, à présent tout est clair." Il ne trouve rien d'autre à ajouter. La situation est regrettable. Terrible. Et tout de même... Dyonis serait curieux de savoir qui à Djerdan a décidé un impair diplomatique aussi énorme et téméraire. Qui a estimé son pays suffisamment puissant pour se payer le luxe de ne pas honorer le traité et d'aller au conflit avec l'empire Monbrinien. Après tout, on dit bien que parfois les situations les plus énormes et les plus incroyables sont celles qui sont vraies.

Théodosie ? C'est un très joli prénom, se dit Siloé. Elle y réagit d'un sourire doux et un peu naïf. Par contre, le nom du seigneur qui suit, s'il est aussi joliment exotique, est difficilement mémorisable. Les jumelles se regardent, interloquées : non, elles ne le connaissent pas du tout. Mais ce qui apparaît clairement, c'est que cette femme a énormément voyagé ! Le nom a clairement une consonance orientale.

Sémélé. (Impressionnée) Ooooow ! Eh b'en ma parole, comment vous avez dû en faire, de longs voyages ! On connaît pas du tout de Messire que vous nommez, mais ça a l'air d'être un oriental, c'est bien ça ? Vous avez été à Djerdan alors ? Il paraît que ça chauffe fort en ce moment entre Monbrina et Djerdan... (En disant ça, elle a un regard rapide vers les tribunes des nobles où justement il y a deux aristocrates de cette contrée orientale... comme elles sont belles !) Ou carrément plus loin, au Moyen-Orient, vers les terres de Notre Seigneur ?
Siloé. (souriante, rêveuse) Et nous qui avons jamais trop quitté les petits environs de cette région... Vous pensez vous établir à Monbrina ou vous êtes là juste de passage, comme un voyage de plus ?

Un blanc malaisant s'installe par contre à la proposition de la gitane. Des nains qui font des pitreries pour gagner leur vie. Siloé hausse un sourcil et se mordille un coin de lèvre : elle n'aimerait pas du tout faire ces choses-là, elle préfère la petite tranquillité de leur vie actuelle. Sémélé hausse les épaules puis secoue la tête d'une façon beaucoup plus légère que sa sœur : elle est habituée à ce genre de propositions, elle et sa jumelle ont régulièrement réfléchi à cette option, avant de finalement tomber d'accord sur le fait qu'on vit heureux on vit caché. Mais Sémélé comprend que des gens dans leur situation peuvent se contenter de ces positions de drôles dans les Cours : après tout, ils y sont protégés et bien traités, c'est un compromis et ma foi c'est leur choix.

Siloé. Mmmmmh. C'est gentil mais on est pas du tout "spectacle". (Elle a un peu rougi) En fait, c'est arrivé qu'on le fasse ici et là chez des nobles du coin. Nos parents nous emmenaient. Mais maintenant on a eu la chance de trouver un petit travail ordinaire et discret, et on est plutôt contentes comme ça. Et puis, vu notre roi, on aurait peut-être pas besoin d'aller si loin si on voulait faire... ces trucs-là.

Nouveau blanc. Chez le roi en plus, elles y sont déjà allées. Elles se rappellent comme si c'était hier de cette curieuse soirée où elles avaient été ramassées par des archers du palais et amenées à Sa Majesté, en compagnie d'un énorme homme en fauteuil et d'une blonde muette avec les yeux un peu fous. Mais le plus bizarre, c'est qu'elles ne se rappellent que vaguement de ce qui était arrivé ensuite, une fois au palais. Le gros homme avait fait des farces, le roi avait posé des questions, on avait demandé aux siamoises de danser (gros moment de gêne devant l’Éternel...) et puis après... c'était flou. La muette a lancé un genre charme... et la suite leur échappe. Elles ne veulent plus retenter une expérience similaire.
Heureusement, l'intervention de Lucretia est salutaire, elle leur permet de reprendre la parole et de se sortir de ces souvenirs ainsi que de ce mauvais pas où elles ne savent plus trop quoi dire.

Sémélé. (rebondit sur les paroles de l'esclave qui a pressenti leur réponses) Oui c'est tout à fait ça ! On bosse dans une rue très tranquille au sud de la capitale. Une draperie. En plus on est vraiment en arrière boutique, on lave, on plie, on range, tout ça. Et ça nous va. Bon, y a bien quelques curieux qui sont quand même au courant pour nous... et qui viennent à la boutique surtout pour ce que vous devinez, mais du coup le patron il est content parce qu'ils achètent chez lui comme ça ! (Siloé pouffe) Enfin bref on arrive dans l'ensemble à passer des jours paisibles.

Et dire qu'elles ne s'imaginaient pas être acceptées, le jour où elles s'étaient présentées pour une annonce de recherche d'employées. Mais des miracles arrivent. Miracle ou arrangement commercial en fait (deux employées en une !) mais le patron les a reçues sans superstition, et elles sont bien traitées. Ce doit être franchement rare et elles en ont conscience.
Mais cette discussion est interrompue par l'intervention de Madame Bellanger près des nobles, qui a attiré toute l'attention des jumelles. Pauvre femme ! Pourvu qu'elle n'aille pas encore s'attirer des ennuis ! Les siamoises l'ont secourue alors que son mari lui courait après pour la battre : elles se sont mises devant le type et, superstitieux, il a eu peur.

Siloé. Oui, on la connaît. Enfin, un peu quoi. Un jour on l'a croisée dans les rues à un moment où elle avait eu besoin de secours. Elle avait besoin d'une indication. (Elle préfère ne pas dire que la femme Bellanger fuyait surtout son mari violent, alors elle prétend cette autre version. Qui n'est pas complètement fausse en plus : les jumelles lui avaient montré le chemin ensuite pour aller trouver le prêtre d'Anjou.)
Sémélé. La malheureuse... A ce qu'on a compris, son fils a eu une méchante affaire de justice. Je sais pas trop ce qu'il a fait, mais il a été condamné au travail forcé, il est devenu esclave. (Et justement le fils en question est là avec sa mère, près des nobles, mais c'est curieux, il n'a pas l'air du tout implorant avec elle... Sémélé ne peut rien entendre, elle finit par détourner le regard : ce ne sont pas leurs affaires.)

Les sœurs en restent là sur ce sujet. Par rapport à Lucretia. Théodosie de son côté a l'air très curieuse, elle prend déjà ses dispositions pour se rapprocher des gradins des Grands de Monbrina.

Sémélé (à la proposition de la gitane) : Oh non, non merci on... On va rester là nous, c'est... bien comme ça. (Il y a plein de nobles, et surtout le roi ! Elle ne veut pas ré-attirer l'attention sur elles. Et, par ricochet, sur Théodosie et Lucretia.)
Siloé. (petite voix et petit sourire) Fautes gaffe quand même... (Lucretia avec son œil borgne, et cette bohémienne font un duo vraiment pas ordinaire. Pourvu que ça ne déraille pas pour elles d'une façon ou d'une autre, on ne sait jamais ce qui peut passer par la tête des puissants, surtout s'ils se sentent écoutés dans leurs affaires.) Au revoir, peut-être qu'on se reverra et que vous aurez plein de choses à nous raconter !

Ainsi elles ne les retiennent pas, et adressent toutes les deux un petit "au revoir" des mains.

Qu'est-ce qu'il ne fallait pas entendre. Allez donc trouver la joie ! Hyriel jouait bien le petit paysan, parce que Sylvère aurait parié qu'il se fichait à peu près autant que lui du bonheur de ce jeune homme. Quoique... peut-être qu'entre béquilleux, finalement...

Mais maintenant, avec cette bourse cachée, les choses lui plaisaient davantage. La malheureuse femme ne s'était rendue compte de rien. Elle n'avait pas senti sa ceinture s'alléger brutalement. Le stratagème de bousculade marchait encore mieux que prévu !

D'ailleurs, les excuses maladroites d'Hyriel étaient tout à fait crédibles. Plus vraies que les vraies, on aurait juré qu'il se sentait réellement perdu. C'était du moins ce que Sylvère se disait quand soudain, il finit par...

Il se tourna lentement vers lui – et elle par la même occasion. Ils … se connaissaient. Ah, splendide ! Quelle bonne nouvelle ! … Il manquait plus que cela ! Il fallait que parmi toute cette foule, il ait jeté son dévolu sur la seule femme qu'Hyriel avait déjà vue. Bon sang.

Mais il y avait plus embêtant que cela. Ils étaient en train de discuter santé. Pas écriture. Cela voulait dire une chose, elle connaissait le sorcier, et non pas l'écrivain public. Cela voulait aussi dire qu'elle était déjà venue dans la forêt. Pourquoi il ne l'avait jamais vue, d'ailleurs ? Eh bien, c'était simple, il considèrerait cette bourse comme les impôts auxquels elle avait échappé lors de sa visite.

Cependant, le vrai souci de tout cela, outre les impôts, c'était qu'elle savait certainement qu'Hyriel n'avait pas de femme.

Oh, merveilleux, vraiment. Au moins, ils n'attiraient pas trop les regards alentours. La seule attention qu'ils avaient attirée, c'était celle de la bonne soeur qui se tournait désormais vers Hyriel, en s'inquiétant de sa désorientation évidente.

Ils en étaient rendus à parler du Lupanar. Hum, la situation promettait d'être compliquée pour s'en extirper sans se dénoncer. Quoique... avec le rafus que faisaient les nobles dans les tribunes, peut-être pas tant que cela. S'ils pouvaient lui servir à quelque chose une fois dans leur vie, ceux-là, ils tombaient à pic !

Mais la famille Galtym, elle, avait certainement intérêt à en rester à distance respectable. Même de là, Sylvère apercevait le Premier Conseiller. Ce n'était pas parce que le déguisement avait tenu une fois qu'il ferait office une deuxième fois devant le même homme... Pour une fois, il se montrerait prudent.

Hyriel tourna la tête en entendant la nonne s’adresser à lui. Et flûte ! Il secoua la tête, confus de l’extérieur et crispé de l’intérieur.

« Bonjour, ma mère, je… Oui, oui, c’est un peu l’idée, ça et le fait que je ne me sois pas attendu à croiser une connaissance. Veuillez m’excuser pour vous avoir interrompues, toutes les deux. »

Il vit son regard. Puis son sourire. Classique. Il sourit innocemment alors. C’était gentil. Puis Hyacinthe était gentil. Alors il serait gentil. Il revint à sourire à Louise, même si intérieurement il craignait de tomber en poussière. Hyriel. Dès le premier mot, déjà sa couverture tombait. Oh, joie… Il hocha régulièrement la tête à ce qu’elle lui disait. Des commandes ? Bien, bien. Cassandre allait bien ? Bien, bien. Une arrestation ? Oooh oui, oui. Elle était patronne ? Bien, très bien. Elles avaient renoncé aux esclaves ? Fort b… Phaidée. Phaidée, oui, c’était donc pour cela qu’elle… qu’elle… Oh, Phaidée, pauvre Phaidée… Et Cassandre ? Oh, bien, bien. Il rassemblait ses idées quand elle reparla. Il fut d’abord intrigué par ses propos. Il connaissait… Oh, oui, bien évidemment. La mère les écoutait. Il ne connaissait donc pas. Ainsi donc, il ne devait plus s’y rendre ? Oui, si cette isabelle voulait moraliser l’établissement…. Moraliser un lupanar mais quelle aberration ! Toujours est-il que si elle voulait moraliser l’établissement, ce devait sans doute se faire sans sorcier béquilleux. Il hocha donc la tête au tout, avec un splendide sourire de façade.

« Eh bien, que voilà de grandes nouvelles. Je suis ravi par ce que vous m’annoncez. Je prends aussi bien note de vos conseils et si jamais un jour l’envie me prenait de passer par cette rue, je me rappellerai cette raison en plus des autres pour m’en détourner ! »

Il tourna la tête en même temps que Louise. Ne serait-ce pas là une occasion fort belle pour s’éclipser ? Surtout qu’un certain Premier Conseiller, qu’il apercevait, apprécierait certainement de les revoir et… il n’était pas d’humeur généreuse avec lui, là.

« Je l’ignore mais… »

Il repéra sa fort charmante épouse dans la foule. Il fallait qu’il le rejoigne et qu’ils s’éloignent. Il revint à Louise.

« … je crains de ne pas pouvoir le découvrir avec vous, j’ai retrouvé la personne que je cherchais. J’ai été ravi de vous revoir, Louise, et de vous rencontrer, ma mère. Au plaisir ! »

Et il commença à s’écarter. Progressivement.

Rosina baissa la tête, soumise devant les paroles froides que lui adressait le Premier Conseiller en réponse à sa supplique. Elle était d'autant plus mortifiée d'entendre son fils justifier sa condamnation et ne rien réclamer. Quelle douleur infâme ! De son côté, Alexandre l'écouta avec respect puis inclina la tête.

"Je vous remercie, messire, de votre générosité. Ma pauvre mère ne pensait pas mal. Veuillez pardonner, tous, ce regrettable dangereux."

Alors que le garçon s'en allait sur ses béquilles, suivi de Rosina qui avançait d'un air misérable, ils s'arrêtèrent un instant devant un jeune noble qui tentait à leur surprise de prendre leur partie. Alexandre secoua la tête. Il faillit répondre que cela était inutile mais le seigneur de Frenn se chargea de rappeler sa position et le caractère scandaleux de la démarche. Il releva la tête vers Alduis de Fromart et dit avec politesse :

"Je vous remercie du soutien que vous nous apporteriez mais cela est inutile. Et e ne le réclame point. Justice fut rendue au nom du Roi et seul notre bon souverain aurait le pouvoir de défaire la décision qui m'a fait esclave. Soyez lucide, messire, et abandonnez cette folie. Ma mère et moi quittons d'ailleurs cette assemblée noble pour revenir à al foule, là où se tient notre place véritable. Veuillez encore excusez le dérangement."

Sur ces derniers mots, Alexandre salua le jeune noble puis s'éloigna lentement, peinant sur ses béquilles, tandis que Rosina progressait derrière lui le coeur serrée, le dos voûté par la désolation.

Tout le monde le regardait. C'était une entrée réussie. Alduis eut un demi-sourire satisfait. Même le Roi regardait la scène. Et tous sans le vouloir, ils faisaient exactement ce qu'Alduis voulait en cherchant pourtant à l'empêcher.

Tout d'abord, Dyonis répondit à la femme en l'ignorant. Alduis savait attendre son tour quand il le fallait et cela lui permettait même de prévoir la suite. Il attendait son tour comme un artiste attend son entrée en scène dans les coulisses. Certes, ces tribunes n'étaient pas un champ de bataille mais il s'agissait d'une guerre différente et l'adrénaline coulait dans ses veines avec autant de vigueur que lorsque la mort rôdait au-dessus de sa tête.

Il ne pouvait dissimuler son sourire et d'ailleurs, il n'essayait même pas. Il savait que quelle que soit l'issue de cette conversation, elle aurait un impact sur sa réputation. A vrai dire, cela ne ferait que renforcer ce qui se disait déjà sur lui. Et c'était mal le connaître de croire qu'il allait s'arrêter ici.

C'était néanmoins impressionnant comme Dyonis tenait son rôle. Froid, direct. Droit. Comme toujours. Enfin, il se tourna vers lui pour lui répondre. Le sourire d'Alduis s'aggrandit encore.

- Et où se situe la frontière entre le courage et l'insolence, dans ce cas ? releva-t-il en regardant ses ongles.

Lui, à l'heure actuelle, était insolent et il le savait pertinemment. Il enchaîna malgré tout sans se démonter une seconde :

- Cela dépend des versions, vous ne pensez pas ? Le déserteur est lâche aux combats, mais courageux face à ses propres idéaux. Le condamné a le courage d'affronter la mort et la témérité d'avoir cru pouvoir commettre un crime sans en subir les conséquences. Cette femme a pris son courage à deux mains pour vous soumettre une demande insolente. Aux yeux du peuple, il ne restera que sa force de vous affronter, à vos yeux, seulement son imprudence... Vous voyez bien que c'est intimement lié.

Il fit une pause, lui lança un petit regard en coin pour voir sa réaction puis reprit aussitôt :

- On dit bien que qui ne tente rien, n'a rien... mais soit ! Ce n'est pas à moi de vous apprendre votre rôle. Veuillez m'excuser.

Et il s'inclina aussi bas qu'il le pouvait, avec un grand geste de bras. Mais personne, de tous ceux qui regardaient, n'était dupe : il n'y avait pas plus d'excuses dans ces paroles que d'humilité. Il était certainement le seul ici à réussir à rendre une révérence aussi irrespectueuse et insolente.

Il avait fait ce qu'il avait voulu : semer la zizanie. Il souriait. Il s'arrêta quand le jeune homme en béquilles et sa mère firent une pause devant lui. Alduis les observa sans bouger d'un pouce, et le laissa parler. Quand il eut fini, il déclara :

- On ne gagne pas dans la vie sans folie.

Le jeune esclave le salua, Alduis lui adressa un hochement de tête sobre, et quitta les tribunes pour de bon, suivi d'une mère accablée par l'échec et le désespoir. Alduis les suivit des yeux dans la foule.

Trahi? Djerdan aurait trahi le pacte?
Non... Non... Non... C'était impossible.

Sa gorge se noua. L'air commença à manquer.

C'est impossible. C'est juste un malentendu...

Les mots s'entrechoquaient dans son esprit mais aucun ne parvenaient à sortir. Elle entendit la lointaine voix de Florentyna tenter de la réconforter.

Ils n'ont pas pu... Ils n'attaqueraient jamais Monbrina...

Elle était sidérée. Elle étouffait, emprisonnée dans son carcan d'épais tissus.

Et... Et... Moi dans tout ça ?

Les larmes se pressèrent sur ses paupières, les étoiles dansèrent devant ses iris.

Une explication... Il y a forcément une expli..
- Je... Je suis désolée Florentyna... Je vais prendre congé parvint-elle à articuler péniblement en tentant de reprendre sa respiration.

Mais l'air refusait toujours de se frayer un chemin jusqu'à ses poumons. Sa respiration se fit de plus en plus saccadé.

Les étoiles dansaient si follement qu'elle en perdit le lien avec son environnement. Des voix parlaient autour d'elle mais elle ne comprenait pas ce qu'il se disait.

Spoiler:

L'intervention du Premier Conseiller fut parfaite. Gérald Der Ragascorn devait bien reconnaître qu'il attendait avec une certaine curiosité la réaction du seigneur de Frenn - et ce dernier ne le déçut en rien. Il rappelait avec fermeté la prédominance de la loi et l'impertinence qu'il y avait à espérer faire réviser ainsi, à la sauvette et sans aucune procédure, une décision de Justice. Néanmoins, le souverain trouva une part de vrai dans les paroles provocatrices d'Alduis : la frontière était bien mince entre l’héroïsme et la témérité et lui-même, qui avait changé comme jamais auparavant les règles de Monbrina, en savait quelque chose ! Mais après tout, il fallait cela pour en avoir fait le puissant Empire que ce pays incarnait à présent. Au fond de lui, Gérald Der Ragascorn se retrouva partiellement dans le discours du jeune seigneur de Fromart. Il n'en dit rien toutefois : c'était l'ordre strict et le respect de la loi qu'il devait représenter céans - à plus forte raison dans le cadre d'une cérémonie publique de cette envergure.
Le baron congédia comme il se devait la roturière et le petit esclave s'éclipsa lui aussi sans faire d'histoire. Après leur départ, Dyonis s'inclina face au monarque et lui fit savoir qu'il comprenait sa décision en matière de politique extérieure. Ainsi, rien n'était caché.
Rien. Même si cela était terriblement douloureux à entendre pour les deux nobles Djerdannes présentes dans ces gradins. Elles n'y étaient pour rien, toutefois l'opprobre de la situation ne pouvait que les toucher au plus haut chef. La princesse Kalisha en devenait déjà livide auprès de sa belle fille. Der Ragascorn sera cependant déjà éloigné, occupé à d'autres mondanités puis à une ultime revue des troupes, quand la malheureuse comtesse perdit connaissance.



Le petit esclave n'avait plus qu'une envie : quitter le tumulte de cette fête qui lui devenait oppressante. Alexandre et sa mère d'abord, dont la présence ne lui rappelaient que de pénibles moments ; le seigneur de Frenn juste à côté ; l’épouvantable annonce de la prétendue trahison de la part des Djerdans... Seule l'intervention du seigneur de Fromart retint quelques instant l'intérêt de Tristan, interloqué par sa témérité et la façon qu'il avait ainsi - avec une certaine habileté - de remettre en cause toutes les belles certitudes de la loi. Il n'avait pas tort : l'Histoire se plaisait bien à glorifier des héros, des personnes qui à un moment donné avaient osé faire preuve de démesure... mais elle condamnait parfois pour les mêmes raisons ceux qui bravaient un ordre donné. Le garçon n'y vit qu'un énième tour de roue du Destin : le balancier des valeurs allait et venait sans cesse, glorifiant tantôt l'un, condamnant l'autre... et cela en fonction du camp qui à un instant T avait imposé sa puissance... jusqu'au prochain revers de Fortune.
Au moins Tristan fut-il soulagé que les choses s'achèvent sans heurts et que nulle sanction ne tombe contre cette mère éplorée. A peine fut-il partie que ce fut la comtesse de Monthoux qui attira bien malgré elle l'attention : les annonces du roi l'avaient anéantie et elle venait de s'évanouir. Le jeune infirme en eut le cœur serré. Comme cette femme devait être malheureuse, objet d'un contrat qui n'aurait finalement servi à rien... et mariée à un individu comme le comte de Monthoux.

-- La pauvre, murmura-t-il, tremblant pour elle, suivant du regard son évacuation avant de devoir lui-même quitter les gradins : la famille Cassin s'en retournant, la fête était finie.


La demoiselle n'écoutait même plus les conversations des uns et des autres, horrifiée par la pâleur extrême de Kalisha. Florenyna en aurait pleuré. La Princesse avait tout quitté, accepté d'adopter la culture de Monbrina, de prendre Prosper pour époux... et tout cela pour... rien ! Un contrat jeté en l'air un inconscient qui, d'après l'enquête mentionnée par le roi, aurait préparé un réarmement de Djerdan. Les mains fines de la fille e Monthoux tremblaient à la balustrade. Elle allait répondre à Kalisha... lorsque soudain cette dernière défaillit. Florentyna en eut aussitôt un sursaut, se signa de la croix avec une brève prière implorante pour sa belle-mère, puis prit les choses en main. Elle appela leurs vigiles, qui avaient accompagné les deux Dames de Monthoux :

-- Gardes ! Madame a perdu connaissance ! Vite ! Notre carrosse !

Sans perdre un instant, les commis firent de l'espace autour de l'infortunée Kalisha. En pleurs, Florentyna l'embrassait et tentait désespérément de la réveiller. Des hommes solides prirent le relais, soulevèrent la princesse et l'installèrent dans l'attelage qui allait reconduire ces Dames à Monthoux. Des lanciers écartaient la masse des curieux à grands coups de :

-- Place ! Place ! Laissez donc de l'air ! Pas de chahut !

Malgré tout, ce fut dans un chambardement peu commun, au milieu des regards curieux, des racontars et de l'agitation, qu'on évacua Kalisha et Forentyna. Cette dernière battait énergiquement de l'éventail près du visage de la Djerdanne, espérant aider à la ramener à elle au plus vite. Avant de disparaître derrière la portière du carrosse, elle croisa le regard compatissant du petit esclave en fauteuil et y répondit d'un sourire fragile. Malheureuse Kalisha, née pour ce triste destin et dans cette sinistre période ! Comment lui expliquer à quel point, autrefois, Monbrina se comportait de façon diamétralement opposée dans ses relations internationales. Assise sur sa banquette, Florentyna s'effondra en pleurs alors que sa main caressait tendrement le front de Kalisha.

Lorsque Théodosie et Lucretia arrivèrent à la tribune où a foule s'était rassemblée, le spectacle touchait déjà à sa fin. Théodosie remarqua une femme aux épaules tombantes et son fils avec des béquilles. Elle l'avait déjà vu quelque part, n'était-ce pas ce gamin qu'elle avait rencontré sur le parvis de l'Eglise ? Elle l'entendit s'excuser devant la foule entière et les nobles qui observaient le spectacle de leur tribune. Tout rentrait dans l'ordre au grand dam des commères et des colporteurs, mais la tension entre les nobles et le peuple persistait.
Le jeune seigneur à l'origine de ce rassemblement reprit néanmoins son discours, espérant peut-être ravivé le courage de la mère qui demandait à ce qu'on affranchisse son fils.

- c'est le seigneur de Fromart, souffla Lucretia à l'adresse de Théodosie. On raconte beaucoup d'histoires à son sujet, qu'il ne vaut mieux pas le croiser sur le champ de bataille et surtout que son courage n'égale que sa cruauté.

Un visage d'ange qui cachait un dragon, voilà qui n'était pas pour déplaire à Théodosie. Les quelques flammèches qu'il put cracher de ses nasaux ne furent cependant pas suffisantes pour raviver le courage ou la folie du béquilleux et sa mère. On commençait déjà à se disperser et Théodosie n'avait finalement pas réussi à se rapprocher de personnalités dignes d'intérêt.

- Rentrons au Lupanar, ordonna-t-elle à Lucretia.

Les opportunités tardaient à se manifester. Théodosie espérait que son entrée au Lupanar allait commencer à porter ses fruits.